Réveillon du 31 décembre, suite et finjeudi, 31 décembre 2009

Les enfants arrivent. Mon gendre a apporté du foie gras à poêler et des bulots et du bar en filets qu’il aimerait manger cru. Je m’occupe d’ouvrir les vins. Je ne suis pas hyper convaincu de ce que donneront les deux 1943. Nous verrons. Le Chave est une bombe aromatique, il ira bien pour les pigeons. Le Vosne-Romanée 1955 a une odeur de truffe imprégnante. Ce serait sans doute la bonne pioche pour la truffe. Nous essayons de composer le menu : le Veuve Clicquot 1943 avec le bar cru puis un premier service de foie gras. Où caser le pata negra ? Entre les deux champagnes peut-être. Le Bollinger VVF 1998 avec bulots puis caviar sur coquilles Saint-Jacques crues. Le Vosne-Romanée Roland Thévenin 1955 sur truffe et pomme de terre. L’Ermitage Cuvée Cathelin Chave 2000 avec le pigeon puis avec le foie gras poêlé ou poché, et le Climens 1943 sur les mangues avec des traces de grains de fruits de la passion.

Je vais ouvrir le Climens et le Bollinger. J’avais peur pour le Climens 1943 au beau niveau, mais à la couleur de thé ou de cuivre un peu gris. Or en fait, le nez est tonitruant d’agrumes. Ça promet ! Le Veuve Clicquot 1943 a un beau bouchon bien droit, lisse. Sa senteur doit se normaliser, mais il me paraît prometteur. Ayant fini les ouvertures qui ont été progressives, je remonte de la cave et ça sent bon en cuisine.

Le dîner peut démarrer.

Le bar cru est très ferme, fortement goûteux, avec des accents de noix et un léger sucré. C’est ce qui avait poussé mon gendre à suggérer de le manger avec le Champagne Veuve Clicquot 1943. La première gorgée est un peu amère, car c’est le liquide qui était au contact du bouchon. Vite resservi, je constate que le vin est chaleureux, avec des notes de fruits jaunes comme la pêche ou la mirabelle. On note aussi des évocations de vin jaune, ce qui paraît cohérent avec le goût de noix du bar. Mais en fait, je pense que le bar irait beaucoup mieux avec le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1998. Ce champagne est un vrai bonheur. Ciselé, précis, tendu, il est dans la ligne de ce que doit être un grand champagne bien sec. Je suis étonné de lui trouver tant de fruits blancs, ce qui fait que ce champagne élégant, lord anglais, sait aussi parler le langage du cœur. Et captant la face iodée et marine du bar, il crée un accord beaucoup plus convaincant.

Le caviar osciètre d’élevage d’Iran posé sur des tranches de coquilles Saint-Jacques crues est l’un des plus beaux caviars que nous ayons mangés. La combinaison du salé et du sucré de la coquille, avec la profondeur insistante du goût du caviar créent un accord avec le champagne qui tient du sublime. Cet accord on ne peut plus simple dans sa définition est un accord vibrant, exceptionnel, frôlant l’extase. Nous sommes comme assommés par l’immensité de cet accord qui rehausse le caviar d’un charme inoubliable.

Le Pata Negra ne vibre pas franchement avec les champagnes. Nous laissons de côté les bulots et nous revenons maintenant au Veuve Clicquot dont le doucereux et la complexité se conçoivent très bien après le Bollinger. Mon gendre poêle des tranches de foie gras et l’accord se trouve dans la délicatesse.

La truffe sur pomme de terre accueille le Vosne-Romanée Roland Thévenin 1955 qui a un nez de truffe et une belle évocation de truffe. Ce vin est quand même très limité car il a souffert d’avoir perdu trop de volume. Il avait le droit de venir à notre table. Nous l’avons écouté mais il n’a pas brillé même si ses variations bourguignonnes avaient un soupçon d’émotion.

Le pigeon rosé à souhait, à la cuisson parfaite, fourré au foie gras sans que le foie ne se sente dans le goût du pigeon est d’une tendreté absolue et d’une personnalité forte. L’Ermitage Cuvée Cathelin Jean-Louis Chave 2000 me fait vaciller. Jamais je n’aurais imaginé que ce vin puisse être aussi exceptionnel. Je suis saisi. Il est à la fois puissant et d’une délicatesse invraisemblable. Tout en douceur, velouté, charmant, ce vin est un amour. C’est un courtisan galant qui fait des madrigaux. Jamais je ne dirais que ce vin est rhodanien alors qu’évidemment cela ne fait aucun doute. Ce vin pourrait faire partie des vins parfaits qui sont toute ma recherche. Avec le pigeon, c’est un bonheur absolu. Je demande à mon gendre de pocher le foie gras et le résultat avec le Chave est convaincant car la qualité du foie est exceptionnelle.

Le Château Climens Barsac 1943 a une couleur de cuivre gris. Le nez est en opposition à la couleur, car l’agrume est tonitruant. En bouche le vin a beaucoup plus d’ardeur que ce que la couleur suggère, et je ressens la richesse gustative et le coffre puissant d’un grand Climens, qui combine les agrumes, la mangue et un soupçon de thé. Les fines tranches de mangue léchées de grains de fruit de la passion forment un accord dont la simplicité n’a d’égale que la pertinence.

Dans ce dîner, rien n’a été cuisiné, et tout a été minimaliste, simplifié à l’extrême : le bar cru n’était accompagné de rien, le caviar et la coquille Saint-Jacques étaient dans leur totale nudité, la truffe et la pomme de terre n’acceptaient aucune fioriture. Pas le moindre légume pour le pigeon juste fourré de foie gras, lequel poêlé ou poché était aussi dans le plus simple état de présentation. Mangue et fruit de la passion sans un gramme d’ersatz. Cette recherche de pureté est voulue pour que rien ne détourne de la captation du message de grands vins. L’accord le plus sublime fut celui du caviar à la Saint-Jacques avec le Bollinger, chef-d’œuvre de précision du champagne d’exception. Le plus grand vin fut de très loin l’Ermitage de Chave, véritable consécration d’un domaine au sommet de la renommée de l’Hermitage. Ainsi, deux parcelles infinitésimales, toutes deux inférieures à l’hectare, nous ont donné deux vins très jeunes au sommet de leur art. Quoi de mieux pour terminer une année et en commencer une autre ?