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La recherche a retourné 1305 résultatsDîner au Meurice avec un sublime accord jeudi, 8 décembre 2005
Tout commence chez Marc Veyrat. Un de ses amis nous avait initiés à sa cuisine. Cette merveilleuse aventure est racontée dans le bulletin 158. Nous nous sommes revus chez lui. Il a réalisé une cuisine d'une sensibilité rare, c'est dans le bulletin 160. Ayant gagné un pari contre l'une des femmes de cette équipe, sur un de ces sujets dont le caractère « planétaire » n'a pas à être dévoilé, je choisis d'être invité au restaurant de l'hôtel Meurice, car ces amis grands gastronomes avaient envie d'entrer dans l'univers créatif de Yannick Alléno. L'enjeu de ce repas dépassant la valeur du pari, je promis d'apporter une bouteille.
Devant préparer les vins de futurs repas et ceux des réveillons, j'erre dans ma cave et je saisis quatre bouteilles, ayant en tête le menu que réalisera le chef. Le choix des bouteilles en cave est un de mes exercices favoris : imaginer les accords possibles est extrêmement excitant. J'arrive à 17h30 et j'ouvre le bordeaux. Odeur poussiéreuse mais sympathique. Le madère que je situerais volontiers vers 1870 (voire avant) car il est plus ancien que ce que j'ai annoncé à mes amis : 1890, a une odeur putride qui me fait peur. J'ai raison d'avoir peur, car elle ne veut pas s'estomper. Je m'occupe maintenant des deux bourgognes. Ces bouteilles sont lourdes comme des bouteilles du 19ème siècle, quand on ne comptait pas le poids du verre. Les capsules d'un rouge sang sont identiques, avec la mention très lisible « Chevillot Beaune ». Je vais sur internet pour rechercher ce que pourrait être ce vin sans étiquette, et je trouve un compte-rendu de John Kapon, cet américain fou de vin que j'ai rencontré à New York et à Paris pour partager de grandes bouteilles, qui indique un sublime Musigny Chevillot 1928. C'était à une manifestation organisée par Bipin Desai, cet ami américain qui fait les dégustations les plus extravagantes de la planète. J'avais déjà constaté que nous avons des coups de cœur communs : quand il aime un Pommard 1926, je l'aime aussi, quand il aime une Romanée Conti 1972, je l'aime aussi. J'ai estimé que ces convergences vaudraient aussi en cette circonstance. Il faut en effet un nom pour ce vin, comme on le souhaitait pour ce pianiste en habit échoué sur les côtes anglaises. Alors ce sera Musigny et 1928. L'expérience montra que c'est Musigny. L'idée de 1928 me plait assez, mais si on me démontrait (il est trop tard) que c'est 1899, je ne dirais pas non, pour une brassée d'indices relevés à l'ouverture. Et aussi parce qu'il me rappelle ce Musigny Coron Père & Fils 1899 qui est un des plus grands vins de ma vie. Appelons ces deux vins Musigny Chevillot 1928. Une bouteille est gravement basse et dégage une odeur affreuse à l'ouverture. L'autre a un niveau superbe et les émanations me comblent de joie.
Les bouteilles sont ouvertes et j'attends que mes amis et mon épouse arrivent. Nous avons choisi le menu dégustation en faisant remplacer l'une des viandes par le lièvre à la royale, dont ma parieuse est friande. Je voulais mettre le foie gras à la fin, « à l'ancienne », mais Yannick Alleno me dit que la sauce étant au Chambertin, la logique était plutôt dans l'ordre prévu. J'ai acquiescé. Voici ce menu : délicate gelée de bulots aux langues d'oursin, crème de riz et croûte aux algues / noix de coquilles Saint-Jacques au poêlon, bouillon léger de céleri aux châtaignes fraîches / médaillons de homard bleu vivement poêlés, confit de chou blanc à l'essence de truffe / foie gras de canard poché au vin de chambertin, pâtes gonflées au jus de truffe et fourrées d'une purée de pois /lièvre à la royale, petites pâtes coudées liées à la crème truffée / croustillant de sarrasin, fourré de crème de cabri ariégeois parfumé à l'huile de truffe blanche / cœur de poire rôtie, tuile à la fève de tonka glacée au caramel au beurre salé / palet fondant au chocolat caraïbes, crème glacée aux spéculos.
Nous commençons par un champagne de Souza, cuvée les caudalies non millésimé que je trouve au nez un peu dosé pour mon goût, et en bouche, j'ai moins d'émotion que sur des cuvées moins prestigieuses de cette maison de Mesnil-sur-Oger dont j'aime le style. L'amuse-bouche est un peu la copie conforme du premier plat ce qui me crée une confusion. Le champagne hausse le ton de façon très significative sur le premier plat qui est un exemple de la virtuosité de Yannick Alléno. Il devient d'une justesse extrême, très Mesnil comme je les aime, et la preuve de son adéquation complète au plat est donnée quand on retire l'assiette vide. Le champagne redevient falot, tout en étant, toutes choses égales, un bon champagne. Le plat l'avait transformé.
Nous aurons la preuve inverse avec le second plat. Nicolas Rebut, sommelier compétent que j'apprécie beaucoup nous avait suggéré un Vouvray demi-sec les Monts Domaine Huet 2001. Avec le plat de coquilles Saint-Jacques extrêmement subtil, où le céleri et la châtaigne rivalisent de suggestions délicates, le Vouvray est tout pataud. C'est évidemment un vin de belle facture. Mais là, beaucoup trop affirmé pour le plat. La démonstration contraire de celle du champagne apparut avec la même évidence : dès que l'assiette est enlevée, le pataud devient ballerine, joyeux et fluide en bouche. Le plat l'avait inhibé.
Le homard est un monument de perfection. Que dis-je le homard, la sauce ! Et le Château Duhart-Milon, Pauillac 1962 est invraisemblable. Ce vin 'est' la sauce du homard. Il est devenu sauce du homard. A notre table, il y a de redoutables esthètes. L'un d'entre eux, est ému de la perfection gustative de cet accord, qui fait partie d'un des plus beaux qu'il ait eu l'occasion de vivre, au point qu'il commence à pleurer de bonheur. Il n'est point besoin de décrire le vin, et l'on en est bien incapable, car le vin « est » la sauce, comme Louis Jouvet « est » le docteur Knock. Le généreux chef ayant eu la riche idée de donner sur table des petites cassolettes de sauce, j'en piratai une, pour m'abîmer dans le plaisir de cet accord incommensurable.
Des deux bouteilles de Musigny 1928, puisque c'est comme cela que nous les avons vécues, laquelle allait être servie la première ? Les odeurs de la plus basse m'avaient interpelé, que boirait-on d'abord ? La bonne ou la mauvaise ? On opta pour la dite mauvaise, mais je voulus goûter les deux. La « mauvaise » est superbe, joyeuse, si on sait faire la part des petites imperfections qui n'agacent pas et ne cryptent pas le message. La « bonne » me cloue sur place. Mon ami qui m'observait fut émerveillé : « comment peux-tu, après tout ce que tu as bu, encore éprouver des sensations aussi fortes ? ». J'avais en bouche une de ces émotions qui m'annonçaient immédiatement qu'il y avait là l'un des plus grands vins de ma vie.
Le foie gras est superlatif. Immense. Avec le Musigny Chevillot 1928 plus fatigué, un accord prodigieux. Et on oublie que le vin a des chaussettes sales. Il dégage cette beauté bourguignonne râpeuse, rugueuse, d'un noble mineur de fond. On peut chercher les sous-bois, champignons, mais qu'importe, sur une chair d'une sensualité de texture et d'une personnalité de goût, le vin est là, serein quoique fatigué, donnant en bouche une myriade de saveurs inattendues.
Le deuxième Musigny Chevillot 1928 est la perfection absolue de la Bourgogne. J'ai pensé à quelques amis grands vignerons de cette région à qui j'aurais aimé faire goûter un bourgogne qui est parfait, pour qu'ils sachent ce qui me fait vibrer de leur si grandiose région. Est-il parfait à cause de Chevillot, je ne sais pas. Mais ce vin, à ce moment, est à un équilibre inatteignable de toutes les composantes de la belle Bourgogne. Râpeux, dérangeant comme je les aime, mais virevoltant pour vous embobiner le palais. Un vin qui rejoint mon Panthéon. J'ai encore, en écrivant ces lignes, la satisfaction d'avoir touché ce qui fait de ces vins des énigmes gustatives paralysantes et confondantes de séduction déroutante. Ce vin a la folie d'un Verlaine quand il écrit ses poèmes les plus beaux, et celle d'Egon Schiele quand il torture sur sa toile les formes et les couleurs. C'est le foie gras du lièvre qui se marie mieux que le lièvre aux saveurs variables, doucereux sur certaines portions et gibier sur d'autres. J'ai trouvé ce lièvre un peu intellectuel. Je l'aurais aimé plus canaille, plus prolétaire. Mais à chaque chef son interprétation de cette institution.
Il fallait bien sûr que sur le lièvre apparaisse aussi le Madère 1890. C'est ce que j'avais annoncé mais il est beaucoup plus vieux, car son bouchon est l'exacte réplique du bouchon du Chypre 1845 que je vais raconter plus loin : sa taille a la moitié de la dernière phalange d'un auriculaire. Je pestais parce que le voile qui masquait sa valeur n'était pas parti. Mes amis, sont-ils polis ou sincères, l'apprécient. Dans mon coin, j'enrage. Et voici que tout à coup, par un de ces miracles que j'ai plusieurs fois observés, le masque tombe. La pellicule, le voile, qui masquaient la beauté de ce vin, s'effacent et le vin s'illumine. C'est un madère assez curieux car il est joyeux, rond, presque fruit rouge, ce qui n'est pas l'exacte définition d'un madère. Mais c'est beau, chaleureux, remplissant la bouche d'une belle splendeur.
L'ennui, c'est que ce réveil – qui n'effaçait pas tout à fait les blessures, mais on idéalise ce qui se réveille – apparut sur un fromage pas vraiment nécessaire dans le voyage intense que nous vivions. Les desserts raccrochèrent un wagon de délices à ce cortège de sensations d'une richesse inouïe.
Ce repas dégustation révèle clairement trois facettes de la cuisine de ce chef que je compte parmi les plus grands. Il y a la facette virtuose, pour le bulot ou le lièvre, et ce n'est pas celle qui parle le plus à mon cœur. Il y a la facette sentimentale, du cuisinier généreux et sensible, qui s'exprime dans le foie gras et la coquille Saint-Jacques. Là, je le suis, car on est dans la ligne de mes vins, qui aspirent à cette finesse. Enfin il y a le homard, que Yannick traite en empereur, chef d'œuvre de sérénité.
Un chef explore des pistes différentes, car il faut satisfaire tous les goûts. Et Dieu sait s'il n'existe pas un seul goût. Le Duhart-Milon fut d'une exactitude inégalable. Un Musigny 1928 fut « la» plus belle expression possible de la Bourgogne. De tels moments sont d'une richesse infinie.
Dîner de wine-dinners au restaurant Apicius vendredi, 18 novembre 2005
Bulletin 160
Les vins de la collection wine-dinners
Chablis Grand Cru Blanchots Domaine Vocoret 1996
Maury Mas Amiel 1974
Riesling Cuvée Frédéric Emile, Vendanges Tardives, Trimbach 1990
Château Mouton Rothschild 1962
Château Paveil de Luze Haut Médoc 1937
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1957
Château Chalon Jean Bourdy 1947
Château d'Yquem 1984
Madère vieux, mis en bouteille en 1893
Le menu composé par Jean Pierre Vigato
Cuillers « dégustation »
Foie gras de canard poêlé au chocolat noir et poudre d’orange
Homard cuit-cru à la citronnelle
Petit pâté chaud d’oiseaux….
Râble de lièvre à la broche et compote, « comme à la Royale »
Vieux Comté et pommes de terre aux noix
Pommes en feuille à feuille, miel de cassonade à l’orange
Mignardises
dîner de wine-dinners au restaurant Apicius 60ème vendredi, 18 novembre 2005
J’inaugure à l’occasion de ce dîner trois éléments nouveaux ou presque. Le dîner est un vendredi, alors que le jeudi était quasi statutaire, il se tient dans un salon privé très agréable, et nous ne sommes que huit, pour être à l’aise dans ce petit salon. Ayant prévu des vins pour dix et ayant décidé d’offrir un petit cadeau aux convives, je change quelques vins. L’ouverture se fait avec Hervé, grand sommelier dont l’importance de la crinière s’accroît avec la notoriété du lieu. Nous échangerons beaucoup, ce que j’adore. Un journaliste américain qui travaille pour une chaîne de télévision newyorkaise vient assister à la cérémonie d’ouverture. Je lui fais sentir les bouchons et les vins, et ma confiance dans le retour à la vie de certains vins l’étonne profondément. Il écrit beaucoup sur le vin, a une belle culture de nos vignobles puisqu’il vit en France, mais je le fais entrer dans un monde particulier. J’ai quelques interrogations sur des odeurs incertaines. Nous verrons. Je m’occupe de régler les températures des stockages d’ici le dîner.
Jean-Pierre Vigato ne sera pas là ce soir, ce qui arrive peu pour mes dîners, mais toutes les instructions ont été données. Et cette cuisine sereine, précise, bourgeoise, a de nouveau frappé très fort. Voici le menu : Cuillers « dégustation » / Foie gras de canard poêlé au chocolat noir et poudre d’orange / Homard cuit-cru à la citronnelle / Petit pâté chaud d’oiseaux…. / Râble de lièvre à la broche et compote, « comme à la Royale » / Vieux Comté et pommes de terre aux noix / Pommes en feuille à feuille, miel de cassonade à l’orange / Mignardises.
Le Chablis Grand Cru Blanchots Domaine Vocoret 1996 est rassurant comme pas deux. Précis, il s’accorde au délicieux petit boudin et aux escargots en cuiller.
Le Maury Mas Amiel 1974 m’avait fait peur à cette place du repas, car son nez lourd me laissait imaginer une forte trace qui influencerait le reste du repas. Ouvert près de quatre heures avant, le vin qui enivrait de son impérieuse émanation fut d’une délicatesse exemplaire sur le foie gras au magistral chocolat. Il fallait un chocolat bien sec, cacaoteux, et ce Maury distingué, presque sec dans son expression, pour atteindre un de ces accords chantants qui m’enthousiasment. La trace d’orange est une signature qui embellit le tout.
Le Riesling Cuvée Frédéric Emile, Vendanges Tardives, Trimbach 1990 est d’une définition précise, d’un contenu documenté éblouissant. On n’est pas dans le registre des vins anciens mais dans celui des vins épanouis et expressifs. Le homard est peut-être timide pour ce vin épanoui, un peu entravé par la citronnelle.
Sur le pâté de grive, si simple mais si complexe en même temps, talent du chef, le Château Mouton Rothschild 1962 dont le nez était dans le brouillard à l’ouverture se livre, se construit, et l’on reconnait un Mouton discret, mais typé, d’une distinction remarquable. Mais le Château Paveil de Luze Haut Médoc 1937 est bien trop brillant. Bouteille ancienne au bouchon d’origine et au niveau base de goulot, donc parfait, ce vin d’une couleur très jeune, qui avait exhalé dès l’ouverture une santé insolente, ravit l’âme par sa structure élégante, sa densité veloutée qui prend dans le gibier de quoi se conforter. Un vin de grand plaisir.
Et puis, voilà qu’arrive le gredin de banlieue, pas un contemporain mais un surineur des contes d’Eugène Sue, un Jules Berry du film « Le Jour se lève », j’ai nommé : La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1957. La chair du râble est émouvante de sensibilité. Et La Tâche, au nez amer de vin râpeux, puis décochant en bouche un dépaysement absolu, est tentant comme la beauté du Diable. Quand on accepte le coté dérangeant de ce vin, on est conquis, et toute la table le fut. Quel contraste entre le coté rassurant du 1937 conservé comme un jeune homme et le coté canaille de ce La Tâche dont l’équilibre de l’agressivité et du charme est saisissant.
Cher lecteur, habitué de mes absences d’objectivité, pardonnez-moi un instant. Quand je goûte un Château Chalon Jean Bourdy 1947, je ne peux pas dire que je suis le même. Je touche à des saveurs qui me liquéfient de bonheur. Il y avait pour ce vin des Comtés de plusieurs âges de 2003 et 2004. Comme souvent, c’est le plus jeune qui me plait, car il ne faut pas lutter avec le charme de noix fraîche du vin jaune. Les petites variations associant la pomme de terre ou le reblochon n’apportent rien.
Le dessert à la pomme, impressionnante construction pyramidale qui a cuit pendant dix heures, est absolument délicieux. Bien sûr, il va donner au Château d'Yquem 1984 une saveur qui en tiendra compte. Cet accord n’est pas neutre. Il n’élargit pas le vin doré et discret d’Yquem, mais il lui donne une personnalité particulière. Plusieurs convives fêtaient leurs premier Yquem. Ils furent comblés par ce 1984 qui fut grand. Ce n’est pas le plus flamboyant, mais il est solide.
J’avais pris en cave le cadeau du 60ème dîner, mais je m’aperçus en l’ouvrant qu’il était fortement dépigmenté. Le Madère vieux, mis en bouteille en 1893 date peut-être de 1870. Nous avons cherché des lueurs de vie dans ce vin. Mais ce n’était qu’un liquide vieux, sans vie, sans âme, sans passion.
La table était composée de gens qui ne se connaissaient pas. Une académicienne de l’académie des vins anciens participait à son premier dîner. Un seul convive avait l’expérience d’un dîner, celui de l’Oustau de Baumanière. De divers horizons, de diverses expériences, certains furent interviewés par une journaliste spécialiste de gastronomie qui avait participé à ce dîner. Je sus que dès le lendemain, très tôt, on entendit leurs commentaires. Par malheur je ne suis jamais tombé au bon moment sur France Info pour entendre ce qu’ils ont dit. J’ai su ensuite que ce fut délicat et bien exprimé.
Nous avons procédé aux votes, selon la tradition. Tous les vins sauf le madère eurent au moins un vote, ce qui me plait toujours. Les plus votés furent La Tâche avec quatre votes de premier, le Château Chalon avec quatre votes de premier, sur huit, et sans le mien ! Et Yquem qui eut cinq votes de second.
Mon classement fut : La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957, Paveil de Luze 1937, Château Chalon 1947 et Riesling Cuvée Frédéric Emile Trimbach 1990.
La cuisine positivement bourgeoise et diablement précise de Jean Pierre Vigato convient bien aux vins anciens. Le râble est exceptionnel de tendreté. Le joli salon rend plus difficile qu’une salle de restaurant le premier contact entre les convives qui se présentent entre eux, car une salle met plus facilement à l’aise qu’un salon. Le Paveil de Luze, couronné d’un vote de premier montra à quel point un vin bien conservé peut être d’une jeunesse émouvante.
galerie 1922 jeudi, 27 octobre 2005

Chateau Haut-Brion 1922 bu en janvier 2006. Etonnant au delà de l'envisageable. Aussi grand que des 26 ou 28.
Romanée Conti DRC 1922
dîner de wine-dinners au restaurant Laurent 59ème jeudi, 20 octobre 2005
Je me promène dans le quartier lourd en antiquaires et en boutiques de mode exhibant des robes portées par des déesses de plastique et je reviens pour accueillir les convives. Il y a un journaliste japonais qui rapportera sans doute l’événement à des connaisseurs qui ont une érudition rare, un journaliste d’un grand hebdomadaire qui racontera le dîner (certains d’entre vous l’auront lu), le rédacteur en chef d’une revue professionnelle sur la viticulture qui aura approché une autre vision du vin, des jeunes mordus de mes dîners qui étranglent une nouvelle fois leur cagnotte, mon frère et son épouse qui voulaient voir enfin ce dont on parle souvent en famille car je ne peux m’empêcher de raconter ces aventures, un ami de quarante ans, à l’époque où l’on se disputait les prochaines danses dans des rallyes, entre deux épreuves de mathématiques, et la plus fidèle de ces dîners, qui a probablement assisté à un bon tiers d’entre eux, dont l’enthousiasme est l’un de mes forts encouragements.
Nous prenons au bar une coupe du magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973 qui surprend par la jeunesse de sa bulle. La couleur est belle et dense, les petits toasts au saumon glissent en bouche avec bonheur et excitent cette belle bulle. Le goût s’est arrondi, concentré, et c’est un vin qui s’est simplifié, mais a gagné une longueur et une expressivité vineuse rares. Je ne m’attendais pas à tant d’élégance de ce champagne que je ne connaissais pas. Nous reprenons ce champagne à table. Il est donc opportun que je vous en donne le menu.
Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort / Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade / Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé / Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite. Nous nous connaissons tant avec Philippe Bourguignon que j’ai approuvé sa proposition sauf sur un plat. Malgré mon amour inconditionnel du lièvre à la royale et malgré la confiance indéfectible que j’ai pour mon Nuits Cailles 1915, j’ai demandé un râble. Là aussi, l’observateur de passage de tout à l’heure, s’il était revenu pour ce dîner aurait encore dit : « c’est si simple que ça ? », tant tout apparaissait naturel, facile, sans la moindre question.
Entre temps, la bulle du champagne s’évanouissait petit à petit, le champagne devenait plus vineux, et avec le sucré des coquilles Saint-Jacques, l’accord était magique, perturbé par cette folichonne de concombre excentrique mais pas par le raifort qui donnait une excitation justifiée au champagne.
On allait goûter deux vins sur les cuisses de grenouille. Le Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959 a une couleur d’un beau rubis raffiné, un pâle de Ceylan. Le nez est renversant de pureté, et j’ai adoré au-delà de l’imaginable ce rosé qui arrivait à exister à coté d’un des monstres sacrés de Bordeaux, le Laville Haut-Brion blanc 1976 qui dans cette année sèche et chaude explose de puissance alcoolique et de complexité. L’émulsion et les haricots coco formaient avec le rosé un accord qui prenait au ventre. Objectivement le rosé allait mieux avec le plat que le Laville, puissant, sûr de lui, qui méritait les vivats pour son talent intrinsèque. Le plat est une merveilleuse mise en valeur des vins.
Comme dirait un présentateur télé, c’est sous un tonnerre d’applaudissement que trois cheminées de centrales atomiques, trois jarrets de veau cuits vingt heures apparaissaient à notre table. J’avais annoncé dans le programme : Château Ausone 1955 avec cette mention : le deuxième 5 est supposé. J’avais bien supputé car le bouchon impeccable et d’origine révéla Château Ausone 1955. L’odeur d’emblée était sensuelle. Ausone nous annonçait : ce coup-ci, je ne joue pas les rosières pudiques, je vous montre ce que je sais faire, et sur la délicieuse viande, un chaud vin de plaisir, rond en bouche, profond comme seuls les grands savent l’être ravit chacun des convives. Et le Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924, comment se comporterait-il ? Il évolua grandement dans nos verres. La première odeur fut plus sensuelle que celle de l’Ausone, le palais étant plus frêle. Puis, on commence à comprendre un peu plus le vin au message subtil. Dire que c’est un Pauillac n’est pas aisé. J’ai eu peur en milieu de bouteille car je sentais le vin qui se fermait, mettant en avant son acidité. Et tout est revenu, le vin s’améliorant encore pour délivrer en fin de bouteille un message de pur charme à la longue trace raffinée. C’est du velours, du tissu délicat à coté d’un Ausone conquérant, une magnifique et rassurante réussite de cette année.
Ma belle-sœur qui a vécu toute sa jeunesse à Bordeaux, a tété le Bordeaux à sa source, allait avoir un de ces chocs tragiques, quand des vérités que l’on croyait intangibles s’effondrent sur une gorgée de vin. Le Nuits les Cailles, Morin Père & Fils 1915, le même que celui qui avait séduit Alain Senderens il y a quelque temps (bulletin 45), est tellement parfait qu’on ne peut plus ignorer la grandeur de la Bourgogne. Le râble lourd, goûteux forme avec ce vin extraordinaire un accord viril. Comment expliquer quand un vin a tout pour lui. C’est George Clooney invité dans un pensionnat de jeunes filles. C’est Catherine Zeta-Jones arrivant dans une réunion de collectionneurs de timbres. Toutes les dentelures vont s’écorner. Jeune de couleur dans sa bouteille soufflée très ancienne et lourde, au nez précis de pur bourgogne, ce vin a tous les dons, dont celui de l’exactitude de ton. Difficile d’ajouter des caractéristiques quand on a la définition précise du bourgogne que l’on désire.
Le sauternes Joanne, appellation contrôlée, que j’ai situé vers 1950 a été l’objet d’une question que Patrick Lair a posée à Olivier Castéja, en lui décrivant l’étiquette au téléphone. De recoupements effectués on peut penser qu’il est de 1950 à 1955, avec cette jolie inscription : « expédié en cercles par Joanne ». En cercles, on peut supposer à bon droit que c’est en fûts. Le vin a une couleur qui ne pâlit pas à coté de celle d’Yquem, mais par précaution on va le boire avant, sur un délicieux dessert qui répond à mes désirs, car il n’y avait que trois saveurs, toutes complémentaires. Une poire délicate qui montrait tout le coté virginal et frêle du Joanne, une crème de châtaigne qui le renforçait et un marron glacé qui lui, allait affronter l’Yquem. Beau sauternes générique de pur plaisir comme le fut le rosé du début de repas. Quand Château d’Yquem 1949 arrive, on se tait. Cet or profond comme de l’acajou blond, ce parfum inimitable que seul Yquem possède, et puis en bouche, ce lourd jus de pure jouissance à la persistance infinie. C’est précis comme la Vénus de Milo, attirant comme le sourire de Laetitia Casta, et solennel comme le couronnement de Napoléon 1er. Il y a tout dans ce vin là.
Les votes de premier couronnèrent cinq fois Yquem, trois fois le Nuits Cailles, une fois Ausone et une fois le Laville Haut-Brion. Les plus votés furent Yquem, Nuits Cailles, Ausone et le champagne.
Mon vote personnel fut dans l’ordre : château d’Yquem 1949, Nuits Cailles Morin 1915, Champagne Rothschild 1973 et le rosé Saint-Saturnin 1959. Bien sûr, le rosé n’a pas la classe ni d’Ausone, ni du Laville Haut-Brion. C’est donc par pure coquetterie que je veux honorer ce sans grade du fait d’un accord merveilleux avec les grenouilles. De même, l’émotion était plus rare avec le Nuits Cailles 1915 qu’avec l’Yquem. Plus inespérée, plus inattendue. Mais l’Yquem est tellement parfait que je voulais primer cette forme ultime de l’accomplissement du vin.
Des plats merveilleux d’une simplicité sereine, un service du plus haut niveau. L’un des plus beaux accords de dessert et sauternes, puisque c’est souvent la partie qui pèche le plus, quand le pâtissier fait un dessert comme un dessert et non pas comme un goût adapté au sauternes. Des vins sublimes, une atmosphère joyeuse. Comme après chaque dîner on se dit que ce fut le plus grand.
première séance officielle de l’académie des vins anciens mardi, 4 octobre 2005
J’ai ouvert tous les vins apportés parfois tard, ce qui fait que tous n’ont pas bénéficié du repos nécessaire avant une belle dégustation. Mais globalement la tenue des vins fut remarquable. Nous étions répartis en six tables de six à huit personnes et chaque bouteille était affectée à deux tables et quatre tables pour les magnums. Après le discours de bienvenue rappelant les objectifs de l’Académie, nous avons goûté une bonne douzaine de vins chacun sur les excellents et goûteux fromages de Bernard Antony et des chocolats de Oriol Balaguer, le El Bulli du chocolat. J’ai goûté un peu plus de vins que d’autres, car lorsque j’allais vérifier que tout allait bien, on me tendait souvent un verre pour que je partage l’émotion d’une table. Voici quelques rapides impressions sur les vins de cette soirée.
Magnum de Moët & Chandon Brut Impérial 1964. Dégorgé en 1994. Champagne magistral. Intense au nez, c’est sa longueur en bouche et sa plénitude qui marquent le palais. Du champagne Salon 1983 je n’ai eu qu’un demi centimètre cube, insuffisant pour me faire une idée, mais il fut apprécié, comme ce magnum de champagne Diebolt-Vallois 1976 millésime que j’avais déjà goûté dans la cave de Jacques Diebolt, et dont la seule gorgée que j’eus ici n’était pas très expressive, silhouette entraperçue, qu’un examen, s’il avait été à ma table, eût mieux située, car j’en aurais bu plus. Je suis un fan des ces champagnes de Cramant.
Le "Y" d'Yquem 1962 en demie bouteille avait à l’ouverture un nez de liquoreux, au cousinage avec Yquem affirmé. Un voisin de table n’accrochait pas à ce vin dans les premières gorgées mais il fut conquis dès que cet or fondu magistral fut pleinement ouvert. Grand sec devenu plus doux. Très belle expression gustative.
Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1986. Une générosité, un envahissement en bouche par la pureté du riesling absolu. Une leçon de chose. Le 1976 m’avait ému récemment car c’est un chef d’œuvre du riesling et le 1990 hier. Celui-ci est de la même lignée. Le Riesling VT Hugel m’avait été annoncé par Jean Frédéric Hugel comme de 1953. Je l’avais gardé en cave dans son emballage. Au moment de l’ouvrir, je constate que l’étiquette dit 1961. J’ouvre, et le bouchon me dit 1981. Les académiciens qui l’ont bu pensent que c’est plutôt 1981. Et quant aux vendanges tardives annoncées, on ne les a pas retrouvées dans le verre. Voilà un bien joli mystère que je suis allé vérifier sur place en répondant à l’aimable invitation du généreux donateur de cette bouteille au goût fort bon, élégant, mais assez loin, selon la table, de ce que dit son étiquette. Je glisse ici l’explication qui m’a été donnée par Jean Hugel lui-même, corroborée par ce que j’ai vu. Cette bouteille provient de la réserve personnelle de Jean Hugel. Ce qui exclut une erreur d’étiquetage. Le vin a été rebouché en 1981. Les sucres se sont fondus comme je l’ai constaté en dégustant quelques trésors de Riquewihr. Il est compréhensible et presque normal que le doute ait existé quand les académiciens l’ont goûté.
Le Montrachet maison Bichot 1935 n’était pas à ma table, comme le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1955. Je n’ai fait que sentir le 1935, superbe, dans une évolution évidente mais fort racé. J’ai eu un verre rescapé du Corton Charlemagne éblouissant de présence aromatique au mûrissement élégant. Un immense vin.
Le magnum de Gruaud Larose 1975 avait une légère trace de poussière au nez, mais quand on attendait suffisamment, le vin reprenait de la rondeur fruitée, sans être véritablement puissant. Le Mouton-Rothschild 1990 fut apprécié à une autre table plus qu’à la notre, alors qu’il s’agit de la même bouteille. Ce vin que j’ai plusieurs fois aimé lors de dîners chez moi, sujet de controverses sur des forums de vins, m’est apparu ce soir limité. Je crois qu’il y eut un peu la même impression avec le Sociando Mallet 1975 qui a un beau nez, une belle attaque et finit en sourdine.
Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1975, d’après ce que j’ai entendu, était fort bon et le Château Fombrauge 1962 selon des sources forcément autorisées en a surpris plus d’un par sa belle qualité. Le Lafite Rothschild 1964 que nous avons goûté était magnifique. Il est en pleine évolution vers sa séniorité. Mais il est tellement typé, expressif, roué comme un bourgogne que j’ai pris un plaisir intense en le buvant.
Le Vega Sicilia Unico 1966 était extrêmement bouchonné, très probablement à cause d’une période trop longue où son auteur l’aura gardé après avoir ôté la capsule. Même si le vin accusait moins de faiblesse en bouche, nous n’avions pas le vin qu’il fallait avoir. Je n’ai pas écouté aux portes du Lynch Bages 1964, donc je n’en sais rien. Les deux Santenay Clos de Tavannes Fauconnet 1959 apportés par un académicien fort aimable et compétent qui m’assista lors des ouvertures de bouteilles avaient un niveau franchement trop bas. Des nez très fatigués dont l’un s’est révélé un peu bouchonné. Je ne les ai qu’à peine goûtés, sans pouvoir porter un jugement, car c’est la « bouteille à moitié pleine ou à moitié vide ». Objectivement, des vins usés, mais un académicien m’a dit le lendemain qu’en ayant attendu que l’oxygène le réveille, on découvrait un délicat bourgogne. Un convive m’a fait une farce en m’arrêtant du bras, en me tendant un verre : « goûtez comme ce Palmer 1961 est sublime». C’était le Santenay. Je ne suis pas tombé dans ce piège souriant.
Le Monthélie 1947, apporté au dernier moment alors que nous étions en plein « travail » fut un vin éblouissant. Ce qui prouve que si l’oxygène joue un rôle crucial, il n’a pas de monopole. Pas d’étiquette, pas de propriétaire recensé. Mais un de ces goûts virils de forêt, de champignon, voilà pour la fatigue, mais aussi de vrai charme. Un beau vin de découverte.
Le Palmer 1961 a décoché à l’ouverture son parfum inimitable en un temps qui frôle le faux départ au 100 mètres. C’est spectaculaire. Riche, puissant, de longueur infinie, c’est un vin immense que mon abnégation sans bornes m’avait poussé à affecter à deux tables autres que la mienne. Le Palmer 1959 était très différent. J’avais en tête que je préférais le 1959 au 1961. Or ici, ce 1959 objectivement intelligent, romantique à souhait, ne peut rivaliser avec la puissance insolente du 1961.
Le Pape Clément 1929 était ma bouteille officielle d’académicien, officielle puisque j’en avais ajouté d’autres. Je suis naturellement plus critique envers une bouteille dont je suis l’auteur et ce vin, dont on sent les qualités potentielles, que j’aurais sans doute révélées en procédant comme pour mes dîners (présence sur place huit jours avant contre un voyage le jour même), ne m’a pas plu. Le message est là, mais caché, voilé. C’est dommage.
Le Martha's Vineyard Heitz Cellars Cabernet 1990 de Californie n’était pas à ma table. Son parfum diffère fortement de nos senteurs hexagonales. La goutte que j’en eus sans préparation gustative ne m’a pas parlé comme elle aurait dû. On m’a dit que le Château Talbot 1934 fut grand. L’odeur quand je l’ai ouvert était splendide.
Des cierges devraient être mis dans toutes les chapelles de la capitale puisque j’avais décidé de ne pas être à la table où apparaîtrait cette bombe sexuelle absolue : le Château Chalon Marius Perron 1959. Le Seigneur m’a récompensé car j’en eus un petit verre. Quand je bois cela avec un sublime Comté de 2001, plus rien n’existe autour de moi, même pas les charmantes académiciennes, minoritaires de notre académie.
Le cadeau de François Mauss empêché d’être avec nous fut une surprise colossale pour les participants de quatre tables puisque nous avions deux bouteilles de Montlouis "Les Bâtisses" Domaine Deletang "Grande Réserve Tris" Moelleux 1989 invraisemblable de puissance ensoleillée. Chaud, sensuel, charmeur et long en bouche, un vin de pur plaisir. Jamais personne ne croirait qu’un Montlouis puisse atteindre ces sommets là. La goutte d’Yquem 1994 à ce stade de la soirée me parla peu, alors que le château Filhot 1929 trompetait de bonheur. Quel vin raffiné tout en délicatesse élégante ! Un de mes plus grands plaisirs de la soirée fut de voir le sourire de son auteur, ravi de constater que sa bouteille était bue par des convives heureux de la boire et suffisamment connaisseurs pour en saisir les finesses. L’académie trouvait sa justification par la seule grâce de ses yeux rieurs, émus, joyeux d’avoir partagé un de ses trésors.
Le château Rabaud 1947, réunion à cette époque de Sigalas Rabaud et de Rabaud Promis causa une émotion similaire à son apporteur assis à ma table. Une couleur comme j’ai rarement vu de plus belles, comme les chaussures de Berluti quand elles sont sages (est-ce que cela arrive ?) et une profondeur en bouche absolument charnelle.
Les deux Fargues 1989 que j’avais apportés chantaient une chanson que j’aime car je retrouve la patte de ceux qui faisaient Yquem aux mêmes moments. C’est un grand Sauternes, même très grand. Deux Banyuls 1949 de ma cave ont accompagné les chocolats au café. Bois mouillé, pruneau sont des caractéristiques du Banyuls paraissant comme ouillé tant il ne fait pas son âge. Diabolique combinaison de pur plaisir.
Les discussions se prolongeaient, les cartes de visite s’échangeaient, les impressions d’avoir participé à un grand moment éclairaient tous les visages. Il va falloir maintenant tirer les leçons de tout cela, réfléchir au nombre de participants, nombre de bouteilles, mets d’accompagnement, fréquence, bouteilles à rassembler. Cette première séance semble d’un équilibre qui s’est trouvé spontanément. Comme avec un vin, ne forçons pas le talent. Les buts de l’Académie ont été atteints : connaissance et partage.
Quand c’est bon, on ne change pas grand-chose. Alors, à la prochaine séance…
déjeuner au restaurant Laurent avec un Cros Parantoux Henri Jayer jeudi, 29 septembre 2005
Le pigeon est un beau pigeon. La chair est traitée comme elle doit l’être. Je pense au responsable des monuments historiques de la capitale, conscient des dégâts de ce diarrhéique volatile. Il a sans doute décidé que l’éradication de l’espèce passerait chez Laurent. Alors, on a le pigeon le plus pur, qui a décapé les statues de Charlemagne ou de Saint-Louis, qui exprime son authenticité historique dans notre assiette. Et là, le Vosne-Romanée Cros Parantoux de Henri Jayer 1994 est la démonstration du pouvoir de l’homme sur cette liane rebelle qui se pare à l’automne naissant de pulpeuses grappes juteuses. Ce vin est grand sans être éblouissant, fine démonstration d’un savoir faire unique. Tout est subtil dans ce vin. Le navet est d’un charme extrême, mais c’est le cèpe, croustillant comme un cèpe puceau qui donne au Cros Parantoux un accent bourguignon incommensurable.
Après le Clos Sainte Hune Trimbach 1976 et le Cros Parantoux Henri Jayer 1994, solides institutions, les judicieux conseils de Patrick Lair et Philippe Bourguignon vont permettre de finir le repas sur de jolies notes. Un champagne de Montgueux, à l’extrême sud de l’appellation, champagne Alexandre brut nature de Jacques Lassaigne 1999, et un Banyuls du docteur Parcé 1996, « la Coume » comme on dit aussi à Maury, bois de cèdre, pruneau, tout ce qui embellit la bouche en fin de repas. Laurent est une grande table de pur confort.
visite rendue à la maison Bichot à Beaune mardi, 27 septembre 2005
J’arrive à l’heure de l’apéritif pour voir les vignes en cours de vendange, et pour une visite de la cuverie fort convaincante. Dans une cave historique, je goûte les 2003, précédés d’un 2004. Le Chablis 2004 de la maison Bichot est chaleureux, ensoleillé, encore vert de jeunesse. Le Chablis premier cru Vaucoupins Long Dépaquit 2003 est plus construit, élégant, avec un beau final. Le Chablis Moutonne Grand Cru 2003 a un nez plus floral. Il est joli en bouche, mais cet élégant jeune homme a encore besoin de mûrir.
Le meursault Domaine Pavillon 2003 a un nez explosif. Il est manifestement plus compliqué à comprendre. C’est un vin qui se cherche. La fin est très alcoolique, laissant une forte trace en bouche. Le Meursault les Charmes premier cru 2003 a un vrai nez de Meursault. L’attaque en bouche est superbe Il est grand, élégant, de belle trace. La petite amertume finale va se corriger avec quelques mois de plus. Le vin sera grand.
Quand on passe au rouge avec un Mercurey premier cru les champs Martin 2003, mon palais crie « à l’aide », tant la transition après les blancs n’est pas naturelle. On sent quand même que le vin est bien construit. Le Pommard « Clos des ursulines » 2003 a un nez violent. Le vin est en pleine révolution soixante-huitarde. En bouche il est ensoleillé, tout en compote de fruits noirs. Le Gevrey Chambertin les Corvées 2003 a un nez proche de celui du Pommard. Plus civilisé il est élégant, soutenu par un poivre marquant. Le Nuits Saint Georges Bichot 2003 est plus léger, moins dense. Facile à boire, mais plus limité. J’y ai senti de la noix fraîche. Le Vosne Romanée 2003 a un nez austère. En bouche il est très coloré et raconte des histoires. C’est un vin dont j’aime l’incivilité. Le Corton Clos des Marèchales 2003 est magnifique. Totalement en devenir, il est beau. Il y a du tannin !
Nous nous rendons au domicile du frère de Jean Marc Bichot pour un déjeuner familial. Nous goûtons à table les vins débouchés en cave, le Meursault Charmes 2003 et le Corton 2003. Manifestement plus à l’aise qu’en cave, ils montrent paradoxalement encore mieux combien de temps il leur faudra pour s’exprimer. Le neveu de Jean Marc ouvre sur table un Pommard Clos de Ursulines 2002 et je commence à me demander où sont les vins anciens que l’on m’avait fait miroiter. Je reprends de la viande – délicieuse – en me disant qu’il en viendra peut-être. C’est au fromage qu’un Meursault 1955 Bichot, déjà ambré et fort élégant me donnera un aperçu des vins anciens du domaine, avec une belle rondeur et une acidité porteuse de longévité. Nous allons ensuite visiter la maison d’un collectionneur d’objets précieux à la décoration d’un raffinement rare, qui cache en ses entrailles la cave des vieux millésimes dont on m’avait parlé. Nous débouchons un Marc des Hospices de Beaune d’environ 50 ans absolument délicieux. Ce déjeuner fut extrêmement intéressant puisque je retrouvai des souvenirs de mon ancien métier (on se dit dans ce cas que le monde est petit), et j’ai pu mieux connaître ce domaine qui fait et a fait des vins qui m’ont fait rêver et me feront encore rêver.
