157ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurentmercredi, 25 avril 2012

Le 157ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. C’est un américain que je rencontre chaque année lors de la présentation des vins du domaine de la Romanée Conti qui m’avait demandé d’accueillir son club de vins lors d’un de mes dîners. Et il avait ajouté : « pas de bordeaux, et une majorité de rouges ».

A 17h30 je suis à pied d’œuvre au restaurant pour ouvrir les bouteilles dans l’ordre de service. Pour faire plaisir à ce groupe, alors qu’il y avait déjà deux vins du domaine de la Romanée Conti, j’avais ajouté une autre bouteille du domaine, de niveau assez bas, qui devait se boire. Hélas, je constate que la couleur a complètement viré depuis que je l’avais mise en caisse il y a une semaine. La raison est simple : le bouchon a dû tomber dans le liquide pendant le transport entre ma cave et le restaurant. Le Grands-Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1956 que je goûte a une attaque possible, mais le verdict est sans appel. Il est mort. J’envisage avec Ghislain que l’on puisse le goûter à table en prenant la précaution de recracher ce que l’on boit. Mais cette hypothèse évoquée avec mes convives ne sera pas concrétisée : pourquoi se faire mal alors qu’on boit si bien. J’avais prévu deux vins de réserve. Je les ajoute et commence alors la cérémonie d’ouverture.

Le bouchon du Chambolle-Musigny Chanson Père & Fils 1955 se brise en mille morceaux. L’odeur est incertaine. Nous verrons. Lorsque j’enlève la capsule du La Tâche domaine de la Romanée Conti 1983, une puanteur forte assaille mes narines. C’est un pourrissement qui s’est produit par le petit trou qui existe au sommet de la capsule. Heureusement, seul le haut du bouchon est blanc de moisissure. Le reste est impeccable et l’odeur du vin est délicieusement celle des vins du domaine.

Le bouchon de l’Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1989 est parfait et le parfum aussi. Qui dirait que le bouchon du Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961 est beaucoup plus long que celui de l’Echézeaux ? Je ne l’aurais jamais parié. Les deux bouchons des deux 1961 viennent sans histoire et les senteurs sont pures. Le bouchon du vin de 1947 vient en charpie, celui du supposé 1900 est noir comme du cambouis, celui du Gevrey-Chambertin de Lavoyepierre négociant 1949 se brise à peine. Il est bien souple et le vin promet. Le sauternes de 1964 a un parfum de fruits lourds à se damner et le Premières Côtes de Bordeaux a un parfum délicat.

Le doute n’existe que pour le 1955. Les autres vins ont des parfums conformes à mes attentes. Je suis serein.

Nous sommes dix autour de la table, dix mâles dont huit américains, un français de leur groupe et moi. Ils sont tous passionnés de vins mais n’ont pas une grande expérience des vins anciens. Ils vont aller de surprise en surprise.

Dans la rotonde et sur de délicieux petits snacks de bienvenue, nous dégustons un vin qui est première pour moi, c’est un Champagne mousseux de Moët & Chandon sans année vers 1950. Je l’avais annoncé début des années 80 mais en regardant le bouchon tout chevillé et la couleur invraisemblable, il est très probable que ce champagne soit des années 50. Il est d’une couleur acajou, il n’a pas de bulle, et il faut de l’attention pour percevoir le pétillant, presque disparu. En bouche, je crois que je n’ai jamais bu un champagne aussi dosé. On a l’impression de boire un muscat. Ce champagne est absolument délicieux, et avec les beignets de merlan, c’est un bonheur. Je me délecte de ce vin suave, doucereux, que l’on classerait plus dans les vendanges tardives que dans les champagnes. Un régal.

Nous passons à table dans la belle salle à manger. Le menu créé par Alain Pégouret est ainsi organisé : Beignet de merlan, sauce tartare / Homard rôti au beurre de sauge, petits pois, bisque légère / Fricadelle de tête de veau servie tiède, pousses de moutarde et condiments / Pigeon à peine fumé et rôti, pissaladière de jeunes légumes, sauce piquante / Pièce de bœuf rissolée et servie en aiguillettes, pommes soufflées « Laurent » jus aux herbes / Noix de ris de veau dorée au sautoir, morilles / Tarte sablée aux agrumes / Café, mignardises et chocolats.

Le Champagne Bollinger R.D. 1988 crée un choc important après le Moët. Nous avons l’impression de commettre un infanticide tant il paraît trop jeune en comparaison de l’autre. Il est bon, mais la force de sa bulle paraît excessive après la douceur suave du « mousseux » de Moët. Le homard est délicieux mais ne crée pas de synergie avec le champagne.

Mes convives ayant peu d’expérience de vins très anciens, je leur fais moult recommandations pour ne pas juger trop vite. Aussi lorsque nous commençons à boire le Chambolle-Musigny Chanson Père & Fils 1955, le français de leur groupe m’envoie un regard qui en dit long et que j’interprète ainsi : « vous avez bien fait de nous prévenir, car votre vin est malade ». Il se fonde en effet sur le parfum du vin, assez animal, qui annonce une fatigue certaine. Mais le goût du vin est complètement à l’opposé de son odeur. Aucune trace animale ou de vieillesse n’existe et au contraire, le vin est vif, profond, d’une trame très riche. C’est un vin excellent et l’auteur de l’œillade sera particulièrement fair-play, car après ce jugement hâtif, il votera pour ce vin et le classera premier. C’est d’une objectivité remarquable. A côté de lui sur la fricadelle, le Chapelle-Chambertin Clair Daü 1976 est un vin agréable, plus léger que le 1955, « propre sur lui » comme on dirait, mais qui ne crée pas autant d’émotion. Le plat est superbe pour les deux vins.

Nous avons maintenant deux vins de la Romanée Conti, à l’opposé l’un de l’autre. La Tâche domaine de la Romanée Conti 1983 est follement Romanée Conti. Qui dirait qu’il s’agit d’une année faible. Car il a tous les attributs des vins du domaine. Conversant avec l’un des convives je lui dis que ce vin a les deux caractéristiques des vins du domaine : la rose et le sel. Et son sourire s’illumine comme si je venais de lui donner les clefs d’un paradis. Ce La Tâche est brillant. A côté, l’Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1989 est son opposé. C’est un solide guerrier, tout en conviction. C’est un vin qui passe en force, solide, percutant, à la force tranquille. Il est agréable mais n’a pas le caractère noble et raffiné de La Tâche. Le pigeon est une merveille et s’entend aussi bien avec les deux vins.

C’est maintenant à deux vins de 1961 d’apparaître. Le Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961 est solide comme les vins de Bouchard et magnifié par cette année sublime, mais j’avoue que mon cœur balance pour le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 que je connais comme ma poche et qui est toujours exceptionnellement charmant. En lui rien n’est excessif et tout est juste. C’est le vin facile, gourmand par excellence, archétype du bourgogne de plaisir. Et je ne le boude pas ! L’accord avec la viande rouge est superbe. La viande pulse et propulse les deux 1961 à des hauteurs de richesse et de bonne vie.

Nous entrons maintenant dans l’inconnu. La bouteille sans étiquette porte une autour du cou une petite ficelle blanche qui tient une étiquette qui indique Côtes de Nuits 1947. Le vigneron est donc inconnu. J’adore ces bouteilles qui sont des énigmes et souvent elles me rendent au centuple la foi que j’ai eue en elles. Ici ce sera miraculeux, car le vin sera le premier de mon vote. Comment décrire ce vin ? Il est riche, il est pur. Il est sans doute d’une extraction assez modeste, mais il a cette pureté de message, avec un fruit fluide, bien dessiné qui me ravit d’aise. On n’est pas dans les vins raffinés, au pédigrée de compétition. On est plutôt dans le festif joyeux. Cette force naturelle est ce que j’aime dans la Bourgogne. A côté de lui, aussi une bouteille mystère. Le verre est opaque, couvert de terre sur une partie, et ce qui ne l’est pas est irisé, comme cela se passe pour des bouteilles qui sont restées sur ou dans la terre, le verre se marquant de l’acidité du sol. Le bouchon noir enfoncé et poussiéreux pourrait indiquer une bouteille du 19ème siècle. Par prudence, j’ai nommé ce vin Bourgogne très vieux vers 1900. Là, mes convives sont en pleine découverte et réalisent que des vins de plus d’un siècle peuvent être très vivants. Ce vin original est difficile à définir, mais il est franc, un peu touché par l’âge et d’un grand intérêt. Il est de la Côte de Nuits, quasi certainement.

J’ai ajouté le Gevrey-Chambertin de Lavoyepierre négociant 1949 car j’ai eu un petit coup d’envie en voyant cette bouteille à l’étiquette montrant une scène médiévale dans un château, au niveau superbe et à la couleur du vin parfaite. Et j’ai eu raison comme le montreront les votes. Ce vin est un beau bourgogne franc joyeux, dans un état de conservation exceptionnel. La pureté de son message est extrême. Dans ce repas de découverte de bourgognes largement inconnus, soit parce qu’ils n’ont plus d’étiquette, comme le 1947 et le supposé 1900, soit parce qu’ils sont d’un négociant dont le nom m’est inconnu, je suis content d’avoir pris des risques qui se révèlent gagnants, car ces vins sont francs, naturels, simples, lisibles, mais gourmands, ensoleillés et rassurants.

J’étais si content des performances de mes « enfants » que je n’ai pas proposé que l’on essaie le Grands-Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1956 qui rejoindra le plus proche évier.

Je n’ai plus aucun souvenir du troisième vin ajouté, le Château Haute-Sage 1ères Côtes de Bordeaux 1960 # qui m’avait fait de l’œil dans ma cave. J’adore ces vins « fantassins », mais à l’heure où j’écris, je n’en sais plus rien. Le Château Lafaurie-Peyraguey 1964 suffisait à mon bonheur car j’adore ce vin solide, goulûment fruité, au fruit lourd et au botrytis généreux. C’est un grand sauternes au sommet de sa pétulance.

Le moment des votes est toujours intéressant. Dix vins sur treize ont eu des votes, ce qui est intéressant. Mais plus encore est le fait que six vins ont eu des votes de premier ce qui est énorme. Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 a eu quatre votes de premier, le Côtes de Nuits vigneron inconnu 1947 a eu deux votes de premier et quatre vins ont eu un vote en première place : Chambolle-Musigny Chanson Père & Fils 1955, Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1989, Gevrey-Chambertin de Lavoyepierre négociant 1949 et La Tâche domaine de la Romanée Conti 1983. Cette variété me fait plaisir. Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 a recueilli neuf votes des dix votants et se place en première position. Il est à noter que j’ai inclus ce vin dans sept de mes dîners et qu’il a recueilli, dans le vote du consensus exprimé six fois, trois places de premier et deux places de second. C’est donc un fidèle parmi les fidèles dans la constance dans mes dîners.

Le vote du consensus serait : 1 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 2 – Gevrey-Chambertin de Lavoyepierre négociant 1949, 3 – La Tâche domaine de la Romanée Conti 1983, 4 – Côtes de Nuits vigneron inconnu 1947, 5 – Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1989.

Mon vote est : 1 – Côtes de Nuits vigneron inconnu 1947, 2 – Gevrey-Chambertin de Lavoyepierre négociant 1949, 3 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 4 – La Tâche domaine de la Romanée Conti 1983.

Nous avons abondamment parlé de ma méthode d’ouverture des vins, car mes convives passionnés ont remarqué à quel point les vins étaient dans un état d’épanouissement spectaculaire. L’ambiance fut amicale, enjouée. Le service du restaurant est toujours impeccable et attentionné, celui des vins est parfait. La cuisine d’Alain Pégouret est d’une maturité remarquable. Ce fut un grand diner.

de gauche à droite et de haut en bas : le 1955 / Echézeaux 89 à côté du Clos de Vougeot 61 / le Chapelle Chambertin 76 et La Tâche 83 /

Le Chambertin 61, le Côtes de Nuits 47 / le Bourgogne 1900 /

Le 1ères Côtes de Bordeaux, le Lafaurie Peyraguey 64 / le Gevrey-Chambertin 49.