L’Académie du Vin de France mercredi, 17 novembre 2004

L’Académie du Vin de France se réunit pour son dîner de Gala au restaurant Laurent. C’est l’occasion de goûter les vins des membres de l’Académie dans leurs productions récentes de 2003, 2002 ou 2001 selon les vins. Où pourrait-on en quelques pas seulement passer de Zind-Humbrecht à Cauhapé, de Château Simone à la Maison Huet, de la Romanée Conti à Haut-brion, du Domaine Leflaive à Fargues ? Nulle part ailleurs. De plus, on trinque avec les propriétaires. Ce que j’ai fait pour La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2002 dont j’ai apprécié le nez d’une belle élégance et le goût qui commence à se structurer. Hubert de Montille, la star de cinéma (Mondovino) était tout sourire ainsi que de nombreux propriétaires  satisfaits de leur année comme le sont les élèves au bon carnet scolaire. Ici, toutes vendanges étaient faites. Je suis placé à une table prestigieuse puisque s’y trouvent les propriétaires ou gérants de la Romanée Conti, de Haut-Brion, de Bonneau du Martray, de Château Simone, de la Commanderie de Peyrassol. Les discussions passionnantes furent précédées par de sobres mais denses discours du président sortant, Jean Noël Boidron justement acclamé et du nouveau président Jean Pierre Perrin au dynamisme connu.

Jacques Puisais fut le Monsieur Loyal du beau dîner conçu par un Alain Pégouret particulièrement brillant. Jacques commenta les vins et les mets avec un langage qui n’appartient qu’à lui, où la science des goûts le dispute au brio. Les blancs étaient de 1997 et les rouges de 1989. Voici ce qu’il en fut.

Des coquilles Saint Jacques avec des copeaux de noix et des traces de moutarde accompagnaient un délicieux Côtes de Jura du Château d’Arlay 1997. La virilité de ce blanc avec les noix me plait, quand ma voisine Madame Delmas (Haut-Brion) a du mal à entrer dans sa logique. Sur une autre préparation de coquilles Saint-Jacques présentée dans la même assiette, mêlant l’amer au sucré le Palette Château Simone 1997 fut particulièrement brillant sur le sucré naturel de la coquille, lui associant sa typicité poivrée. Belle profondeur de goût et l’occasion de tester deux accords très différents.

Une pince de homard (voire deux), aux haricots coco et coquillages, émulsion de fleurette citronnée est un plat qui m’a enchanté. Et le Puligny Montrachet « les Pucelles » Domaine Leflaive 1997 a trouvé une densité marquée, soulignée par la légèreté de l’émulsion et l’expressivité des haricots. La queue du homard, facile prétexte à l’humour Puisaissien gentiment gaulois, au beurre demi-sel sur une farce au corail avait la force qui convenait pour soutenir le puissant et alcoolique Hermitage blanc 1997 de Chave. Quelle force ! Ce plat puissant aurait d’ailleurs pu aussi s’accommoder d’un vin rouge.

Sur un magnifique exercice de style sur le thème du lièvre, intitulé par Philippe Bourguignon en toute sobriété : « lièvre dans tous ses états, pâtes fraîches » trois vins que des régions et des personnalités séparent allaient nous raconter de bien belles histoires. Les trois acceptions du lièvre étaient primitivement prévues chacune pour un vin, mais on s’amusa à brouiller les cartes, pour la plus grande joie de nos papilles en éveil. Le Beaucastel rouge 1989 a une générosité naturelle rare. Il emplit la bouche, s’y sent à l’aise, et décoche du fruité de pur plaisir. Le Bandol « Cuvée Cabassaou » 1989 Château Tempier de M. Peyraud, voisin de table, me plut particulièrement, car il tenait bien sa place à coté de ses illustres voisins de verre. Une belle trame, une joyeuse densité et une longueur respectable. Un beau vin. Et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989 au nez d’une particulière intelligence compléta le trio avec des variations de saveurs généreuses. Sur le râble, La Tâche s’amuse à faire des gammes de goûts, variant sa force et sa finesse avec un talent consommé. Cette dégustation était cependant assez difficile car les verres avaient une odeur désagréable que mes voisins vignerons attribuaient au carton d’emballage mais que je reliais plus volontiers à la méthode de séchage. Plusieurs milliers de verres posent des problèmes logistiques. Ils posèrent des problèmes d’odeurs et de saveurs. Et Patrick Lair, pour des raisons que je comprenais parfaitement, faisait servir les vins très frais. C’est justifié si le vin reste en verre, mais quand on est gourmand comme à notre table, le vin n’a même pas le temps de se réchauffer. Et La Tâche trop frais, ça limite assez le plaisir. Fort heureusement, en y mettant du sien, c'est-à-dire en « vinant » les verres et en attendant que le vin se réchauffe, tout alla bien. La maison « Laurent » fut parfaite à son habitude et la sommelière de notre table, Christèle, fit un travail de grand professionnalisme. Sur un délicieux Saint Nectaire fermier, le Corbin-Michotte, Saint-Emilion 1989 prouva à quel point Jean Noël Boidron avait mérité d’être président. Ce vin de couleur beaucoup plus foncée que les autres rouges, dense mais charmeur à la fois, d’une trame d’une légèreté séductrice me causa une forte émotion. Je l’ai particulièrement apprécié.

Les palmiers (en pâtisserie) du restaurant Laurent n’auront jamais le temps de nous faire de l’ombre, car on les dévore avec une voracité coupable au masochisme pondéral assumé. Avec le Tokay Pinot Gris « Clos Jebsal » sélection de grains nobles Zind-Humbrecht 1997, on est en plein péché, car les saveurs de grains de raisin délicieusement brûlés par le soleil, les arômes de pain d’épices, de thé et de caramel se bousculent sous les palmiers avec une volupté rare. L’équipe d’Alain Pégouret, toute toquée est venue au moment du Tokay se faire applaudir à juste titre tant la cuisine fut exacte et sensible. Une belle leçon.

Quels vins retenir ? Difficile exercice tant les vins différent. Je mettrais en premier le Corbin Michotte 1989 pour la pureté de son image, en deux le Tokay Zind Humbrecht pour sa volupté, en trois La Tâche DRC pour son élégance et sa complexité et en quatre l’Hermitage blanc de Chave pour son assurance et sa sérénité. Mais le Bandol, le Puligny, le Chateauneuf et tous les autres eurent aussi beaucoup de charme.

l’Union des Grands crus de Bordeaux mercredi, 13 octobre 2004

En un autre endroit l’Union des Grands crus de Bordeaux présentait ses 2002. J’y allais plus pour voir des amis que pour goûter les vins. On voit parfaitement le clivage entre ceux qui boisent sans vergogne et ceux qui préservent romantiquement le terroir. L’année 2002 sera moins petite qu’on ne le dit. Tant de millésimes grandioses se succèdent que 2002 sera sans doute le 1993 de l’époque actuelle. Mais les voies des uns et des autres se sont tant séparées, modernisme contre terroir, qu’aucune généralité ne sera confirmée. Tout le monde se réjouit de 2004.

Repas de famille dimanche, 10 octobre 2004

Le lendemain, visite surprise de mes enfants. Je vais acheter des tranches de terrine de saumon, des tranches épaisses de filet de bœuf et des girolles. Avec un Mission Haut-Brion 1963, quel régal. On quitte la grande cuisine, mais ce plat simple est magnifiquement bon. Le Mission que j’ai depuis plus de vingt ans en cave a un niveau remarquable, inchangé. Un nez immédiatement expressif. En bouche c’est un vin qui va vers le porto, les fruits noirs brûlés. Il étonne par sa jeunesse et se révèle très au dessus de ce qu’on imagine de cette année. Un très grand vin.

La famille est très présente en ce moment, et un événement familial mérite un repas d’exception. Le choix des vins doit correspondre à la solennité de l’évènement. Sur deux jambons espagnols connus, l’un  relativement sec et l’autre plus gras et plus viandeux, j’ouvre le champagne Salon 1982. Cette année est magique, et chaque gorgée, chaque goutte de chaque gorgée le confirme. Champagne absolument éblouissant à la bulle exacte, et aux parfums floraux, de fleurs blanches et roses. La bouche danse avec ce champagne qui finit sur des tonalités de pèche et d’agrumes roses. Le jambon existe mais n’est pas forcément l’allié idéal de ce champagne beaucoup plus subtil que ces goûts primaires. Il se boit surtout seul, avec la passionnante découverte de sa complexité.

Un grand moment d’émotion est l’apparition du Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999. A l’ouverture le nez était extrêmement riche. En bouche une puissance affirmée. Essayé sur une escalope de foie gras aux haricots noirs, il préfère ne rien dire. Sur des dés de foie gras au potiron, il révise son texte. Mais sur des pommes de terre aux truffes noires et crème légère, il devient ce qu’il est, l’un des plus beaux vins blancs du monde. Bien sûr, on sent que quelques  années de plus vont élargir encore la palette de ses talents. Mais déjà, la convaincante démonstration imprime dans nos palais une trace indélébile.

Sur un agneau fondant traité avec de multiples épices suffisamment fondues et intégrées, le Pétrus 1974 se présente comme un Pétrus satisfaisant, discret et montrant sa complexité de façon plutôt confidentielle. Je possède la grille de lecture qui me permet de le situer assez honorablement dans la lignée des Pétrus, mais pour des palais moins habitués, le message est plus composé de hiéroglyphes que de textes actuels. Le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974 se présente assez amer, mais je connais cette approche. Le vin va s’épanouir. Et ce qui me fascine, m’envoûte, c’est que ce vibrant Pommard a capté toutes les épices du plat au point qu’en le buvant, on peut réciter toute la gamme des épices du plat. C’est fascinant et donne à ce Pommard un charme invraisemblable. Je dirais même en exagérant bien sûr que si on me faisait goûter à l’aveugle la sauce du plat et le Pommard, je ne saurais les distinguer.

Sur deux tartes aux pommes et aux abricots, le Château d’Yquem 1955 est une magistrale démonstration de la royauté d’Yquem. A l’ouverture, j’ai réveillé ou plutôt libéré une tornade de parfums. La couleur est d’un or pur. Le nez est envoûtant, et en bouche, c’est un Yquem concentré, très dense, un peu caramel. En analysant, j’ai été frappé par ses nuances de thé. Brillantissime Yquem.

Pour la joyeuse tablée, c’est le Montrachet et le Salon qui émergent dans un vote informel. Pour moi, à cause de cette osmose magique du plat et du vin, c’est le Pommard que le classe en premier, suivi du Salon et de la promesse époustouflante du Montrachet. J’avais voulu associer des vins que j’adore et honorer l’année 1974 qui était célébrée. Un repas dont on se souviendra.

galerie 1953 mardi, 28 septembre 2004

La couleur du vin à travers le verre est d'un rose subtil. Ce vin, Yquem 1953, a été bu en Mai 2006 en Californie lors de mon voyage (voir archives de Mai 2006).

Vin Jaune Chateau Chalon 1953 Nicolas.

 Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953

 Un Pétrus 1953 de mise belge dont tout m'indique que ce doit être bon.

 Chateau Laroze Saint Emilion 1953

 Chateau Pichon Longueville Baron 1953 (étiquette à comparer à celle de Petrus 1948)

Dîner de wine-dinners au restaurant Le Cinq jeudi, 23 septembre 2004

Dîner de wine-dinners du 23 septembre 2004 au restaurant Le Cinq
Bulletin 119

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Houdart de la Motte Brut
Champagne Salon « S » 1983
Anjou Caves Prunier 1928
Le Montrachet Domaine René Fleurot 1985
Château Ausone 1959
Château Gruaud Larose 1926
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988
Nuits Cailles Morin Père & Fils 1961
Nuits Cailles Morin Père & Fils 1915
Château d'Yquem 1942
Château Coutet Barsac 1919


Le menu conçu par Philippe Legendre avec Eric Beaumard
Gougère et aiguillettes de fromage
Huîtres chaudes au foie gras aux saveurs de noisettes
Potage Sarladais à la truffe noire du Périgord
Homard Breton en coque fumé et rôti au lard de Toscane
Terrine de cèpes de Sologne à la vinaigrette d'aubergine
Sarcelle des Marais de Vendée au jus gras,
Chou farci au lièvre de Beauce
Le Bleu et ses accompagnements
Mille-feuille au coing et au miel, crème au caramel

Dîner de wine-dinners au restaurant le Cinq jeudi, 23 septembre 2004

L’hôtel George V est une oasis de beauté. Ces fleurs exubérantes me ravissent l’âme. Sur une paroi, une tapisserie du 18ème siècle où le rouge abonde. Devant elle, des grappes d’hortensias aux divers tons de rouge qui reproduisent de façon exacte le grain de la tapisserie. Une évocation émouvante. L’hôtel est une ruche, grouillante de son succès, et l’anglais s’entend plus comme langue vernaculaire que le français. J’entre dans l’imposante salle de restaurant où la vaisselle a pris les couleurs d’automne. Un maître d’hôtel consciencieux place la vaisselle de notre table au millimètre près. J’aime cette recherche de perfection. Sébastien, sommelier complice de plusieurs aventures m’accompagne et m’assiste dans la cérémonie d’ouverture des bouteilles. Eric Beaumard vient vérifier l’Anjou 1928, car c’est certainement le vin qui peut s’écarter le plus du goût attendu. Le Gruaud Larose 1926 a une odeur de terre, quand son bouchon a une odeur saine. Pour Sébastien, c’est bon et sans problème. Je n’ai pas à cette heure cette décontraction là, soucieux comme à chaque fois que mes vins soient parfaits quand ils entrent en scène. Le Montrachet est plus puissant que ce que j’attendais, les bordeaux un peu discrets et le Coutet 1919 impérial. J’en informe Eric Beaumard pour que cela influence la puissance des sauces. Philippe Legendre vient voir si tout se passe bien.

Il a composé avec Eric Beaumard un menu d’un niveau assez exceptionnel : Gougère et aiguillettes de fromage, Huîtres chaudes au foie gras aux saveurs de noisettes, Potage Sarladais à la truffe noire du Périgord, Homard Breton en coque fumé et rôti au lard de Toscane, Terrine de cèpes de Sologne à la vinaigrette d'aubergine, Sarcelle des Marais de Vendée au jus gras, Chou farci au  lièvre de Beauce, Le Bleu et ses accompagnements, Mille-feuille au  coing et au miel, crème au  caramel.

Le Champagne Houdart de la Motte Brut est inconnu de tous alors qu’il y a à notre table le plus grand palais de la planète, qui a tout bu, connaît tout, et l’un des plus prestigieux vignerons de notre époque. Inconnu donc que j’avais choisi avec la volonté de faire un petit clin d’œil, comme j’aime en faire. La maison de champagne Salon s’appelle en fait Salon – Delamotte, le second nommé étant le petit frère du premier. Salon est mon chouchou. Il figurait au repas. L’occasion était belle de mettre un homonyme du petit frère, même s’il n’y a aucune parenté. Dans mon insouciance, je n’avais même pas remarqué que le champagne fût rosé. D’une couleur rare de rosé, d’un beau lilas. Pas celui de Fernand Raynaud, un beau lilas printanier comme celui qui existe dans certaines fleurs qu’utilise l’artiste floral de l’hôtel George V. Le nez est expressif. La bulle a disparu, ce qui pousse à regarder le bouchon : il indique un champagne qui a plus de trente ans. En bouche la vinosité est belle, et dans le verre le champagne ne va cesser de s’améliorer, avec ce goût très britannique et raffiné. Un grand champagne étonnant qui recueillera un vote de premier de la part de la plus fidèle convive de wine-dinners, vote courageux qui sera applaudi par toute la table.

Le Champagne Salon « S » 1983 me surprend un peu. Il est beau bien sûr, mais pas aussi flamboyant que ce que j’attendrais après le jeunet 1995 de la veille (bulletin 118). Mais l’huître chaude allait découvrir des saveurs du Salon que seul Eric Beaumard est capable d’aller dénicher pour les révéler : l’iode explosait en bouche et le Salon prenait une longueur extrême. Petite patte de génie, un pain sans sel se trempait dans une petite flaque d’huile pour donner un gras passager au Salon qui riait de cette caresse gustative.

L’Anjou Caves Prunier 1928 est un vin prodigieux. Très ambré, au nez relativement discret mais dense, l’Anjou délivre des goûts surprenants, inattendus, qui évoquent quasiment toutes les régions du monde. On y trouve bien sûr sa Loire d’origine, mais le Bordeaux, l’Alsace et pourquoi pas certaines contrées hongroises n’échappent pas à ce voyage imaginaire. Gras, chatoyant, combinant le doux et l’amer, ce vin a été prodigieusement propulsé par la sauce et des petites pointes de carottes du délicieux potage sarladais. Grand vin, résolument éloigné de ses saveurs d’origine, mais témoignage des évolutions que peut connaître un vin de belle race.

Le Montrachet Domaine René Fleurot 1985 (j’hésite à écrire Le Le Montrachet, car le titre du vin est « Le Montrachet » et non « Montrachet ») a un nez d’une puissance inouïe. Prodige de gastronomie, c’est le lard qui prend les gants pour faire un round de boxe contre lui. Si le homard s’amuse à faire de l’œil au Montrachet, c’est le lard qui lui fait sortir tout ce qu’il est capable d’exprimer. Une de ces joutes gustatives que j’adore. Grand Montrachet qui ne semble pas du tout de 1985 tant il est jeune. Sans doute l’une des plus belles expressions du grand blanc de qualité.

Que je respire quand je sens le Château Ausone 1959 ! J’ai en face de moi l’un de mes plus beaux Ausone, d’un état de conservation parfait. Quel grand vin ! C’est une bouteille comme celle-là qui explique que Ausone est grand. Il est ici beaucoup plus chaleureux que son expression habituelle. Ce sont les cèpes qui se marient prodigieusement avec ce grand bordeaux, comme avec le Château Gruaud Larose 1926 d’une surprenante beauté. Toute trace initiale de terre a disparu, le nez est beau, et en bouche on a une rondeur, une plénitude rare, avec ces évocations de bois, de sous-bois et de champignons qui justifiaient le plat. Un ami californien présent se pâma devant ce 1926 exceptionnel.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988 même s’il n’est pas encore totalement ouvert, ce qui lui arrivera bientôt, m’a largement plus souri qu’à mon convive, cet expert si renommé. Et comme la sarcelle était un pur bijou de grande précision, elle a poussé du col le Richebourg qui s’est mis à briller plus que jamais. La chair de la sarcelle commence par délivrer des goûts surprenants de poisson. On pense immédiatement à Raymond Devos qui nous expliquerait que la sarcelle était saure par un effet du sort. Et quand on croque son magret, on a un envoûtement de saveurs complexes. Et ce Richebourg adolescent vient agacer tout cela pour notre plus grand plaisir. Un moment de pur bonheur.

Lorsque arrivent mes chouchous, les deux Nuits, je paraphrase Carole Bouquet en disant : « vous avez le droit de tout dire, sauf de critiquer mes vins ». Le conseil était superflu, car ce furent deux merveilles. Le Nuits Cailles Morin Père & Fils 1961 m’a étonné par son accomplissement, car même s’il est justifié qu’un 1961 soit bon, on est allé bien au-delà de mon attente. J’ai eu l’espace d’un instant une fulgurance de goût rare qui m’a entraîné à le mettre en numéro un de mon vote, seul vote recueilli par ce vin. L’instant fut magique. Et le Nuits Cailles Morin Père & Fils 1915 est un prodige, d’une année merveilleuse, montrant à quel point le bourgogne de qualité vieillit bien. Le chou farci éclectique à souhait s’amusait à mettre en valeur les deux Nuits avec un régal de jouissance. On était dans des saveurs ludiques et sensuelles. Un bonheur de vin rouge. Que le lièvre va bien aux vins de la Côte de Nuits !

Le Château d'Yquem 1942 avait une couleur tirant vers le marron, et un nez absolument caractéristique de Yquem, mais plutôt plus discret que d’habitude, et à cent coudées en dessous du nez du Coutet. En bouche, le Yquem est diablement charmeur. L’expression que j’utilise est de dire qu’il est sec, ce que reprit assez nettement mon ami expert qui ne trouve pas le mot approprié. En fait, c’est un Yquem où le doucereux, le sucré sont beaucoup plus contenus. Et j’adore. Le choix du fromage lui allait bien. Un Yquem un peu moins bon que le même bu au château. Mais diablement bon quand même.

Le Château Coutet Barsac 1919 est époustouflant de plénitude. C’est le sauternes épanoui dans toute sa définition. La couleur est dorée et joyeuse, et en bouche c’est un grand bonheur avec cette longueur inimitable des grands sauternes. Le dessert – délicieux – ne lui allait pas du tout. C’était flagrant comme il le rétrécissait. Ce n’est pas grave car Coutet se suffit tellement qu’on en profite de toutes façons.

J’ai fait voter et je crois n’avoir jamais été autant embarrassé avant de voter, car mille votes fussent possibles, tous justifiés. Tous les votes de la table furent différents, tous extrêmement logiques et tous les vins furent l’objet d’au moins un vote. Huit vins sur onze ont eu droit à un vote de numéro un, ce qui est le record absolu. C’est presque inimaginable. Les vins les plus cités furent surtout le Nuits Cailles 1915, le Yquem 1942 et le Ausone 1959 suivis du Montrachet. C’est sans doute ce vote qu’il faudrait retenir dans les archives : Nuits 1915, Yquem 1942, Ausone 1959 et Montrachet 1985 parce que mon vote instantané aurait pu être différent à simplement cinq minutes de distance. Mon vote fut : en un Nuits Cailles 1961, en deux Coutet 1919, en trois Nuits Cailles 1915 et en quatre Ausone 1959. A la réflexion, ce vote me plait.

La cuisine de Philippe Legendre, appuyée sur le savoir encyclopédique d’Eric Beaumard a atteint ce soir des sommets rares. Chaque plat avait capté une caractéristique majeure de son ou ses vins de compagnie. Difficile de retenir un accord gagnant, tant le potage révélait l’Anjou, le lard luttait si bien avec le Montrachet, le cèpe magnifiait le Gruaud Larose 26 et la sarcelle propulsait le Richebourg. Quand au lièvre, quel bonheur sur le Nuits Cailles 1915 ! Tout étant parfait, ce serait difficile de désigner un vainqueur. La prime de la rareté ira à la sarcelle qui a si bien coaché le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti. La table un peu longue rend difficiles les échanges d’un bout à l’autre de la table. Nous fumes polyglottes avec les deux californiens et franco-français avec des habitués de nos dîners et aussi deux novices. L’ambiance fut enjouée et émerveillée, tant Philippe Legendre déploya son talent au service de grand vins témoignages de l’histoire de nos beaux terroirs. Une fois de plus une soirée inoubliable.

dîner de wine-dinners au restaurant de l’hotel Meurice mardi, 21 septembre 2004

Dinner held by restaurant « Le Meurice » on September 21, 2004
Bulletin 118
For the friends of Bipin Desai


The wines offered by the generous friends :
Didier Depond : magnum de Laurent Perrier rosé 1959
Bipin Desai : Meursault Perrières Comtes Lafon 1995
Aubert de Villaine (who could not come) : Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1979
François Audouze : Canon Lagaffelière 1955
François Audouze : Gevrey Chambertin Thomas Bassot 1961
Jacques Glénat : Hermitage La Chapelle de Jaboulet 1990
Jean Pierre Perrin : magnum de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1990
Eric Platel : Suduiraut 1962

j'ai oublié de noter le menu !!!

Déjeuner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Meurice mardi, 21 septembre 2004

Chaque année au mois de septembre les amis d’un des plus grands amateurs mondiaux de vins rares se réunissent à Paris. L’occurrence des vendanges a rétréci la taille du groupe, nous privant de quelques indispensables amis. J’étais chargé de l’organisation pratique de cette rencontre, et Yannick Alléno répondit avec joie à ma demande de créer un événement. Les convives sont à l’heure dans cette salle merveilleuse  du Meurice qui incite à prendre le temps de jouir du moment présent. La brigade est toute motivée à nous faire vivre un moment unique. Le magnum de Laurent Perrier rosé 1959 est un monument imposant. Dégorgé la semaine avant son arrivée sur notre table le champagne a une couleur d’une invraisemblable beauté. L’or, le rubis, l’orange se mélangent pour donner une couleur de pèche, intense, profonde. Le nez est plutôt discret. La bulle est extrêmement fine, rapide, vivace et discrète en bouche. Et le goût est intense, profond, avec une délicieuse petite acidité finale. La brioche tiède se dévore goulûment, et sur une petite soupe à l’artichaut et au crabe, le rosé révèle d’autres aspects. Je suis toujours fasciné quand les entrées en matière réveillent les champagnes en des registres aussi variés. Un immense champagne et une rareté œnologique extrême. Aucun des convives n’en avait bu.

Le saint-pierre magistralement exécuté avec des saveurs subtilement évocatrices était accompagné de bien belle façon par deux vins dissemblables extraordinaires. Nous discutions des vins du Monde, mais je ne vois pas comment ailleurs qu’en France des nez aussi complexes pourraient se trouver. Le Meursault Perrières Comtes Lafon 1995 a des odeurs de beurre mais aussi de pierre. C’est un nez prodigieusement complexe. Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1979 se présente au contraire avec un nez plus direct. Il annonce tout de suite sa perfection et affiche les promesses de redoutables variations sur des thèmes orientaux. Je m’attarde longtemps sur les nez seuls, car ces grands blancs sont des monuments. Le Meursault en bouche évoque des fleurs blanches, des goûts iodés. C’est d’une belle discrétion, d’une complexité de bon aloi, et d’une longueur rare. Mais le Montrachet le laisse peu parler. Il impose son intensité. Il a une profondeur extrême et représente une synthèse non agressive des qualités du Montrachet. Les saveurs orientales d’épices et de viandes boucanées, les sous-bois fertiles en champignons et le rayonnement flamboyant du beau sourire de la Bourgogne. Un vin magistral de perfection qui explique pourquoi le Domaine de la Romanée Conti est grand.

Un foie gras traité de façon printanière, avec des explorations de saveurs nouvelles accompagne un Canon Lagaffelière 1955 au nez fatigué mais dont le goût est l’exacte traduction des complexités du plat. Alors que 1955 est une grande année, ce représentant n’a pas la santé qu’il pourrait avoir, mais il décoche quelques belles saveurs. Son compagnon est un Gevrey Chambertin Thomas Bassot 1961 au nez pénétrant et fortement expressif. Beaucoup plus animé, il montre une subtilité discrète fort plaisante. Sur le plat aux épices exactes on se plait à constater comme en cette circonstance la frontière entre Bordeaux et Bourgogne peut être extrêmement ténue.

Le pigeon d’une cuisson parfaite accueille deux stars. L’Hermitage La Chapelle de Jaboulet 1990 et un magnum de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1990. L’Hermitage est manifestement un grand vin, bien accompli et fort justement apprécié par les experts. Mais quand il y a ce Beaucastel 1990 que je retrouve avec tant de plaisir ; c’est impossible de le quitter un seul instant. Il a un pouvoir de fascination tétanisant. Il a tout. Le nez est profond, dense, envahissant. En bouche il décrit une synthèse magique entre des composantes de bois lourds, de fruits noirs, de chaleur alcoolique, le tout parfaitement intégré avec une perfection de structure. Ne me demandez pas d’être objectif, c’est du beau vin sincère et complètement de jouissance pure. Un pigeon aussi goûteux, un Hermitage de grande classe et un Chateauneuf de la plus belle perversité sensuelle, voilà bien un sommet de plaisir gustatif. Et la poire qui suivait, traitée en subtilité allait accompagner agréablement un Suduiraut 1962 particulièrement réussi, d’une plénitude en fanfare. Du grand et beau sauternes. De délicates tuiles aériennes bissaient pour que revienne le champagne rosé qui ponctua un repas d’amis où tout portait à la bonne humeur, aux échanges passionnés et aux promesses d’expériences nouvelles.

Yannick Alléno par son enthousiasme et Dominique Laporte, sommelier attentif, nous ont permis de vivre un de ces moments qui justifient le travail des vignerons d’exception. C’est comme cela qu’on doit boire leurs vins.