181ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen avec des surprises de taillemercredi, 7 mai 2014

Le 181ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. J’avais voulu, pour une fois, faire un dîner à thème, alors qu’habituellement mes dîners n’ont pas de thème sauf un seul : faire un dîner cohérent dans le choix des vins avec une grande variété d’âges, de régions, et de statuts.

Pour ce soir, j’ai choisi de proposer toutes les années finissant par « 9″ de 1899 à 1999. Mais au moment de faire les photos des vins, j’ai trouvé que ce serait bien que l’année 2009 soit elle aussi représentée. Nous aurons donc douze millésimes en neuf de 1899 à 2009.

L’idée a plu à trois canadiens, un suédois et quatre français. Nous serons neuf pour douze vins.

J’arrive à 17h30 au restaurant pour ouvrir les vins. Deux parfums pourraient correspondre à des vins à problèmes, ceux du riesling 1949 et celui de l’Issan 1899. Cette séance d’ouverture m’a donné l’une des surprises les plus colossales rencontrées lors des séances d’ouverture. Voici ce qui s’est passé.

J’ouvre le Richebourg du domaine de la Romanée Conti 1939. Son parfum est si extraordinaire que je me dis : « le dîner est déjà réussi rien que par cela ». Car 1939 n’est pas une année qui figure dans les plus grandes. Si ce vin a une telle stature, c’est un miracle qui va rejaillir forcément sur l’atmosphère du dîner.

Le vin suivant qui est à ouvrir est un Richebourg Joseph Buffon Négociant-Eleveur 1959. Je sens le vin et immédiatement j’ai cette curieuse pensée : « ce vin est plus représentatif du domaine de la Romanée Conti que le Richebourg du domaine ». Ça me paraît curieux, mais je ne vais pas plus loin dans cette pensée. Comme je photographie chaque bouchon après ouverture, mon appareil vise le bouchon du 1959. Quelle n’est pas ma surprise de lire sur le bouchon : « Richebourg, domaine de la Romanée Conti 1958″. Le bouchon est bon et sain. C’est invraisemblable. Je téléphone à Aubert de Villaine et je commence par l’informer du Richebourg 1939 car je sais que c’est son année de naissance. Le vin que je décris par son odeur est si beau qu’Aubert me demande si par hasard ce ne serait pas un vin de la vigne originelle française non reconstituée, et il ajoute : je n’ai jamais vu une de ces bouteilles, si vous en avez une, c’est une rareté absolue. Je regarde sur le bouchon et je vois cette mention que confirmera l’étiquette : « vigne originelle française non reconstituée« , ce qui la différencie de la quasi-totalité du vignoble bourguignon, replanté de vignes d’origine américaine après le phylloxéra. Je pose ensuite la question du Richebourg Joseph Buffon qui a un bouchon de toutes beauté de la Romanée Conti avec le millésime 1958. Aubert de Villaine m’indique qu’il a bu des 1958 du domaine qui l’ont marqué par leur grâce, mais à l’époque il n’était pas en charge du domaine. Aussi il imagine que le négociant a acquis des 1958, les a étiquetés à son nom et a mis 1959 parce que c’est plus valorisant que 1958.

Tout excité, je fais sentir les vins aux membres du personnel du restaurant qui sont autour de moi, j’appelle mon épouse pour lui dire ces deux invraisemblables découvertes, celle de la vigne particulière du Richebourg 1939 et le fait qu’un troisième vin du domaine de la Romanée Conti va figurer à ce dîner. Je me répète à moi-même : « la chance sourit aux audacieux ». La suite des ouvertures, sans surprise se fait dans une atmosphère enjouée où mon cœur bat comme un tambour.

Les convives arrivent et je leur raconte ces incroyables découvertes et la chance que nous aurons avec un Richebourg du domaine de la Romanée Conti de plus et je signale les deux incertitudes sur le riesling et l’Issan.

Dans un petit salon du premier étage du restaurant Ledoyen, nous buvons un Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1979 sur de délicieux petits amuse-bouche follement complexes. Christian Le Squer aime planter le décor par des prouesses techniques délicieuses. Le champagne a une couleur à peine foncée. La bulle est discrète et le champagne est d’une grande complexité. Il a un parfum diabolique et intense. On sent sa maturité et peut-être un peu plus qu’un 1979 ne devrait montrer. Mais le champagne est glorieux, ravissant par sa complexité, car il fait entrer dans le monde des champagnes d’esthètes.

Nous passons à table. Le menu composé par Christian Le Squer est le suivant : araignée de mer en coque glacée, jus de presse / asperges blanches, abricots, sauce hollandaise au vin jaune / homard bleu rôti, beurre blanc / tranche de bœuf, charbon de bois, girolles / caneton de Challans poudré d’amandes crues, mûres / toasts brûlés d’anguille, réduction de jus de raisin / croquant de pamplemousse cuit et cru.

Le premier vin servi est le Domaine de la Citadelle Gouverneur de Saint-Auban Vin du pays de Vaucluse 2009. Il est extrêmement puissant et riche de beaux fruits touchés par le soleil. Pour bien profiter de l’accord avec l’araignée subtile à souhait, il faut boire le vin par toutes petites gorgées car sinon il écraserait le crustacé.

Le Vin du Jura blanc 1929 se présente dans une bouteille de forme bourguignonne au verre très lourd et ancien qui n’a pas de capsule et porte seulement deux mots : « blanc » et « 1929″ sur deuxx petites étiquettes séparées. Il n’y a aucune indication de région ou d’origine. Si j’ai mis « Jura » sur le menu, c’est que j’ai acheté ce vin dans le Jura, au sein d’un lot de bouteilles anciennes disparates. Son originalité m’avait séduit. Son parfum m’avait enthousiasmé à l’ouverture et il est toujours aussi pénétrant. Il est tellement puissant qu’on croirait boire un Xérès, mais le goût de noix nous ramène au Jura. Plutôt que blanc, je dirais volontiers que c’est un jaune. Car il a toutes les caractéristiques d’un beau vin jaune puissant à la longueur infinie. Les maîtres d’hôtel me connaissent parfaitement. Quand ils ont vu que je faisais la grimace car la sauce qui accompagne les asperges ne convient pas du tout au vin, l’un d’entre eux est allé chercher un comté 42 mois affiné par Bernard Antony qui a créé un accord divin avec ce glorieux inconnu.

Ne sachant pas quand doit apparaître le riesling dont j’ai eu peur qu’il ne soit pas à la hauteur, je l’ai placé en même temps que le vin blanc le plus glorieux du repas. Le Riesling Preiss Henny 1949 m’est servi et je suis totalement surpris par son parfum exceptionnel qui est même beaucoup plus riche que celui de son impérial voisin. Le parfum est chaleureux, évoquant un vin assez doux et l’on imagine volontiers qu’il y a du botrytis dans ce vin même s’il est sec. Et le vin est chaleureux au point qu’il figurera en bonne place dans mon classement et aura même un vote de premier. Le riesling d’une pureté cristalline et d’un charme doucereux.

A côté de lui, le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999 est un seigneur. Ce vin a un nez moins flatteur mais plus profond. Le vin est riche intense, avec une longueur extrême. On boit un vin qui envahit l’âme. Il est d’une complexité enthousiasmante. Et les deux vins cohabitent bien mais n’ont pas le support du plat beaucoup trop complexe pour eux. La chair du homard est superbe, mais les accompagnements ne plaisent pas au vin. Aubert de Villaine m’avait dit lors de notre conversation d’il y a quelques heures que ce vin est promis à un long avenir et fait partie des plus puissants qui soient. Son nez opulent évoquait la pâtisserie et le lait. Au moment de le boire son parfum est plus strict, le vin montrant une noblesse quasi inégalable.

Les trois bordeaux sont servis ensemble sur le bœuf délicieux, et de gauche à droite nous avons 1899, 1909, 1919, ce qui, convenons-en, est une situation assez exceptionnelle. Le Château d’Issan 1899 a un nez de cerise légèrement aigrelette ce que l’on retrouve en bouche, le vin ayant un beau fruit à l’attaque et un final un peu suret. Il n’entraîne pas un grand intérêt de ma part mais l’un des convives l’inclura dans son vote.

Le Cos d’Estournel 1909 avait le plus beau nez des bordeaux à l’ouverture, avec de beaux fruits rouges et noirs. Il s’est un peu assagi au service. Le vin a une belle structure, fringant malgré ses 105 ans. C’est un grand vin qui va cependant être éclipsé par le suivant.

Le Château Mission Haut-Brion 1919 correspond à ce que l’on nommerait un très grand vin. Il est tout simplement parfait. Il n’est pas hyper puissant, mais on ne peut pas imaginer qu’il pourrait être mieux que ce qu’il nous offre. Bien construit, noble, équilibré c’est un vin de haute stature, un peu comme l’Ausone 1919 qui m’avait tellement impressionné et enthousiasmé il y a vingt ans. La superbe viande s’accorde à merveille avec les bordeaux.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1939 est une absolue merveille.. J’aurais tendance à dire que malgré une année qui n’est pas au Panthéon, ce vin s’y inscrit. Il fait partie des meilleurs vins du domaine que j’aie pu boire. Le parfum est intense, la bouche est précise, profonde, noble, et la longueur est éternelle. Il a ce caractère particulier des vins pré-phylloxériques qui est d’avoir une longévité plus grande que les post-phylloxériques et une intensité plus marquée.

De ce fait, lorsque je goûte le Richebourg Jérôme Buffon 1959 qui est en fait un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1958, je commence à penser que si le vin est du domaine, il n’y a pas que cela dans cette bouteille. Car le doucereux du vin ne correspond pas à l’image que j’ai du Richebourg du domaine. Mais le vin est particulièrement bourguignon avec cette absence totale de concession. C’est un vin brut, noble, extrêmement séduisant. La présomption de manque de pureté fait que je ne le mettrai pas dans mon vote alors qu’il sera dans celui du consensus, du fait de ses qualités généreuses. Le canard est absolument gourmand.

A l’ouverte, j’avais trouvé à la Côte Rôtie La Turque Guigal 1989 un nez étonnamment bourguignon. J’étais peut-être encore sur mon nuage. Il se présente maintenant comme un vin absolument parfait et totalement rhodanien. Dans un autre dîner il aurait la vedette. Quel beau vin charnu, joyeux et noble. Il forme avec l’anguille un accord diabolique. Je suis un amoureux fou de ce plat extraordinaire de Christian Le Squer, et la combinaison avec le vin est de pure anthologie. Démoniaque dirais-je, voire phénoménale.

Le Château d’Yquem 1969 est d’un bel or clair. Ce 1969 est particulièrement puissant. Le vin est parfait sans l’ombre du moindre petit défaut. Quel vin brillant ! Le dessert est délicieux, mais comme il est très froid, il faut attendre avant de boire l’Yquem qui fait partie des très solides Yquem.

Il est temps de voter. Le classement des douze vins est assez difficile, et je ne suis pas sûr que je voterais forcément de la même façon si on devait voter une deuxième fois. Nous notons cinq vins que nous avons préférés sur les douze. Un chose me fait toujours plaisir : onze vins sur les douze ont figuré dans au moins un vote. Celui qui n’a pas recueilli de vote est le 2009, non pas parce qu’il ne serait pas bon, mais parce qu’il est trop jeune dans un dîner de vins anciens. Quatre vins ont été choisis en numéro un : le Richebourg 1939 quatre fois, le Richebourg 1958 deux fois ainsi que la Côte Rôtie 1989 et le Riesling 1949 a été nommé une fois premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1939, 2 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999, 3 – Château Mission Haut-Brion 1919, 4 – Côte Rôtie La Turque Guigal 1989, 5 – Richebourg Jérôme Buffon 1959 (DRC 1958).

Mon vote est : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1939, 2 – Château Mission Haut-Brion 1919, 3 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999, 4 – Vin du Jura blanc 1929, 5 – Riesling Preiss Henny 1949.

Nous avons eu une chance rare d’avoir trois vins du domaine de la Romanée Conti et une Mission Haut-Brion de très haut niveau. Les plats les plus cohérents dans leurs palettes de goûts ont été exceptionnels pour les vins. L’asperge et le homard, traités de façon plus complexe ont eu du mal à cohabiter avec des vins très vieux, même si les plats sont très bons. Le menu a été de très haut niveau, avec un point culminant gastronomique qui est l’accord de l’anguille et de La Turque.

L’atmosphère était si plaisante avec ces amateurs de trois pays que nous sommes restés fort tard, personne ne voulant quitter la table. Le service du Ledoyen est toujours aussi attentionné. Ce fut un très grand dîner.

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bouchon du riesling 1949

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bouchon du Montrachet DRC 1999

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bouchon de lssan 1899 rebouché en 1999

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bouchon de Cos d’Estournel 1909

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bouchon de Mission Haut Brion 1919 rebouché en 1991

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bouchon du Richebourg DRC 1939

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bouchon du Richebourg Joseph Buffon 1959 qui est en fait un Richebourg DRC 1958

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les 2 Richebourg DRC

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amuse-bouche et les plats du dîner

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table en fin de repas

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