234ème dîner au restaurant Pages samedi, 30 mars 2019

La genèse du 234ème dîner est assez originale. Le jour où se tenait le 232ème dîner à l’hôtel de Crillon, j’avais reçu un mail me proposant d’acheter un Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942. J’ai déjà bu ces richebourgs préphylloxériques aux qualités exceptionnelles sur les millésimes 1930, 1935 et 1943 et peut-être d’autres pour lesquels je n’aurais peut-être pas fait attention à cette spécificité marquée sur l’étiquette. Le prix proposé tient compte de la rareté de ce vin. L’ambiance du dîner étant particulièrement amicale, je propose à mes convives que nous achetions ensemble ce vin. Je broderais ensuite le programme d’un dîner autour de ce vin. Huit sur les onze convives acceptent d’en être copropriétaires. Je bâtis une liste de vins en ayant choisi un thème pour accompagner le vin de 1942, qui sera : les cinq grands blancs de Curnonsky, le « prince des gastronomes ». L’idée plait à mes convives, et nous allons nous retrouver ce soir au restaurant Pages. Par construction, il devrait n’y avoir aucun bizut dans ce repas mais la femme d’un convive a cédé sa place à son jeune fils qui est un grand amateur de vin. Comme il comprend vite, les consignes de bord seront données très rapidement.

Lorsque j’avais acheté le richebourg, j’avais reçu sur le mail des photos. Lorsque mon fournisseur a livré la bouteille, la couleur rose pâle légèrement violacée m’aurait conduit à ne pas l’acheter mais là, je n’avais pas le choix, je ne pouvais plus me dédire puisque le dîner était déjà sur ses rails. J’ai donc prévu en sécurité un autre Richebourg 1942 de ma cave, mais non issu de vignes préphylloxériques. L’histoire montrera que je n’en ai pas eu besoin.

A 16h30 je me présente au restaurant Pages pour ouvrir les vins. Curieusement, quasiment tous les vins blancs ont des poussières noires exsudées sur le haut du bouchon. Est-ce le hasard ou lié à des conditions climatiques, je ne sais pas. Le bouchon de la Coulée de Serrant 1976 est magnifique. D’autres bouchons se brisent mais ne posent pas de problème particulier. La Coulée de Serrant a un parfum franc et engageant. Celui du Château Grillet 1982 est inexistant, tant le vin semble fermé. Celui du Montrachet 1992 est brillant. L’incertitude pourrait être celle des deux vins de 1942. Quels parfums vont-ils offrir ? Le nez du Château Margaux 1942 me plait beaucoup. Le vin a toutes chances d’être brillant. Le parfum du Richebourg 1942 est prometteur. Ouf ! Il est très caractéristique des vins du domaine, avec un petit fond salé.

Mes craintes n’existent plus car le Château Chalon 1976 est triomphant. Le parfum de l’Yquem 1941 est de loin le plus beau, glorieux comme l’or de sa robe. Lumi sait que j’aime prendre une bière après la séance d’ouverture, surtout lorsque, comme ce soir, elle laisse supposer qu’il n’y aura pas de problème. La bière arrive sans que je la demande. C’est de grande classe. Matthieu l’excellent sommelier ouvre les champagnes une heure avant l’arrivée des convives.

Ils sont tous à l’heure, c’est le rêve. Nous sommes huit dont deux femmes. L’apéritif se prend avec le Champagne Pierre Péters Réserve Oubliée Blanc de Blancs sans année. Je ne me souviens plus très bien des millésimes qui composent ce champagne mais je crois qu’il y en a de 1937. Le champagne montre qu’il a en lui quelques vieux champagnes mais il est encore d’une jeune maturité. Des trois amuse-bouches un seul le fait vibrer, celui qui contient des œufs de saumon au goût fort qui excite le Péters. Les autres sont trop neutres pour que le champagne se sorte d’une certaine paresse.

Le menu créé pour ce dîner par le chef Teshi et Ken et Yuki et l’équipe : Amuse-bouche / Risotto safrané aux coques et au persil / Cabillaud caramélisé, sauce « umami » au bouillon de haddock / Carré de veau du Perche, sauce au champagne crémée, navets glacés / Pigeon de Vendée, sauce salmis, panais / Foie gras poché / Morilles farcies au confit de cuisse de canard, jus de bœuf / Comté 15 mois / Gâteau blanc à la vanille et chocolat blanc, pamplemousse rose et mangue.

Le Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/13 montre un saut qualitatif certain et une vivacité exemplaire. Ce qui me fascine, c’est son finale inextinguible où s’ébattent de jolis fruits roses. Il est racé, entrainant, et les délicieuses coques sont un régal sur ce champagne.

Le cabillaud sera accompagné de deux des cinq vins de Curnonsky. Le Clos de la Coulée De Serrant A. Joly 1976 nous entraîne sur des pistes peu fréquentes. Il est bien structuré et nous fait retrouver des saveurs de Loire, avec une finesse extrême. On est dans une gamme de goûts inhabituels mais enthousiasmants.

Le Château Grillet 1982 a un nez légèrement liégeux, mais tout s’efface en bouche lorsque le vin est associé au plat. Le bouillon de haddock le rend intéressant et les défauts ne réapparaissent que lorsque le plat n’est plus là. Il n’apporte pas assez d’émotion et c’est dommage car ce vin qui est le seul dans son appellation qui porte son nom est une curiosité.

Mes convives s’étonnent que j’aie choisi un veau basse température pour accompagner le Montrachet Robert Gibourg 1992 et ils s’étonnent encore plus quand ils constatent que l’accord est exceptionnel, le plus bel accord du repas. Le Montrachet, troisième vin de Curnonsky, est d’une justesse de ton rare. Il n’a pas la puissance de certains montrachets et cela lui va divinement bien car il est imprégnant, sans forcer. Ce vin est le blanc idéal, charnu et expressif.

Le pigeon est une pure merveille, cuit divinement. Comment est-il possible qu’un Château Margaux 1942 ait la même richesse merveilleuse qu’un Margaux d’une très grande année. A l’aveugle, jamais personne ne penserait à 1942. Le vin est noble, au port altier et aux larges épaules. Il a un intense goût de truffe d’un bordeaux d’exception. Je suis tellement enthousiaste devant sa prestation d’un niveau inattendu que je le mettrai premier de mon vote, malgré l’amour que j’ai pour le vin suivant.

Ken, le chef qui travaille aux côtés de Teshi, avait envisagé de servir le foie gras poché en même temps que des morilles. J’ai voulu que l’on n’ait que le foie seul pour le Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942. Le premier verre qui m’est servi montre une couleur rose pâle qui rebuterait tout amateur qui ne connait pas les couleurs des vins du Domaine. A la première gorgée, je sais que nous boirons un vin exceptionnel qui a l’âme des vins du domaine de la Romanée Conti. Quel charme, quel discours courtois ! Je me pâme tant je suis heureux que ce vin que j’aurais peut-être écarté, à tort, se montre aussi séduisant par son message où le sel est un marqueur fort. L’accord avec le foie gras est superbe mais la sauce au champagne Pommery 1953 est un peu forte pour le vin. Quel bonheur de boire un vin aussi raffiné qui sourit aux audacieux que nous fumes de former un consortium pour l’acquérir.

C’est le Château Chalon Tissot 1976, quatrième des vins de Curnonsky, qui va hériter des morilles puissantes et fourrées qui n’auraient pas convenu au vin de Bourgogne du fait de leur puissance, mais se marient à ravir avec le puissant et harmonieux vin du Jura. Il trouve un meilleur envol, car c’est son partenaire idéal, avec le Comté de quinze mois d’affinage. C’est un accord classique, probablement l’un des plus beaux de la gastronomie.

Le cinquième et dernier vin de Curnonsky est le Château d’Yquem 1941 au parfum diaboliquement sensuel et à la couleur d’un or glorieux. J’avais aimé récemment un très joli dessert fait par la talentueuse Yuki pâtissière du restaurant, mais le dessert au chocolat ne fait pas vibrer l’Yquem. Le pamplemousse rose est plus pertinent mais c’est surtout la mangue qui s’adapte le mieux à cet Yquem puissant, beaucoup plus que ce que j’imaginais, et gourmand, riche de fruits dorés.

Nous avons bavardé sur le classement de Curnonsky des cinq plus grands vins blancs du monde, qu’il a établi dans les années trente. Si on devait le faire aujourd’hui, il est probable que la Coulée de Serrant et le Château Grillet n’y figureraient pas. J’ai hasardé le Clos Sainte Hune de Trimbach et l’Hermitage blanc de Chave comme possibles candidats à figurer dans cette élite.

Nous sommes huit à voter pour les cinq préférés des neuf vins. Trois vins sortent du lot, le montrachet qui comme le Richebourg a trois votes de premier et le Margaux qui a deux votes de premier.

Le classement du consensus est : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942, 2 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 3 – Château Margaux 1942, 4 – Château d’Yquem 1941, 5 – Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/13, 6 – Château Grillet 1982.

Mon classement est : 1 – Château Margaux 1942, 2 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942, 3 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 4 – Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/13.

Les plats ont été plus réussis les uns que les autres et les plus beaux accords sont ceux qui ont été créés avec les trois vins gagnants, le veau avec le montrachet, le pigeon avec le Margaux et le foie gras poché avec le Richebourg.

L’ambiance était souriante, du fait de notre complicité et les convives n’attendent qu’une chose, c’est que je leur propose de nouveaux achats pour de nouvelles aventures.

Le service de Matthieu a été parfait. La cuisine a fait un travail exceptionnel de recherche des meilleurs accords mets et vins. Faire un dîner au restaurant Pages avec une équipe aussi motivée est un privilège et un vrai bonheur.

J’avais prévu un autre Richebourg 1942 en réserve, mais non préphylloxérique

la cire a été découpée avec un couteau chauffé. Je l’offrirai au domaine de la Romanée Conti car une telle cire avec toutes les inscriptions est un témoignage rare

les bouchons des deux 1942

tous les bouchons sauf ceux des champagnes

les plats dont j’adore la simplicité de présentation

les bouteilles avant ouverture et après les avoir bues

Déjeuner au café de l’homme jeudi, 28 mars 2019

Je suis invité au Café de l’Homme dont le nom m’intrigue. Il est en fait accolé au Musée de l’Homme, ce qui explique son nom. Une magnifique terrasse est au niveau de l’esplanade du Trocadéro et donne une vue imprenable sur la Tour Eiffel et la Seine. Cet emplacement est idéal. Le soleil brille et cela donne des envies d’été mais l’air est encore très frais en cette fin mars.

Tandis que la terrasse est très classique, remarquable surtout par la vue, la décoration intérieure est aussi monumentale que le musée avec des hauteurs sous plafond irréelles. La carte est simple mais bien conçue et mon menu sera : premières asperges vertes, parmesan 24 mois, huile d’olive bio / cabillaud façon black cod, riz au jasmin / glaces variées. Il n’y a pas de carte des vins et l’on prend des vins au verre. Etant seul à boire j’ai pris des verres de Champagne Charles Heidsieck brut sans année qui est très agréable à boire et très consensuel. On ne vient pas ici pour une expérience gastronomique, même si ce qu’on mange est bon, mais surtout pour profiter d’un lieu magiquement placé quand il fait beau.

déjeuner au restaurant l’Absinthe mercredi, 27 mars 2019

Je vais déjeuner au restaurant l’Absinthe qui se dit « bistrot de cuisiniers », dirigé par Michel Rostang et ses filles. La carte des vins est intelligente et il y a des vins tentateurs. Etant en avance, je prends une bière avec des olives particulièrement bien assaisonnées et gourmandes. Mon menu sera : le Hot Duck, foie gras grillé et parmesan / noix de Saint-Jacques bretonnes rôties, topinambour confit à l’huile d’olive, émulsions racines / dessert à base d’agrumes.

Pour le repas nous prendrons le Champagne Cuvée Louise Pommery 1995. Ce champagne de 24 ans est d’une belle jeunesse. Il est frais, champagne de soif à la belle précision. C’est un champagne de plaisir raffiné. Avec le patron très sympathique nous avons parlé absinthe dont le restaurant a une belle collection dont une absinthe « le partage » par Michel Rostang de la distillerie Pierre Guy dont la série est limitée à 120 exemplaires. Je n’ai pas eu l’honneur de la goûter mais le patron m’a servi un verre de Chartreuse verte qui est une explosion sucrée de fleurs des champs. Ce restaurant simple et bien géré est une halte agréable.

l’absinthe « le partage » de Michel Rostang

Dîner de champagnes en famille vendredi, 22 mars 2019

Mon fils va repartir à Miami demain. Ma fille cadette nous rejoint pour ce dernier dîner annoncé léger. J’ouvre un Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1985. J’ai l’habitude d’ouvrir des champagnes âgés dont le bouchon s’extrait sans grand pschitt. N’ayant pas prévu de me méfier d’une explosion du bouchon, celui-ci m’échappe des mains et traverse la moitié de la pièce. Ma femme dit qu’on se croirait dans notre maison d’été, car il y a un côté très ludique à laisser les bouchons de champagnes jeunes sauter jusqu’au milieu de la piscine. Ce soir, c’est une surprise et une belle surprise de voir un champagne de 34 ans avoir une bulle aussi énergique.

La couleur est claire et jolie. Le champagne a un goût assez surprenant. L’attaque est belle, le milieu de bouche est très fluide, voire aqueux, et le finale très romantique évoque aussi bien la poire que la pêche ou le miel. Ce champagne est un peu en dehors des pistes que nous explorons, bien qu’il soit un pur blanc de blancs. Mais il évolue en fonction de ce que nous mangeons et prend de l’ampleur sur des camemberts. Il est très romantique, tout en évocations subtiles et fluides. Il est passionnant à explorer.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 est un vin que je connais particulièrement car je l’ai déjà bu douze fois dans ce millésime et j’ai un faible pour lui. Le bouchon vient sans pschitt et le cylindre, très noir et gras, est devenu tronconique, dont le bas est plus étroit. Ceci ne devrait jamais arriver à cet âge. Il y a donc eu très probablement un accident de chaleur dans le stockage de ce vin avant que je ne l’acquière. En voyant le bouchon, j’ai peur que cela ait un impact négatif sur le vin. La couleur est nettement plus ambrée que celle du 1985, traduisant une maturité avancée. En bouche, aucun défaut n’est sensible. Au contraire. Le vin est racé et noble, complexe, très en affirmation. Nous avons donc deux champagnes très différents, le Comtes de Champagne romantique et en suggestions, et le Mumm René Lalou tout en conquête, se projetant en avant pour montrer ses complexités. Il y a en effet dans le 1979 une richesse extrême de complexités et une petite amertume bien agréable.

Je serais bien embarrassé de désigner un vainqueur car ces deux champagnes sont grands chacun dans son expression.

Dîner avec mon fils à la maison mercredi, 20 mars 2019

Mon fils, qui vit avec sa famille à Miami, vient une fois par mois à Paris s’occuper de la société industrielle que j’ai créée il y a un peu plus de vingt ans. Pendant ses courts séjours, j’aime partager avec lui des vins de ma cave. Il arrive assez souvent que je choisisse des bouteilles de bas niveaux, car avec lui, il n’y a pas la moindre pression sur les résultats. Et nous nous comprenons sur l’approche qu’il convient de leur réserver.

Ayant repéré il y a quelques semaines une bouteille dont le bouchon était tombé dans le liquide, c’est avec mon fils que ce vin va avoir une chance d’exister. Pour trouver d’autres vins, j’ai regardé dans mon livre de cave les bouteilles de bas niveau et j’ai fait une liste d’une vingtaine de vins qui pourraient être bus ce soir. En fait, une fois dans la cave, je me fie plus à mon intuition qu’à un document. Passant dans les allées je repère une bouteille de Château Pape Clément 1929 au niveau basse épaule qui ferait un bon candidat pour ce soir. Dans la case de rangement il y a deux bouteilles de ce vin. Elles ont des niveaux identiques. L’une des étiquettes est parfaite et l’autre illisible. J’ouvrirai ce soir la bouteille illisible en ayant fait une photo des deux qui servira de témoin. Dans la colonne de rangement des deux bordeaux, mais dans une autre case, il y a des Krug Grande Cuvée. J’en prélève une.

Lorsque je fais mes dîners il y a souvent des vins doux en fin de repas. Il arrive que les bouteilles ne soient pas complètement bues. Je garde ces fins de bouteilles pour nos agapes. Mon programme est bâti. Je rentre à la maison à 17 heures pour ouvrir les vins. Ma femme a tenu compte des vins pour cuisiner.

La bouteille dont le bouchon est tombé est un Aloxe-Corton Tête de Cuvée Domaine Rapet Père & Fils 1984. Je verse le vin dans une carafe et l’odeur est marquée par une sensible acidité. Il n’y a pas à proprement parler de nez de bouchon. J’ouvre ensuite le Château Pape Clément 1929 dont le bouchon de belle texture vient en se brisant mais vient entier. Le nez me paraît prometteur. Ce n’est pas forcément gagné, mais l’espoir est permis.

Lorsque mon fils arrive j’ouvre le Champagne Krug Grande Cuvée à l’étiquette couleur avocat. Il s’agit de l’étiquette de la première commercialisation de la Grande Cuvée, qui faisait suite à la Private Cuvée. Sa période d’utilisation est de 1978 à 1983. Il y a donc dans cette bouteille des vins qui ont presque cinquante ans. Le bouchon se cisaille dans le goulot et je prélève le petit disque de bas de bouchon à l’aide d’un tirebouchon. Le pschitt est faible. Le vin dans le verre a une forte présence de bulles, et la couleur est celle d’un blé gorgé de soleil. Cette couleur est jeune. Le nez est extrêmement présent et pénétrant, d’une race rare. En bouche ce qui me saisit instantanément, c’est le fait d’être en présence d’un champagne parfait. Il y a dans ce champagne une force de caractère et une sérénité qui impressionnent. L’image qui me vient est celle du sportif qui fait du saut à skis. Il est tout en haut du tremplin assis sur une planche et va s’élancer. Ce moment où il se lance, c’est exactement la détermination que représente ce champagne hors norme. Mon fils est subjugué et je le suis tout autant car nous buvons une forme parfaite du champagne. Il n’a pas d’âge et on ne peut pas imaginer qu’il pourrait progresser avec l’âge. Il est là, immanent, forme aboutie des ambitions de tous les vinificateurs de la Champagne.

Quand ma femme m’avait annoncé avoir pris une rillette fabriquée de façon traditionnelle, j’avais applaudi, car le gras est exactement ce qu’il faut pour exciter la bulle active de ce beau champagne.

Le plats est de souris d’agneau et gratin dauphinois. Je sers l’Aloxe-Corton Tête de Cuvée Domaine Rapet Père & Fils 1984. Le nez est acide mais raconte de belles choses. En bouche, il n’y a pas d’acidité. Il y a un vin plutôt équilibré et cohérent, avec un léger goût de bouchon, mais à peine. Ce qui dissuade d’aller plus loin c’est qu’il n’excite pas notre intérêt. C’est un vin possible mais sans émotion.

Il est donc temps de passer au Château Pape Clément 1929. Sa couleur est belle, à peine tuilée, c’est-à-dire presque pas. Le nez est intense et profond marqué par la truffe. Pour la dégustation, nous allons nous démarquer mon fils et moi, car il va immédiatement adorer ce vin qu’il considère comme le plus grand qu’il ait bu au cours de cette année. Il est fasciné par sa truffe.

De mon côté, je ressens une très jolie attaque de vin plein, un milieu de bouche racé et c’est au niveau du finale que je ressens un peu de poussière et une certaine imprécision. Le vin évolue et je vais l’apprécier de plusieurs façons. J’étais encore un peu troublé par le finale quand soudain, comme en un flash, j’ai eu en un instant un Pape Clément parfait, éblouissant de cohérence. Et cet instant a été très court car le vin a perdu pour moi un peu de son charme tout en restant noble, car la structure de ce vin est celle d’un grand vin. Dans le dernier tiers de la bouteille, la densité du vin s’est renforcée, mais j’ai été aussi sensible à une certaine fatigue du vin, supportant moins bien son âge.

Je suis sans doute sévère car mon fils n’a pas cessé d’être conquis, et je ne peux pas le taxer de complaisance, tant nous partageons des vins du plus haut niveau. Le bilan est positif mais pas complet pour moi. Le vin a trouvé dans le gratin plus de complément que dans la souris d’agneau.

Nous allons passer maintenant aux fonds de bouteilles qui seront accompagnés de pâtisseries au chocolat. Le reste de la Solera 1836 est toujours typé Madère, avec une fraîcheur rare et une immense complexité. Comment est-ce possible qu’après avoir été ouvert il y a plus d’un mois, il montre autant de saveurs complexes et raffinées ?

Le suivant est le vin sans étiquette bu avec mon ami Florent qui m’évoquait un Pedro Ximenez des années 10 du vingtième siècle. Ce vin est marqué par un fort goût de café et a une vitalité à peine émoussée.

Le troisième vin est un Xérès La Merced Solera Sherry semi-dulce Bobadilla que j’avais daté comme probablement des années 60 mais qui pourrait être plus vieux, a gardé aussi beaucoup de charme. Les trois vins sont très différents dans leurs expressions. Mon fils comme moi préfère les vins dans l’ordre d’âge, le plus grand étant la Solera 1836, puis le Pedro Ximenez puis le Sherry. Il y a des complexités dans ces vins qui sont inimaginables.

Globalement le Krug est d’une essence supérieure à tous les autres vins de ce repas. Partager cette variété de vins avec mon fils est un immense plaisir.

la bouteille de 1929 la plus lisible ne sera pas ouverte

Fausse donne ! lundi, 18 mars 2019

Mon partenaire de belote n’est plus. Avec sa femme, la mienne et René Jean, nous faisions des combats acharnés, hommes contre femmes. René-Jean était le plus intrépide et la chance lui souriait.

Notre amitié a duré une vingtaine d’années. C’était réconfortant de vivre de beaux moments ensemble.

Le tapis vert ne sera plus déroulé pour les parties folles où chaque contrat gagné était un Etna de bonheur et chaque contrat perdu un cataclysme.

La volonté de Dieu ne peut être ni contrée, ni surcontrée.

René Jean merci de ton amitié. Repose en paix.

couscous samedi, 16 mars 2019

A proximité de ma cave, il y a un restaurant qui s’appelle « le Maroc » dont la spécialité est le couscous. C’est Aïda, une coiffeuse voisine du restaurant, qui m’avait conseillé d’y aller. Alors pourquoi pas. Nous prenons le couscous royal, autant rester dans le classique, et je commande un Gris de Boulaouane Cinsault Grenache sans année qui titre 12,5°. Ce vin, c’est comme un réflexe conditionné, j’ai du mal à concevoir le couscous sans un gris. J’en ai connu de plus typés, de plus lourds, car celui-ci est plus fluide, plus léger. Mais ce vin simple est très adapté au couscous et notamment à la soupe qui noie la semoule. Si le Gris de Boulaouane est un passage obligé, il en est de même des lourdes pâtisseries marocaines associées à un thé à la menthe que j’ai trouvé fluet. Voilà peut-être une future cantine.

Déjeuner de famille au restaurant Le Petit Sommelier vendredi, 15 mars 2019

Trois fois par an ma sœur, mon frère et moi, nous nous retrouvons pour parler de tout et de rien, de la situation de nos familles respectives et de tous sujets d’actualité. J’invite à mon tour et j’ai choisi le restaurant Le Petit Sommelier où la cuisine de bistrot est simple et la carte des vins de grande qualité, gérée intelligemment par le patron Pierre Vila Palleja.

Pour l’apéritif, le champagne que je voulais prendre arrive sur table trop chaud. Manon la très aimable sommelière me demande si je peux attendre que le champagne rafraîchisse, mais je préfère commander un Champagne Duval-Leroy Blanc de Blancs Brut Nature 2002. Ce champagne est classique et je n’avais pas en tête de le boire aussi mon accueil à son égard n’est pas aussi ouvert que ce que ressentent mon frère et ma sœur. Il est bon, classique, agréable, mais je n’étais pas assez réceptif. Sur le champagne le pâté en croûte et la cochonnaille sont les compagnons idéaux.

Pour la délicieuse viande de bœuf à maturation prolongée, j’ai choisi une Côte Rôtie La Landonne Guigal 2006. Manon apporte une carafe dans laquelle elle avait versé le vin et à mon regard elle sent qu’elle n’aurait pas dû en prendre l’initiative. Je lui explique, comme je le ferai plus tard avec Pierre, que pour les vins jeunes, j’aime jouir de l’éclosion du vin qui n’est sensible que pour le premier tiers de la bouteille, car elle s’aère vite, mais offre des sensations de fraîcheur que ne peut offrir un vin carafé. Elle avait hésité à me demander avant de carafer. C’est fait et nous avons profité de ce vin généreux qui offre un fruit opulent et joyeux. L’association avec le bœuf est un régal. Le fruité de cette Côte Rôtie est beau, ensoleillé, d’un vin de belle mâche. Un régal juteux et joyeux mais noble.

J’ai fini le repas avec une glace vanille. Les petits incidents de parcours ne changeront en rien le plaisir que j’ai de me retrouver dans ce bistrot vivant et sympathiquement français.

déjeuner au restaurant Pages vendredi, 15 mars 2019

Un ami journaliste et écrivain du vin envisage d’écrire sur le restaurant Pages qu’il a connu à la lecture de mes bulletins. J’ai envie de lui parler du projet de livre que j’ai en cours. Nous allons donc déjeuner au restaurant Pages. Pour étayer les thèses de mon livre, j’apporte dès 11h30 une bouteille qui est l’une de celles qui n’ont pas été ouvertes en cave lors de la visite de mon ami Florent. Il s’agit d’une bouteille sans étiquette et sans aucune indication, qui a été soufflée à la bouche (j’ai du mal à dire qu’on souffle une bouteille à la main), qui a un cul profond et quelques bulles dans le verre qui indiquent une bouteille au moins centenaire. La capsule est rose et sa couleur m’indique avec une quasi-certitude qu’il s’agit d’un Chambertin 1913, car j’avais acheté un lot de Chambertin Sosthène de Grésigny 1913 dont la capsule est la même. Je prends évidemment un risque avec une bouteille centenaire, puisque je veux convaincre mon ami (il l’est déjà) de la perfection des vins anciens.

J’ouvre la bouteille dont le niveau est correct pour une bouteille de cet âge. Le bouchon a des parties noircies par l’âge mais il est sain et vient entier. Le parfum que je fais sentir à Lumi et aux deux sommeliers Matthieu et Bixente est très prometteur. D’habitude j’essuie l’intérieur du goulot avec mon annulaire, pour enlever d’éventuelles traces de gras, mais la bouteille ancienne a un goulot étroit et mon auriculaire ne pénètre même pas entièrement dans le goulot. Il me reste presque deux heures avant que mon ami n’arrive ce qui permet de voir le ballet du personnel de cuisine dont tous les gestes sont harmonieux et utiles.

Le menu est quasiment imposé mais je suggère à Ken, le très précieux chef-adjoint de Teshi, d’adapter les présentations et les sauces pour le vin rouge. Les amuse-bouches sont excellents, celui à la poutargue très goûteux et celui en forme de cromesquis peut-être un peu trop épais. La tourte de homard à la truffe est divine avec sa bisque et se marie parfaitement au chambertin au goût intense et profond de grande vivacité et de grande présence. Le nez est précis, convainquant et la bouche emporte par son charme car le vin profond sait aussi être de velours.

Les asperges blanches sont de grande qualité et pour qu’elles accompagnent le vin il faut surtout éviter le beau bouillon. Le poisson aussi se marie au vin si on oublie la feuille de chou qui le coiffe. Le plus bel accord sera avec le canard dont la sauce est faite pour le vin.

En revanche, les excellentes viandes de bœuf, d’une normande et d’une charolaise, sont trop puissantes pour le vin délicat qui continue à montrer sa force. Je finis la lie noire de ce vin de 106 ans qui, une fois de plus, a montré à quel point ces vins sont d’une vivacité exemplaire. La main de fer dans le gant de velours s’applique bien à ce vin. C’est évidemment un vin ancien mais on ne saurait pas lui donner un âge.

Les desserts de Yuki la très compétente pâtissière sont d’une légèreté remarquable et d’un goût parfait. Son interprétation originale d’un forêt-noire est à signaler.

Mon ami a tout ce qu’il faut pour encenser ce restaurant que j’adore, mais il reviendra pour finir d’écrire son papier. C’est sans doute l’excuse pour une nouvelle gourmandise.

Je suis heureux car quand j’ai fait porter un verre de vin pour toute l’équipe, Matthieu et Bixente m’ont dit à quel point ils ont été enthousiasmés par ce vin centenaire. Une fois de plus les repas au restaurant Pages sont brillants et les vins centenaires aussi !


l’ambiance en cuisine

le vin de 1913 du jour et celui bu il y a cinq ans, authentifiée comme Chambertin Sosthène de Grésigny 1913

la capsule du jour et la capsule de la bouteille bue il y a cinq ans

photos de la bouteille du jour

la couleur du dernier verre avec de la lie et la couleur de la lie seule

Dans le sud, dîner chez des amis vendredi, 15 mars 2019

Dans le sud, des amis nous invitent à dîner. Nous serons une quinzaine. Notre amie est un vrai cordon bleu et se nourrit de la lecture des recettes des plus grands chefs, dont notamment celles du magazine Thuriès. Les petits plats se succèdent pendant l’apéritif dont des petites barquettes à l’avocat et aux crevettes fort jolies. Nous buvons divers champagnes dont le Champagne Ruinart blanc de blancs sans année qui se boit particulièrement bien, fluide, facile à vivre, consensuel et de bonne soif. On y revient sans cesse.

Sur une entrée délicate aux petits pois on boit un Château Magni-Thibaut Graves blanc 2017 qui est d’une agréable fraîcheur. Il ne faut pas lui demander plus qu’il ne peut apporter, mais il se boit aimablement.

Sur une belle viande maturée et confite servie avec un délicieux gratin de pomme de terre, je bois un Château Nénin Pomerol magnum 2011 qui a une belle densité, un beau grain à la truffe légère, qui se marie avec justesse. C’est un vin de belle intensité. Il y avait par ailleurs un jéroboam de Beaune Lulune mis en bouteilles pour le domaine des Courtines 2000. Ayant pris goût au Nénin, quand j’ai voulu boire ce Beaune, le grand flacon était déjà vide et je n’ai pas pu le goûter.

Mon apport pour le dîner est un Vega Sicilia Unico 1999. Comment peut-on imaginer que ce vin a déjà vingt ans alors qu’en le buvant on imagine volontiers qu’il n’en a que trois ? Au nez il explose de cassis et en bouche il est frais et riche, fluide et profond, à la trace indélébile. C’est un vin de plaisir pur et noble dont je suis depuis toujours amoureux. La grâce de celui-ci est extrême.

Je n’ai pas touché aux fromages tant les mets qui précèdent étaient délicieux et généreux. La tarte au citron meringuée de notre amie est exceptionnelle. Elle est gourmande et légère et évoque les meringues que faisait ma mère lorsque j’étais petit.

La joyeuse bande de voisins et amis a permis des discussions passionnantes qui ne demandent qu’à être répliquées. Vive le sud.

celui que je n’ai pas bu :