289ème dîner au restaurant Marsan Hélène Darroze samedi, 16 novembre 2024

Le 289ème dîner se tient au restaurant Marsan Hélène Darroze. Un ami m’avait demandé en 2019 de faire un repas pour une vingtaine de ses amis. Nous avions choisi le restaurant Marsan Darroze qui a une table qui permet d’accueillir une vingtaine de personnes. Ce fut le 240ème dîner. Il y a quelque temps, il m’a demandé de faire un dîner similaire pour des relations de travail.

J’ai contacté il y a un mois le restaurant pour étudier la cuisine et mettre au point un menu qui correspondrait aux vins que j’ai prévus. J’ai déjeuné sur place et rencontré l’équipe du restaurant qui est totalement différente de celle de 2019. Je ne connaissais ni le directeur, le chef de cuisine, la pâtissière, ni le sommelier.

Nous avions travaillé avec un bel esprit de coopération et voici le menu conçu par le chef Paul Genthon et toute son équipe, dont j’ai raccourci un peu le texte : gougères nature : gressins aux anchois de Cantabrie, purée d’artichaut / Taloa, comme au pays basque, sashimi de la pêche du jour, herbes fraiches et fleur de sel épicée / le champignon crème, carpaccio au foie gras de canard, crème de noix fraîches, émulsion de vin jaune / homard bleu aux épices tandoori, mousseline de carottes, réduction de poivre à la coriandre / pigeon fermier à la goutte de sage, flambée au capucin, pomme de terre fondante, toasts aux abats, jus intense / Comté de 18 mois / granité de pamplemousse rose / mangue en tatin / financier à la rose.

J’arrive peu avant 16 heures pour ouvrir les vins. Il y a 17 bouteilles dont un jéroboam, deux magnums et 14 bouteilles. Beaucoup de bouchons ont été difficiles à retirer et j’ai eu quelques fois recours à l’aide d’Avishek Bhugaloo, le chef sommelier ou de Nicolas l’un des sommeliers qui gère la belle exposition de bouteilles dans la salle où nous allons dîner. Le Jéroboam de Veuve Clicquot a un bouchon très serré qu’il a fallu tirer avec de grands efforts. Il n’a pas été explosif. Il n’y a eu aucun vin qui pose question, les plus beaux parfums étant ceux des sauternes, du Grands Echézeaux et du Chablis. Les sept vins qui avaient chacun deux bouteilles ont offert des parfums différents. Parmi les vins que j’avais prévu il y avait un Château Olivier blanc 1949. Les deux bouteilles ont des couleurs extrêmement différentes. Par précaution j’ai décidé de ne pas les ouvrir et de remplacer ce vin pas deux Chablis 1976 aux couleurs parfaites.

J’ai été fatigué par cette opération et j’ai cherché à me reposer avant l’arrivée des convives. Nous sommes 21 avec une absence de parité car seulement deux femmes sont à notre table.

Le Jéroboam du Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008 a un très joli parfum subtil et engageant. En bouche, il est large et expressif. C’est un beau champagne qui demandera sans doute vingt ans pour devenir éblouissant car il est d’une grande année. Il est grand maintenant mais la sagesse serait d’attendre. J’ai en tête un sublime magnum de Veuve Clicquot 1947 absolument magique. Ce 2008 a la capacité d’atteindre ce niveau. Il faut attendre. Les gressins aux anchois excitent bien ce champagne.

Après la présentation habituelle des « règles » pour profiter au mieux de mes dîners, nous passons à table et le Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est servi. Quel contraste entre les deux champagnes. Le Veuve Clicquot est le saint-cyrien qui va défiler au 14 juillet alors que l’Enchanteleur est le sous-préfet au champ, gourmand et jouisseur. Ce solide champagne, c’est la joie de vivre. On a tendance à le préférer car il a du charme, mais le délicieux Taloa très expressif donne à La Grande Dame une énergie beaucoup plus vive.

Le Chablis Grand Cru Vaudésir la Valadière 1976 à la belle couleur de blé doré me plait instantanément. Je me dis souvent qu’on ne boit pas assez de chablis car ils sont très expressifs et vifs, sans aucune lourdeur. Et les champignons se marient divinement avec le chablis puissant.

Mais le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 n’est pas en reste avec le plat charmant. Il est tout en douceur subtile. Récemment nous avions partagé un Montrachet du même producteur et de la même année et on retrouve ce charme subtil et enjôleur, très rond. Les deux blancs cohabitent très bien ensemble face au plat.

Beaucoup de convives sont surpris que le homard soit associé avec un vin rouge. J’avais senti à l’ouverture le nez parfait de l’Ausone et le mot qui convient au Magnum Château Ausone 1970, c’est le mot ‘parfait’. Le vin a tout le charme truffé du saint-émilion et il est d’un équilibre saisissant. On sent que ce vin noble a atteint le sommet de ses subtilités. Le homard est parfaitement exécuté.

Le pigeon va accueillir deux vins très différents qui vont accumuler 15 votes de premier sur les 21 possibles. 70% des votes de premier sont pour ces deux seuls vins.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 a tout pour me séduire car il a l’âme de la Romanée Conti. Il peut surprendre certains convives car il est canaille après l’Ausone, qui était très premier de la classe. Il a des teints de terre et des saveurs de sel, mais surtout il se comporte comme souvent, le vin expressif qui ne veut pas convaincre. Il est hors des sentiers conventionnels et c’est ce que j’adore.

A côté de lui l’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, c’est la France tranquille. Il est solide, construit, clair et facile à comprendre mais d’une richesse de style qui convainc tout le monde. Je sens autour de moi un très grand étonnement : comment un vin de 1949, qui a 75 ans, peut-il être aussi vivace, épanoui et joyeux. C’est la magie des vins anciens. L’accord avec le pigeon très bien traité est total.

A l’ouverture des vins j’avais trouvé que les deux bouteilles du Clos Du Bourg Vouvray Moelleux 1959 manquaient un peu d’énergie mais en fait le comté a créé un accord absolument divin qui a donné au Vouvray une énergie supplémentaire. Son moelleux délicat est très séduisant.

J’aurais sans doute dû mettre le Filhot avant le Suduiraut, car le Château Suduiraut Sauternes 1959 est d’une puissance extrême. Il est riche, puissant et envahit aussi bien le nez que le palais par sa force de séduction. Le millésime 1959 est très grand en Sauternes. Le pamplemousse rose est idéal et frais mais le granité froid a tendance à anesthésier l’accord.

Le Château Filhot 1928 est d’une année mythique. On ressent que ce vin est beaucoup moins puissant que 1959 mais sa subtilité gracieuse s’exprime bien avec une tarte Tatin à la mangue réussie.

J’ai apporté une surprise pour cet aimable groupe. C’est une grande bouteille de plus d’un litre d’un Black Head Rum de la maison Cazenove à Bordeaux qui est un West Indies Rum. L’étiquette a un écusson central avec le dessin de la tête d’un jeune noir aux yeux exorbités. On imagine volontiers qu’une telle étiquette serait impossible aujourd’hui aussi bien par le nom ou par l’image. Je l’ai montré à toute la table promettant de le servir après les votes, ce qui devait encourager à voter vite.

Recueillir le classement de 21 personnes n’est pas chose simple, mais tout le monde s’est prêté à cet exercice sans problème. Cinq vins ont eu l’honneur d’être nommés premiers, l’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949 bénéficiant de dix votes de premier, le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 recevant 5 votes de premier, l’Ausone 1970 trois votes, le champagne Henriot 1996 deux votes de premier et le chablis 1976 un vote de premier. Tous les vins ont eu au moins un vote sauf le Veuve Clicquot mais cela est compréhensible, car c’est le vin de bienvenue, qui est souvent oublié en fin de repas.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 2 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 3 – Magnum Château Ausone 1970, 4 – Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996, 5 – Château Suduiraut Sauternes 1959, 6 – Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990.

Mon classement est : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 2 – Magnum Château Ausone 1970, 3 – Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 4 – Chablis Vaudésir la Valadière 1976, 5 – Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996.

J’ai servi moi-même les verres à ceux qui voulaient boire ce rhum. Il est d’une couleur très foncée et sa puissance est étonnante. Il fait certainement plus de 50°. On n’est pas du tout dans le charme et la rondeur d’un rhum mais plutôt dans la puissance d’un alcool très boisé un peu torréfié. Je l’adore absolument car sa vivacité est attachante. Un bonheur qui m’émeut de la part d’une bouteille rare.

Il est difficile de le dater mais je pense, ayant vu le bouchon noirci dans sa partie basse, qu’il est probablement de la décennie des années 30 ou peut-être des années 40. Ayant versé le rhum, des gouttes coulaient sur ma main. J’ai dû laver mes mains au moins trois fois et le parfum restait intense sur ma main.

L’ami qui a invité ce groupe a un talent pour animer que j’avais déjà constaté au précédent dîner qui fait que l’ambiance est joyeuse, amicale et fort agréable. Il avait même prévu que les convives changent de place deux fois en cours de repas ce qui a animé encore plus les conversations.

Le chef Paul Genthon et la pâtissière Juliette Le Floc’h ont réalisé des plats qui ont accompagné idéalement les vins servis par Avishek Bhugaloo et son équipe. Le directeur Dimitri Auriant a coordonné tout le déroulement avec pertinence. Ce fut un dîner parfait dans une belle ambiance. On ne demande qu’à recommencer.

Déjeuner de famille dimanche, 10 novembre 2024

Ma fille aînée vient avec sa fille aînée déjeuner à la maison. A l’apéritif nous buvons un Champagne Cristal Roederer 1999 qui m’avait gratifié à l’ouverture d’un petit pschitt discret. Le champagne a de jolies bulles fines et une couleur d’un or clair. De fines tranches de boudin blanc sont idéales pour mettre en valeur la personnalité de ce Cristal. Il est large et confortable. Il n’a pas une grande énergie, mais c’est un champagne de qualité très agréable à boire.

Pour la pintade, j’ai ouvert un Château Ausone 1967. Le niveau était dans le goulot, le bouchon idéal et le parfum prometteur à l’ouverture. Dès la première gorgée, on sent à quel point il est noble. C’est l’archétype d’un grand Saint-Emilion. Tout en lui est pur, riche, intense et équilibré. C’est le bordeaux parfait à la maturité idéale.

288ème repas au restaurant Plénitude Arnaud Donckele samedi, 9 novembre 2024

Le 288ème repas se tient au restaurant Plénitude Arnaud Donckele. C’est un déjeuner pour lequel la salle est privatisée et dont la table s’appelle François Audouze, car elle a été créée selon mes suggestions. Elle est ovale ce qui permet que tout le monde se voie, sans que la distance entre convives soit trop grande. Nous sommes douze dont cinq qui viennent pour la première fois. Le contingent féminin est faible par le nombre qui est ‘un’, mais fort par la présence de mon amie américaine qui a participé à environ vingt-cinq repas.

Je commence l’ouverture des vins avec Chloé, sommelière qui assiste Emmanuel Cadieu le brillant chef sommelier. J’ai invité à ce repas Guillaume Gomez, ambassadeur de la gastronomie française et ancien chef de cuisine de l’Elysée, qui aura travaillé pour quatre présidents. Il me rejoint à la cérémonie d’ouverture des vins.

Il y a pour ce repas des vins des années 1880, 1904, 1911, 1924, 1924, 1929, 1936, 1950, 1961, 1966, 1971, 1990, 1990. Il y a huit vins de plus de 70 ans dont 5 vins d’un siècle ou plus. Le risque existe que des bouteilles soient difficiles et la plus risquée me semble être le Pichon Baron 1904 au niveau à mi- épaule. Je commence par ouvrir La Tâche 1950 au bouchon noir et dont le haut de bouchon, avant que je ne le nettoie, est couvert d’une poussière noire qui sent la terre. Heureusement cette odeur n’existe pas pour le vin. Le Chambertin 1929 a un parfum que j’adore, représentatif de cette glorieuse année. Le parfum du Château Margaux 1924 en magnum est extrêmement convainquant. J’adore les odeurs des deux blancs et je suis fasciné par le parfum du 1904, qui offre une odeur de fruits rouges que l’on n’imaginerait pas. Les parfums les plus forts sont ceux du Vin blanc d’Arlay et du Maury si riche.

Les vins étant ouverts nous avons le temps de parler avec Arnaud Donckele et Guillaume Gomez et c’est fort agréable.

Il y a presque un mois j’avais travaillé avec Arnaud Donckele, Alexandre Larvoir le directeur du restaurant et le chef cuisinier du restaurant pour bâtir le menu. C’est pour moi enthousiasmant de confronter mes idées avec le génie de ce grand chef. Nous avons fait un programme qui semble passionnant.

Le menu créé par Arnaud Donckele est ainsi libellé : gourmandises de bienvenue (dont une huître) / homard – tourteau – corail pour sauce à manger « langue de chat » / partition maraîchère pour vinaigrette « patidou » / rouget – boulangère – genièvre pour soupe de roche « tanin des failles rocheuses » / lièvre – céleri – baie rose pour jus « bois tison » / Gnocchi – Alba – Crocus pour Poulette « d’Y » / Flave Equinoxe nuances de mangue à pomme pour sauce pectinée « bruine d’endocarpe » / Financier de François Audouze.

J’aime cette présentation où le mot « pour » est systématiquement utilisé pour montrer que les ingrédients sont au service de la sauce, qui est le cœur du plat. Si le financier porte mon nom c’est parce que je l’ai souvent proposé comme point final d’un repas. Il est à la rose.

Je présente les règles des repas aux cinq nouveaux mais aussi aux habitués pendant que l’on boit le Champagne Dom Ruinart 1990. Il est riche et brillant, tout en gloire car il est d’une année mythique pour Dom Ruinart. Il est associé avec le Champagne Krug Vintage 1966 pour les amuse-bouches. L’huître est à se damner avec le Krug, si noble et profond. Il représente l’aristocratie du champagne, d’une noblesse exemplaire. Les deux champagnes sont très différents, l’un pour son charme plaisant et l’autre pour sa perfection incomparable car 1966 est le sommet du champagne.

Le homard est d’un raffinement absolu. Le Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves 1971 est un vin percutant, pointu, vif et noble. A côté, le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 est d’une douceur et d’un charme inouï. Il est comme une gondole de Venise qui glisse doucement dans le gosier. Comme pour les champagnes, les deux blancs sont résolument différents et c’est ce qui rend l’expérience du mariage mets et vins si excitante.

La partition maraîchère accueille les deux vins centenaires. Le Magnum Château Margaux 1924 est tout simplement sublime. Il aura une victoire cinglante de six votes de premier. Ce vin est la définition absolue du bordeaux parfait, avec un équilibre impressionnant et une vivacité marquante.

A côté de lui j’avais choisi le Château Grand Saint Lambert Cru Bourgeois Supérieur 1924 (cave du Chapon Fin à Bordeaux) pour lui faire compagnie. Bien évidemment il y a un écart important de noblesse et d’émotion, mais ce vin lui aussi n’a pas d’âge et aurait été la vedette d’un repas où le Margaux n’aurait pas été présent. J’ai aimé de lui laisser l’opportunité de figurer dans un grand repas.

Le rouget est l’ami des pomerols. Aussi le plat est fait pour le Château Nénin Pomerol 1961, vin en pleine maturité triomphante montrant un goût de truffe noire du plus bel effet. Étonnamment ce vin n’aura pas de vote alors qu’il est grand, ce qui montre la richesse de la compétition.

J’ai personnellement un faible pour ce Château Pichon Baron de Longueville 1904 que j’ai bu plusieurs fois et qui a offert un vin fruité que l’on n’attendrait jamais d’un vin de 120 ans. Il a su être présent ce qui me fait plaisir.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950 a tout d’un grand vin de la Romanée Conti. Une couleur terreuse, un nez et un goût de sel et cette subtilité logue et persistante, d’un vin qui ne veut pas flatter. Il est grand, mais ayant le souvenir de l’Echézeaux 1967 bu hier, je pressentais que La Tâche ne pourrait pas surpasser l’Echézeaux parfait.

Le lièvre combine puissance et légèreté avec des accents intenses. Le Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929 en aime certaines vivacités et La Tâche d’autres. Je ressens la plénitude absolue de ce vin liée à l’immensité du millésime. On est bien avec les vins de 1929.

L’envie était grande d’essayer le Maury domaine de Volontat 1880 sur le lièvre et c’est une excellente idée car ce vin d’une richesse infinie au goût concentré comme une liqueur est d’un charme extrême. Je connais le tonnelet qui avait gardé ce vin. La part des anges était telle qu’elle avait gardé une concentration folle de cet élixir que j’adore. Le nez fait penser à celui des liqueurs de goudron. Le Maury a accompagné le dessert par la suite.

Dès qu’on m’a servi le Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911 j’ai eu un choc comme celui que je ressens face à un vin parfait. Et l’émotion s’en prend à mon âme. Alors qu’il y a des vins grandioses dans ce repas, je serai le seul à le classer premier du fait de ce choc de pureté et d’absolue perfection. L’apparition de ce choc ne se commande pas.

Le Château Suduiraut Sauternes 1936 est d’un équilibre qui lui donne une puissance que l’on attendrait d’un 1937, la grande année de sa décennie en Sauternes. Il n’a pas la splendeur du Suduiraut 1928 qui est le plus beau sauternes 1928 que j’aie eu la chance de boire, mais il est au-dessus de ce que je pouvais imaginer. C’est un sauternes riche et puissant, compagnon idéal du dessert aux fruits délicats.

Le classement des vins est toujours un exercice difficile. Sur les 13 vins, seulement trois vins n’ont pas eu de votes, ce qui signifie que dix vins sont dans les cinq premiers d’au moins un convive. Six vins ont eu le privilège d’être votés premiers, six fois pour le Château Margaux 1924, deux fois pour le Krug 1966 et une fois pour quatre vins : Laville Haut-Brion 1971, Bâtard Montrachet 1990, La Tâche 1950 et le Vin Blanc Vieux d’Arlay 1911.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Magnum Château Margaux 1924, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950, 3 – Champagne Krug Vintage 1966, 4 – Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990, 5 – Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911, 6 – Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves white 1971.

Mon classement est : 1 – Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911, 2 – Magnum Château Margaux 1924, 3 – Champagne Krug Vintage 1966, 4 – Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950.

L’accord le plus sublime est celui des légumes à la vinaigrette avec les deux bordeaux de 1924. Qui aurait osé un tel accord ? Ce fut un coup de génie. Le Gnocchi à la truffe blanche avec le Vin Blanc d’Arlay m’a enthousiasmé, mais on peut dire que tout fut d’un génie extraordinaire car nos papilles ont été entraînées dans un tourbillon de merveilles gustatives. Nos palais faisaient un voyage comme dans la grande roue de Londres ou de Singapour.

La brigade de service composée d’hommes et de femmes impeccablement habillés et attentifs a fait un travail parfait qui rend hommage à la gastronomie, les femmes étant belles et remarquablement maquillées. Emmanuel Cadieu a fait un service du vin idéal.

En début de repas Arnaud Donckele était venu louer le travail que nous avions fait en commun, au point de dire que ce repas a été fait par François Donckele, mêlant nos deux noms. C’est infiniment gentil mais le talent d’Arnaud est le grand responsable de ce beau repas.

Nous sommes allés dans le fumoir pour goûter de beaux cigares apportés par les uns et les autres. J’avais apporté des cubains de la période Davidoff. Le Old Taylor Kentucky Straight Bourbon Whiskey 43° m’avait tellement plu par sa couleur de mangue dans ma cave que je l’avais choisi. Il s’est montré gourmand et idéal pour que nous continuions de bavarder, encore impressionnés par ce repas parfait.

déjeuner au restaurant Pages samedi, 9 novembre 2024

Un ami de longue date me propose de déjeuner au restaurant Epicure de l’hôtel Bristol car cela fait des années que nous ne sommes pas vus puisqu’il vivait en Australie. Par ailleurs l’américaine qui est la plus fidèle de mes dîners vient d’arriver à Paris, et participera demain au déjeuner au restaurant Plénitude. Elle me demande quand nous pourrions nous voir. Je lui propose de se joindre à nous.

Jonathan demande à Epicure s’ils pratiquent un droit de bouchon. Le prix qu’ils indiquent est tellement ridiculement haut que je lui suggère d’annuler sa réservation. Nous irons donc déjeuner au restaurant Pages. Nous serons quatre, car j’ai demandé à ma femme de se joindre à notre petit groupe car l’américaine est une amie.

Jonathan a apporté un Krug Clos du Mesnil 2008. J’ai apporté un Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1967 et un Château Chalon Bouvret 1959 que j’ouvre en arrivant. Le bouchon du 1967 est illisible et le parfum subtil est engageant. Le parfum du Château Chalon est tonitruant et conquérant. Une bombe de saveur.

Je fais le menu avec le chef Ken : carpaccio de wagyu / pagre cru / turbot / wagyu ou lièvre à la royale ou les deux / dessert.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 2008 a un parfum délicat qui est assez réservé. En bouche, je suis très agréablement surpris de sa largeur et de sa convivialité, alors que le champagne est jeune. Avec les deux entrées de viande et poisson crus, le champagne est brillant, vif et profond. Mais c’est en fait dans vingt ans que ce champagne donnera ses plus belles complexités, car ce champagne gagne en vieillissant, le millésime 1979, le premier de tous, étant le plus exceptionnel.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1967 me fait tomber en pâmoison. Et je souris. Depuis des années je participe à la présentation des vins du domaine de la Romanée Conti et l’Echézeaux est servi en premier, considéré comme le petit débutant qui doit ouvrir le spectacle. Or cet Echézeaux est absolument étonnant, d’un niveau très supérieur à ce qu’il devrait offrir. Il est délicat, raffiné, et je le considère l’égal d’une Romanée Saint-Vivant qui serait parfaite.

Ce vin m’émeut au plus haut point car ses finesses progressent en bouche sans trouver de fin. C’est un régal sans limite. Alors bien sûr, il est tentant de le boire avec le turbot cuit nature, et c’est parfait. Nous sommes deux à manger le wagyu et deux à profiter du lièvre à la royale. Ayant eu ce lièvre hier j’ai pris le wagyu. L’accord est parfait et toute l’âme de la Romanée Conti se montre en ce vin, sel, finesse, longueur terrienne infinie.

Un Comté est prévu pour le Château Chalon Bouvret 1959. Quelle déception ! Alors que le parfum est explosif, le vin est plat, réservé, sans l’énergie que l’on aimerait. Quel dommage. Bien sûr il se boit mais il manque d’âme.

Le subtil dessert de Lucas est accompagné par le Krug toujours aussi élégant.

Le classement sera facile : 1 – Echézeaux 1967, 2 – Clos du Mesnil 2008, 3 – Château Chalon 1959. De nombreux souvenirs communs ont ensoleillé ce repas où l’équipe de cuisine a fait des prouesses.

déjeuner au restaurant Le Sergent Recruteur mercredi, 6 novembre 2024

L’écrivain me propose de venir à des séances de signature de ses livres mais les dates ne conviennent pas. J’invite l’auteur à déjeuner au restaurant Le Sergent Recruteur. Lorsque j’arrive, je suis accueilli par Aurélien qui fait office de sommelier mais aussi de directeur de salle.

J’ouvre les vins que j’ai apportés. Tous les deux ont des bouchons magnifiques, les niveaux sont parfaits et les parfums sont distincts. Le Corton Charlemagne a un nez puissant et conquérant tandis que le Chambertin a un nez subtil et délicat. Aurélien sent aussi les vins et nous composons le menu. Il y aura une assiette de cèpes juste poêlée et le lièvre à la royale. Aurélien pensait que le vin rouge serait trop frêle pour le lièvre et j’ai pensé au contraire que le vin charmant calmerait la puissance du lièvre.

L’écrivain arrive et nous buvons le Corton-Charlemagne Pierre Marey & Fils 1982 sur les gourmandes rillettes du restaurant. La couleur du vin est d’un or clair très séduisant. En bouche on ressent son côté guerrier, puissant, conquérant. C’est un grand Corton-Charlemagne que je n’imaginais pas aussi solaire pour l’année 1982. L’accord cèpes et vin blanc est absolument parfait.

Le lièvre à la royale, façon sénateur Couteaux, est délicieux. Sa puissance est mesurée, ce qui est agréable. Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley négociant 1969 a une très couleur rouge sang. Le nez est discret mais subtil. En bouche je suis immédiatement conquis. Je me sens invité par Madame d’Epinay ou par la Marquise de Lambert, à l’un de ses salons où l’on parle de science et de poèmes. C’est le côté courtois de ce vin que j’adore, tellement raffiné et glissant sans fin dans le palais. Et le vin adoucit l’ardeur du lièvre avec un talent infini.

Je suis aux anges avec ce chambertin qui n’a pas d’âge tant il est pertinent. On dirait qu’il est de 1985, on ne ferait pas d’erreur, tant il est accompli. Alain Pégouret fait une cuisine d’une belle justesse.

Nous avons continué à boire les deux vins sur des fromages bien choisis par le restaurant.

Ce déjeuner avec des vins très différents et parfaits a été passionnant car nous avons échangé sur des sujets intéressants. Il est assez probable que nous nous retrouverons.

déjeuner chez des amis vendredi, 1 novembre 2024

Nous sommes dans le sud et nous allons déjeuner chez des amis qui habitent Eygalières, une petite ville entourée d’un paysage d’une grande beauté. Notre ami est un passionné de cuisine et a préparé des plats délicieux.

A l’apéritif nous buvons un Champagne Louis Roederer Brut Premier sans année. Il n’est pas désagréable, mais il manque de complexité.

Sur une entrée originale avec un boudin noir, Le Schistes d’Agrumes Condrieu M. Chapoutier 2020 est une magnifique surprise. Je m’attendais à un vin trop jeune pour mon goût, or ce vin est gourmand, plein, fruité, frais et très agréable à boire. Un réel plaisir.

J’ai apporté un Château de Beaucastel Châteauneuf du Pape 2001. Quelle merveille. Ce vin est totalement accompli, riche, construit, explosant de joie de vivre. Il est arrivé à un équilibre parfait, de belle maturité. Il va encore s’épanouir, mais il est déjà proche de la perfection absolue. L’accord avec la joue de bœuf est idéal.

Pour le dessert nous avons un Porto Ramos Pinto 2011 riche et percutant. Il est encore jeune, mais il atteint son but, riche de gourmandises pointues. Son équilibre est très agréable.

Par une belle journée ensoleillée, d’un été indien qui s’est invité dans l’automne, nous avons passé une agréable journée avec des amis charmants et deux vins de grand intérêt.

Déjeuner avec trois Romanée Conti mercredi, 23 octobre 2024

Il y a quelques mois, un de mes fournisseurs de vins m’a proposé une Romanée Conti 1945. Il y avait plusieurs photos montrant un niveau bas. Ce fournisseur a l’esprit d’un torero, toujours prêt à des batailles et la pugnacité d’un taureau de combat. Ce qui prêche en sa faveur, c’est que j’ai acheté une bouteille qu’il avait mis en vente aux enchères il y a quelques années, un jéroboam de Romanée Conti 1961, que personne n’avait acheté tant il était peu fringant. Je l’avais acheté et il s’est révélé brillant dans un dîner que j’ai organisé.

La question immédiate qui vient face à un tel mythe est évidente : faux ou pas faux ? La parcelle de la Romanée Conti avait gardé ses vignes préphylloxériques et en 1945, les vignes avaient 200 ans et étaient si fatiguées qu’il a été décidé de les arracher pour les remplacer par des jeunes vignes. La production de 1945 ne fut que de 600 bouteilles alors que d’habitude elle était de 4000 à 7000 bouteilles et comme il n’y a pas eu de vin de la Romanée Conti pour 1946 jusqu’en 1950, la Romanée Conti 1945 est devenu un symbole et un mythe.

Tous les amateurs de vin ont en tête le prix qu’a obtenu une Romanée Conti 1945 provenant de la cave de famille Drouhin qui vendait ce vin, prix qui est le plus élevé pour une bouteille de vin.

Les images que j’ai vues ne me semblaient pas correspondre à un vin falsifié et le niveau était bas. Mais quelque chose m’a poussé à aller plus loin. Le fournisseur voulait absolument boire le vin. Il sacrifierait la moitié de son revenu pour boire le vin. A mon sens, il ne ferait pas cela s’il n’avait pas confiance dans le vin.

Les discussions ont été difficiles, avec des joutes qui ressemblaient à des combats de coqs. Cinq ou six fois, j’ai dit : stop, terminé, ciao… et un jour nous sommes arrivés à une entente. Comme dans un poker, on calcule son risque. J’ai calculé et accepté le risque d’un vin qui serait mort ou faux.

J’ai réservé une table au restaurant Pages parce qu’ils sauront cuisiner pour les vins. Chacun de nous deux apporterait un autre vin.

Je suis arrivé à 9 h 30 au restaurant Pages. Nous devions nous rencontrer à 9 h45 mais Guillaume m’a envoyé un message me disant qu’il serait en retard, à 10 h 15.

J’ai décidé d’ouvrir la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1955. J’avais pris cette bouteille pour avoir une référence pour la Romanée Conti 1945 car les deux ont des niveaux bas et pour une autre raison. Curieusement, les Romanée Conti de nouvelles vignes, de 1951 à 1955, présentent une complexité inattendue. Et cette complexité n’est pas loin de celles des vins préphylloxériques. C’est très curieux, et Aubert de Villaine pense que les racines qui n’ont pas été débarrassées du sol ont eu une influence sur les nouvelles pousses.

J’ai ouvert la Romanée Conti 1955 et l’odeur était si intensément mauvaise, boue et terre, que je n’étais pas sûr qu’elle perdrait ses vilaines senteurs en un temps court.

Guillaume est arrivé et j’ai ouvert la Romanée Conti 1945. Le liège noir et gras donnait une indication : impossible que ce vin soit faux. C’est un liège typique et laid, comme on en trouve du Domaine de La Romanée Conti durant les décennies 40, 50, 60 et 70.

L’odeur n’est pas parfaite mais j’espère que toutes les mauvaises odeurs pourront disparaître. Et les défauts sont typiquement conformes aux défauts que j’avais senti en ouvrant les vieux vins du Domaine de La Romanée Conti.

La Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1929 a été apporté par Guillaume et c’est une Vandermeulen. C’est un grand négociant en vin de Belgique qui avait le privilège de pouvoir embouteiller les vins reçus en barriques. Il a vendu de grands vins et beaucoup de faux vins. Je suis attentif en ouvrant et l’odeur ne correspond pas à ce que j’attendais. Les odeurs laiteuses ne sont pas normales. Le retour à la vie est prévisible et je n’ai pas d’opinion sur le fait qu’il s’agisse d’un faux ou non.

Après avoir ouvert les trois Romanée Conti, nous avons décidé de marcher dans Paris et de revenir au restaurant à 13 heures. Par chance le soleil est radieux.

Notre déjeuner commence à 13 heures après l’ouverture des vins de 9 h45 à 11 heures.

Le menu que j’ai suggéré au chef Ken, comme nous ne buvons que trois Romanée Conti et rien d’autre est : carpaccio de filet de bœuf / bœuf de Normandie / deux services successifs de Wagyu / lièvre à la royale / financiers.

Je pensais que l’odeur de la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1955 aurait du mal à se rétablir, mais elle s’est complètement reconstituée, redevenant absolument parfaite, marquée par le sel. En bouche c’est un pur rêve. La couleur est typique pour les vieilles Romanée Conti : terre brune, qui avec les vins du domaine n’est pas une caractéristique négative. Le goût est magique, archétypal de la Romanée Conti. Je suis si heureux. C’est une merveille. Probablement la meilleure Romanée Conti que j’ai bue de la période 1951 à 1975. Il faut noter que 70% des amateurs de vin auraient jeté ce vin à cause de l’odeur désagréable à l’ouverture.

Comme je le dis très souvent, ma méthode d’ouverture fait des miracles et ce n’est pas pour essayer de faire le fanfaron. Je suis tellement content de la typicité parfaite de ce vin. J’ai offert un verre pour que Ken et son équipe puissent s’en imprégner.

Pour la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1945 j’avais pensé que l’odeur imprécise avec des défauts disparaîtrait mais en fait, quelques défauts d’odeur sont restés. Je pensais : aïe aïe aïe. Mon désir allait-il être gâché ?

Mais comme les surprises arrivent toujours avec le vin, le goût n’a absolument aucun défaut. C’est curieux. La couleur du vin est lourde et le goût du vin est dense et lourd, ce qui est typique des vins préphylloxériques. Et puis la complexité, la fraîcheur et la longueur impérissable sont apparues.

Deux secondes de ma vie ont été l’éternité. J’ai mangé une bouchée de Wagyu et quand j’ai bu le 1945, toute l’histoire de l’univers était dans mon verre. Un moment de bonheur stratosphérique. Romanée Conti 1945 est faite pour Wagyu et vice versa. Ce fut le choc d’un instant. La grandeur de la viande grasse fait exploser la générosité du vin.

Puis je me suis demandé, est-ce une grande Romanée Conti ? Pour mon goût, je préfère la 1955. Mais pour la légende, ce vin est la légende. Et je me souviendrai toujours de la force du préphylloxérique, de l’incroyable longueur et de la complexité.

C’est un moment totalement précieux dans ma vie.

J’avais déjà bu la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1945 il y a 25 ans. J’avais aimé mais je n’avais pas les connaissances que j’ai aujourd’hui, qui me permettent d’avoir une meilleure perspective.

C’est maintenant le tour de la Romanée Conti 1929 Vandermeulen. Quand on l’a ouverte, l’odeur de la 1929 était désagréable. Certains aspects laiteux s’atténuent au déjeuner, mais je suis toujours agacé par ces odeurs.

La question vraie ou fausse était toujours dans mon esprit, en raison de la réputation de Vandermeulen qui avait vendu de grands vins mais aussi des contrefaçons. Mais une sensation est apparue avec le lièvre à la royale, comme l’éclair de magie pour la 1945.

La combinaison était si intense que le 1929 a révélé des marqueurs de la Romanée Conti.

Je n’ai pas été impressionné par cette 1929 parce que j’ai bu tellement de bourgognes de 1929 qui étaient meilleurs, mais j’ai eu un instant un flash non éloigné de celui que j’ai eu pour la Romanée Conti 1945.

Nous avons terminé ce voyage irréel avec de délicieux financiers crées par Lucas le pâtissier du restaurant Pages.

Si je veux résumer ce déjeuner, en termes de perfection, la 1955 est la parfaite Romanée Conti, mais en termes d’émotion, la 1945 est l’émotion de ma vie.

La Romanée Conti 1945 est une légende absolue. Nous avons eu son émotion. Cinq heures plus tard, je souriais encore.

Le lendemain j’ai téléphoné à Pierre-Alexandre, le directeur de Pages pour le féliciter. Il m’a dit : c’était tellement émouvant de vous voir si heureux. C’était une aventure unique.

déjeuner de famille avec deux vins de 90 ans dimanche, 20 octobre 2024

C’est un déjeuner de famille dans ma maison. Nous serons huit dont cinq qui boivent du vin. Ma dernière fille vient d’avoir cinquante ans. Un tel chiffre est important dans la vie de chacun et j’ai ressenti qu’elle y est sensible aussi j’ai eu l’idée de choisir deux Bourgognes de 1934, qui ont quarante ans de plus qu’elle, pour suggérer qu’elle a une longue vie devant elle et qu’il ne faut pas s’arrêter à un chiffre jalon.

J’ai ouvert les vins très tôt et j’ai voulu ouvrir le champagne en avance, car il s’agit d’un magnum. Lorsque j’ai tourné le bouchon du Veuve Clicquot 2008, j’ai senti une énorme pression sur mes doigts, et le pschitt explosif a fait le bruit d’un tir de canon. Buvant rarement des champagnes jeunes, j’ai été impressionné par ce bruit.

Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008 en magnum promet d’être grand mais il est un peu trop jeune pour l’instant. Très élégant, avec une grande longueur, j’aurais aimé un peu plus de gras car il est strict. Mais il deviendra grand. C’est aujourd’hui un champagne sérieux.

Le Clos Vougeot Cave de la Reine Pédauque 1934 avait à l’ouverture il y a quatre heures une odeur qui n’était pas parfaite, un peu boueuse. Mais quand je le sers, il a effacé toute imperfection. Il est grand, un peu gras, et offre une personnalité généreuse.

Le Chambertin Charles Viénot 1934 est un vin que j’ai acheté il y a plus de 20 ans quand Pierre Cardin vendit aux enchères simultanément à New York et à Paris la cave du restaurant Maxim’s. Les prix étaient fous mais j’ai acheté une caisse de douze Chambertin 1934. Beaucoup ont souffert d’évaporation, certainement en raison des conditions de conservation dans la cave de Maxim’s.

Cette bouteille – pour une fois – a un bon niveau, et en l’ouvrant je savais que ce serait un grand vin. Ce vin a toutes les qualités d’un grand vieux Chambertin. Il est si impressionnant, dense, intense, frais. Un vin immense d’un très grand vigneron. Large et opulent c’est un vin de plaisir.

Ma fille aînée préfère le Clos Vougeot. Ma plus jeune fille comme moi préfère ce Chambertin d’une belle intensité.

Nous avons bu les vins avec du poulet et des pommes de terre, le plat le plus simple et parfait. Et avec un fromage Mont d’Or, le Chambertin est à se pâmer.

Ouvrir deux vins de 90 ans était un risque. Ce fut un succès.

286ème dîner au restaurant Pages jeudi, 17 octobre 2024

Le 286ème dîner se tient au restaurant Pages. Des amateurs américains de l’Idaho avaient participé au 240ème dîner et viennent de se marier hier en France, dans la Loire. Accompagnés d’amis de l’Idaho, ils m’avaient demandé d’organiser pour leur groupe de cinq un dîner qui se tiendrait le lendemain du mariage. Je leur ai proposé de compléter la table avec d’autres convives pour avoir un programme de vins beaucoup plus large. Nous serons donc dix ce soir avec une parité parfaite Idaho / France. Il y aura autour de la table un vigneron de la Napa Valley, des commerçants du monde du vin et des amateurs éclairés.

Un peu avant 16 heures je commence l’ouverture des vins. Je serai rejoint plus tard par un ami commerçant en vins et journaliste et par un journaliste. Nous aurons ainsi le temps d’échanger sur le vin et mes dîners.

Alors que le Domaine de Chevalier 1952 a un niveau mi-épaule et le Clos Fourtet 1960 a un niveau superbe, c’est le 1952 qui offre le plus beau parfum, le saint-émilion ayant un nez poussiéreux qui pourrait ne pas se dissiper. Le Clos de Vougeot 1961 a un beau bouchon et un parfum idéal.

Je bataille avec le bouchon du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 dont le sommet est couvert d’une pâte graisseuse et se retire en morceaux gras et noirs. Mes mains sont toutes noires. Fort heureusement le parfum est salin et typique des vins du domaine.

Le Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949 a un bouchon parfait et des senteurs riches de garrigue. Les trois liquoreux de 1929 ont des bouchons qui ne posent pas de problème et des parfums riches très différents. Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 offre un gentil pschitt qui signe une belle jeunesse et le Moët & Chandon Brut Impérial 1964 a un bouchon qui se brise puisque le bas du bouchon ne veut pas suivre la torsion du haut du bouchon. Il s’annonce impérial comme son nom.

Les convives sont tous à l’heure. Le menu a été conçu lors d’une conversation téléphonique entre Pierre-Alexandre le directeur, Ken le chef et moi. Nous nous connaissons si bien que ce fut facile. Un point d’interrogation existait sur le lièvre à la royale puisque Ken n’était pas sûr de pouvoir le faire à temps. Fort heureusement ce plat mythique sera servi ce soir.

Le menu est ainsi libellé : amuse-bouche : carotte, brocolis, jambon / anguille fumée, amanite des Césars / carpaccio de poisson blanc / noix de Saint-Jacques poêlées / daurade royale poêlée, sauce vin rouge / pigeon rôti, sauce salmis, pommes des terres poêlées / lièvre à la royale / tarte Tatin / chocolat.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 est d’une belle couleur claire et la bulle est encore présente. Ce champagne est vif et tranchant, prenant de la largeur avec le jambon ibérique. Sa noblesse est certaine. C’est le vin phare de la maison Mumm dans un millésime qui n’a pas la renommée qu’il devrait avoir. C’est le 21ème que je bois tant j’ai de sympathie pour ce grand Mumm.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 est une belle surprise pour beaucoup tant il est joyeux et généreux. Il est même fruité et si la bulle n’est plus visible, le pétillant est entraînant. C’est un champagne gourmand. Alors que Dom Pérignon est d’une hiérarchie supérieure j’ai parfois plus de plaisir franc avec les Brut Impérial anciens qu’avec les Dom Pérignon des mêmes années.

Je suis un peu gêné par l’Y d’Yquem Graves blanc 1979 qui a un léger goût de bouchon, qui ne rebute aucun des convives. Ce vin a des traces de botrytis comme très souvent pour les Y. Il est ensoleillé. A l’inverse le Château Laville Haut Brion blanc 1978 est strict et tranchant, d’un caractère guerrier. Le Laville est le compagnon du carpaccio de poisson alors que l’Y est confortable avec les noix de Saint-Jacques. Les deux blancs de Bordeaux ont des styles différents et sont excellents.

Le Clos Fourtet Saint-Emilion 1960 n’a plus aucun défaut olfactif mais je ne le trouve pas aussi brillant qu’il pourrait l’être. On est loin du sublime 1947 qui fait partie de l’élite des bordeaux de 1947. En revanche le Domaine de Chevalier Léognan 1952 dont je n’étais pas sûr, du fait de son niveau, est riche et bien construit. Avec la daurade, il forme un très bel accord. Ce Chevalier est une agréable redécouverte.

Le Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961 est pour mon goût une gigantesque surprise. Il représente le bourgogne archétypal mais surtout il est absolument parfait, d’une construction idéale. C’est le bourgogne tel qu’on le rêverait. Alors que je chéris les vins du domaine de la Romanée Conti, c’est ce vin que je mettrai premier dans mon vote tant il est grand. L’accord avec le pigeon est classique mais si efficace.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 a une couleur un peu terreuse, mais il a tous les marqueurs des vins du domaines, le sel et la rose auxquels s’ajoute un style parcheminé. Le millésime 1956 était faible et s’est révélé quelques années plus tard. Il y a des complexités impressionnantes. Il convaincra mes convives.

Le Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949, c’est l’ami de toujours, celui en qui on a une confiance totale. Il est tellement solide, construit et rassurant. Il est fait pour le lièvre à la royale dont il calme les ardeurs. Le vin est long, riche et d’un charme enthousiasmant.

J’ai voulu mettre dans ce repas trois liquoreux d’une année mythique, très différents. Le Château du Peyrat 1er cru Capian Langoiran 1929 est un Premières Côtes de Bordeaux qui m’avait surpris par la richesse de son parfum. Il n’a pas la puissance des sauternes mais sa vivacité est supérieure à ce que j’attendais.

Château Fihot est généralement un sauternes plus doux et discret qu’Yquem aussi suis-je surpris par l’intensité de ce Château Filhot Sauternes 1929. Quel vin riche et complexe. Un miracle de plaisir sur une tarte Tatin gourmande faite par Lucas, le pâtissier du restaurant.

Le Banyuls Grand Cru SIVIR 1929 a été embouteillé en l’an 2000. Il s’agit d’un Banyuls de coopérative qui a passé 71 ans en fût de chêne. Le parfum est d’une densité incroyable et malgré cela, le vin paraît plus léger et frais que ce que suggère sa pesanteur alcoolique.

Je suis content que l’on ait exploré ces trois liquoreux d’un même millésime. Chacun offre une grâce particulière que seuls les liquoreux anciens peuvent donner. J’aurais été tenté d’essayer le lièvre à la royale avec le Banyuls, mais mon assiette était vide. C’eût été plus original que le classique chocolat.

Mes convives ont été impressionnés par la cuisine épurée, simplifiée mais si efficace du chef Ken et de son équipe. Cette pureté et cette précision mettent en valeur les vins idéalement.

Les votes sont extrêmement intéressants. Les 12 vins présents ont tous reçu au moins un vote d’un des convives, ce qui est gratifiant pour mes vins. Encore plus plaisant est le fait que six vins ont été nommés premiers : le Richebourg trois fois, le Clos de Vougeot et le Moët deux fois et le Châteauneuf du Pape, le Domaine de Chevalier et le Laville Haut-Brion chacun une fois premier.

Le vote de l’ensemble de la table est : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956, 2 ex-aequo – Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961 et Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949, 4 – Château Filhot Sauternes 1929, 5 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964, 6 – Domaine de Chevalier Léognan 1952.

Mon classement est : 1 – Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961, 2 – Château Filhot Sauternes 1929, 3 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956, 4 – Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949, 5 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964.

J’ai gardé la plus belle surprise pour la fin de ce récit. Les cinq américains me suivent sur Instagram. On voit peu de photos de moi mais quand je suis pris en photo c’est souvent au restaurant et on me voit avec un pullover qui a la couleur bleu foncé qui est celle des mots que l’on voit ci-dessus. Les trois hommes sont venus au dîner avec des pullovers de cette couleur bleue. Quelle gentillesse folle !

Dîner avec mon fils et des vins étranges jeudi, 17 octobre 2024

Ce soir nous allons recevoir mon fils à la maison. C’est avec lui que je peux choisir des vins que je ne pourrais pas ouvrir dans d’autres occasions.

Je déteste gaspiller. Dans ma cave, des problèmes existent car les vins sont des êtres vivants qui peuvent se blesser ou mourir. J’accepte cette situation. Et tous mes vins ont le droit de figurer dans un repas.

J’avais acheté 10 bouteilles de Krug Private Cuvée des années autour de 1960 et, en regardant le lot, je vois une bouteille ayant perdu 40% de son liquide et une autre ayant perdu 60%.

Pour un de mes prochains dîners, j’avais prévu de mettre une bouteille que je chéris, un Domaine de Bouchon Sainte-Croix du Mont Café Voisin 1900. Une magnifique bouteille. Mais quand j’ai voulu faire une vidéo, 75 % du vin s’étaient évaporé.

Face à ces trois vins, la seule possibilité est de les boire avec mon fils.

Par ailleurs, j’ai choisi un Richebourg du domaine de la Romanée Conti dont je n’arrivais pas à lire l’année. La capsule avait été coupée pour essayer de lire l’année et malgré toutes les illuminations possibles, je n’arrivais pas à lire l’année. Il a un superbe niveau d’environ 6 cm sous bouchon.

Seul mon fils accepterait cette expérience. Voilà un beau challenge.

J’ouvre les vins trois heures avant le dîner.

Qui pourrait croire que lorsque j’ai ouvert le Krug avec le niveau le plus bas, il y a eu un pschitt. C’est incroyable puisque l’air remplit déjà 60% de la bouteille. Mais le pschitt était là. Etonnant. La bouteille la plus remplie n’a pas montré le moindre souffle. Au parfum c’est la plus évaporée qui me séduit.

J’ai ouvert le Richebourg et le bouchon est venu entier. Je pouvais lire le 6 sur 196.. et je pensais que c’était 1969, ma femme lisait 1960 et quand mon fils est arrivé il a lu 1966. C’est seulement plus tard que j’ai retrouvé dans mon inventaire que c’était 1966. A l’ouverture le parfum est très engageant.

La capsule du Domaine de Bouchon 1900 est entouré d’une ficelle avec des nœuds que j’enlève religieusement, ne sachant pas à quoi elle peut servir. Le nez du vin dont il ne reste que 20% est neutre.

L’apéritif consiste en une rillette de porc et une rillette de canard. Le Champagne Krug Private Cuvée années 60 au plus bas niveau a une couleur magnifique et le champagne est merveilleux, parfait. C’est assez incroyable. Il est meilleur que le Champagne Krug Private Cuvée années 60 d’un meilleur niveau. Le plus bas a une énergie supérieure à l’autre. La rillette de porc est nettement supérieure à celle de canard pour mettre en valeur les champagnes.

Les deux sont délicieux et vont accompagner un caviar osciètre prestige aux accents marqués, presque viandeux qui va exciter les champagnes. Le plus évaporé est fantastique, du niveau d’un Krug parfait. On est face à l’aristocratie du champagne.

Ma femme a prévu un foie gras poché, car elle sait que j’adore ce plat sur les vins de la Romanée Conti. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1966 est fantastique, avec ce sel intense qui est une signature de la Romanée Conti. La première moitié du flacon évoque une Romanée Saint-Vivant du domaine, tant le vin est gracieux et fin. La seconde mi-temps est un vrai Richebourg glorieux et immense. Nous avons été émus par ce vin parfait et intense. Quelle chance !

Le Domaine de Bouchon Sainte-Croix du Mont Café Voisin 1900 est beaucoup trop fatigué et a perdu en intensité. Il est éventé. Il n’est pas possible de le boire. J’ai donc servi un alcool fruité 1905, riche et joyeux.

Deux vins parfaits, la Private Cuvée la plus basse et le Richebourg, une très belle Private Cuvée de bas niveau et un vin doux mort avec la compensation d’un alcool de 1905.

Un merveilleux moment avec mon fils et ma femme.

Deux jours plus tard nous devions aller au restaurant avec notre fils mais lorsque j’ai voulu réserver, j’ai appris que le restaurant avait fermé ce jour du fait de pluies diluviennes qui ont désespéré les propriétaires. N’ayant pas de solution de rechange, le dîner se fera à nouveau chez nous.

Je choisis des vins dans la cave de la maison. Un Haut-Brion 1934 est de fière allure et son niveau à mi-épaule ne m’effraie pas. Lorsque je veux ouvrir la bouteille, le haut du bouchon est dur comme du roc et je n’arrive pas à piquer la pointe du tirebouchon. Je retire l’équivalent de trois millimètres d’épaisseur et le bouchon résiste fortement à mon effort pour le lever. Je décide d’utiliser le tirebouchon Durand, qui combine un tirebouchon et un bilame. Le bouchon sort enfin entier, boursoufflé, ce qui explique sa résistance. Le parfum est intense et glorieux. Cela ne promet que du bonheur.

Deux heures avant le repas j’ouvre un champagne que j’adore, un Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle probablement des années 70. Le bouchon fait du bruit quand je tourne la bouteille, résistant à mes efforts. Comme il arrive souvent, la lunule du bas de bouchon ne tourne pas et reste figée. Je la retire avec un tirebouchon. Je ressens la pression de l’air comprimé dans la bouteille. Le parfum est plaisant.

L’apéritif se compose des rillettes qui restaient du dîner précédent. Je préfère celle de porc et mon fils celle de canard. Le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle # 1970 a une couleur d’un or clair. La bulle est très présente. Le nez est noble. En bouche, c’est un délice. Quel contraste avec les Krug Private Cuvée d’il y a deux jours. Les Krug sont des guerriers conquérants et persuasifs. Le Grand Siècle est tout en charme, très romantique et séducteur. Ce champagne est un régal et je l’adore.

Un poulet de qualité est l’accompagnateur parfait des vins, qu’ils soient blancs ou rouges. Lorsque je verse le Château Haut-Brion 1934 dans les verres, il offre une couleur très foncée, mais le bord du verre est rouge sang. Le vin paraît riche comme une truffe noire. En bouche, le vin est subjuguant. Mon fils boit le vin à l’aveugle, coutume amusante et sans prétention. Si l’on se trompe, peu importe. Il voit dans ce vin une telle richesse qu’il imagine une Côte Rôtie autour de 1978. C’est vrai que le Haut-Brion est particulièrement riche.

Ce vin est exceptionnel et il n’a pas le moindre signe d’âge alors qu’il a 90 ans. Nous nous régalons et après le poulet nous l’essayons sur un saint-nectaire de belle qualité. L’accord est intéressant, mais le poulet faisait briller le bordeaux beaucoup mieux.

Le dessert étant de mangues, on aurait pu penser que l’accord ne se trouverait pas avec le champagne mais ils se sont plu. Encore un beau repas avec mon fils.