200ème dîner de wine-dinners au Pavillon Ledoyenjeudi, 26 mai 2016

Le 200ème dîner de wine-dinners se tient au Pavillon Ledoyen. Pour ce dîner, j’ai choisi des vins chers à mon cœur, pour leur rareté ou pour des souvenirs que j’ai avec eux. Ayant prévu des vins de réserve, « pour le cas où », j’ai décidé de les inclure dans le programme pour ce dîner spécial. Nous aurons donc quinze vins pour onze personnes et comme l’un des participants a ajouté avec mon accord un vin et un alcool, nous voilà embarqués pour un dîner à 17 vins.

J’étais venu déjeuner en ce lieu il y a plusieurs semaines pour mettre au point avec Yannick Alléno le menu. A 17 heures, tout est en place pour l’ouverture des vins. Un caméraman filmera de 17 heures jusqu’à une heure du matin heure à laquelle les convives se sont séparés.

Le caméraman a gardé la trace de mes réactions quand j’ai ouvert les vins et un des convives en a été le témoin. Jamais je n’aurais imaginé une telle perfection de parfums. C’est assez incroyable. J’avais forcément des doutes pour le Montrachet 1923 qui offre des senteurs de beaux fruits roses, Le Lafite 1898 est invraisemblablement fruité et jeune, le Nuits Cailles 1915 est impérial, le Richebourg 1929 transcendant, l’Yquem 1888 d’une rare séduction, tout se présente au-dessus de ce que j’espérais. Le Lafite 1961 a un nez poussiéreux, mais dès la première minute après l’ouverture on sent déjà que le vin s’ébroue. Curieusement, le Montrose 1928 qui avait dans l’instant un nez superbe fait apparaître des notes déviées et moins nettes au moment où l’on transporte les vins dans une armoire à température contrôlée pour qu’ils ne soient pas servis trop chauds.

En attendant les convives, je réponds aux questions du journaliste qui me filme.

A l’arrivée des convives nous buvons un Champagne Moët & Chandon MCIII (2014) qui est un assemblage d’une vingtaine de millésimes et qui a été dégorgé en 2014. C’est un tout nouveau concept de Moët & Chandon qui est un peu dans la même optique que ce que fait Dom Pérignon avec ses P2 et P3 et qui, en terme de conception s’apparente à ce que fait Krug pour sa Grande Cuvée. Le champagne est bon, racé, mais il reste très Moët, avec ici un goût un peu pataud. Il est beaucoup plus à l’aise sur les amuse-bouche et gagne en vivacité.

Le menu composé par Yannick Alléno est : Salinité : Extraction de céleri, blanc à manger et feuille d’huître – Tarte champignon fleurée au curry – Fuseau croustillant à la crème de lard / Timbale de langoustines au lait de sole, duxelles gratinée et petits raviolis au beurre / Homard bleu en civet à la purée de pois-cassé / Aile de pigeon élevé aux graines de lin, grande sauce Neuvilloise / Bœuf japonais, gratin de macaroni et céleri en croûte de foin / Comté 18 mois affiné pour nous / Lingot friand à la framboise relevé au basilic / Meringue de mangue rôtie, vinaigre de mangue et poivre / Madeleine cuite à la minute parfumée à la réglisse.

Nous passons à table où se placeront deux chinois, un américain, un japonais et sept français. Les habitués sont neuf sur onze. La parité toussote car il n’y a que deux femmes à notre table.

Les deux premiers champagnes sont servis ensemble. Le Champagne Renaudin Bollinger 1943 est une bouteille que j’ai achetée il y a plus de trente ans. Il y a quelques grains de poussière qui flottent dans le vin, ce qui rend la couleur du champagne légèrement grise. Si ce champagne était seul, nous l’aimerions car même en l’absence de bulle, la « matière » vineuse de ce champagne est très agréable. Il a une belle trace typée et gastronomique.

Mais notre attention se porte surtout vers le Champagne Moët 1914 qui est exceptionnel. C’est l’un de mes champagnes préférés et c’est celui qui m’a fait comprendre il y a plus de trente ans l’intérêt des vieux champagnes. Disons qu’il a tout pour lui, personnalité, sérénité, équilibre et intensité. Quand on le boit, on aurait du mal à dire qu’il a de l’âge. C’est sa complexité avec de belles notes d’agrumes, qui nous rappelle, ce qui semble incroyable, qu’il a 102 ans.

Le Château Haut-Brion blanc 1938 a une couleur d’un jaune citron d’une folle jeunesse. Son équilibre de structure et la mâche opulente que je n’attendais pas d’un vin de ce millésime donnent un plaisir particulier qui se traduira dans les votes.

Le Montrachet Marquis de Laguiche 1923 est une des bouteilles les plus rares de ma cave, car ce vin est introuvable. La satisfaction que j’avais eue à l’ouverture se poursuit. Le vin est beau, de belle couleur, plus sombre que celle du bordeaux. Il y a beaucoup de distinction dans ce vin relativement peu puissant mais très bien dessiné. Les langoustines sont merveilleuses, d’une cuisson divine, et s’accordent au plus haut point avec les deux vins si dissemblables. On se croirait dans un repas galant du 18è siècle.

Les trois bordeaux rouges vont accompagner le homard délicieux mais un peu trop épicé. Le Château Lafite-Rothschild 1898 est une des plus fortes surprises de cette soirée. Il est tout simplement parfait. Sa couleur est belle et vive, de sang de pigeon. En bouche sa vivacité et son goût de truffe sont d’une jeunesse inchiffrable. Car il est inimaginable que ce vin puisse avoir 118 ans. Je jouis de chaque goutte de ce nectar, qui n’a pas le génie du Lafite 1900, bouteille mythique, mais se situe tout proche de la perfection.

Le Château Lafite-Rothschild 1961 paradoxalement, comme le dira un convive, fait plus vieux que le 1898. C’est un bon vin, mais il manque de flamme. Il devrait normalement offrir plus de complexité que ce qu’il y a dans la bouteille.

Le Château Montrose 1928, qui est estampillé cave Nicolas, m’avait inquiété un instant après l’ouverture. Il a maintenant un parfum qui n’a pas la moindre trace de défaut. Le vin est grand car son année est grande, mais à côté de la force massive du 1898, son aîné de trente ans, il fait plus frêle, plus gracieux et gracile. C’est un très bon vin.

Le Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915 est de mes chouchous car chaque fois qu’il est apparu, il a brillé. Des quatorze achetés il y a vingt ans, c’est probablement la dernière que nous partageons. Ce vin est l’exemple type du bourgogne paysan. Il est droit dans ses bottes, carré, solide, au message simple, et montre que même à 101 ans, il a de la ressource. J’adore ce bourgogne franc, qui emplit la bouche d’un discours simple et direct où une petite trace de truffe me plait beaucoup. L’aile de pigeon lui convient bien mais là aussi les épices sont un peu marquantes.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1929 est un vin exceptionnel. Dans mes souvenirs jusqu’à ces dix dernières années, c’est ce vin que je considérais le meilleur de tout ce que j’avais bu du domaine de la Romanée Conti. Ce vin n’est pas aussi brillant que Les Gaudichots 1929 bu il y a peu de mois qui s’était montré au sommet des vins du domaine, mais il est très grand. Le côté salin des vins du domaine est très joliment présent. Pour la rose, c’est plus une autosuggestion. Le vin est solide, riche, plus raffiné que le Nuits-Saint-Georges, intense et avec une grande longueur. C’est le raffinement ciselé qui est la caractéristique principale de ce vin. Le bœuf Wagyu est d’un équilibre parfait, le gras étant bien dosé, et l’accord est superbe avec le beau bourgogne racé et puissant.

Le Château Chalon Jean Bourdy 1865 est de l’année la plus prestigieuse de toute l’histoire du vin jaune. Si j’ai bu un 1864, c’est la première fois que je vais boire un 1865 dont on dit qu’au lieu des six ans et trois mois de fût il aurait passé plus du double sous voile, avant d’être mis en bouteille. Le nez était explosif à l’ouverture. Il l’est toujours. Hyper puissant, solide comme un roc, il est tellement parfait, imprégnant, qu’il serait impossible de lui donner un âge. C’est sans doute pour cela qu’il a recueilli peu de votes car peu de choses le distinguent d’un vin récent. Il figure dans mon vote et j’aimerais le voir dans un autre dîner en face de plats complexes au lieu de son compagnon traditionnel, le Comté. Mais comme le rappelle Yannick Alléno venu bavarder avec nous, c’est moi-même qui ai suggéré le comté puisque le menu était déjà largement copieux avec les plats précédents.

J’ai voulu créer une rupture entre le vin jaune à la trace extrême et les liquoreux. Elle sera réalisée par deux champagnes. Le Champagne Veuve Clicquot rosé 1928 est un peu fatigué, aussi se concentre-t-on sur le Champagne Veuve Clicquot rosé 1953 qui est beaucoup plus agréable et vif. Avec le délicieux dessert à la framboise, cette pause est du plus bel effet.

Le Château d’Yquem 1888 a un léger nez de bouchon qui au début n’altère pas vraiment le goût. Ce nez de bouchon n’existait pas au moment de l’ouverture. Le goût de bouchon se développe et me conforte dans l’idée qu’il ne faut pas acheter des bouteilles qui ont été reconditionnées. Le délicieux dessert à la mangue rendrait presque l’Yquem charmant.

Le Vin de Chypre 1845 est un de mes vins préférés, toutes appellations confondues. C’est peut-être le vin que j’ai mis le plus souvent dans mes dîners : douze fois. Ce vin est un parfum. Il embaume. A la fois vin doux et vin très sec il est poivré et évoque la réglisse ce qui explique la présence de la madeleine que j’ai demandé de rajouter au repas.

Un des participants est venu avec un flacon de Cognac Hennessy Paradis fait de l’assemblage de vieilles eaux-de-vie du 19ème et du 20ème siècle. Cet alcool est extrêmement doux et subtil et montre par sa complexité qu’il est fait d’alcools très anciens. Je l’adore.

Vient ensuite l’alcool que j’avais prévu, une Chartreuse jaune « 75° Proof » années 30 ou 40. Un grand spécialiste des chartreuses à qui j’ai envoyé des photos de l’étiquette ne connait pas cette chartreuse qui ne peut évidemment pas titrer 75°. Il a commencé par la dater de 1912/1913 mais après examen rejoint mon estimation du début des années 30. Si le Château Chalon et le vin de Chypre étaient des bombes olfactives, le chartreuse est une bombe thermonucléaire. Cet alcool est incroyablement parfumé évoquant les fleurs de printemps et l’anis. Très sucrée, cette liqueur est une merveille pour finir ce voyage inouï.

Voter pour une quinzaine de vins n’est pas chose aisée. Nous allons voter pour nos cinq préférés, laissant de côté le cognac ainsi que la Chartreuse qui est hors norme. Onze vins ont obtenu au moins un vote, ce qui est toujours un plaisir pour moi. Les exclus des votes sont le Bollinger 1943, le Veuve Clicquot 1928 et l’Yquem 1888 ce qui est logique du fait de leurs légers défauts. Un seul vin est dans toutes les feuilles de vote, le Richebourg 1929. Quatre vins ont des votes de premier : le Richebourg 1929 six fois, le Lafite 1898 trois fois, le Haut-Brion blanc 1938 et le Montrose 1928 chacun une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1929, 2 – Château Lafite-Rothschild 1898, 3 – Château Haut-Brion blanc 1938, 4 – Champagne Moët 1914, 5 – Vin de Chypre 1845, 6 – Château Montrose 1928.

Mon vote a les mêmes quatre premiers : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1929, 2 – Château Lafite-Rothschild 1898, 3 – Château Haut-Brion blanc 1938, 4 – Champagne Moët 1914, 5 – Château Chalon Jean Bourdy 1865.

Yannick Alléno a fait une cuisine absolument cohérente pour les vins, les accords étant d’une rare justesse, au bémol près d’épices une ou deux fois trop généreuses. Les plats se sont montrés intelligents pour les vins et les desserts d’une adéquation idéale. Le chef, heureux de nous rencontrer est resté à notre table longtemps, bavardant avec des convives qu’il connait.

Le service des vins a été parfait, ainsi que le service des plats, l’équipe du restaurant montrant une implication qui mérite d’être signalée. Ce 200ème dîner, avec des convives passionnants et passionnés fut à la hauteur de mes espoirs, les vins étant, eux, au-dessus de ce que j’attendais. Tant mieux !

Champagne Moët & Chandon MCIII assemblé en 2014

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Champagne Bollinger 1943

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Champagne Moët 1914

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Château Haut-Brion blanc 1938

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Montrachet Marquis de Laguiche 1923

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Château Lafite-Rothschild 1898

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Château Lafite-Rothschild 1961

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Château Montrose 1928

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Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915

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Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1929

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Château Chalon Jean Bourdy 1865

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????

Champagne Veuve Clicquot rosé 1928

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Champagne Veuve Clicquot rosé 1953

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on voit la fermeture du muselet en forme de cœur !!!

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Château d’Yquem 1888

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Vin de Chypre 1845

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Cognac Hennessy Paradis (pas de photo)

Chartreuse jaune 70° Proof années 30 ou 40

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photo des vins en cave

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photo des vins au restaurant

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les bouchons

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la table dressée dans le salon Cariatides

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les plats

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la table en fin de soirée

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le menu

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CLASSEMENT VINS DU 2002è DINER