Aubert de Villaine présente les 2009 du domaine de la Romanée Conti mardi, 11 décembre 2012

Chaque année, Aubert de Villaine vient présenter au siège de la société "Grains Nobles" les vins du domaine de la Romanée Conti du millésime qui a trois ans. Dans l'étroite cave voûtée probablement aussi vieille que la parcelle de la Romanée Conti, ou peu s'en faut, les habitués sont nombreux à venir célébrer le vin le plus emblématique du monde. Ils vont écouter religieusement Aubert de Villaine qui parle tout doucement, et Michel Bettane qui ajoute des anecdotes colorées sur les vins, pendant que Bernard Burtschy prend des notes sur son ordinateur.


Aubert de Villaine parle du film de l'année 2009 et dit qu'en août 2009 on savait déjà que l'année serait bonne, même si le début d'année fut assez difficile. Août fut chaud, marqué fort classiquement par l'orage du 15 août. Le beau temps a duré jusqu'en octobre. Les vendanges ont été faites du 10 au 18 septembre. Les raisins fins étaient très fins.


Pendant qu'Aubert continue ses considérations sur ce grand millésime, on nous sert un Pernand-Vergelesses 1er cru Ile de Vergelesses Chandon de Briailles 2007 dont Pascal Marquet, le directeur de Grains Nobles, nous dit à titre de boutade qu'il sert à aviner nos verres. Je dirais plutôt qu'il sert à préparer nos palais. Le vin a un nez pur assez linéaire. La bouche est agréable, accueillante, au final bien frais. Ce n'est pas un vin long et complexe. C'est plus un vin de repas de copains, vin carré sans grande originalité. Il est bien fait et plutôt gourmand.


Une fois le décor planté, nous commençons par le Corton Grand Cru Prince Florent de Mérode 2009 dont le domaine de la Romanée Conti est le fermier depuis novembre 2008, suite à plusieurs décès successifs dans la famille du prince. Il y a trois climats en Corton dans ce domaine : le Clos du Roi, les Bressandes et les Renardes. Mais Aubert n'a pas voulu faire les trois et a préféré se concentrer pour la première année sur les plus vieilles vignes. La couleur du vin est assez foncée. Le nez est profond et charmant. Le contraste est vif avec le vin précédent car ce vin est profond, riche, poivré, conquérant. Le final est strict et pur. C'est un vin soldat qui deviendra un vin de plaisir. La sensation est végétale. Aubert de Villaine dit qu'il y a peut-être un peu trop de fût neuf. Le rendement de ce vin est en 2009 de 24 ou 25 hecto/ha. Aubert de Villaine indique qu'en 2012, le rendement est de seulement 11 hecto/ha. Il ajoute : "ce vin regarde vers la terre et ne regarde pas vers le ciel". Il a un grand potentiel de vieillissement. Il est sauvage, gibier.


L'Echézeaux domaine de la Romanée Conti 2009 a une jolie robe rouge, plus foncée que celle du Corton. Le nez est caractéristique du domaine, profond, pénétrant. Voilà, tout le charme du domaine est là. Soyeux, délicat, subtil, ce vin a en finale une jolie râpe. Il a une forte trace en bouche. C'est un beau vin, que j'aime toujours, car c'est lui qui ouvre la porte des saveurs du domaine. Il les pianote avec douceur. Il y a un peu de feuille de cassis dans le final. Ce vin a une belle râpe et un beau végétal. J'aime sa délicatesse.


Le Grands-Echézeaux domaine de la Romanée Conti 2009 est un peu plus foncé. Le nez est très semblable au précédent, mais on sent une structure plus pleine. Le vin est plus volontaire, aussi on perd un peu l'impression de subtilité de l'Echézeaux. Le vin est plus riche, mais à ce stade de sa vie, je préfère le précédent. Le Grands-Echézeaux est un vin de plaisir, généreux, souriant. Mais plus que l'Echézeaux, il aura besoin de temps. Il a une grande rémanence gustative. Il sera très grand.


La Romanée Saint-Vivant domaine de la Romanée Conti 2009 est aussi un peu plus foncée. Le nez est très végétal avec un peu de pierre à fusil. L'attaque est fluide, douce, charmeuse. Tout est en finesse. Il a la grâce de l'Echézeaux, avec une finesse et une noblesse en plus. Féminin, il a la grâce, mais aussi la matière. Fraîcheur, équilibre, nez intense, ce vin montre tout le potentiel de subtilité de la Romanée Conti. Il est tellement gourmand que je bois vite mon verre, sans en garder pour des comparaisons ultérieures.


Le Richebourg domaine de la Romanée Conti 2009 est un vin plutôt foncé. Le nez est profond, fonceur. Il est un peu réduit, faisant penser en traces au caramel. La bouche est fruitée, gourmande. C'est un guerrier après la Romanée Saint-Vivant. Il est plus conquérant mais n'est pas encore bien assemblé. Il faut vraiment attendre alors que les vins jouant plus sur la subtilité sont plus faciles à boire aujourd'hui. Ce sera une bombe dans quinze ans. Le nez est de feuille de cassis, et la râpe va vers l'amertume. Il a un grand potentiel de richesse et de grandeur, à attendre patiemment.


La Tâche domaine de la Romanée Conti 2009 est d'un rouge à peine moins soutenu. Le nez est très profond, marqué par la jeunesse au point que l'on a une impression de soufre. En bouche, il est voluptueux, riche. Aubert de Villaine dit : "sans violence". Il a une matière et une structure très fortes. Les tannins sont riches. La fraîcheur est un peu mentholée. Le final est plein de grâce et contraste avec l'attaque forte. Ce qui me frappe, au-delà de la gourmandise, c'est la fraîcheur finale. Il faut attendre. Il est moins glorieux et épanoui que celui que j'ai bu lors de la paulée de l'Académie du Vin de France. C'est un très grand vin.


La Romanée Conti domaine de la Romanée Conti 2009 est d'un rouge assez clair. Le nez est d'un raffinement extrême mais pas très expansif. L'attaque, c'est du velours. Ensuite, en milieu de bouche, c'est un combat de saveurs. Et ce qui frappe, c'est la complexité, la profondeur et la conviction. Le vin raconte, et interpelle tous azimuts. C'est un vin d'une pénétration extrême. On est dans le fruit, et la rose et le sel ne sont pas là. Ils apparaîtront plus tard. Ce vin trompette. Il est tellement complexe qu'il est là où on ne l'attend pas. Il joue avec le dégustateur. Si La Tâche n'est pas encore assemblée, la Romanée Conti est divine. Ce vin est une leçon, tout en subtilité. Il prendra d'autres caractéristiques dans dix ans. C'est un rêve.


Le Montrachet domaine de la Romanée Conti 2009 est d'un jaune déjà un peu doré. Le nez est intense, d'un vin plus âgé. Il est opulent et lacté. En bouche, c'est un coup de massue tellement il est grand, fort, équilibré, riche et rare. Aubert de Villaine dit qu'il est plus minéral que d'habitude. Il est très grand, profond, encore jeune. Je ressens des pâtes de fruits, de la figue et du café, avec des arômes faciles à lire. C'est un vin d'une richesse rare, trop jeune encore. C'est un vin magnifique qu'il faudra attendre.


On sent, après ce voyage incroyable que l'on est face à une très grande année qu'il faudra savoir attendre. Mon classement en fonction de ce que j'ai bu ce soir, qui ne se reproduirait jamais de la même façon, est : 1 - Romanée Conti, 2 - Montrachet, 3 - Romanée Saint-Vivant. Plusieurs de ces vins pourraient devenir légendaires.


dîner de vignerons – les vins dimanche, 9 décembre 2012

Champagne Delamotte magnum 2002



Champagne Delamotte magnum 1970



Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1988



Musigny blanc Comte de Vogüé 1992



Clos de Tart Mommessin 1978



La Romanée Comte Liger-Belair 1970



La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971



Champagne Dom Pérignon Rosé Oenothèque magnum 1982



Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 1983



Musigny Vieilles Vignes rouge Comte de Vogüé 1991



Le Corton Bouchard Père & Fils 1985



Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990



Château Climens 1937



Bastardino Setubal Fonseca 1912



Château Caillou Haut-Barsac 1934



Champagne Salon 1996


12ème dîner annuel de vignerons amis de Bipin Desai au restaurant Laurent samedi, 8 décembre 2012

Le dîner annuel des vignerons amis de Bipin Desai se tient au restaurant Laurent. C'est le douzième que j'organise depuis 2001 et comme le format est celui de mes dîners, il sera comptabilisé comme 165ème dîner de wine-dinners. Ces douze dîners n'auraient pas existé sans Bipin Desai, grand amateur de vins et organisateur de dîners de prestige.


Les amis qui répondent à mon invitation sont : Didier Depond, Caroline Frey, Richard Geoffroy, Thomas Henriot, Louis Michel Liger-Belair, Bérénice Lurton, Jean-Charles de la Morinière, Jean-Luc Pépin, Sylvain Pitiot, Eric Rousseau, Aubert de Villaine. Hélas, la forte neige qui s'est abattue sur une partie de la France nous privera de la présence de Thomas Henriot et un contretemps de celle de Richard Geoffroy.


A 17 heures, j'ouvre les vins. J'aurais pu me reposer sur l'efficace équipe des sommeliers du restaurant Laurent, mais comme un médecin accoucheur, j'aime voir comment se passe la naissance de tous ces vins. J'ouvre donc toutes les bouteilles. La seule qui m'interpelle est celle du Chambertin 1983 que je trouve camphrée ou chimique. Il est probable que la mauvaise odeur disparaîtra, mais elle semble tenace.


Beaucoup de bouteilles ont été reconditionnées aux différents domaines. La Tâche 1971 l'a été en 1996, la Romanée 1970 l'a été en 1999, le Corton 1985 l'a été en 2003, l'Hermitage 1990 l'a été en 2008 et le Climens 1937 l'a été il y a peu de temps.


J'avais prévu de mettre en intermède au milieu des six vins rouges de Bourgogne le magnum de Dom Pérignon de Richard Geoffroy. Comme il ne viendra pas, nous convenons avec Patrick Lair de ne pas l'ouvrir. Le Clos de Tart 1978 le remplacera sur le risotto.


Les amis sont tous à l'heure et nous commençons l'apéritif d'un friture d'éperlans avec le Champagne Delamotte magnum 2002. Ce champagne est un joli blanc de blancs qui fait plaisir à boire mais nécessitera quelques années avant d'avoir la personnalité affirmée du Champagne Delamotte magnum 1970 de grande expression qui nous est servi à table avec la friture qu'accompagne une sauce crémée goûteuse. Le champagne a un nez extraordinaire de présence. En bouche, il est pénétrant, adjectif que j'utiliserai souvent tout au long du repas. Ce champagne d'une très grande personnalité est plus qu'une heureuse surprise, c'est un grand champagne.


Le menu créé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est : coquilles Saint-Jacques marinées et champignons de couche / Pigeon à peine fumé, pommes soufflées « Laurent » / Risotto à la truffe blanche d’Alba / Rognon de veau de lait grilloté, poêlée de champignons sauvages / Pâtes farcies, sauce d’un lièvre à la Royale / Gaufrette aux poires et au poivre de Séchuan, crème de châtaignes / Palmiers.


Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1988 est d'une extrême élégance et d'une grande sensibilité. Le sucré de la coquille Saint-Jacques répond parfaitement à sa délicatesse, alors que le Musigny blanc Comte de Vogüé 1992, tout en puissance et en pénétration se marie beaucoup moins bien avec le plat, sauf peut-être avec les fines lamelles de champignons. Nous avons là deux expressions très différentes du blanc de Bourgogne, l'une dans l'élégance et le charme, et l'autre dans l'affirmation et la conviction. Le Musigny est d'une année éblouissante en blanc, ce que l'on constate sur ce vin qui appellerait un plat plus fort pour s'y confronter.


Le pigeon est tout en douceur et subtilité. On pourrait presque se demander si le Corton Charlemagne ne lui eût pas convenu. Mais il a une belle brochette de vins à affronter. Bipin Desai est agacé du fait que l'ordre des vins qui lui sont servis n'est pas celui du menu. Il ne comprend pas et veut qu'on lui explique. En fait, comme j'ai fait déplacer le Clos de Tart pour accompagner le risotto, les vins servis ne sont pas dans l'ordre. C'est alors, qu'un quarteron de vignerons loin d'être en retraite, par un coup d'Etat imparable, m'ont contraint à faire ouvrir le Dom Pérignon, au prétexte fallacieux que Richard Geoffroy ne serait pas content qu'il ne fût pas bu. C'est donc à l'insu de mon plein gré que le Clos de Tart Mommessin 1978 a retrouvé sa place dans le déroulement du repas.


La Romanée Comte Liger-Belair 1970 est le plus doux des trois vins qui sont servis, d'un grand raffinement mais un peu moins long que les deux autres. Il est nettement plus agréable que celui que j'avais bu avec Louis-Michel dans l'impressionnante verticale de Romanée Liger-Belair faite en Autriche il y a six mois. Le vin convient bien au pigeon dont les pommes soufflées sont une bénédiction.


La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971 est impressionnante. Son nez est d'une grande émotion et son parcours en bouche est infini. Quelle rémanence gustative ! Ce vin est un modèle de raffinement. Et il a tout de l'âme du domaine de la Romanée Conti que j'avais pu trouver à l'aveugle il y a peu de semaines sur le même vin. Celui de ce jour a une plus grande tension que le précédent.


Le Clos de Tart Mommessin 1978 dont j'ai découvert que la capsule avait été découpée avant que je ne la reçoive, a un parfum extrêmement riche de complexité. En bouche il est long, et finit sur une râpe très bourguignonne que j'apprécie énormément. La Tâche a aussi cette belle râpe, mais moins intense que le Clos de Tart que je trouve le plus approprié au plat, car La Tâche est un tel cadeau qu'on pourrait la boire seule. Ces trois vins ont beaucoup de points communs et je suis content de les avoir regroupés.


Le Champagne Dom Pérignon Rosé Œnothèque magnum 1982 est arrivé dans ma cave dans une magnifique boite laquée de noir et dotée d'une étiquette métallique indiquant : "Rosé Vintage 1982 / Chef de cave's Private Cellar". Sur l'étiquette flashy de rose mauve figure sous le nom du champagne : "Altum Villare". C'est la première fois que je vois Hautvillers nommé ainsi. Après ces considérations sur l'enveloppe, voyons un peu le contenu. Le rose est d'une intensité rare et d'une jeunesse surprenante. Le parfum est intense. Le vin est pénétrant et l'accord qui se forme avec le risotto est d'une extrême sensualité. L'accord est l'un des deux plus brillants de ce repas.


Bien sûr, ce champagne ne laisse pas indifférent. C'est tout à l'honneur de la prestigieuse maison de champagne d'avoir imposé des codes de luxe et de luxure qui conditionnent l'émotion que l'on ressent. On est bien, mais force est de constater que le message est assez linéaire, même si la longueur est là. Cette impression s'est corrigée le lendemain, quand, buvant le fond de la bouteilles avec peu de bulles, j'ai pu constater la noblesse du vin de base de ce grand champagne, devenu plus ambré que rose.


Merci les vignerons rebelles qui m'ont imposé ce rapt du Dom Pérignon.


Le Corton Bouchard Père & Fils 1985 est le plus compact et le plus simple des trois bourgognes qui accompagnent le rognon de veau. Je suis sûr qu'il eût été meilleur si Thomas avait été présent.


Avec Eric Rousseau, nous constatons que l'attaque du Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 1983 n'est pas totalement pure, même si l'on est proche de ce qu'on peut attendre. Et c'est le plat fort goûteux qui répare toutes les blessures, d'autant qu'elles sont légères. C'est un beau chambertin joyeux de vivre, mais ce n'est pas le plus grand que j'aie bu de cette emblématique domaine.


Le Musigny Vieilles Vignes rouge Comte de Vogüé 1991 est aussi pénétrant en rouge qu'il peut l'être en blanc. Il faut dire que l'année 1991 est superbe en ce moment. Ce vin puissant, tranchant, est un bon exemple du bourgogne conquérant. Il est à l'aise avec la plat qu'il est le seul à dompter, les deux autres vins jouant plus à l'apprivoiser.


J'ai beaucoup bavardé avec ma voisine Caroline Frey des mérites des différents millésimes de l'Hermitage La Chapelle. Et il nous est facile de tomber d'accord sur le fait que l'Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990 fait partie des très grandes années de ce vin. Le vin est carré, cohérent, lisible, et l'apparente facilité de lecture n'exclut pas la complexité bien intégrée. La longueur est très belle, finissant en coup de fouet et l'accord avec les pâtes farcies, mais surtout avec la sauce d’un lièvre à la Royale est un accord de pure gourmandise. C'est un très joli vin. Et l'accord fait partie des deux plus beaux.


Le Château Climens 1937 est d'une robe presque noire. C'est le plus foncé des 1937 que j'ai rencontrés. Son parfum est d'une séduction extrême mais surtout d'une pureté sans égale. Et ce qui est intéressant avec les sauternes de ce calibre, c'est qu'on ne peut pas se poser la question : "pourrait-il être meilleur ?". Il est parfait profond, long en bouche , distillant un plaisir infini.


Le repas se finit sur le vin que j'ai apporté, un Bastardino Setubal Fonseca 1912. J'explique la raison de cet apport. Deux jours après ce dîner, ma mère, si elle était toujours vivante aurait eu juste cent ans. N'ayant pas de repas familial prévu pour cet anniversaire, j'ai pensé, que boire ce vin de cent ans avec des vignerons que j'apprécie et dont certains sont des amis, serait rendre à ma mère un bel hommage. Mes amis y ont été sensibles et surtout les deux jeunes femmes présentes, mères elles aussi.


Je suis content de constater que tout le monde plébiscite ce vin extraordinaire. A l'ouverture, en le sentant, je savais qu'il serait grand. Il est plus grand encore que mon attente. Le nez est pénétrant, de pruneaux et de douceurs. En bouche, c'est beaucoup plus qu'un porto. Car il y a un fort café et même du goudron. Il a la force d'un Pedro Ximenez et la douceur d'un porto. Bipin Desai m'en complimente, ce qui n'est pas rien. Ce vin est d'un intense plaisir, quasi infini.


L'usage dans ces dîners est de ne pas voter, puisque les vignerons sont présents. Pour mémoire, je noterai mes quatre préférés, qui correspondent à mon goût : 1 - Bastardino Setubal Fonseca 1912, 2 - Château Climens 1937, 3 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971 et en 4 ex aequo : Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1988 et Champagne Delamotte magnum 1970. Ce n'est pas un jugement qualitatif mais un jugement de goût.


L'ambiance de ce repas a été d'une convivialité extrême, et d'une grande amitié. Chacun était heureux d'être là. Bipin a essayé d'imposer que chacun présente et commente son vin. Les premiers s'en sont acquittés avec grâce, mais les conversations spontanées ont progressivement pris le dessus.


Lors de tels repas, on ne veut pas se quitter. J'avais apporté dans ma musette Un Château Caillou Haut-Barsac 1934 qui, lors de mes rangements, avait attiré mon attention par son niveau bas qui n'avait pas altéré sa belle couleur. Je propose de l'ouvrir avec ceux qui restent, dans le salon de l'entrée du restaurant. Il aurait fallu filmer la grimace de Bérénice Lurton lorsqu'elle a approché le verre de son nez ! Il est évident que si ce vin avait été ouvert en même temps que les autres, cette odeur aurait disparu depuis longtemps. Or elle est là et se dissipe d'ailleurs assez vite. Ce Barsac doré, infiniment plus clair que le Climens ne pouvait pas nous passionner longtemps, aussi Didier Depond fait ouvrir un Champagne Salon 1996, d'autant plus magnifique qu'il fait suite au sauternes, qui signe de façon remarquable par sa belle maturité et son opulence un moment d'intense amitié.


Nous avons lancé des pistes pour fêter de belle façon les 40 ans de l'un et les 50 ans d'un autre. L'envie est évidente de se revoir pour partager des moments d'une aussi grande intensité.





le bouchon de La Tâche est couvert par une petite cire. Sa qualité est superbe





le bouchon de l'Hermitage a eu un curieux parcours







Aubert de Villaine avec Bipin Desai et Bérénice Lurton



la table en fin de soirée


12TH EDITION OF BIPIN DESAI’S WINEMAKER FRIENDS DINNER AT THE RESTAURANT LAURENT samedi, 8 décembre 2012

The annual dinner of Bipin Desai’s winemaker friends dinner takes place at the restaurant Laurent. This is the twelfth edition of an event that I have been organising since 2001 and, since the format is the same as that of my dinners, it will be counted as the 165th edition of my wine-dinners. These twelve events would not have existed without Bipin Desai, a great wine aficionado and an organiser of prestigious dinners.

The friends answering my call are: Didier Depond, Caroline Frey, Richard Geoffroy, Thomas Henriot, Louis Michel Liger-Belair, Bérénice Lurton, Jean-Charles de la Morinière, Jean-Luc Pépin, Sylvain Pitiot, Eric Rousseau and Aubert de Villaine. Unfortunately, the heavy snow falling over a good part of France will prevent us from enjoying the company of Thomas Henriot and, unexpectedly, Richard Geoffroy will not join us either.

At 5pm, I proceed to the opening of the wines. I could just have let the restaurant’s very efficient team of sommeliers do their job but, like a physician delivering a baby, I like to see how all those wines are brought to life. I therefore open all the bottles. The only one that I am slightly concerned about is the 1983 Chambertin, which smells camphorated or chemical. It is likely that this will disappear, but it seems quite persistent.

Many wines have been rebottled and/or recorked at the various domaines. The 1971 La Tâche followed this process in 1996, as did the 1970 Romanée in 1999, the 1985 Corton in 2003, the 1990 Hermitage in 2008. The 1937 Climens also recently went through this process.

I had scheduled, as an interlude in the middle of this concert of six Burgundy red wines, to serve Richard Geoffroy’s magnum of Dom Pérignon. Since he eventually does not take part in this dinner, we agree with Patrick Lair that we will not open it. It will be replaced by the 1978 Clos de Tart which will be paired with the risotto.

Our friends are all on time and we start the apéritif with deep-fried sprats and the 2002 magnum of Champagne Delamotte. This is a beautiful, pleasant to drink blanc de blancs, but will need a couple more years to obtain the strong personality of the 1970 magnum of Champagne Delamotte which is served at the table with the sprats and a very tasty creamy sauce. This second champagne has an extraordinarily assertive nose. In the mouth, it is quite penetrating, and I will use this adjective quite a lot during this dinner. This champagne with a great personality is more than a good surprise; it really is a great champagne.

The menu created by Alain Pégouret and Philippe Bourguignon is as follows: marinated scallops and layers of mushrooms / Lightly smoked pigeon, pommes soufflées Laurent-style / Risotto with white truffle from Alba / Lightly grilled veal kidneys, sautéed wild mushrooms / Stuffed pasta, sauce from a Hare à la royale / Delicate wafers with pears and Sichuan pepper, chestnut cream / Palmier cookies.

The 1988 Corton Charlemagne Bonneau du Martray is extremely elegant and highly delicate. The sweetness of the scallop is paired perfectly with its delicacy, whereas the 1992 Musigny blanc Comte de Vogüé, which is all power and penetration, does not pair so well with the dish, except maybe with the thin slices of mushrooms. These are two very different expressions of Burgundy whites, one being all about elegance and charm, the other being about assertiveness and conviction. The Musigny comes from a fantastic vintage for whites, which is easily confirmed by this wine which calls for a match with stronger dish.

The pigeon is all softness and subtlety. Once can wonder if the Corton Charlemagne could actually have been a good pairing here. But there is a beautiful range of wines to try out. Bipin Desai is annoyed by the fact that the order in which the wines are served to him does not correspond to the order established for the menu. He doesn’t understand why, and wants explanations. Actually, since I moved the Clos de Tart to be paired with the risotto, the wines are not served in the correct order. And then suddenly, a handful of the winemakers, far from staying in the background, attempt a coup d’état and force me to open the Dom Perignon, on the fallacious pretext that Richard Geoffroy would not be happy if it ended up not being served. And just like that, the 1978 Clos de Tart Mommessin is magically back to its original spot in the wine list schedule.

The 1970 Romanée Comte Liger-Belair is the most delicate of the three wines that are served, of great refinement but slightly shorter in the mouth than the other two. It is much more pleasant that the one I drank with Louis-Michel during the impressive vertical flight of 41 vintages of Romanée Liger-Belair that took place in Austria six months ago. The wine pairs well with the pigeon and its divine pommes soufflées.

The 1971 La Tâche Domaine de la Romanée Conti is impressive. It has a profoundly moving nose, and the way it runs its course in your mouth makes you wonder when it will stop. What persistence! It is refinement incarnate. It is the expression of the soul of the Domaine de la Romanée Conti, which I was able to identify during a blind tasting of the same wine a couple of weeks ago. Today’s wine has even more tension than the previous one.

The 1978 Clos de Tart Mommessin, for which I had discovered that the cap had been cut off before I received the bottle, is extremely rich in complex aromas. In the mouth, it is long, and finishes on this typical Burgundy roughness which I like a lot. The La Tâche also has this beautiful roughness, but less intensely so, and I find the Clos de Tart’s more appropriate to the dish, because the La Tâche is such a gift that it could be drunk by itself. These three wines have a lot in common and I am glad that I grouped them together.

The 1982 Champagne Dom Pérignon Rosé Œnothèque magnum arrived in my cellar in a splendid black-laquered box, with a metallic label that reads: « Rosé Vintage 1982 / Chef de cave’s Private Cellar ». Under a flashy, purple-pink label, one can read under the name of the champagne, « Altum Villare ». It is the first time that I have seen Hautvillers spelt this way. After these musings about the packaging, let’s tackle what is inside: the pink colour is unusually intense and surprisingly young. The aromas are intense. It is a penetrating wine, and the pairing with the risotto is extremely sensual. It is one of the two most brilliant pairings of the dinner.

Of course, this champagne cannot leave one indifferent. It is to this prestigious champagne house’s credit to have imposed codes luxury and lust which affect the emotion that one experiences. It is indeed pleasant, but one cannot but notice that the message is quite linear, even if the length is there. This impression is modified the next day, when I drink what is left in the bottle; the bubbles have dissipated, and I can taste the nobility of the base wine of this great champagne, which has become more amber-coloured than pink.

I would like to thank the group of rebellious winemakers who forced me to steal the Dom Pérignon.

The 1985 Corton Bouchard Père & Fils is the most compact and the simplest of the three Burgundy wines that are paired with the veal kidney. I am pretty sure that it would have been better if Thomas had been able to join us.

With Éric Rousseau, we observe that the attack on the palate of the 1983 Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau is not completely frank, even if it is quite close to what could have been expected from this wine. And this wine’s wounds are healed by the extremely tasty dish with which it is paired, all the more so since these wounds are, in the end, superficial. It is a beautiful Chambertin, full of life, but it is not the greatest that I have had from that archetypal domaine.

The 1991 Musigny Vieilles Vignes rouge Comte de Vogüé is as penetrating in its red version as it can be in white. The 1991 vintage is indeed superb at the moment. This powerful, sharp wine is a good example of a triumphant Burgundy. It pairs easily with the dish that it is the only one to tame, while the two other wines are simply trying to domesticate it.

I have long discussions with Caroline Frey, who sits next to me at the table; we exchange views on the various vintages of the Hermitage La Chapelle. And we easily agree that the 1990 Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné is among the very best vintages of this wine. It is a square wine, coherent, apparently easily readable, which does not preclude a very well integrated complexity. The length is beautiful, finishing like a whiplash, and the pairing with the stuffed pasta, especially with the sauce of the hare “à la Royale”, is pure gluttony. This is a very beautiful wine. And the pairing is one of the most seductive.

The 1937 Château Climens is of an almost black colour. It has the deepest colour of all the 1937 I have tasted so far. Its aromas are extremely seductive but, more importantly, of supreme purity. And what is interesting about the Sauternes of this level is that you cannot wonder if it could be better, because it is indeed perfect, deep, very long, providing you with infinite pleasure.

The meal ends with my wine contribution, a 1912 Bastardino Setubal Fonseca. I need to explain why I brought this wine. Two days after this dinner, my mother, had she still been alive, would have been 100 years old. Since I have no family meal scheduled to celebrate this anniversary, I thought that to drink this 100-year-old wine with winemakers that I appreciate, some of who even being friends of mine, would be a beautiful way to pay tribute to my mother. My friends note this particular attention, especially the two young women present tonight, who are mothers also.

I am pleased to realise that everyone praises this extraordinary wine. When I opened it, and smelled it, I knew it was going to be a great wine. And it exceeds my expectations. The nose is penetrating, smelling of prunes and sweets. In the mouth, it is so much more than a port. For it tastes of strong coffee, even of tar. It has the strength of a Pedro Ximenez and the delicacy of a Port. Bipin Desai congratulates me on my choice, which is no small feat. This is an intensely, almost infinitely pleasurable wine.

The tradition in those dinners is not to vote, since the winemakers take part in them. For memory, I will give points to my four favourite wines, which correspond to my taste:1 – 1912 Bastardino Setubal Fonseca, 2 – 1937 Château Climens, 3 – 1971 La Tâche Domaine de la Romanée Conti and tied for fourth place:1988 Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum and 1970 Champagne Delamotte magnum. This is not a qualitative judgment, but a judgment based on personal taste.

The mood of this dinner is extremely friendly, and the guests share great friendships. Everyone is happy to be present. Bipin tries to force everyone to present and comment his or her wine. The first winemakers were happy to oblige, but spontaneous conversations progressively take over.

During dinners such as these, one is loath to bring it to an end. I had brought one more trick up my sleeve: a 1934 Château Caillou Haut-Barsac which, while I was reorganising my cellars, had caught my eye because of its low level but pristine and beautiful colour. I suggest opening it with those of us still there, in the lounge at the entrance of the restaurant. One should have captured on film the expression on Bérénice Lurton’s face when she put her nose to the glass! It is quite obvious that if that wine had been opened at the same time as the others, the smell would have long since dissipated. But it is quite present, yet vanishing rather quickly. This golden Barsac, infinitely more clear than the Climens, could not keep us entertained for long, so Didier Depond offers a 1996 Champagne Salon, made even more magnificent for being served after the Sauternes, marking in a remarkable way, with opulence and maturity, an intense moment of friendship.

We have exchanged suggestions for celebrating in a fitting way the 40th birthday of one of the guests, and the 50th of another. We are obviously delighted with the prospect of seeing one another again to share such intense moments.

19ème séance de l’ académie des vins anciens vendredi, 30 novembre 2012

La 19ème séance de l' académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo. Nous sommes 38 et nous nous partagerons 55 vins, répartis en trois groupes de dégustation. A 16h30, je commence l'ouverture des vins, rejoint par plusieurs académiciens qui viennent m'aider et participent à cette importante opération. L'ambiance est joyeuse et active, car beaucoup de bouchons résistent. Les odeurs des vins sont très variables, avec de bonnes et de mauvaises surprises.


Les vins sont répartis en trois groupes sauf les champagnes d'apéritif (les vins précédés d'une astérisque proviennent de ma cave) : deux *Champagne du Château de Germigney 1/2 bt sans année élaboré par Leclère - deux Champagne Taittinger brut - Champagne Ruinart Blanc de Blancs - Champagne Ruinart Brut - *Champagne Charles Heidsieck années 80.


Les vins du Groupe 1 : Champagne Grand Réserve Damien Coutelas SS A - *Domaine de la Trappe Vin d'Algérie rosé 1949 - Vin d'Algérie rosé Frédéric Lung 1942 - *Château d'Arlay Côtes du Jura 1973 - Château Latour-Figeac 1970 - Château Moulin Riche 1914 - *Chambolle-Musigny Domaine Faiveley magnum 1973 (commun à deux groupes) - Corton Jules Régnier 1961 - *Nuits-Saint-Georges Clos des Corvées Général Gouachon 1945 - Chateauneuf-du-Pape Domaine du Banneret 1989 - *Chateauneuf-du-Pape Veuve H.-M. Avril 1957 - *Rioja Ollauri Paternina 1928 - Vin d'Algérie rouge Frédéric Lung 1938 - *Château Chalon Fruitière Viticole de Château Chalon 1959 - Château Rabaud 1947 - Château Rayne Vigneau 1945


Les vins du Groupe 2 : Champagne Grand Réserve Damien Coutelas SS A - Château Mont-Redon Chateauneuf-du-Pape Blanc 1976 - *Château d'Arlay Côtes du Jura 1969 - Château Léoville Poyferré 1985 - Château La Conseillante 1969 - Clos l`Eglise pomerol 1959 - Clos des Jaubertes 1964 - Château d'Arsac 1925 - *Chambolle-Musigny Domaine Faiveley magnum 1973 (commun à deux groupes) - *Volnay Namont de Marcy 1961 - *Beaune Marconnets Remoissenet 1937 - Châteauneuf du Pape Camille Chandesais 1962 - *Rioja Ollauri Paternina 1928 - Vin Jaune Désiré Petit 1964 - *Château Chalon Fruitière Viticole de Château Chalon 1959 - Château Doisy-Daëne 1975 - Cru Le Buhan Cérons 1962


Les vins du Groupe 3 : Champagne Grand Réserve Damien Coutelas SS A - Château La Louvière Pessac Léognan Blanc 1979 - Mosel Wein 1964 - *Château d'Arlay Côtes du Jura 1969 - Château Mouton Rothschild 1976 - Château Canon Saint-Emilion 1966 - Corton Bressandes Tollot Beau 1988 - Château Malescot Saint-Exupéry 1961 - *Bonnes Mares Mommessin 1972 - *Vosne Romanée S.A. Leroy & Cie 1959 - Chassagne-Montrachet rouge Joseph Drouhin 1959 - Châteauneuf du Pape Faye et Cie Négociant 1958 - *Rioja Ollauri Paternina 1928 - Côtes du Jura Bury 1964 - *Château Chalon Fruitière Viticole de Château Chalon 1959


Nous prenons l'apéritif debout en commençant par le Champagne du Château de Germigney 1/2 bouteille sans année élaboré par Leclère, qui m'a été offert lors des séjours en cet hôtel au moment de la percée du vin jaune. Le champagne a quelques années et cela lui va bien. C'est une heureuse surprise que de voir une personnalité aussi affirmée. Le Champagne Taittinger brut est plus conventionnel et classique. Il est un peu trop dosé à mon goût. Le Champagne Ruinart Blanc de Blancs et le Champagne Ruinart Brut sont frais et agréables pour discuter entre amis. Le premier a une belle tension.


Nous passons à table. Le menu composé par le restaurant Macéo est : risotto de cocos tarbais, crème légère au citron vert / croustillant de volaille, tartare d'avocat, sauce aigre doux / gambas sautées au chorizo ibérique, risotto au piquillos / magret de canard, sauce épices, étuvée de choux et poireaux / ananas rôti, crème Chantilly / tiramisu aux quetsches. Il a fort agréablement accompagné la profusion de vins.


Le Champagne Grand Réserve Damien Coutelas sans année est une belle découverte. Pur, de belle personnalité, il a de grandes aptitudes à la gastronomie.


Le Vin d'Algérie rosé Frédéric Lung 1942 est jugé comme un blanc par certains convives de ma table, mais c'est bien un rosé, car j'en ai ouvert un de 1940 du même coloris. Quand je bois ce vin, je suis ému. Il est beau, de grande personnalité, racé et équilibré. Il raconte beaucoup de choses. J'ai ajouté le Domaine de la Trappe Vin d'Algérie rosé 1949 au programme car l'ami qui a apporté le 1942 d'Algérie et un 1938 a fait un grand cadeau à l'académie. Comme j'adore les vins d'Algérie de cette époque, j'ai fait cette ajoute. Le 1949 est plus lourd, avec plus d'alcool, mais il est bien fait. Il est étrange et nous n'avons pas de repères pour un tel vin. Malgré cela, je prends un grand plaisir. Le Château d'Arlay Côtes du Jura 1973 qui est servi en même temps que les deux algériens est beaucoup plus complexe. Il a des fruits, il est gouleyant ce qui est paradoxal pour un vin du Jura. Il est de grande longueur. C'est une belle surprise.


Le Château Latour-Figeac 1970 est lui aussi une belle surprise, car très au dessus de ce que j'attendais. C'est un bordeaux joliment épanoui, de grand plaisir. Le Château Moulin Riche 1914 est un peu plat, mais encore bien vivant. Il est agréable à boire et c'est ce genre de témoignage qui est dans la ligne de l'académie des vins anciens.


On m'apporte d'une autre table le Château Malescot Saint-Exupéry 1961, solide, imperturbable. Ce vin est comme un ticket gagnant : on est sûr qu'il sera bon pour longtemps.


Le Chambolle-Musigny Domaine Faiveley magnum 1973 est une divine surprise. Jamais je n'aurais cru que ce vin serait aussi expansif. Follement bourguignon, je l'aime parce qu'il ne cherche pas à séduire.


Le Corton Jules Régnier 1961 est intéressant, mais il n'est pas parfait, surtout au nez. On attendrait plus de cette belle année.


Le Nuits-Saint-Georges Clos des Corvées Général Gouachon 1945 est fatigué. Il évoque des tas de saveurs bien sûr, mais ce vin tasteviné au niveau bas n'est pas satisfaisant.


Le Beaune Marconnets Remoissenet 1937 que j'ai ajouté au programme d'une autre table vient à moi. Malgré un niveau bas, il se montre adorable. C'est un bonheur et à mon sens le plus beau bourgogne de ceux que j'ai bus ce soir.


Le Corton Bressandes Tollot Beau 1988 m'est proposé par son apporteur d'une autre table. Il est jeune, solide, aimable, mais par sa jeunesse il est à la limite du champ de recherche de l'académie.


Le Vosne Romanée S.A. Leroy & Cie 1959 que j'ai ajouté au programme d'une autre table est un très joli vin bien droit et solide, mais pas aussi complexe que ce que j'aurais souhaité.


Il y a à peine dix jours, j'étais venu au restaurant Macéo pour une dégustation de Chateauneuf-du-Pape. Un vigneron présent m'avait donné une bouteille du Chateauneuf-du-Pape Domaine du Banneret 1989 pour l'académie. C'est un beau cadeau, car le vin est magnifique d'équilibre. Très épanoui, très beau, c'est un grand Chateauneuf-du-Pape jeune lui aussi, de grande qualité.


Le Chateauneuf-du-Pape Veuve H.-M. Avril 1957 a une odeur camphrée très désagréable. C'est une déception pour moi, car j'en avais déjà bu un qui m'avait enthousiasmé.


J'ai apporté pour les groupes trois bouteilles de Rioja Ollauri Paternina Réserve 1928 aux niveaux parfaits ou presque parfaits. Hélas une table a eu une bouteille morte, alors que les deux autres tables, dont la mienne, ont eu un vin magnifique de vivacité, d'un équilibre simple mais très convaincant. C'est un grand vin gourmand.


Face au Vin d'Algérie rouge Frédéric Lung 1938 je confesse volontiers que je n'ai aucune objectivité, parce que ce type de vins m'émeut. Il est rond, joli, ne tient pas la distance, mais qu'importe, il a été ouvert.


Le Vin Jaune Désiré Petit 1964 est intéressant mais je suis moins enthousiaste que ceux qui l'ont bu à une autre table. Le Côtes du Jura Bury 1964 est un vin délicat, subtil, manquant un peu de force.


Comme pour le Rioja, j'ai apporté trois Château Chalon Fruitière Viticole de Château Chalon 1959. Certains n'ont pas été convaincus à une table. Celui que j'ai bu est superbe et profond, à tous points de vue.


Lorsque j'ai voulu faire les photos des bouteilles, deux jours avant la réunion, j'ai eu la mauvaise surprise de constater que le bouchon du Château Rabaud 1947 d'un académicien avait glissé dans le liquide. La menace était forte. La bouteille a été transportée verticalement jusqu'au restaurant. A l'ouverture le nez était très pur. Force est de constater que le vin n'a pas de réel défaut au point d'être plus vivant et plus apprécié que le Château Rayne Vigneau 1945 de belle présentation mais qui offre un service minimum, politiquement correct, ce qui ne l'empêche pas d'être beau.


Le nombre de nouveaux académiciens est ce soir très important, ce qui est un signe encourageant. L'ambiance est amicale, enjouée, tonique, et chacun communie avec les autres à ces vins d'âges canoniques. Nous sommes donc dans l'esprit de l'académie. Le service du Macéo, qui est bien rodé, est efficace. Sur 55 vins, il y a eu, comme on peut s'y attendre, plusieurs déchets. Mais ce qui compte, ce sont les belles performances des autres vins, largement majoritaires. Même si je n'ai pas ressenti une étincelle de génie d'au moins l'un des vins, il y a suffisamment de belles performances pour faire de cette réunion l'un des plus belles des 19 que nous avons faites.


Avec le Vin d'Algérie rosé Frédéric Lung 1942, le Chambolle-Musigny Domaine Faiveley magnum 1973, le Beaune Marconnets Remoissenet 1937, le Chateauneuf-du-Pape Domaine du Banneret 1989, le Rioja Ollauri Paternina Réserve 1928, le Château Chalon Fruitière Viticole de Château Chalon 1959 et le Château Rabaud 1947, il ne sera pas difficile de garder de cette soirée un souvenir des plus positifs.


J'ai insisté sur le fait que chacun des membres doit essayer de pousser la qualité des vins vers le haut, pour notre plus grand plaisir.



Les bouteilles rassemblées dans ma cave (il en manque une dizaine)




les vins du groupe 1 (pas tous)



les vins du groupe 2



les vins du groupe 3 (les autres en arrière plan)



les bouchons




quelques photos de plats



Académie des vins anciens – les vins du 3ème groupe jeudi, 29 novembre 2012

Les vins du Groupe 3 :


Champagne Grand Réserve Damien Coutelas SS A



Château La Louvière Pessac Léognan Blanc 1979 - Mosel Wein 1964



*Château d'Arlay Côtes du Jura 1969 - Château Mouton Rothschild 1976



Château Canon Saint-Emilion 1966 - Château Gruaud Larose 1964



Château Malescot Saint-Exupéry 1961 - Corton Bressandes Tollot Beau 1988



*Bonnes Mares Mommessin 1972 - *Vosne Romanée S.A. Leroy & Cie 1959



Chassagne-Montrachet rouge Joseph Drouhin 1959


Châteauneuf du Pape Faye et Cie Négociant 1958



*Rioja Ollauri Paternina 1928


Côtes du Jura Bury 1964 - *Château Chalon Fruitière Viticole de Château Chalon 1959


164ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent samedi, 24 novembre 2012

Le 164ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. La taille du groupe a changé à plusieurs reprises, entraînant le changement du salon du premier étage. Entre le salon chinois, plus petit, et le salon lambrissé, mon cœur balance vers les boiseries élégantes à la française. Quand j'arrive à 17 heures, nous sommes chinois. A 18 heures, grâce à Jean-Marie Ancher, nous sommes lambrissés. Il est des opérations du Saint-Esprit qu'il vaut mieux ne pas discuter.


Selon la tradition, j'ouvre les vins. Le parfum du Pétrus 1979 est d'une rare séduction. Il est plus riche que je ne l'aurais imaginé. En enlevant la capsule du Gazin 1959 je vois l'inscription sur le haut du bouchon : "rebouché en 1998". Il se trouve que je n'aime pas les bouteilles reconditionnées car cette opération, même bien faite, altère le goût originel, mais surtout parce que cette opération est faite sans que l'on donne l'indication du niveau de la bouteille entrante. J'ai acheté cette bouteille parce qu'elle avait un niveau superbe. Comme de l'extérieur il n'y a aucun indication de rebouchage, je suis mécontent. Et bien sûr quand je sens le vin, j'ai un a priori défavorable. La suite montrera que j'ai tort.


Le nez du chambertin 1959 est magnifiquement bourguignon. Le bouchon de la Romanée Saint-Vivant du domaine de la Romanée Conti 1983 me résiste longtemps, tant il est comprimé dans le goulot. Son parfum est extraordinaire. Patatras, le nez du Richebourg du domaine de la Romanée Conti 1959 est plus que désagréable et l'odeur du bouchon imbibé et sorti en brisures est horrible. Même si je suis souvent le témoin de résurrections, j'ai bien peur que ce vin ne se réveillera pas. Aussi, j'ouvre une bouteille de réserve, un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau Réservée 1989. Son nez est généreux et ce qui me fait plaisir, c'est que sa puissance est contenue, ce qui lui permettra de cohabiter avec les bourgognes. Patatras à nouveau, le nez de l'Yquem 1941, d'une très belle bouteille, se présente sous des fragrances que je n'ai jamais rencontrées. Il est camphré, odieusement chimique. Le diagnostic vital est d'une triste clarté : celui-ci ne reviendra jamais à la vie. Une nouvelle fois grâce à Jean-Marie Ancher, je prélève dans la cave du restaurant un Château de Rayne-Vigneau 1914 à la jolie couleur dorée et au nez de sauternes.


Une conjonction de bouteilles abîmées aussi importante ne s'est jamais produite jusqu'alors dans mes dîners. Nous sommes sept à la table, dont un convive qui ne boit pas. J'avais prévu sept bouteilles. J'en avais rajouté une sans le dire, la Romanée Saint-Vivant, car il y a quelques jours, c'était l'anniversaire de l'amateur chinois fidèle de mes dîners qui m'a demandé d'organiser cette soirée pour honorer des amis, et j'ai ajouté deux vins, ce qui porte à dix les vins du programme.


Sur les sept personnes autour de la table il y a la responsable du marketing hôtelier d'un grand groupe de luxe, un anthropologue qui dirige une mission Chine-Europe sur des sujets artistiques et culturels, un tailleur italien, mon ami chinois, un expert en vin londonien et un écrivain britannique. Comme nous en sommes à étrenner des "premières" lors de ce dîner, c'est la première fois qu'un convive demande un menu différent des autres, sans viande ni abats, qu'il va accompagner sous nos rires et nos yeux ébahis de Coca Light, zéro sucre. Inutile de dire que cela fait tout drôle. Son humour très britannique a permis qu'il ne soit pas le mouton noir de ce repas.


Le menu composé par Alain Solivérès est : gougères et petits toasts au foie gras / tartare de bar de ligne à l’huile d’olive / foie gras de canard poêlé, jus à la Rossini / chausson de lapin de garenne au romarin / mignon de veau du limousin doré, légumes racines au jus / perdreau patte grise rôti au genièvre/ saint-nectaire / entremets à la mangue.


Le Champagne Pommery 1947 n'a plus de bulle. Il y a un peu de poussière dans son parfum, mais en bouche, ce qui frappe immédiatement, c'est sa grâce. Il allie grâce et fraîcheur. Les gougères gomment tout signe de vieillesse de ce champagne plaisant. Quelque deux heures plus tard, lorsqu'avec Desmond nous avons senti nos verres de Pommery 1947, celui de Desmond avait une pureté exprimant la grandeur du champagne, alors que le mien, un peu plus rempli, avait encore des traces de poussières.


Le Champagne Salon 1985 fait un contraste très fort. Il apparaît plus jeune en passant après le Pommery. Le parfum est intense, le vin est très vineux et ce champagne est aujourd'hui en pleine possession de ses moyens. Il faudrait boire tous les Salon à 27 ans ! Il a de jolis fruits compotés et la légère acidité du plat de poisson lui donne un coup de fouet de plaisir et une tension extrême. C'est un grand champagne, racé, presque opulent.


Le nez du Pétrus 1979 est d'une séduction folle. Le foie gras et sa sauce sont divins et propulsent le Pétrus avec bonheur. Il y gagne en velouté. Il est bien sûr truffe, mais de façon parfaitement dosée. Ce qui est intéressant, c'est que ce Pétrus, plus puissant que je ne l'imaginais, est extrêmement lisible. Pour plusieurs convives, c'était leur premier Pétrus et c'est une chance de découvrir Pétrus avec un vin aussi facile à vivre, joyeux, velouté, subtil et charmant.


Le Château Gazin 1959 a un nez un peu retenu mais noble. Vexé d'avoir acheté un vin rebouché, je cherche à lui trouver des défauts, alors que mes convives le jugent très bon. Et c'est vrai qu'il est bon, servi à merveille par un chausson de lapin particulièrement viril. Et ce qui est le plus satisfaisant, c'est que le Gazin tient parfaitement le choc de ce plat envahissant les papilles. Il profite à plein de son année merveilleuse. Cette association est d'un grand bonheur.


Le Chambertin Jaboulet-Vercherre 1959 est une heureuse et bonne surprise. Il est très bourguignon, tant au nez qu'en bouche. Long, prenant bien toute sa place dans le palais, il est épanoui, charmant, naturel et d'une précision supérieure à ce que j'attendais. C'est un vin très agréable à boire, de belle sérénité.


Servi en même temps, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1959 n'est pas foncièrement désagréable, et certains n'approuvent pas mes fortes critiques, mais le vin est cuit, brûlé, comme s'il avait eu un trop fort coup de chaud avant qu'il n'atteigne ma cave. C'est une grosse déception car un vin du domaine dans une année aussi belle aurait dû nous donner d'infinis plaisirs.


Mais son cousin plus jeune, la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983 fait tout pour rattraper la déception du Richebourg. Son nez est à se damner. C'était d'ailleurs la plus grande impression olfactive il y a quelques heures lors des ouvertures. Le vin est racé, brillant, d'une complexité extrême. C'est le contraire du Pétrus qui se faisait lisible. Il se drape dans ses voiles de séduction qui flottent sur la nuque en disant : "suivez-moi jeune homme". C'est une expression des vins du domaine très romantique et d'une année qui me plait de plus en plus. La rose et le sel sont là, déclinés de la plus heureuse façon.


Sur le perdreau, je fais servir avec un léger décalage le Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau Cuvée Réservée 1989. Le vin est solide, très Châteauneuf mais avec une subtilité particulière. Il est puissant tout en étant retenu, fruité de belle façon. Il a l'art et la manière. Mais nous avons tellement envie de profiter de la Romanée Saint-Vivant que je demande qu'on nous serve un saint-nectaire, pour que l'on profite du Pégau sans subir la comparaison avec le vin bourguignon exceptionnel de subtilité. Et le 1989 bu seul sur le fromage est d'un grand plaisir avec une intense joie de vivre.


Jamais je n'ai eu à rencontrer une déviation gustative comme celle de ce Château d'Yquem 1941. On dirait qu'on a versé dans la bouteille du sauternes un liquide qui est sert à laver les vitres. Je ne fais même pas servir l'Yquem aux convives, car le goûter abîmerait nos palais. Le Château de Rayne-Vigneau 1914 est servi instantanément sur le dessert. Son or est raffiné, son nez est de jolis agrumes, et en bouche, c'est un beau et plaisant sauternes, peu explosif et relativement peu expansif, mais suffisamment plaisant pour terminer le repas de belle façon.


Le restaurant Taillevent, perfide, nous fait servir un délicieux cognac sur des mignardises, qui plombent nos volontés.


Nous sommes six à voter pour quatre vins chacun. Huit vins figurent au moins une fois dans les votes, les deux oubliés étant les vins morts. Trois vins ont reçu au moins un vote de premier, la Romanée Saint-Vivant trois fois, le chambertin deux fois et le Pommery 1947 une fois.


Le vote du consensus serait : 1 - Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 - Chambertin Jaboulet-Vercherre 1959, 3 - Pétrus 1979, 4 - Champagne Salon 1985, 5 - Château Gazin 1959.


Mon vote est : 1 - Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 - Pétrus 1979, 3 - Chambertin Jaboulet-Vercherre 1959, 4 - Champagne Salon 1985.


La cuisine d'Alain Solivérès a été brillante. Deux plats sont exceptionnels, le foie gras et le chausson de lapin de garenne. Le service est toujours d'une rare efficacité et d'une capacité de réaction remarquable. La salle du premier étage est toujours aussi belle. Les discussions ont été passionnantes, tenues en anglais, sur des sujets allant dans toutes les directions. Nous avons passé une excellente soirée, avec bien sûr pour moi le regret que des vins ne soient pas parfaits. Les rajoutes heureuses ont permis que ce repas nous procure une brassée de beaux souvenirs.





Une première dans mes dîners !!!!!!




Un saut dans l’inconnu qui se révèle un sacré coup de chance vendredi, 16 novembre 2012

Souvent, je reçois des messages d'amateurs qui me parlent de leurs collections. Un collectionneur de verreries de bouteilles anciennes me contacte. Il est allé dans un château en Bretagne pour prendre livraison d'une grande quantité de bouteilles vides très anciennes, certaines étant du 17ème siècle. A sa grande surprise il a vu des bouteilles pleines, majoritairement du 19ème siècle, avec une ou deux, ici ou là du 18ème siècle. Au sein de ces lots, plusieurs alcools très anciens et surtout, des muscats de Joseph Nadal à Port-Vendres. Il les date du milieu de la deuxième moitié du 19ème siècle. Il me dit qu'il a l'intention d'en ouvrir un lors d'un dîner, en compagnie des descendants de Joseph Nadal. Par ailleurs, il regroupera des amis et un vigneron et compte bien que je vienne.

 

L'ayant entendu me citer des vins d'Alicante, de Ténériffe, des Marsala, des Samos, des liqueurs de cidre et autres raretés, alors que je ne connais personne de la future tablée, que je ne connais pas celui qui me convie, je décide d'aller à Tours pour un saut dans l'inconnu.

 

Emmanuel habite une jolie maison du 18ème siècle dans le centre de Tours. Dans toutes les pièces que je peux visiter, il y a des bouteilles magnifiques, aux verres de couleurs profondes, aux formes d'une grande beauté. Emmanuel s'y connait en verreries anciennes. Nous allons naturellement dans sa cave à vins où l'on retrouve aussi de belles bouteilles vides, mais mon œil est attiré par de magnifiques bouteilles pleines anciennes. 1882, 1846, 1837 et bien d'autres années. Le marquage a été fait à la main sur d'anciennes petites étiquettes d'écolier. Nous discutons quantité et prix, nous mirons les vins à la lumière et nous tombons d'accord. Je choisis dix bouteilles toutes différentes au sein de ses lots.

 

Les autres participants arrivent, Paul Nadal et son fils Lionel qui viennent pour goûter le muscat de leur ancêtre, Michel, un collectionneur de vins assez exceptionnel, qui a commencé à acheter aux domaines dès 1953 et possède aujourd'hui des allocations qui feraient pâlir d'envie tous les amateurs de vins, dont moi.

 

Nous partons au restaurant Olivier Arlot La Chancelière à Montbazon. Olivier n'est pas là, mais son prédécesseur toujours présent, chef de l'ancienne gestion avant qu'il ne reprenne, va nous exécuter un menu dont certains plats valent sans hésiter deux étoiles au guide rouge. Nous sommes neuf, Emmanuel et un de ses amis, Michel le collectionneur; Philippe Foreau, vigneron du Clos Naudin et son fils ainsi qu'un ami, les deux Nadal et moi. Chacun des apporteurs de vins, l'un après l'autre, montre en catimini ses vins à David le sommelier pour qu'il sache le moment de l'apparition de chacun des vins et les exigences d'ouverture. Car ce soir, on boira à l'aveugle, puisqu'Emmanuel et ses amis aiment déguster ainsi. J'ouvre mes vins au vu et au su de tout le monde, car je veux montrer ma méthode, dont je suis fier, d'ouverture des vins anciens. Emmanuel me dit : "puisque tu es si malin, si tu arrives à sortir entier le bouchon du muscat Nadal, je t'en offre une bouteille, parce que pour celles que j'ai ouvertes, le bouchon est chaque fois sorti en charpie". Nous topons, et excité par le challenge, je m'applique plus que de coutume et sors le bouchon entier. Le lendemain matin, Emmanuel a honoré son pari.

 

Le menu concocté par Olivier Arlot, Philippe Foreau et Emmanuel est : amuse-bouche, foie gras sel et poivre / huître de Cancale de quatre façons : en raviole et bouillon champagne, frite sur chair de tourteau et yuzu, en coquille, crème échalote et raifort, enfin son eau en granité et citron caviar / soupe Miso à notre façon, foie gras et pigeon / noix de Saint-Jacques, topinambour, truffe blanche d'Alba / sandre confit au beurre, sauce diable / râble de lièvre, salsifis rôtis, béarnaise du Piémont, jus d'un civet / faisselle de chèvre frais, poires, vinaigre d'hydromel / macaron, crème de marron et clémentine / mi-cuit chocolat, fève tonka, sorbet cacao, bergamote.

 

Nous allons commencer par le Muscat Vieux Joseph Nadal à Port-Vendres vers 1870 sur le foie gras. J'ai envie d'associer l'un de mes deux vins, d'une bouteille qu'Emmanuel date vers 1880, de la forme d'une vieille bouteille de bière. David le sommelier me fait goûter et il m'apparaît instantanément que mon vin serait écrasé par la perfection du muscat. Je retarde donc le service de mon vin et le muscat sera seul. La bouteille est lourdement chemisée d'un dépôt noir épais. Dans le verre, la couleur du muscat est d'un abricot gorgé de soleil. Cette couleur est magnifique. Le nez l'est tout autant. En bouche on ressent l'orange, le menthol, l'alcool. Le vin muté est fort, épais, très pâte de fruit. Le final est très frais. C'est un très grand vin et les deux Nadal sont émus. Le vin est fait de muscat d'Alexandrie, d'une période entre 1850 et 1880 selon eux. L'accord avec le foie gras est superbe.

 

Les vins vont être bus à l'aveugle. Le premier blanc sec est très beau, minéral, de grande longueur et de bel équilibre. C'est un Chablis 1er Cru Séchet Dauvissat 2001 au nez superbe et très pur, déjà très mûr. Le second a un nez moins agréable, mais en bouche, il a beaucoup de gras et d'ampleur. On sent le miel. C'est Chablis Grand Cru les Preuses Dauvissat 1995 de moindre longueur que le Séchet. Le "Preuses" s'accorde très bien à l'huître au raifort, ce qui ne paraissait pas évident.

 

La soupe Miso est une merveille absolue et le troisième vin a un parfum qui est la copie conforme du parfum de la soupe. Le vin est gourmand. Il a du fumé, il est chaleureux. C'est un Vouvray demi-sec Foreau Clos Naudin 1995. Je l'aurais estimé beaucoup plus ancien. C'est un très beau vin.

 

Le quatrième blanc sent la truffe, parce que le plat a de la truffe blanche. Le cinquième est beaucoup plus strict mais forme un accord divin avec le plat de coquilles. Le 4ème est gourmand, le 5ème est plus strict, plus tendu. Le 4ème est Pouilly Fuissé Tête de Cru Mme Ferret 1996. Il est de belle complexité aromatique, avec un goût de pierre à feu influencé par la truffe blanche. Le cinquième est un Vouvray sec Foreau Clos Naudin 1996. Il a beaucoup de profondeur. Il est très pur et très précis. Le vouvray est plus "marin", avec un final superbe.

 

Le nez du 6ème est camphré cependant que pour Emmanuel, le nez du 7ème est celui des cierges d'église et de la cire des bancs d'église. L'ami de Philippe Foreau est celui qui trouve le mieux les vins. Il reconnaît dans le 6ème le Riesling Clos Saint Hune Trimbach 2002. Mais j'avoue que les dégustations à l'aveugle me rendront toujours perplexe, quand l'un des convives affirme urbi et orbi que le 7ème est un riesling alors qu'il s'agit d'un merveilleux Château Grillet 2003, superbe, brillant fumé et très long, un vin qui m'avait fait dire : "ah, ça, c'est grand", car je n'allais pas hasarder un cépage que je ne reconnaissais pas. Le Sainte Hune est puissant et n'a pas beaucoup de longueur. Le Grillet est un pur régal sur le sandre divinement cuit, dont la sauce diable n'est pas l'amie des vins.

 

Pour le râble de lièvre tendre mais pas assez gibier à mon goût, il y a quatre vins alignés, et dès les premiers parfums, on sent que ça tape fort. Le premier a un nez à se damner et je suis le premier à dire domaine de la Romanée Conti. Je ne suis pas peu fier, car jusqu'à présent, j'ai observé un certain mutisme vis-à-vis des blancs. Ce vin a un nez à mourir tant il est profond. La bouche est moins conquérante, plus mesurée mais aux saveurs bien précises, où l'on a du fumé, feu de cheminée, de la truffe, mais aussi la signature de rose et de salin. Très représentatif du domaine avec un esprit très strict, très serré, il a une longueur infinie. C'est une très grande bouteille. C'est La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971.

 

Le second vin est puissant riche, d'une trame serrée. Je hasarde Palmer 1964, car Palmer est un fonceur sur cette année mais Michel, le donateur de La Tâche et de cette bouteille m'arrête et dit : c'est Pétrus 1971. Emmanuel saute en l'air comme s'il avait gagné le gros lot. C'est son premier Pétrus et il l'adore. Et alors, voici un moment comme je les adore. La bouteille de Pétrus a une étiquette rongée par l'humidité et le millésime est invisible. Le sommelier arrive avec le bouchon et dit : "je suis désolé, ce n'est pas 1971, mais 1969". A ce moment, je sursaute, car une telle puissance est incompatible avec l'année 1969. Emmanuel prend le bouchon en mains, me le montre et il est évident que c'est 1959. Nous buvons Pétrus 1959. Le vin est grand et si je me suis trompé de rive, c'est que ce vin n'est pas un exemple significatif de la rive droite. Sa puissance, sa truffe, le mettent hors compétition. Celui que je bois n'est pas le plus puissant des Pétrus 1959 que j'ai récemment bus en bouteille et en magnum. Le parfum du vin est intense et c'est avec le jus de civet que l'accord se trouve le mieux.

 

Notre attention est tellement prise que l'on en oublierait presque un vin très subtil, le Pommard Rugiens Domaine de Montille 1985, d'autant qu'il a un léger problème - mais vraiment à la marge - qui pourrait venir du bouchon. Le quatrième est bizarre, perlant, presque trop vert. C'est un Vosne Romanée aux Brûlées domaine Méo Camuzet 2004, beaucoup trop jeune dans cette série.

 

Le Château d'Arche Pugneau Sauternes 1921 que j'ai apporté, d'une bouteille au niveau impeccable, a une couleur d'un ambre doré très jolie, plus foncée que celle du muscat mais tout aussi dorée. J'aime beaucoup son parfum et ses agrumes, même si le vin est un peu court. Son botrytis est bien présent même si le vin est un peu sec. Bien sûr, comme nous sommes sur les terres de Vouvray, les autochtones sont volontiers critiques avec lui. A côté un sauternes plus jeune qui sent la térébenthine n'a pas la complexité du 1921 mais a de la fraîcheur, c'est Château Suduiraut 1988 qui mériterait de vieillir encore longtemps.

 

Je suis le plus mauvais ambassadeur de ma bouteille ancienne, d'un verre presque noir empêchant de voir la couleur du liquide. Cette bouteille est du même lot de bouteilles disparates de la seconde moitié du 19ème siècle que j'avais achetées, et dont j'avais ouvert un exemplaire lorsque j'étais allé goûter la bouteille de 1690 chez un rennais. C'était un délicieux madère. Là, le vin est effacé, fade, n'a pas de joie de vivre. Je le dis à mes amis d'un soir et c'est celui qui trouve tout qui me contredit. Ce vin est un xérès. Attendant un madère, j'étais loin du compte. Et en le buvant en pensant xérès, le jugement change complètement sur ce - disons - Xérès 1870 #. L'ami si expert dit : "ce vin est excellent détrompez-vous". Mais, marqué par mon analyse première en forme de contresens, je n'ai pas eu le plaisir que j'aurais pu avoir.

 

Si je devais classer les vins de ce soir, ce serait : 1 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971, 2 - Château Grillet 2003, 3 - Pétrus 1959, 4 - Vouvray demi-sec Foreau Clos Naudin 1995. Le muscat est hors catégorie car non comparable aux autres vins.

 

La cuisine a été sur deux plats à la hauteur de deux étoiles, la soupe Miso et les noix de Saint-Jacques. Le service attentionné et intelligent font ce cette table un site qui "mérite le détour". La générosité de Michel le collectionneur et de Philippe le vigneron, l'ambiance chaleureuse créée par et autour d'Emmanuel ont fait de cette soirée une soirée mémorable. Je venais dans l'inconnu et j'ai eu en retour beaucoup plus que je ne l'espérais.

 

Le lendemain, venant chez Emmanuel pour prendre les bouteilles que j'avais achetées, il a ajouté le prix de son pari plus deux bouteilles pleines ou presque pleines de vins du 18ème siècle. Décidément la chance sourit à ceux qui la provoquent.

   

J'aime cette photo d'une toute petite partie de la collection d'Emmanuel

 

 

la bouteille qui est le point de départ de ce dîner

 

 

les vins du dîner

 

 

 

 

 

 

 

le bouchon du Pétrus

 

 

 

 

 

Dîner de Gala de l’Académie du Vin de France mardi, 13 novembre 2012

L'Académie du Vin de France a son siège au restaurant Laurent. A 17 heures, l'assemblée des membres de l'académie tient ses travaux. A 19 heures, au premier étage du restaurant, les vignerons membres offrent à déguster leurs 2010 ou 2011 et parfois quelques autres années en une sympathique Paulée à la bourguignonne. Le groupe s'étoffe d'amis et invités par les membres de l'académie. La foule étant nombreuse, il faut savoir se faufiler aussi la première étape de mon chemin de choix sera La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2009, au parfum tétanisant. Je suis revenu plusieurs fois goûter ce vin au charme diabolique. Il est parfait à ce stade de sa vie. Il va certainement se refermer dans quelque temps, pour s'épanouir à nouveau et devenir un vin immense. A côté de lui un vin de Dujac de 2010 dont je n'ai pas noté l'appellation (on en prend pas de notes dans ce cénacle) est extrêmement gourmand et généreux alors qu'un Volnay de Montille est d'une grâce d'une distinction remarquables. Il y a un quarantaine de vins présentés. Le Meursault Charmes Comtes Lafon est goûteux, que j'ai préféré au Meursault Genévrières. J'aime l'Hermitage blanc de Chave et le Château Simone blanc. Les bordeaux sont servis beaucoup trop froids au moment où je viens les goûter. Le Jurançon Cauhapé Quintessence du Petit Manseng est une merveille ainsi que le Château de Fargues, subtil tout en étant d'une belle puissance. Pris dans le mouvement, je ne suis pas sûr des millésimes.


Bien sûr on bavarde avec les vignerons présents, et l'on redescend pour un apéritif debout dans la salle ronde qui est l'antichambre du restaurant. Le Champagne Pol Roger 2002 se boit bien, mais il n'a pas la vibration qu'il pourrait avoir.


Le dîner est placé et je suis à une table où Gérard Chave et Jean-Louis Chave sont présents comme Hubert de Montille et sa fille Isabelle. A côté de moi Elizabeth Graillot et Olivier Jullien. Un ou deux amis des vignerons complètent le tour de table.


Le président Jean-Robert Pitte salue l'assemblée et confirme la nomination d'Olivier Bernard, impétrant l'an dernier et membre cette année. Celui qui le suit d'un an, impétrant aujourd'hui, est Olivier Jullien. Il est venu en tenue de vigneron et ça ne gêne personne tant son sourire lui ouvre toutes les portes. J'aurai au cours du repas de longues conversations passionnantes avec lui sur l'histoire et la longévité des vins.


Le menu mis au point par Philippe Bourguignon avec Alain Pégouret est un chef-d'œuvre de pertinence des accords mets et vins. Il faut dire qu'il a donné lieu avec quelques académiciens à des essais en vraie grandeur. Que ne ferait-on pas pour satisfaire cette docte assemblée. Voici le menu : homard en bouillabaisse froide / trompettes de la mort juste rissolées, crémeux d'œuf et jaune coulant sur un fin sablé au parmesan / tronçon de turbot poché, champignons de couche, sauce hollandaise / joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d'Alba / Saint-nectaire, l'un d la ferme du Puy de la Bade et l'autre de la ferme Guillaume / gaufrette aux litchis, crème de châtaignes.


Mes trois plats préférés sont les joues de bœuf, le homard et les trompettes de la mort.


Le Palette, Château Simone blanc 2005 a une belle structure, d'une construction solide. Mais le vin est dans une phase où il n'est pas encore parfaitement épanoui et assemblé. Il est agréable, mais on sent qu'il faudrait l'attendre encore. Le homard délicieux lui va bien.


Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 a un nez qui explose de soufre ou qui donne cette impression de soufre. Extrêmement minéral, il paraît d'une jeunesse folle. Il me met un peu mal à l'aise, car lui aussi paraît ne pas être arrivé à un point d'équilibre. Il se confirme que 2005 est une année qu'il faut attendre. Les trompettes de la mort donnent de l'ampleur au vin et le rééquilibrent.


Le Puligny-Montrachet "les Pucelles" Domaine Leflaive 2005 se présente dans des bouteilles dont les évolutions sont différentes. Certaines bouteilles, selon ce que j'entends, ont une oxydation sensible. Daniel, le fidèle sommelier complice de mes dîners m'a servi du vin d'une bouteille parfaite. C'est un vin joyeux, fonceur, charmant et épanoui que j'ai la chance de déguster. C'est avec la chair du turbot qu'il faut en profiter, sans la sauce hollandaise bien sûr.


Si les blancs avaient tous, de façon plus ou moins prononcée, un problème de puberté, le Domaine de Chevalier rouge 2005 arrive comme d'Artagnan avec une assurance insolente. A ce stade de sa vie, ce vin ne pourrait pas être plus parfait. Et comme il est accompagné d'un plat d'une gourmandise invraisemblable, il en profite au mieux. C'est surtout avec la moelle que le vin s'exprime le mieux. Il est goûteux, charnu. C'est un vin de plaisir.


Le Château Branaire-Ducru 2005 a un parfum qui dénote lui aussi que le vin n'a pas trouvé son équilibre. S'il est plus profond que le Domaine de Chevalier, il n'a pas d'épanouissement. On boit un vin en devenir, qu'il faut avoir la patience d'attendre.


Le Château Corbin-Michotte 2005 a un nez d'une forte personnalité. Ce vin n'est pas charmeur, il interpelle. L'image qui me vient est la chanteuse Barbara. On ne peut pas dire qu'elle était belle, mais sa présence était d'une force extrême. Ce vin est ainsi, il a des choses à dire, il raconte, sans orthodoxie, mais avec intérêt.


Le Gewurztraminer Vendange Tardive Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2005 a un nez de litchi et de douceurs, si bien que le dessert lui est indissociable, d'une pertinence absolue. C'est un grand vin, d'un grand charme, mais je ne lui ai pas trouvé l'extrême justesse qui caractérise les vins de Zind-Humbrecht. C'est un grand vin.


Jacques Puisais, selon une solide tradition, a fait une analyse des vins et des accords. Poétique, déroutant souvent, attentif à des détails auxquels on ne songe, Jacques a été brillant comme il sait l'être, malicieux, nous entraînant dans l'irréel , dans l'inattendu, voire dans le surprenant. Lors de précédents dîners, il ajoutait parfois des suggestions érotiques voire grivoises. Ici, son discours a été marqué par l'amour. Souvent il a fini l'analyse d'un plat et d'un vin par un "ils s'aiment" déterminé. Il s'aiment. Circulez, il n'y a rien à voir !


Bavardant après le repas avec des amis d'autres tables, j'ai pu constater que nos analyses des performances des vins sont toutes différentes. Le Corton Charlemagne fut le seul à déclencher l'applaudimètre, et Philippe Bourguignon m'a dit que pour lui c'est un signe fort. Michel Bettane n'a pas vibré autant que moi sur le Corbin-Michotte.


Mon classement personnel est : 1 - Corbin Michotte 2005, 2 - Domaine de Chevalier 2005, 3 - Gewurztraminer Vendange Tardive Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2005, 4 - Puligny-Montrachet "les Pucelles" Domaine Leflaive 2005.


Ce qui est marquant, à mon point de vue, dans un tel dîner, c'est la gentillesse des vignerons, leur générosité aussi, de faire connaissance avec le brillant vigneron du Mas Jullien, la pertinence des accords mets et vins et pour finir, La Tâche 2009 qui sera un monument dans quelques années.