vins de curiosité au restaurant Laurent lundi, 3 mai 2010

Le fait d’écrire sur le site de Robert Parker m’a permis de rencontrer des américains amoureux de vins, dont j’apprécie l’enthousiasme et la compétence de dégustation. Et la différence d’approche est très intéressante.

Un jour, je reçois un message d’un américain du Nebraska qui me complimente, non pas tant pour mes écrits sur le forum de Parker que pour mon livre, qu’il a trouvé « inspirant ». C’est un psychanalyste lacanien et ce détail excite ma curiosité. Il est de passage à Paris pour un congrès de psychanalyse et il me demande que nous déjeunions ensemble, sachant qu’il apporterait des vins. Je ne le connais pas mais ses propos ayant l’effet de la fable du corbeau et du renard, j’ouvre mon large bec.

Nous nous retrouvons au restaurant Laurent, l’endroit de Paris le plus accueillant qui soit. Mes deux vins déjà présents sur place depuis dix jours ont été ouverts il y a plus de deux heures et ceux de Tom peut-être une demi-heure, puisque Tom est arrivé avant l’heure du rendez-vous.

J’avais prévu pour l’entrée un Chante-Alouette Hermitage blanc Chapoutier 1945. La couleur m’étant apparue affreuse, je suis descendu hier en cave pour prévoir une bouteille de remplacement. La première que je prends, un Puligny-Montrachet J.B. Duchesne 1961, de magnifique couleur, a hélas le bouchon qui flotte dans le liquide. Je prends une autre bouteille, un Corton-Charlemagne dont l’année est illisible.

Le premier contact avec le Chante-Alouette est assez désagréable, mais à mon grand étonnement, le final est enlevé et brillant. La question se pose : gardons-nous ce vin, ou prenons-nous les réserves ? Tom me dit qu’il se contenterait bien de ce 1945. Ne sachant pas si c’est de pure politesse, je fais ouvrir le Puligny dont la couleur est très belle, d’un jaune citron de belle jeunesse. Le nez de ce vin est très déplaisant, tendance bouchon. Mais en bouche, quelle surprise ! Le vin est précis, bien dessiné, sans le moindre défaut, et son final citronné est d’une belle définition. Quelle surprise ! Il n’est donc pas nécessaire que j’ouvre le Corton Charlemagne. Tom me dit n’avoir jamais rencontré un vin qui ait un tel écart entre le nez et la bouche. Et, chose importante, le bouchon qui flottait n’avait créé aucune déviation définitive qui eût exclu que le vin fût bu.

L’entrée est un foie gras de canard poêlé, haricots risina aux olives noires et relevés par un gaspacho. C’est fou comme le Chante-Alouette que je commençais à trouver désagréable est mis en valeur par le foie gras. Il gagne en originalité, en coffre, et son petit côté fumé qui le rend rhodanien emporte l’adhésion. J’ai envie d’essayer le premier rouge sur le foie gras. Tom a apporté un Barolo Giacomo Borgogno 1961. Le nez est extrêmement délicat et raffiné. La première approche du vin est celle d’un vin légèrement acide, un peu fluet en bouche, mais au final solide. J’adore ce vin et je dis à Tom qu’il n’a pas d’âge tant il paraît intemporel, accompli et équilibré, fait pour tracer la route de l’histoire sous cette forme inchangée. La deuxième approche est plus étoffée, car le vin s’ébroue, et sur le foie gras, il prend définitivement du coffre, de l’assise et je suis impressionné par la prestance de ce vin charmeur. C’est bon un Barolo de cet âge.

Le foie gras est beaucoup plus accueillant envers le Barolo que vis-à-vis de mon vin, un Royal Kébir Frédéric Lung Algérie 1945 rouge. La bouteille est parfaite, provenant de la caisse d’origine que j’avais moi-même décerclée. J’avais été étonné que les étiquettes soient aussi parfaites que si elles avaient été imprimées la veille, et que les niveaux soient dans le goulot. N’importe quel expert me dirait que c’est forcément un faux, tant elle semble fabriquée il y a moins d’un an. La couleur est noire, à peine tuilée, le nez est convaincant et intense, et en bouche, l’image qui me vient immédiatement est celle de Vega Sicilia Unico. Car les arômes de café, de marc de café, de caramel sont présents, ainsi que des traces d’écorce d’orange que signale Tom. Le vin est résolument non conventionnel et je dis en souriant que l’on comprend pourquoi les bourguignons ont ajouté du vin algérien dans leurs cuves. Car ce vin a de la puissance, du charme et une typicité de vin conquérant. Sa complexité est extrême. Le foie gras ne l’intéresse pas.

Ce qui m’a plu, c’est que Tom, après l’essai des deux rouges vient revisiter les deux blancs pour voir comment ils se comportent avec le foie gras. Cette attitude ouverte vis-à-vis de vins relativement peu glamour m’indique que Tom sait écouter le message des vins.

Le plat suivant est un plat traditionnel de ce restaurant : les friands de pieds de porc croustillants, purée de pommes de terre. Et là, c’est de loin le domaine d’excellence du Royal Kébir qui devient impérial. Il prend une stature de première grandeur. Il s’est coordonné et offre l’opulence des plus grands vins. Il faut absolument que je prévoie d’en ouvrir une bouteille avec un Vega Sicila Unico. Le Barolo avec ce plat riche devient plus strict, plus synthétique, gardant sa densité sans le côté charmeur qu’il avait jusqu’alors.

Comme nous ne sommes que deux, il reste beaucoup à boire aussi un saint-nectaire aide à finir les rouges, et c’est le Barolo qui l’accepte le mieux, et un comté aide à poursuivre l’exploration des blancs. Contrairement à ce que je pensais, l’Hermitage fait un blocage avec le comté, qui lui donne un aspect giboyeux, voire laiteux, alors que le Puligny-Montrachet gagne en élégance, en étoffe et en charme.

Le dessert est une charlotte contemporaine aux gariguettes et baies de sureau. Tom est un peu circonspect sur la pertinence de l’accord avec son vin, mais il verra que ça fonctionne subtilement. L’Anjou J. Touchais Grande Année 1959 a une couleur d’un or glorieux. Quel beau vin dans le verre ! Son nez est discret et c’est en bouche qu’il s’exprime. Il est délicat, pianote dans la douceur, et ce sont des fruits blancs comme les litchis qui jouent piano mais continuo. Ce vin est tout simplement délicieux, mariant une jolie acidité qui fait oublier qu’il est doux avec une longueur déployée comme l’écharpe d’un ange de douceur. Je me reproche de ne pas explorer plus souvent ces vins de Loire qui sont vraiment attachants. Une chose m’a intéressé, c’est que les deux vins de Tom sont intemporels, dans une forme qu’ils garderont pendant de longues années, avec un équilibre rare.

Pour s’amuser, nous avons voté pour nos quatre favoris. Tom a voté ainsi : 1 – Touchais 1959, 2 – Chante-Alouette 1945, 3 – Royal Kébir 1945, 4 – Barolo 1961.

Mon vote est : 1 – Touchais 1959, 2 – Royal Kébir 1945, 3 – Barolo 1961, 4 – Puligny 1961.

Le fait que Tom place le Chante Alouette en second montre son ouverture d’esprit pour ne pas s’arrêter à un petit défaut de fatigue et pour savoir mettre à l’honneur le vin quand un plat le sublime. Nous avons bavardé de choses diverses sur le vin. Tom est un amateur qui a découvert le monde des vins anciens, et qui adopte une approche ouverte à l’écoute des vins. C’est un plaisir pour moi de découvrir ainsi des amateurs qui vibrent de cette façon.

131ème dîner – les vins samedi, 24 avril 2010

Champagne Salon 1971 et son bouchon très court

Champagne Dom Pérignon Oenothèque magnum 1966

Champagne Veuve Clicquot rosé 1947

Montrachet Bouchard Père & Fils 1971

Château Trotanoy 1945

Château Latour 1945

Corton Grancey Louis Latour 1934

Beaune Teurons Bouchard Père & Fils 1943

Château Coutet 1943

Château d’Yquem 1987

Vin de Chypre Ferré 1845

131ème diner – photos samedi, 24 avril 2010

Groupes de bouteilles du dîner. Il y a aussi des bouteilles qui avaient été prévues pour ce dîner et seront bues lors d’un autre dîner du fait de la profusion des apports. Sur ces photos il n’y a que celles que j’ai apportées, les autres étant arrivées avec les convives

La table avant qu’elle ne soit dressée

feuilletés au parmesan

rôties au thon fumé

porchetta de cochon de lait et foie gras de canard en gelée au goût fumé.

saumon sauvage mi-cuit, macédoine de légumes, sauce verte

tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes printaniers dans une fleurette iodée

Carré et selle d’agneau de lait des Pyrénées grillotés, rognon poêlé en persillade, haricots risina au jus

Pigeon rôti en cocotte, navets farcis aux abats et petits pois et Morilles

Stilton

Blanc manger avec évocation de réglisse et une chantilly poivrée

La table en fin de soirée

131ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent samedi, 24 avril 2010

A 17h30, peu après l’ouverture du restaurant Laurent, je viens ouvrir les bouteilles déjà présentes d’un dîner mêlant famille et amis, qui compte tenu de sa forme sera compté comme le 131ème dîner de wine-dinners. Les amis arrivent suffisamment tôt avec leurs vins avant le dîner qui se tient pour le premier jour de l’année dans le magnifique jardin. L’un des convives provinciaux dira : « c’est beau d’être à la campagne ». Le premier champagne apporté par Florent est pris debout. Il s’agit du Champagne Salon 1971 que je bois pour la première fois. Il est en effet quasiment introuvable. Il est accompagné de feuilletés au parmesan et de rôties au thon fumé. La robe est d’un jaune très jeune, presque citron. Le nez est noble et profond. La bouche est influencée par des goûts comme la crème et la brioche dans le premier contact. Et comme cela arrivera souvent ce soir, le vin évolue considérablement, se renforce, prend de l’ampleur et progressivement je reconnais Salon, avec une sérénité remarquable et une acidité citronnée élégante. C’est un Salon calme, posé, et de belle intelligence. Le final est un peu court, mais le milieu de bouche est superbe de complexité, entraînant nos papilles dans une danse imprévisible.

Le menu conçu avec Philippe Bourguignon et réalisé par Alain Pégouret est ainsi organisé : porchetta de cochon de lait et foie gras de canard en gelée au goût fumé / saumon sauvage mi-cuit, macédoine de légumes, sauce verte / tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes printaniers dans une fleurette iodée / Carré et selle d’agneau de lait des Pyrénées grillotés, rognon poêlé en persillade, haricots risina au jus / Pigeon rôti en cocotte, navets farcis aux abats et petits pois et Morilles / Stilton / Blanc manger aux amandes, croustillant réglissé et chantilly au poivre de Séchuan. Le repas comme le service ont été comme d’habitude : exemplaires.

Le Champagne Dom Pérignon Oenothèque magnum 1966 apporté par Richard est déjà impressionnant par la beauté de sa bouteille. La robe est claire, sans trace d’âge. Le vin a été dégorgé en 2004. Il a donc une bulle d’une folle jeunesse. Le nez est impressionnant de vigueur. C’est assez fou. En bouche, c’est une ouverture sur le paradis. Car ce champagne est tout simplement extraordinaire. Nous utilisons tous les qualificatifs possibles. L’un d’entre eux résume mon impression : « élégance ». Ce champagne raffiné sait être un champagne de soif, car nous y revenons sans cesse, et à chaque gorgée il nous expose une complexité supplémentaire. C’est une merveille. Il rebondit tout particulièrement sur la gelée. Le fait de le boire en magnum nous permet d’y revenir plus souvent et de voyager dans ses complexités renouvelées.

Le Champagne Veuve Clicquot rosé 1947 de Florent a un niveau un peu bas. Mais nous sommes tout de suite rassurés car sa couleur est d’un rose profond sans trace de gris, et ses saveurs sont d’une richesse exceptionnelle. Nous sommes un peu groggy de constater que trois champagnes totalement opposés sont capables de nous faire explorer des myriades de saveurs chatoyantes et complexes ; ce rosé pianote dans des registres de fruits mauves et roses, et c’est charmant. La très forte sauce verte ne va pas avec le 1947 mais trouve un écho avec le 1966. Le saumon divinement délicieux se marie avec le rosé en un accord couleur sur couleur de totale réussite, quasiment fusionnel.

Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1971 a un bon niveau. J’ai un peu peur de sa couleur ambrée, et la première gorgée ne me rassure pas trop, mais c’est la première gorgée. Quand le vin s’épanouit, il montre une folle continuité avec le Dom Pérignon. Il y a la même race que celle des vins qui composent le champagne. Le vin est riche, très Montrachet avec beaucoup de sérénité lui aussi. Le mariage avec le turbot est délicat.

La grande émotion du repas doit être la confrontation du Château Trotanoy 1945 que je n’ai encore jamais bu et du Château Latour 1945. Le niveau du Trotanoy est à mi-épaule et celui du Latour est parfait. Daniel me fait goûter les deux vins et j’annonce qu’hélas il n’y aura pas de combat. Car le Latour est au sommet de ce que Latour peut être, et Trotanoy pèche par un léger nez de bouchon. Je dis nez, car en bouche l’effet du bouchon est très peu sensible. Quand les vins s’épanouissent, fort heureusement, le Trotanoy se structure, prend la richesse et la profondeur du pomerol, et devient réellement plaisant. Un signe qui ne trompe pas : Daniel me donne deux verres qui contiennent les lies des deux vins, et la pureté du Trotanoy est saisissante, tout défaut ayant disparu. Mais que peut-il faire à côté d’un Latour 1945 absolument exceptionnel. Quand je dis « il transcende même les trois champagnes », Richard me fait remarquer : « tu veux influencer les votes ». On atteint avec ce Latour la perfection absolue du vin de Bordeaux, dans un registre moins doctrinaire que Mouton 1945 mais dans une version beaucoup plus sensuelle que Mouton 1945. C’est un vin historique et si l’on inventait une caméra qui puisse enregistrer les saveurs, il faudrait en conserver la trace pour montrer à tous ceux qui doutent des vertus des vins anciens qu’il existe une richesse gustative qu’aucun vin de moins de vingt ans n’est capable d’offrir, même ceux qui sont notés à 100 points par les gourous du vin.

Le Corton Grancey Louis Latour 1934 de Florent est un vin d’une grande richesse et même opulent. Mais je lui coupe les ailes, car je suis tellement enthousiasmé par le Beaune Teurons Bouchard Père & Fils 1943 que je dis à l’ensemble de la table : « si je meurs, souvenez vous que ce vin a, pour moi, au niveau ultime la saveur que je recherche dans les vins de Bourgogne ». C’est une perfection totale. On pourrait penser en lisant ces lignes : il s’enthousiasme sur tout. Force est de constater que nous avons réuni ce soir des vins exceptionnellement brillants. Le Beaune est magistral de complexité, de râpe bourguignonne avec cette beauté qui fuit celui qui veut la séduire, alors que le Corton est un solide gaillard bien planté sur ses deux pieds, à la puissance joyeusement réconfortante.

Les deux sauternes sont si contraires qu’ils ajoutent magnifiquement leurs forces. Le Château d’Yquem 1987 de Luc est d’une gracilité romantique qui déploie tranquillement sa riche palette d’arômes. J’adore cet Yquem raffiné et subtil où des fruits comme le litchi laissent de fines traces. C’est un grand Yquem délicat. A ses côtés le Château Coutet 1943 de Jean-Philippe a une couleur acajou d’une insolente beauté. Et ce qui frappe, c’est l’équilibre intemporel de ce vin. Il n’a pas d’âge et il n’en aura jamais. Un peu comme moi, puisque je suis son conscrit. Le Stilton est un partenaire convaincant des deux liquoreux.

C’est le moment pour moi d’ouvrir le Vin de Chypre Ferré 1845, qui est de la même famille et du même âge que le vin de Chypre 1845 que je porte au pinacle. La bouteille est d’une rare beauté. C’est la seule de ma collection de ces vins qui ait cette forme de bouteille du 18ème siècle. Ce vin de 165 ans et n’a pas d’âge. Il est d’un or de miel brun, le nez est envoûtant comme un parfum et ce qui frappe c’est qu’il a le poivre du 1845, moins de réglisse, mais surtout une fraîcheur mentholée inimaginable. J’avais servi dans un repas à Pékin les deux vins ensemble, le Chypre 1845 et le Chypre Ferré de la même année. Je n’avais pas remarqué aussi fortement qu’aujourd’hui à quel point ils peuvent être dissemblables. Ce vin m’emporte au paradis.

Dans le jardin, une petite terrasse entoure notre table et la surplombe. Là, un couple dîne, et je sens derrière mon dos que la dame est curieuse. Elle se demande ce qu’est ce vin de 1945 et tous en chœur nous lui répondons : « non madame, 1845 ! ». Elle était là au bon endroit et au bon moment : elle a reçu un verre de ce nectar inoubliable.

Il est temps de voter et j’accompagne ce rite d’une Eau de Vie Félix Potin 43° que j’avais déjà ouverte lors d’un précédent dîner. Cet alcool est toujours envoûtant et je lui trouve des accents de rhum d’un doucereux que donne un grand âge, très sûrement plus de 80 ans.

Trois vins seulement n’ont pas de vote. Nous sommes sept à voter puisque ma femme ne boit pas, sauf les liquoreux. Le Chypre Ferré a trois votes de premier, le Beaune 1943 deux votes de premier et le Dom Pérignon 1966 et le Latour 1945 ont chacun un vote de premier.

Le vote du consensus a été calculé à une heure fort tardive et je ne calculerais sans doute pas de la même façon aujourd’hui. Mais c’est fait : 1 – Château Latour 1945, 2 – Champagne Dom Pérignon Oenothèque magnum 1966, 3 – Vin de Chypre Ferré 1845, 4 – Beaune Teurons Bouchard Père & Fils 1943.

Mon vote est : 1 – Vin de Chypre Ferré 1845, 2 – Beaune Teurons Bouchard Père & Fils 1943, 3 – Château Latour 1945, 4 – Champagne Dom Pérignon Oenothèque magnum 1966.

Ce repas était organisé pour mon anniversaire et le plus beau cadeau fut la chaleur de l’amitié de tous les présents qui ont vécu comme moi un dîner inoubliable avec des vins absolument au sommet de ce qu’ils pourraient offrir. Ces saveurs sont d’une rareté extrême et chacun a compris que nous avons vécu un moment unique.

concours de dégustation de grandes écoles chez Bollinger samedi, 24 avril 2010

Lorsque j’avais fait une conférence avec une dégustation de vins anciens pour des élèves de Sciences Po, le dîner qui a suivi avec une poignée d’entre eux nous a fait évoquer mille pistes pour nous revoir. Les animateurs du club œnologique de Sciences Po ont créé un concours entre des grandes écoles ou des universités de France et de Grande Bretagne. Avec humour, ils ont appelé leur concours « SPIT » (Sciences Po International Tasting). Je n’allais pas cracher sur leur invitation de participer au jury qui désigne les gagnants, au côté d’Olivier Poussier. Le concours a lieu dans les celliers de la maison de Champagne Bollinger à Ay, et Jérôme Philipon, directeur général de Bollinger et Matthieu Kauffmann, chef de caves, complètent le jury avec un amateur dégustateur que l’on me présente comme « blogueur ».

Douze équipes composées de trois personnes de chaque école vont s’affronter sur des connaissances théoriques et des dégustations. La présence féminine est significative. Le premier questionnaire est sur la Champagne. Je réponds correctement à trois questions sur cinq. Pour le moment, je ne suis pas décroché des candidats. Trois groupes de vins donnent lieu à six questions théoriques et à la dégustation de trois vins, qui elle-même donne lieu à des questions. Pour les champagnes, je réponds à une question sur six, et j’ai tout faux aux questions de la dégustation car il fallait classer trois champagnes (évidemment Bollinger) du plus jeune au plus vieux et donner le millésime du plus vieux. Ce qui me console c’est qu’Olivier Poussier, incollable sur toutes les questions d’érudition, a annoncé 1997 pour le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1990. Ce champagne très opulent s’exprime sur des saveurs de brioche, de pâtisserie et de beurre. Le final très long est brioché. C’est un champagne de grande finesse. Le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1995 est un champagne dont Matthieu Kauffmann est très fier. Je l’ai jugé plus champagne, plus rond et plus raffiné, car le 1990 montre des signes d’évolution. Le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1992 a un nez plus discret. Il est joyeux, élégant et Matthieu indique qu’il est un peu botrytisé. Jérôme Philipon est heureux que pratiquement tout le monde se soit trompé de dix ans sur ces champagnes, qui restent jeunes plus longtemps qu’on ne le croit.

Dans ce compte-rendu, j’indique mes performances au concours, mais évidemment les membres du jury ne sont pas là pour concourir. C’est l’envie de jouer qui nous a animés. Pour les vins blancs, j’ai 25 points sur 40, alors qu’aucun groupe n’a dépassé 26. Je ne suis pas peu fier. Sur les trois vins, on nous a demandé – non, on leur a demandé – lequel est un mono cépage et je dois à la vérité de dire que je n’ai trouvé riesling que quand quelqu’un l’a soufflé, ce qui fait que, dans ce concours fictif, je ne compte pas cette réponse. Il s’agit d’un Riesling Jubilée Hugel 2004. Pour les deux autres vins on demande les cépages et la région. Alors que la reconnaissance des cépages n’est pas du tout un objet de recherche pour moi, car pour les vins anciens, ce facteur n’a pas l’importance qu’il a pour les vins jeunes, je trouve bien sauvignon et sémillon pour le « Y » d’Yquem 2006 que je situe du côté des graves. Et je trouve bien roussanne et marsanne pour le Saint-Joseph François Villard -Mairlant 2007 que je situe plutôt dans les Châteauneuf-du-Pape. A noter qu’Olivier Poussier donne le nom du domaine avant que la réponse ne soit énoncée par le meneur de jeu. C’est assez impressionnant. Les réponses des candidats sont assez disparates, mais il y a des groupes brillants.

Pour les vins rouges, je réponds bien à quatre questions sur six et pour la dégustation, mes résultats sont moins brillants. Je découvre toutefois le cépage commun aux trois vins qui est le pinot noir. On demande quel est le vin étranger. Je le trouve et je le situe en Amérique alors que c’est un Cloudy Bay de Nouvelle Zélande, très fruité, cassis et fruits noirs, hyper riche. Je suis incapable de trouver où se situe le vin qui se révèle être un Sancerre Les Grands Champs A. Mellot 2006, vin racé, très fin au final hyper boisé. Et si je pense à la Bourgogne pour le troisième vin, je le situe à Morey-Saint-Denis alors qu’il s’agit d’un Bourgogne générique Leroy 2000.

A ce stade, les résultats sont compilés et il ne reste que trois finalistes, l’Ecole Normale Supérieure (ENS), l’ESSEC, et Cambridge, gagnant de l’an dernier. Les candidats ont dix minutes pour analyser deux vins et cinq minutes pour les présenter, l’un des trois représentants de l’école étant seul devant le jury. Fort curieusement, on demande au jury de juger leurs descriptions, sans indiquer de quels vins il s’agit. Juger de la pertinence d’une description sans savoir si elle est exacte, voici un exercice de haut vol.

Nous écoutons les trois candidats. Cambridge a demandé à la seule femme de leur groupe de présenter leur analyse, et son exposé est construit, cohérent et structuré. Tous les exposés sont bons. Nous délibérons et c’est naturellement Olivier Poussier que l’on écoute, car il a l’habitude de ces concours. Les organisateurs demandent aux membres du jury s’ils ont reconnu les vins. Je suis le seul à avoir trouvé l’année du Champagne Bollinger Grande Année 1988. Et j’ai indiqué Pauillac 2001 alors qu’il s’agit de Château Mouton-Rothschild 2004. Ne pas reconnaître Mouton, ce n’est pas bien, mais personne ne l’a trouvé. Le gagnant est une nouvelle fois Cambridge suivi de l’ESSEC et de l’ENS.

Par une splendide journée de printemps nous prenons l’apéritif dans le jardin de la demeure de la famille Bollinger avec un Champagne Bollinger Spécial Cuvée agréable à boire après ces épreuves et qui trouve sa voie gastronomique sur le menu préparé par le traiteur Philippet pour le déjeuner dans le cellier : dos de sandre en vapeur d’écrevisse, petites carottes glacées / filet mignon de porcelet braisé aux raisins, réduction de ratafia et petites grenailles au thym / blanc manger de fruits du moment, coulis de fruits et petits sablés.

Le Champagne Bollinger Grande Année 2000 est un excellent compagnon des plats réussis. Il n’a pas la longueur de certaines années, mais il est frais et précis. Le Champagne Bollinger rosé sans année mériterait un dessert moins sucré pour exprimer sa belle personnalité. Une visite de caves est prévue après le déjeuner, mais je m’éclipse car il me faut aller ouvrir les vins pour un dîner d’anthologie. L’organisation faite par Sciences Po a été exemplaire d’efficacité, la maison Bollinger a permis un bon déroulement du concours, et je crois avoir, en racontant ce que je bois, créé des envies chez des jeunes au talent de dégustation impressionnant.

concours de dégustation – photos samedi, 24 avril 2010

Les candidats sont en place dans le cellier de Bollinger

Oui, c’est bien moi qui suis inscrit au jury

Classer ces trois champagnes par ordre d’âge n’est pas simple, et les couleurs n’aident pas vraiment (90, 95 et 92 Grande Année Bollinger)

Les candidats brandissent leurs réponses sur des ardoises

Les plats du repas

rencontre artisanale avec un beau Moulinet 1976 jeudi, 22 avril 2010

Pour l’entretien de ma maison, nous utilisons très souvent les services d’un serrurier électricien qui a tout du titi parisien. Expert en argot, il a la gouaille d’un Michel Audiard. Un plaisir à entendre, car on se croit immergé dans le monde des Tontons Flingueurs. Il a travaillé toute la journée, se lave les mains et me lance : « eh, alors, le patron, y sort pas son pinard ? ». Je descends en cave et je prélève une bouteille de Château Moulinet Pomerol 1976. La bouteille est belle et le niveau est dans le goulot. Avec un tirebouchon limonadier le bouchon se brise aux trois quarts et j’extraie le reste avec ma mèche miracle. Le nez est particulièrement expressif, profond, riche en alcool.

Si l’on comprend que le plaisir d’un vin est influencé par ce qu’on en espère, force est de constater que je suis stupéfait. J’attendais un honnête pomerol et je trouve un vin plus que surprenant. Je ne pense pas que La Conseillante de cette année serait plus complet. Le vin est très pomerol, avec une astringence et un râpeux qui n’appartiennent qu’à cette appellation que j’adore. Le vin est riche, creuse en profondeur un sillon de richesse dans le palais, et son final est construit sur des bases de grand vin. Et le plaisir est plus grand parce que je n’attendais pas ce niveau.

Plus tard, quand le vin s’ouvre, il est plus amène mais moins surprenant. On peut alors chercher ce qui le distingue des plus grands, mais si l’on ne pinaille pas, je dois avouer qu’il m’a donné du bonheur. C’est un vin bien plein, riche et profond, à la longueur plaisante, dont la râpe rappelant la sécheresse de l’année m’a beaucoup plu.

champagne Joseph Perrier – photos mardi, 20 avril 2010

La maison Joseph Perrier présente à quelques journalistes et à certains de leurs clients les nouveaux habillages de leurs bouteilles.

Ici, le brut blanc de blancs 2002 et le brut rosé 2002

Les jolis verres à champagne sont gravés aux initiales de la maison

L’iun des plats du repas du Yacht club de France

Le très original habillage de la cuvée Joséphine de Joseph Perrier

présentation des champagnes Joseph Perrier mardi, 20 avril 2010

Depuis des années, au salon des grands vins puis au Grand Tasting, je retrouvais les sympathiques propriétaires du champagne Joseph Perrier, Jean-Claude Fourmon et son épouse Marie Caroline. Nous tenions des propos aimables, mais je n’avais jamais réellement cherché à approfondir ce domaine. Tout récemment, je reçois une invitation à goûter les nouveaux millésimes et voir le nouvel habillage des vins de cette maison de champagne fondée en 1825 par un des membres de la famille Perrier dont trois branches se sont illustrées dans le champagne, les Perrier Jouët, les Laurent Perrier, Laurent n’étant pas un prénom mais une famille, et Joseph Perrier.

Nous sommes invités au Yacht Club de France ce qui me plait. L’apéritif est arrosé par le Champagne Joseph Perrier brut sans année qui est un vrai champagne de soif. Assez dosé, ce qui donne soif, il est simple, facile, sans grande longueur mais se boit bien. Le mot d’introduction du président du Yacht Club est court et très amical. Celui de Jean-Claude quand nous passons à table est pétillant comme son champagne et plein d’humour. Jean-Claude représente la quatrième génération de la famille.

Le menu du club est très élégant : le saumon dans tous ses états / carré d’agneau rôti au thym, sauce forestière, gratin dauphinois / fromages / médaillon de clafoutis aux framboises, jus de fraise et sorbet griotte.

Le Champagne Joseph Perrier blanc de blancs 2002 est très pur, droit, strict, peu dosé. Ce beau champagne a lui aussi un profil de vin de soif. Il a une assez belle persistance aromatique et c’est surtout le pétillant qui reste en bouche.

La divine surprise c’est le Champagne Joseph Perrier rosé 2002. Alors que je n’ai pas un palais fait pour les champagnes rosés, celui-ci me surprend par son extrême précision. Il est beau, riche, imprégnant, et il dégage une sérénité où toute mièvrerie est absente. Il est riche, et je l’aime. Il n’est pas forcément gastronome, et je l’aurais volontiers vu sur le dessert, mais je me dois de signaler sa grande persuasion.

Et, tout d’un coup, arrive quelque chose d’inconnu pour moi. Le Champagne Joseph Perrier Joséphine 2002 est une énigme. Un peu sec, un peu rêche, il a de la richesse. Astringent, on sent qu’il est fait pour la gastronomie la plus agressive. Donnez lui une pièce de bœuf, il en fera son affaire. Ce champagne fort, mais aussi délicat et subtil, c’est Sarah Bernhardt dans l’Aiglon. Car il dérange mais use de son charme. C’est un sommet de délicatesse.

Comme j’aime ce qui me surprend, je profite de ce champagne de grande finesse. Jean-Claude Fourmon venant bavarder à notre table fait remplacer pour ce champagne les jolis verres tulipe gravés du blason de la maison de champagne par des verres à vin. Je lui dis que je ne suis pas d’accord, car le verre à vin lui donne de l’ampleur alors que le verre tulipe préserve sa délicatesse et son romantisme. Mais bien sûr, cela dépend de ce qu’on recherche et attend de ce champagne aux grandes qualités gastronomiques.

Autour des tables, il y a des gens de presse et des clients de Joseph Perrier. Les discussions vont bon train. Dans une ambiance joyeuse, créée par ce couple éminemment sympathique, j’ai pu découvrir deux beaux champagnes, le rosé 2002 et surtout cette Joséphine 2002 au talent d’impératrice.

le restaurant Georges en haut du centre Pompidou mardi, 20 avril 2010

L’aînée de mes cinq petits enfants est inscrite au Conservatoire de danse du centre de Paris. Au sein de trois cents élèves dont des tout petits bouts de choux, elle danse à deux reprises au Théâtre du Châtelet, sur des chorégraphies étonnamment brillantes. C’est amusant de constater que lorsque trente fillettes se trémoussent harmonieusement sur scène, il n’y en a qu’une que mes yeux suivent : celle qui a un quart de mon sang. Et la larme à l’œil est bien proche quand elles sont applaudies.

Après le spectacle, nous nous rendons, sur invitation de ma fille, au restaurant Georges au sixième étage du Centre Pompidou. Ce décor ultramoderne m’évoque irrésistiblement le Gaffophone, l’instrument de musique de Gaston Lagaffe. La vue sur Paris est merveilleuse, mais la vue sur la salle l’est aussi. Car selon une recette bien rôdée des frères Costes, le personnel féminin est choisi pour faire saliver. Il y a une blonde aux jambes interminables et au regard de charolaise, une musculeuse noire qui s’active, et une asiatique au visage impénétrable qui semble peu concernée par ce bas monde. Un bel homme noir au profil athlétique restera une énigme parce qu’il n’a rien fait de la soirée. Est-il serveur ? Rien dans son comportement ne le prouve. En revanche, il n’est pas indifférent à la longiligne blonde qui ne sert pas beaucoup non plus.

La carte des plats et celle des vins sont sans imagination particulière. Pour ne pas prendre de risque, je choisis des macaronis aux morilles, exécutés de façon convenable. Je commande des vins au verre, un Haut de Smith Haut Lafitte pour ma fille et un Chablis 1er Cru Mont-du-Milieu 2007 pour mon gendre et moi. Lorsque je demande à la charmante serveuse noire si elle connaît le nom du propriétaire de ce Chablis, elle me répond qu’elle ne sait pas, regarde la carte et me dit : c’est ça, c’est Mont-du-Milieu. Puis sentant ma réaction de stupeur elle ajoute : enfin ce doit être quelque chose comme la Chablisienne. Elle n’a pas pensé à me montrer la bouteille. Le vin abusivement acide est resté dans mon verre.

La sono étant à fond et empêchant toute conversation suivie, nous avons quitté ce lieu en pensant que les frères Costes sont parfois mieux inspirés. On comprend mieux pourquoi les serveuses ou non serveuses sont jolies : il faut bien que quelque chose attire l’attention.