195ème dîner de wine-dinners au restaurant Pagesjeudi, 10 décembre 2015

Le 195ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Pages. J’y ai organisé beaucoup de dîners privés, et c’est le premier dîner de wine-dinners en ce lieu que j’apprécie pour la cuisine élégante du chef Teshi. Nous nous sommes rencontrés il y a une semaine pour mettre au point le menu et l’adaptation des recettes aux vins.

La première surprise à l’ouverture des vins à 16 heures, c’est le Château Olivier 1953. Je l’ai considéré comme un vin blanc, car sa capsule jaune d’or m’y incite mais vu à travers le verre blanc de la bouteille le vin paraît rosé ou bien un vin rouge qui serait légèrement dépigmenté. A l’ouverture le nez du vin indique un vin blanc évolué que certains diraient madérisé. Vincent, le directeur du bistrot 116, le restaurant qui jouxte Pages, qui le sent avec moi, dit qu’en fait c’est un vin différent. Et je pense déjà qu’il s’accordera avec l’ormeau que le chef Teshi prépare divinement. Il est à noter que le bouchon de l’Olivier, d’une porosité invraisemblable doit être extirpé au bilame, tant il colle à la paroi. Sa médiocre qualité n’a pas empêché que le niveau soit dans le goulot, ce qui est remarquable pour un vin de 62 ans !

Les autres vins ne posent aucun problème et la grande inconnue est celle du Filhot 1891. Comment va se présenter ce vin de 124 ans, dont la couleur à travers le verre blanc est d’un glorieux acajou clair ? Le niveau est à deux millimètres sous la base du goulot, ce qui est incroyable pour un vin au bouchon d’origine. Le bouchon sort bien, le beau liège sent bon. Le parfum immédiat du vin est parfait. Ce parfum est un concentré de grâce avec des fruits d’une délicatesse extrême. On peut tout y trouver, pomme, groseille, coing, et beaucoup d’autres senteurs exotiques mais aussi de la rose. Ce qui est fascinant, c’est que cette odeur est éternelle. Il est impossible de dire que ce vin a la moindre fatigue. C’est la magie du vin et j’y vois la confirmation de ce que j’affirme sans cesse : le vin est éternel s’il n’est pas confronté aux défauts du bouchon.

Je fais sentir ce 1891 à toute l’équipe de cuisine, y compris le chef pâtissier pour que l’on adoucisse la pomme prévue, afin que le Filhot puisse briller dans sa délicatesse.

Il est 17 heures, j’ai trois heures devant moi, aussi vais-je au bistrot 116 pendant que notre table se dresse au restaurant Pages. On me propose une bière japonaise avec des fèves japonaises edamame. Ce sont des cosses qui ont deux ou trois fèves, saupoudrées de sel. On croque la cosse pour extraire avec ses dents les fèves et on ne mange pas la cosse. On ne mange que les fèves et le sel. Inutile de dire que rapidement on demande une autre bière. Vincent me dit que ces fèves sont un multiplicateur de son chiffre d’affaires.

Ce soir nous devions être dix ou onze, la table ayant été organisée par un homme de la finance pour ses clients. Des défections de dernière minute portent le chiffre à huit, alors que toutes les bouteilles ont été ouvertes.

L’apéritif se prend avec le Champagne Dom Ruinart magnum 1998. C’est un champagne confortable qui profite bien du format magnum, qui lui donne une belle ampleur. Agréable et consensuel, ce champagne gagnerait à être un peu plus canaille.

Le menu du chef Ryuji Teshima dit Teshi est ainsi composé : Saint Jacques et caviar de Sologne / Ormeau et truffes Noires du Périgord / Tourte de langoustine / Pigeon, Feijoa / Bœuf de Galice 85 jours, Simmenthal 30 jours de maturation, bœuf Ozaki poêlé sur la fonte et sur le Bincho / Stilton / Tarte aux pommes à la bergamote.

Le Champagne Dom Pérignon 1975 transforme les visages de mes convives. Nul n’attendait un champagne de quarante ans à ce niveau de charme et de séduction. Car il est sacrément séducteur le bougre ! Le champagne est floral, avec de belles fleurs blanches et roses, mais il est aussi pénétrant, avec une longueur quasi infinie, faite de beaux fruits d’été et une vinosité vive. Avec la coquille crue au goût sucré, le champagne est picoté mais c’est surtout avec le caviar mêlé à la coquille que l’accord devient transcendantal.

Le Château Olivier Grand Cru Classé de Graves blanc 1953 ne correspond à aucun repère. Il n’est pas madérisé, il serait plutôt fumé comme une infusion. Ses saveurs sont charmantes déroutantes et avec la belle mâche de l’ormeau, l’accord se trouve merveilleusement bien. On est sur des infusions végétales et vineuses, sans acidité sensible. J’adore cet accord et la truffe n’apporte pas grand-chose au vin. C’est la douceur ferme de l’ormeau qui le fait briller.

La tourte de langoustine est originale, avec une sauce faite avec les carapaces pilées, un peu comme une sauce Nantua légère. Deux vins l’accompagnent. Le Pavillon Blanc de Château Margaux 1979 est d’un équilibre extrême. Nul ne pourrait lui donner d’âge. Sa couleur est d’un jaune citron mâtiné de jaune d’or, le nez est franc et direct et le goût est d’une grande plénitude, joliment citronné mais aussi blés d’or. Il est joyeux, et si l’on devait lui faire un reproche, c’est qu’il est trop « bon élève », celui qui récite bien ses leçons. On en ferait volontiers son ordinaire mais à côté de lui l’Hermitage Jean-Louis Chave blanc 1986 est majestueux. Les trompettes de la renommée devraient chanter sa gloire car il est d’un accomplissement total. Il a la puissance, la longueur, l’équilibre et la complexité d’un grand vin. Il y ajoute une vibration extrême. Il emplit la bouche d’un liquide qui virevolte. Il y a la fluidité d’un cours d’eau de montagne, des allusions végétales, des vibrations de litchi. C’est surtout la sauce qui crée avec l’Hermitage un accord fusionnel majeur. Je suis conquis.

Le pigeon est un bijou de finesse et de tendreté qui convient parfaitement aux deux bordeaux délicats. Le Château Haut Brion 1er Grand Cru Classé de Graves 1967 est d’un équilibre rare. Il est courtois, racé, et montre qu’il est grand. Il est tout velours et truffe.

Le Château Latour 1er Grand Cru Classé Pauillac 1956 est manifestement un grand vin mais a moins d’équilibre que le Haut-Brion. Il y a aussi une petite acidité qui gêne le plaisir. Les deux vins sont grandement avantagés par la chair fine et gourmande du pigeon.

Les trois bœufs en dés de belle taille sont accompagnés de deux bourgognes dont les nez sont tout en douceur. C’est la grâce et la séduction. L’Aloxe-Corton Louis Latour 1955 est magnifique de générosité, d’aplomb et de subtilité. Ce vin n’a pas d’âge alors qu’il a soixante ans. Son équilibre et sa sérénité sont rares.

Comme pour les deux bordeaux le Château de Pommard Laplanche propriétaire 1962 est marqué par une acidité excessive, malgré un message délicat. C’est un beau bourgogne, féminin, mais la petite trace acide me gêne. Encore une fois la viande supporte bien les deux vins.

Alors que le Château Filhot Sauternes 1976 a 39 ans, l’âge du chef, je le perçois comme un gamin. Il a une belle puissance riche, goûteuse de fruits exotiques. Avec le stilton, l’accord n’est que du bonheur.

Vient maintenant le clou du dîner. J’avais été impressionné à l’ouverture par le parfum élégant du Château Filhot Sauternes 1891. Ce parfum est toujours aussi délicat. Mais la grosse surprise est que le vin a mangé son sucre au point de paraître très sec. Or le parfum ne l’indiquait pas. Derrière la sécheresse, l’élégance et la subtilité sont là. On retrouve des fruits oranges et bruns mais comme en infusion. La longueur est belle et la tarte aux pommes se marie bien. Boire ce vin de 124 ans demande du recueillement, car il y a des complexités qu’il faut aller découvrir, de rose, de tabac, d’un soupçon de miel et de légers zestes. La magnifique couleur du vin est un régal. C’est un souvenir que garderont longtemps les convives.

Nous sommes huit à voter pour nos quatre préférés parmi les onze vins. Neuf vins ont figuré dans au moins un vote et il y a une certaine logique à l’oubli de deux vins. Ce sont les plus classiques et ceux qui ressemblent le plus à ce que l’on a l’habitude de boire, le Dom Ruinart 1998 et le Pavillon blanc de Château Margaux 1979. Ce n’est donc pas une sanction de leur valeur mais le fait qu’ils font moins voyager vers des saveurs inconnues.

Quatre vins ont été nommés premiers, le Dom Pérignon quatre fois premier, l’Hermitage Chave deux fois et le Haut-Brion et le Filhot 1891 une fois chacun. Le Dom Pérignon a figuré dans les huit votes et le Filhot 1891 dans six votes.

Le classement du consensus serait : 1 – Champagne Dom Pérignon 1975, 2 – Château Filhot Sauternes 1891, 3 – Hermitage Jean-Louis Chave blanc 1986, 4 – Aloxe-Corton Louis Latour 1955, 5 – Château Haut Brion 1er Grand Cru Classé de Graves 1967.

Mon classement est : 1 – Hermitage Jean-Louis Chave blanc 1986, 2 – Champagne Dom Pérignon 1975, 3 – Château Filhot Sauternes 1891, 4 – Aloxe-Corton Louis Latour 1955.

L’exercice qu’a accompli le chef Teshi mérite les applaudissements. Il a abandonné pour un soir le style de sa cuisine habituelle pour se concentrer sur le produit de base du plat en épurant tous les à-côtés qui sont pourtant d’une rare cohérence dans ses menus. L’accord de la sauce de la tourte de langoustine avec l’Hermitage blanc 1986, l’accord de l’ormeau avec le Château Olivier 1953, l’accord du pigeon avec le Haut-Brion 1967 sont les trois plus beaux accords, suivis par le Dom Pérignon 1975 avec Saint-Jacques et caviar.

Dans une atmosphère joyeuse, nous avons passé une excellente soirée épicée par un Filhot 1891 très émouvant.

Champagne Dom Ruinart magnum 1998

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Champagne Dom Pérignon 1975

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Château Olivier Grand Cru Classé de Graves blanc 1953

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Pavillon Blanc de Château Margaux 1979

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Hermitage Jean-Louis Chave blanc 1986

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Château Haut Brion 1er Grand Cru Classé de Graves 1967

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Château Latour 1er Grand Cru Classé Pauillac 1956

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Aloxe-Corton Louis Latour 1955

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Château de Pommard Laplanche propriétaire 1962

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Château Filhot Sauternes 1976

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Château Filhot Sauternes 1891

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le vin entre le château Olivier et l’Hermitage n’a pas été inclus et n’était pas au programme. Il a été remplace par le Pavillon Blanc de Château Margaux 1979 non présent sur la photo de groupe.

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photos des plats. j’ai photographié les trois bœufs alors que j’avais mangé plus de la moitié du plat !

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CLASSEMENT DINER 151210

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