Bel Air Marquis d’Aligre « défendu d’en laisser »vendredi, 12 juillet 2013

J’ai été contacté il y a quelques temps à propos d’ un travail de recherche historique sur l’ensemble des crus classés de Saint-Emilion et plus précisément d’un Grand-Corbin blanc de 1924.

Cette fois, Sylvain Torchet s’intéresse aux historiques des crus bourgeois de 1932 et m’a contacté à propos de la bouteille du château Bel-Air marquis d’Aligre dont j’ai mis plusieurs photos sur mon blog et sur le site de lapassionduvin.

Il m’envoie ce texte très intéressant :

L’histoire de cette bouteille est la suivante : Le marquis Étienne Jean François d’Aligre (1770-1847) réservait la production du château Bel-Air uniquement pour son usage personnel.

De 1825 à 1847, il a fait fabriquer des bouteilles portant son nom et cette mention Défendu d’en laisser, il s’agit d’une des premières bouteilles de forme bordelaises (celles de Latour de la fin du 18ème sont larges d’épaules).

Ces bouteilles furent stockées au domaine et dans son hôtel particulier de la rue d’Anjou-Saint-Honoré.

Après son décès, son gendre Michel Marie de POMEREU (1779-1863) et/ou son petit fils, Étienne-Marie-Charles de Pomereu-d’Aligre (1813-1889), marquis de Riceys et marquis d’Aligre, héritier du marquis d’Aligre bénéficiant du titre par une ordonnance du 21 décembre 1825, ont perpétué cette tradition en faisant inscrire le nom de Pomereu d’Aligre sur les bouteilles suivantes.

Il a donc existé un nombre important de ces bouteilles et la production a pu continuer au moins jusqu’en 1889 et le décès de l’héritier du marquis d’Aligre, voir 1897.

 

Il existe une histoire sur la diffusion de ces bouteilles que beaucoup d’auteurs ont repris à partir d’un texte paru dans Le Monde Illustré de 1857.

Quelqu’un sur la passion du vin avait repris le texte suivant qui n’est pas la copie exacte du texte original mais s’en approche :

« On l’appelle le Margaux défendu. Pourquoi défendu? L’affaire va vous être expliquée. Les bouteilles qui le contiennent ont été fondues expressément en verre olive, forme bordelaise, et l’épaule est flanquée de deux médaillons en haut relief et opposés. Sur l’un on lit : Margaux Bel-Air Marquis d’Aligre et sur l’autre dans un feston, cet ordre impératif et excessivement agréable à recevoir : « Défendu d’en Laisser ».

Vous voyez maintenant d’où vient ce nom, ce surnom, ce défendu. Le marquis d’Aligre, alors qu’il était propriétaire du Château de Bel-Air en plein cru Margaux, ne souffrait point que ce vin allât dans le commerce. Tout entrait dans ses caves et n’en ressortait que pour la table, ou pour quelques cadeaux de loin en loin. A sa mort, deux amateurs qui connaissaient et appréciaient cette liqueur exquise, se disputèrent ce qui restait dans les catacombes de l’hôtel célèbre de la rue d’Anjou : l’un était M. Frédéric Gaillardat, dont le nom est inséparable du plus grand succès dramatique de notre temps (La Tour de Nesles), aujourd’hui écrivain politique de premier ordre et amateur de vins rares, pour les offrir à ses amis. L’autre acquéreur était le Comte d’Ignenville, mort l’an dernier en laissant une petite cave de trois mille bouteilles ! Ses bouteilles de château Aligre furent partagées par un agent d’une grande maison bordelaise entre deux restaurateurs.

A la mort du marquis, le Château de Bel-Air a été acheté par M. Viguerie, banquier et président du tribunal de commerce de Toulouse. Il paraît que cet heureux propriétaire suit l’égoïste tradition du marquis et ne vend pas son vin! Chez lui il n’est pas défendu d’en laisser, il est défendu d’en prendre ! Les deux restaurateurs, quant à eux, avouent n’en avoir plus que trente trois bouteilles… le reste est dans la cave à porte de fer de M. Frédéric Gaillardat. Quelqu’un, un spéculateur, qui a su l’affaire, a essayé d’obtenir les fameuses bouteilles vides du vin incomparable, évidemment pour les remplir d’un autre vin de choix et profiter frauduleusement de la tradition d’Aligre et des légendes du verre. Mais l’honorable écrivain informé de la tentative, fait briser toutes les bouteilles à mesure que son hospitalité les épuise, étendant ainsi la curieuse inscription, non pas seulement au délicieux contenu, mais au contenant même. Une de ces bouteilles authentiquement pleine, sera donc sous peu une curiosité digne d’un musée. »

Malheureusement, je ne peux confirmer l’exactitude des informations portées et citées un peu partout.

Tout d’abord, je n’ai pas réussi à retrouver de comte d’Ignenville (ou avec un nom approchant) mais surtout le château Bel-Air est resté la propriété de la famille du marquis d’Aligre au moins jusqu’en 1897, année où le domaine serait devenu la propriété d’Ernest Rosset. Nulle part, on ne trouve trace d’un Joseph Viguerie dans les livres consacrés au vin de cette période.

La fiche historique sera disponible sur le site de Sylvain Torchet en septembre.

 

Photos sur mon blog à

http://www.academiedesvinsanciens.com/galerie-1848/

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