199ème dîner de wine-dinners au restaurant Tailleventvendredi, 15 avril 2016

Le 199ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent, dans le salon lambrissé du premier étage. Mes vins ont été livrés il y a une semaine et je me présente à 17 heures pour les ouvrir. La température de la cave où ils ont été rangés est très froide et j’ai peur qu’elle ne rétrécisse les goûts des vins rouges. Une journaliste japonaise qui participera au dîner me photographie pendant les opérations d’ouverture des flacons. Nous sentons ensemble les vins et comparons nos impressions. Le seul vin qui me soucie est le Nuits Cailles 1959 dont le bouchon noir et gras qui a tapissé le goulot d’une sorte de graisse noire. Son odeur est très désagréable et Akiyo est plus optimiste que moi.

Pour une fois, nous ne respecterons pas la parité, mais dans l’autre sens, puisqu’il y a six femmes pour quatre hommes. On compte un couple de médecins retraités de la vallée du Rhône, un habitué provincial qui travaille dans les technologies informatiques, la directrice de la fondation pour la recherche sur l’épilepsie, trois journalistes dont une œnologue, une créatrice de parfums et un écrivain célèbre et amateur de vins. Seulement trois convives ont déjà participé à mes dîners, ce qui fait six bizuts.

Nous trinquons avec un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1996 pendant que je donne les consignes et le plan de vol de ce dîner. Le champagne est très confortable, facile à vivre, avec des notes de miel et d’un peu d’orange confite. Il est à l’aise sur les délicieuses gougères du Taillevent, qui s’imposent sur ce champagne et nous passons à table.

Le menu créé par Alain Solivérès est : copeaux de jambon Bellota / croustillant de langoustine en aigre-doux / noix de coquilles Saint-Jacques, cresson et céleri / ravioli de foie gras, émulsion de morilles / simple pastilla de pigeon, carottes nouvelles au cumin / médaillon de veau aux morilles / mangue, vanille.

J’avais vu le chef à mon arrivée et lui avais posé quelques questions sur le menu que nous avions déjà mis au point par le truchement de Jean-Marie Ancher. Le chef m’a rassuré sur l’aigre-doux et le cresson. Ce dîner est parfait en tout point, chaque plat étant d’une grande exactitude.

Le Champagne Henriot 1996 se poursuit à table sur le copeaux de jambon. Il confirme sa belle sérénité.

Ayant à notre table une œnologue et une créatrice de parfums, nous avons droit à de redoutables échanges sur les caractéristiques aromatiques des vins, avec des noms de plantes, de molécules ou de composés dont je ne connais même pas l’existence.

Le Champagne Bollinger Grande Année 1979 évoque pour certains le chocolat et le cacao. C’est un vin vif, cinglant et noble que je trouve plus équilibré que le Krug 1979 qui a été bu au dîner de Londres d’il y a deux jours. Il a une longueur et une noblesse qui le font aimer et de belles suggestions de noix et de noisettes.

Le Château Laville Haut-Brion Graves blanc 1964 a une couleur de vin jeune qui est une caractéristique de ce grand vin de Bordeaux qui ne fonce quasiment jamais avec le temps. Ce qui est impressionnant, c’est que le vin n’a pas d’âge. Il est racé, riche et tonique, avec de petites notes iodées et l’accord avec les Saint-Jacques, même s’il est classique, est parfait.

Tant de dîners ont été faits dans ce restaurant qu’on en oublie parfois les consignes. Ainsi, alors que je demande toujours que le vin ne soit servi qu’après le plat, pour que l’un et l’autre se découvrent ensemble, le Bâtard-Montrachet Antonin Rodet 1989 nous est servi longtemps avant les raviolis de foie gras. Le vin a une couleur qui a foncé contrairement au Laville qui est de loin son aîné. Alors, je perçois qu’on prononce un mot que je n’aime pas entendre : « madérisé ». Et lorsqu’enfin on peut boire le vin comme je le souhaite c’est-à-dire avec le plat, les impressions changent car l’émulsion de morilles donne un tel coup de fouet qu’il devient vivace et civilisé. Le vin a effectivement un peu d’oxydation, mais avec le plat adapté, l’accord est superbe. C’est ainsi que le vin trouve sa justification, offrant des notes de caramel et de chocolat en plus de fruits bruns.

Sur la pastilla de pigeon, nous avons deux bordeaux qui vont jouer une compétition intéressante. Au moment où ils sont servis, le Château Carbonnieux Graves rouge 1952 est rude, truffé, un peu ingrat, alors que le Château Lynch-Bages Pauillac 1950 est élégant, gracieux, parfaitement aérien. Le premier est collé au sol quand l’autre danse. Mais les choses vont changer surtout si l’on fait entrer en jeu les lies des vins. La lie du Carbonnieux est de grande force avec une plénitude que j’apprécie au point que je voterai pour le Carbonnieux et pas pour le Lynch Bages alors que six convives voteront à l’inverse pour le Lynch Bages et pas le Carbonnieux. L’intéressant est surtout qu’ils nous ont offert deux images du vin de Bordeaux, le Pauillac plus féminin et séduisant, avec des notes orientales et le Graves plus solide, réglissé et truffé.

Ayant redouté la mauvaise performance du Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père et Fils 1959, j’ai ajouté un vin du Rhône aux deux bourgognes qui accompagnent le médaillon de veau. Chacun autour de la table se demande pourquoi j’ai eu une crainte sur ce vin qui apparaît d’une pureté que je n’espérais pas et une grande douceur dans sa texture. Comme pour les Bordeaux, le Nuits fait un fort contraste avec le Musigny A. Bichot et Cie 1966 qui est pour moi l’archétype du vin bourguignon, à la râpe excitante et porteuse d’une extrême complexité. Le Musigny est plus noble, subtil et délicat alors que le Nuits est solide et terrien. Les deux vins se complètent bien, ayant l’un et l’autre leurs partisans en nombre quasi égal.

Le Châteauneuf-du-Pape Michel Bouchard 1959 est servi quelques minutes après les deux vins bourguignons. Il est solide et joyeux mais il ne peut lutter avec leurs complexités. Il prouve seulement que les Châteauneuf-du-Pape savent vieillir et garder leur potentiel de plaisir. Et l’accent de garrigue et de romarin est bien agréable à écouter à ce moment du repas.

Le dessert est merveilleux et parfaitement adapté aux deux sauternes. Le Château Lafaurie-Peyraguey Sauternes 1981 est d’une couleur claire, agréable et fluide, avec un beau gras. Evidemment, les yeux se tournent vers le Château Coutet Barsac 1943 dont la couleur acajou est d’une rare beauté. Le parfum de ce vin est des mille et une nuits. Il a la complexité que confère l’âge aux beaux liquoreux. Ce vin n’est que plaisir, jouissance et gourmandise avec de beaux fruits exotiques.

Vient maintenant le temps des votes. Nous sommes dix à voter pour les quatre préférés parmi les onze vins du dîner. Neuf vins ont eu les honneurs d’être inclus dans les classements. Cinq vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers par au moins l’un des convives. Le Château Coutet 1943 a reçu quatre votes de premier. Le Laville Haut-Brion 1964 et le Nuits Saint-Georges 1959 ont reçu chacun deux votes de premier et le Champagne Bollinger 1979 et le Musigny Bichot 1966 ont eu chacun un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Coutet Barsac 1943, 2 – Château Laville Haut-Brion Graves blanc 1964, 3 – Musigny A. Bichot et Cie 1966, 4 – Champagne Bollinger Grande Année 1979, 5 – Château Lynch-Bages Pauillac 1950, 6 – Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père et Fils 1959.

Mon vote est : 1 – Château Coutet Barsac 1943, 2 – Musigny A. Bichot et Cie 1966, 3 – Château Laville Haut-Brion Graves blanc 1964, 4 – Château Carbonnieux Graves rouge 1952.

Si l’on devait mesurer la réussite d’un dîner au fait que les convives continuent de parler entre eux longtemps après que le service est fini, ce dîner aurait la palme d’or. Il faut dire que l’écrivain, les journalistes et tous les participants sont passionnants et les dialogues enjoués. Si je n’avais pas pris l’initiative de me lever, nous aurions pu prendre le petit-déjeuner ensemble ! Rarement discussions n’ont été aussi colorées. Est-ce que le Bas-Armagnac Château de Ravignan 1981 offert par Jean-Marie Ancher est aussi responsable de ces prolongations ? C’est surtout le plaisir d’être ensemble et de bavarder qui a fait de nous des « Nuit Assis ».

La cuisine a été parfaite, le service des vins, mis à part le petit décrochage de synchronisation du début a été parfait, les vins ont tous été présents au rendez-vous. Ce 199ème dîner restera pour tous un souvenir impérissable.

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mes outils pour ouvrir les bouteilles

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la table en fin de repas

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