de grands vins pour des fiançailles dimanche, 18 juin 2006

Ma fille cadette se fiance. Occasion de se rencontrer pour deux familles, et occasion de sortir de bons vins. Mon futur gendre et ma fille reçoivent le premier soir. Nous recevons le lendemain midi. La motivation de Guillaume et Agathe est assez visible, car nous serons reçus de façon royale.

Voici le menu : Toasts au foie gras / Foie de lotte et coulis d’orange / Carpaccio de gambas, gelée de riesling pamplemousse / Ravioli langoustine ricotta et épinard / Crumble d’agneau aux fèves / Comté et gruyère de Savoie / Macarons Pierre Hermé rose, pamplemousse américano, chocolat passion / 2000 feuilles Pierre Hermé. Les services d’un chef ont été loués pour la circonstance.

Le champagne Laurent-Perrier en magnum est très agréable. Très équilibré, joyeux, il me surprend positivement, car je n’attendais pas le non millésimé à ce niveau. Le champagne Krug 1990 en magnum se présente en un flacon d’une rare beauté. Cet écrin renferme un champagne qui est un vrai bijou. Je l’avais goûté dans des dégustations comparatives où il avait montré son talent. En situation de repas, avec le foie de lotte, ce champagne est éblouissant. Il est tellement complexe que je suis obligé de choisir parmi toutes les images qui me viennent. Je retiens les fleurs blanches et roses, les fruits délicats comme des cerises jaunes. Ce champagne floral et fruité est romantique. Il forme un vrai contraste avec le champagne Salon 1985 que nous avions bu aussi en famille il y a moins d’une semaine. Le Salon me semble plus viril, plus conquérant, quand le Krug me paraît plus féminin, charmeur. Ces deux champagnes sont deux expressions assez opposées qui me plaisent tout autant. Je suis sûr que demain, le Krug pourrait me montrer un autre visage, tant il a de facettes à sa séduction.

Le Riesling "Hengst" Josmeyer cuvée de la St martin 1998 est extrêmement agréable et bien construit. Vin facile à boire. Mais le Chablis Grand Cru les Clos de René et Vincent Dauvissat 1998 a trop d’intelligence. Ce Chablis est magique. Il a tous les bons côtés du Chablis, sans n’en avoir aucun qui soit mauvais. Toute la table de onze parents de deux familles a été émerveillée par la qualité de ce grand Chablis. C’est son expressivité tranquille qui m’a marqué.

Le Château Ausone 1975 est un grand Ausone. Etions-nous de bonne humeur pour juger autant de vins à de tels niveaux ? Non, je crois que cet Ausone est particulièrement réussi. Subtilité, charme, distinction. Il fallait avoir le palais disposé à analyser les détails pour aimer l’Ausone, car à côté de lui, c’est un empereur qui entre en scène. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est spectaculaire. Que c’est bon, que c’est simple, que c’est naturellement délicieux. On dirait Jean Marais à vingt ans quand il sourit : c’est un ange si naturellement beau. La Mouline, c’est ça : il lui suffit de sourire, et l’on dit : c’est beau.

Ce qui me fait plaisir, c’est qu’en quittant un instant la Mouline pour revenir à Ausone, le bordeaux n’est pas écrasé. Il montre toute sa fragile beauté, fragile étant ici comme la beauté d’Anne, l’héroïne des Visiteurs du soir, qui brûle d’amour pour Gilles. La Mouline, c’est plutôt Jean-Paul Belmondo et sa gouaille de chouchou des dames. Deux grands vins, La Mouline immédiatement porteur de plaisir pur, et Ausone, conteur de madrigal, d’une séduction raffinée.

Le Vin jaune Château d’Arlay 1987 vit son bonheur avec le Comté. Découverte pour certains membres de « l’autre » famille. Le Château d’Yquem 1991 est assez effacé. Mais il le devient encore plus avec les desserts de Pierre Hermé qui sont des concentrés de plomb fondu. De ses macarons, ce qui impressionne le plus, c’est la texture. Elle est divine. Les parfums sont assez forts, ce qui gêne un peu. Le 2000 feuilles est « immangeable » tant il est riche. Personne n’a pu finir sa portion prédécoupée. Il a fallu prendre un rhum pour balancer la lourdeur de ce dessert, pendant que l’Yquem 1991 se taisait.

Mon futur gendre a manifestement mis la barre très haut en ce qui concerne les vins, dont émergent pour moi d’abord le Krug 1990, ensuite la Mouline 2000 et le Chablis Dauvissat. Mais j’hésite entre les deux vins, la position du Krug n’étant pas discutable.

Le lendemain midi, nous remettons le couvert, cette fois-ci chez nous. Certains veulent éviter de boire, car il fait une chaleur de milieu d’été, alors que nous n’y sommes pas. Le menu de mon épouse est le suivant : Toasts au foie gras / Crème de foie gras en pot / Joue de porc confite et sa sauce au thé, pomme de terre duchesse / Stilton / Tarte Tatin.

Le champagne Dom Pérignon 1996 servi sous le catalpa est absolument brillant. Participant à un jury de champagnes pour un magazine connu, j’avais, comme mes collègues, classé ce Dom Pérignon en premier des 1996. Il est magique. Beaucoup moins complexe que le Krug 1990, il étonne par sa générosité, sa facilité de langage. C’est un champagne qui a un goût de revenez-y.

Ma fille aînée ayant un fort penchant pour les vins faciles, boudant les Pétrus pour leur préférer le Languedoc, nous avons commencé, pour qu’elle ait à boire, par un double magnum de Saint-Chinian, les vignerons de Roueïre 1998. La bouteille dissymétrique, pour faire antique, est décorée d’une étiquette en étain, ceinte de rubans rouges. Et, pour qu’il n’y ait aucune méprise, il est inscrit « étain véritable », sur une contre-étiquette elle-même en étain. J’avais ouvert le vin 20 heures à l’avance, et carafé plus de quatre heures. Le résultat est un vin extrêmement agréable qui a plu au clan qui s’est créé autour de ma fille aînée des adorateurs des vins de pays. C’est un vin très agréable, auquel il manque bien sûr un vrai final. Mais ça se boit avec plaisir.

Le magnum de Château Margaux 1970 est évidemment d’une autre trempe et mon fils aura apprécié son extrême personnalité. Il a du charme, et l’âge lui va bien. Très élégant, subtil, assez flatteur, il plait à ceux qui ne sont pas de la secte de Saint-Chinian, mais je sens des transfuges, qui apparaissent, sans même que je sois obligé de donner des primes de match. J’avais choisi 1970 pour mon futur gendre. Au tour de l’année de ma fille.

Le choc que me fait Pétrus 1974 est fort. Je savais que Pétrus avait réussi cette année difficile, mais j’ai l’impression que c’est le plus grand Pétrus 1974 de tous ceux que j’ai bus. Et quelle structure ! Il est intense. Quand Margaux est galant, poussant l’escarpolette d’une demoiselle délurée de Fragonard, Pétrus occupe le terrain du palais, selon une stratégie à la Masséna, l’enfant chéri de la victoire. Mon fils adore la subtilité du Margaux. J’adore la franchise gavée de complexité du Pétrus. Deux grands vins très complémentaires.

Rien ne volera la vedette à Château d’Yquem 1988, car la tarte Tatin a décidé de l’épouser, de le mettre en valeur. C’est un grand Yquem, comme je le vérifie à chaque fois.

Bagues, cadeaux, anecdotes enfantines, rien ne manquait à la réussite d’une fête familiale ponctuée de vins exemplaires.

dîner de wine-dinners à la Grande Cascade jeudi, 15 juin 2006

En juin, la tentation est grande de faire un dîner de wine-dinners au restaurant de la Grande Cascade. Dans cette petite bonbonnière logée dans un parc aux arbres centenaires, notre table donne sur le jardin, et nous aurons, presque pendant tout le dîner, une vision d’un beau soir annonçant l’été, oubliant les nuages d’un ciel porteur d’ondées. Je suis venu à 17 heures pour ouvrir les vins, accueilli par une belle et attentive Noémie, apprentie sommelière qui promet beaucoup. Pour quatre bouteilles je rencontrerai des bouchons qui partent en charpie, avec des combats difficiles comme avec ce Smith Haut Lafitte au bouchon indéfectiblement collé au verre. Le niveau de ce vin est exemplaire, dans le goulot, ce qui est rare pour un 1949. A l’inverse, le Gruaud Larose 1928 a un niveau de basse épaule et son nez est acide. Tout cela ne me paraît pas trop grave (j’ai tort). L’odeur du Filhot 1924 est magnifique, comme celles des deux blancs secs.

Du fait de la Delanoëisation des transports urbains, la ponctualité n’est pas le fort de cette 73ème promotion des dîners de wine-dinners. Mais la proportion de jolies femmes interdit tout commentaire. Comme il fait beau, deviser devant l’entrée est un plaisir. Des convives se reconnaissent. Il y a pour ce dernier dîner de l’année scolaire une majorité d’habitués, ce qui me réjouit.

Le menu, créé par M. Menut et Richard Mebkhout est le suivant : Gressins et allumettes / Feuilleté de bulots, jus au naturel / Truffes d’été cuites et crues en marmelade / Pavé de bar saisi à la plancha, épinards au beurre noisette / Longe de veau en cocotte, poêlée de girolles nature, un jus gras / Stilton et rôtie de fruits secs / Compotée d’agrumes et crumble, meringue vanillée, cappuccino au lait de poule. Le chef a magnifiquement épuré ses plats pour qu’ils soient au service du vin, sans que cela enlève à leur intérêt strictement gustatif.

Le Champagne Besserat de Bellefon non millésimé arrive un peu chaud, ce qui gêne pour les deux premières gorgées. C’est un champagne assez simple, au message linéaire, que le jambon espagnol titille gentiment. C’est une mise en condition, un échauffement. La partie commence vraiment avec le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1985 dégorgé en 1999 qui est une véritable splendeur. Ce champagne est d’une élégance extraordinaire. J’y vois des roses, des fleurs. Chacun autour de la table rivalise d’évocations colorées et plaisantes. Je viens de goûter il y a peu de jours le champagne Salon 1985. Ces deux champagnes sont délicieux. Très opposés, ils ont chacun leur place. Le Dom Pérignon est charmeur et délicat. Sur le bulot, c’est un rêve. Mais surtout sur la mousse très virile, il se met à chanter. L’accord est beau.

Le Château Bouscaut blanc 1953 à la couleur irréellement jeune accompagne le Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964 d’un or majestueux autour de la truffe  d’été. Ce fut certainement le moment le plus intense de la soirée. Le Chassagne a tant de charme que chacun y succombe instantanément, alors que dans mon silence intérieur, je trouve au moins autant d’atouts à ce Bordeaux d’une précision rare. Quel grand bordeaux blanc ! Sa trace citronnée excite agréablement la pomme de terre presque crue et croquante. Le Chassagne est à l’aise avec la truffe toute en suggestion fragile et virginale. Lourd, expressif, il chante comme Luis Mariano une ode à sa belle. Tout à cet instant est magique, le plat suggestif en nuances, le bordeaux subtil et d’une trame expressive, et le Chassagne conquérant, Fanfan la Tulipe de l’instant.

Le Château Smith Haut-Lafitte Graves Martillac 1949 est renversant. Sa couleur est d’une jeunesse rare, son nez raconte des milliers de poésies. Et en bouche, quelle belle personnalité. C’est certainement le Smith Haut-Lafitte le plus intelligent que j’aie jamais bu. A côté, le pauvre Château Gruaud Larose Sarget 1928 au nez désagréable nous fait vinaigre. Si une lueur s’allume, elle s’éteint aussitôt. Le vin est mort. La gloire du 1949 permet de l’oublier. L’accord sur la chair du turbot seule est d’une grande justesse. L’épinard se mange séparément, et il a la politesse de ne pas biaiser le palais.

A la table, un ami au verbe péremptoire va acclamer le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 quand il va décapiter le Vosne Romanée Leroy 1959. C’est un peu excessif. Le Vosne Romanée porte évidemment des traces de fatigue qui le handicapent. Mais contrairement au Gruaud Larose, il a gardé quelque chose à dire, à demi-mot. Le nez du Richebourg est sauvage, cheval fougueux indompté. Il est salin, de fruits rouges écrasés. En bouche, tout le domaine de la Romanée Conti se rappelle à ma mémoire. Et tout le monde aime ce vin splendide que vante le vigneron bourguignon de notre table, le jugeant immense (il le classera premier de son vote). C’est un vin du domaine particulièrement émouvant, qui remet le curseur de la DRC au niveau d’excellence qu’il ne doit plus quitter dans ma mémoire, après les hésitations que j’ai connues dans le récent déjeuner familial avec deux vins fatigués.

Le Château de Fargues 1989 sur un  stilton au goût parfait, c’est tellement facile, sans complication. C’est incroyable de constater que le plaisir est immédiat, sans complexe, pur. Ce vin emplit la bouche de bonheur simple. Ce vin, c’est le vote des congés payés en 1936, c’est un dimanche au bord de l’eau, c’est la mélodie du bonheur. Il est d’une puissance rare, d’une force inébranlable. Un sauternes parfait de prime jeunesse.

C’est un vrai délice de pouvoir faire suivre le généreux Fargues par Château Filhot 1924 d’une qualité rare. Très peu botrytisé, il décline une myriade de sensations exotiques fines. On reconnait immédiatement la parenté directe avec le Filhot 1858 que j’avais bu au château de Beaune, à l’initiative de Bouchard Père & Fils. La filiation (comme son nom l’indique) est spectaculaire. Une tranche fine d’orange et sa peau confites forment avec le Filhot un accord miraculeux. L’extase est là. C’est du plaisir pur.

Les classements me plaisent, car sur ces dix vins dont un mort et un fatigué, sept vins vont être dans les votes (de quatre vins seulement pour chaque convive), et six vins vont recueillir un vote de premier. Ça, c’est spectaculaire. Les plus présents dans les votes sont d’abord le Chassagne Montrachet puis le Dom Pérignon. Les plus votés en place de numéro un sont le Filhot 1928 avec trois places de premier et le Fargues 1989 avec trois votes de premier. Ce fut, ce soir, surtout le couronnement des vins blancs.

Mon vote, qu’un fidèle convive fit à l’identique est : 1 – Château Filhot 1924, 2 – Smith Haut-Lafitte 1947, 3 – Dom Pérignon Oenothèque 1985, 4 – Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964.

Trois accords magistraux : la truffe blanche et surtout sa pomme de terre sur les deux blancs magnifiques, la tranche confite d’orange sur le Filhot 1924 et le crémeux Stilton sur le Fargues 1989. Mais la mousse forte sur le Dom Pérignon a beaucoup de charme aussi.

La forme de la table, trop étirée, n’encourage pas les discussions de groupe, ce qui n’empêcha pas les rires de fuser, dans une ambiance chaudement amicale. Cela me tente de définir un format de table comme j’ai défini un format de dîner. Ce 73ème dîner avec Filhot 1924 et Smith Haut-Lafitte 1949 fut un des plus plaisants.

Wines of 1915 and 1913 in restaurant Laurent lundi, 12 juin 2006

Robert Parker’s forum was one of the excuses for my trip to the United States, with two organized tastings of the wines of Trimbach and Lynch Bages. This forum is led by Mark Squires, who openly professes his doubts about ancient wines. I wanted to change his opinion, as I had done for members of another forum. This was also an excuse for bringing to Paris a Belgian friend from Antwerp, an Englishman, a Frenchman and an American. A friendly and joyful gathering at the Laurent restaurant, where wines of all origins are there to be enjoyed. Table in the beautiful garden by a beautiful spring evening, always perfect service, quality menu, everything was assembled for Mark Squires to be bewitched by the old wines.

We start with a Meursault Les Narvaux Domaine d’Auvenay 2000 Lalou Bize Leroy. A nose of a unique intensity. A deep wine, of rare length.

The 1964 Riesling Spätlese Niersteiner Kranzberg Franz Karl Rheinhessen is corked. The Trimbach Frederic Emile 1983 I tasted in California is perfectly suited to giant shrimp.

The Château de Beaucastel 1962 Châteauneuf du Pape should not have been opened. He had suffered from the journey to London.

Then come my wines: Nuits Saint Georges Les Cailles Morin Père et Fils 1915, which I have already used widely when I want to convince, is by far the star of the wines of the evening. His youth astonishes everyone. Mark Squires, who obviously has a palate made for other wines had the honesty to say that he liked.

And the nail was going to be hit by my second wine, the Chambertin Jules Regnier 1913 which is of an implausible structure and a youth similar to that of 1915. The Chambertin is obviously a bigger wine, but the Nuits Cailles gives more pleasure. I had taken my chances with two wines over 90 years old. And I won. Mark squires had the elegance to give the testimony on the site of the forum of Robert Parker. I know it will not change his habits. But a milestone had just been laid.

The Marcassin 2001 Pinot noir immediately shows it is of another world: pepper, star anise as in modern wines. In the context of the evening, I liked, like this absolute bomb incensed by Robert Parker, the Domaine du Pégau, Châteauneuf du Pape cuvée da Capo 1998 which has the bagatelle of 16 °.

The Domaine de la Janasse old vines Chateauneuf du Pape 1998 is also very interesting, but a little less than the solid Pegau. We finish with the White Riesling Navarro Late Harvest 2002 which is far too sweet for my taste.

Exciting discussions with great wine lovers. Tastes too resolutely modern are not for me. The idea of this challenge had seduced me. I succeeded with real ancestors. My journey of promoting the value of ancient wines continues. Moreover, my method of opening the wines, now known by a large number of amateurs, has proved its worth that evening.

It seems almost banal to open a wine of 1915 and to find that it seduces the most skeptical. When you think about it … .. What a questioning of all received ideas!
It is the object of my crusade.

Vins de 1915 et 1913 en vedette au restaurant Laurent lundi, 12 juin 2006

Le forum de Robert Parker avait été l’une des excuses de mon voyage aux Etats-Unis, avec les deux dégustations organisées des vins de Trimbach et de Lynch Bages. Ce forum est dirigé par Mark Squires, qui professe ouvertement ses doutes sur les vins anciens. J’avais envie de modifier son avis, comme je l’avais fait pour des membres d’un autre forum. C’était là aussi une excuse pour faire venir à Paris un ami belge de l’équipée d’Anvers racontée récemment, un anglais, un français, un américain. Assemblée amicale et joyeuse au restaurant Laurent, où des vins de toutes origines ont adroitement réjoui nos papilles. Table dans le magnifique jardin par une belle soirée de printemps, service toujours parfait, menu de qualité, tout était réuni pour que Mark Squires se fasse ensorceler par les vins anciens.

Nous commençons par un Meursault les Narvaux Domaine d’Auvenay 2000 Lalou Bize Leroy. Un nez d’une intensité unique. Un vin profond, d’une longueur rare. Le 1964 Riesling Spätlese
Niersteiner Kranzberg Franz Karl Rheinhessen est bouchonné. Le Frederic Emile 1983 Trimbach que j’avais dégusté en Californie est parfaitement adapté aux crevettes géantes. Le Château de Beaucastel 1962 Châteauneuf du Pape n’aurait pas dû être ouvert. Il avait souffert du voyage de Londres. Arrivent alors mes vins : Nuits Saint Georges Les Cailles Morin Père et Fils 1915, que j’ai déjà largement utilisé quand je veux convaincre, est de loin la vedette des vins de la soirée. Sa jeunesse étonne tout le monde. Mark Squires, qui a manifestement le palais fait pour d’autres vins a eu l’honnêteté de dire qu’il a aimé. Et le clou allait être enfoncé par mon deuxième vin, le Chambertin Jules Régnier 1913 qui est d’une invraisemblable structure et d’une jeunesse similaire à celle du 1915. Le Chambertin est manifestement un plus grand vin, mais le Nuits Cailles donne plus de plaisir. J’avais pris mes risques avec deux vins de plus de 90 ans. Et j’ai gagné. Mark squires eut l’élégance d’en donner le témoignage sur le site du forum de Robert Parker. Je sais bien que je ne changerai pas ses habitudes. Mais un jalon venait d’être posé.

Le Marcassin 2001 Pinot noir fait tout de suite changer de monde : du poivre, de l’anis étoilé comme dans les vins modernes. Dans le contexte de la soirée, j’ai aimé, comme cette bombe absolue encensée par Robert Parker, le Domaine du Pégau, Châteauneuf du Pape cuvée da Capo 1998 qui titre la bagatelle de 16°. Le Domaine de la
Janasse vieilles vignes Châteauneuf du Pape 1998 est aussi très intéressant, mais un peu moins que le solide Pégau.
Nous finissons avec le White Riesling Navarro Late Harvest 2002 qui est be
aucoup trop sucré pour mon goût
.

Discussions passionnantes avec de grands amateurs de vins. Les goûts trop résolument modernes ne sont pas pour moi. L’idée de ce challenge m’avait séduit. Je l’ai réussi avec de vrais ancêtres. Mon parcours de promotion de la valeur des vins anciens se poursuit. De plus, ma méthode d’ouverture des vins, connue maintenant d’un grand nombre d’amateurs, a fait ses preuves ce soir là.

À noter, cher lecteur, que cela paraît presque banal d’ouvrir un vin de 1915 et de constater qu’il séduit les plus sceptiques. Quand on y pense ….. Quelle remise en cause de toutes les idées reçues !

C’est l’objet de ma croisade.

Three DRC wines for a familial lunch dimanche, 11 juin 2006

As in my family the agendas are very busy, it was decided to celebrate several birthdays, including mine, on the same day. As I consider that my cellar is mainly devoted to my children, I wanted to make of this familial lunch something to remember for long. My collection has a value if it lives, which means if it “disappears” by being drunk. I go early in the morning to open the wines in the cellar as it is very warm around us. The La Tache 1943 has a rather low level, but seems very possible. La Tache 1943 has been one of the greatest wines of DRC that I have drunk. I put away the capsule, and the smell is of awful vinegar. The cork is black and greasy. The smell of the wine is very bad. If the wine comes back to life it will come back from a very low level.

I open the Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954 and the capsule astonishes me. It is the capsule of a négociant. The label indicates « Monopole » and Leroy. Is it the Leroy capsule ? The capsule had been slightly destroyed by the decomposition of the cork, and the cork is as black and greasy as the one of the La Tache. I am a little furious, because wines of 1954 should never show such an evolution of their cork? Why does it happen so often with wines of Romanée Conti?

The wine smells badly. So, here are two wines that any sommelier or any wine maker would throw away. I am so upset that I would decide to never buy again old wines of DRC if I have so many bad surprises. But I will keep quiet, as it has probably happened that I have bought more risky bottles from DRC than from any other domaine, just because I wanted to have DRC wines. But anyway, I am upset.

I tell myself that one thing is sure : the monster that I will open now is a wine without any problem. I put away the capsule, and what do I see : the top of the cork is black. And there is already some signs of the earth that stays in the top of cork with DRC wines. Oh my God! Incredible for a Montrachet DRC 2000. How is it possible ? A bad evil is probably chasing me.

Children and grandchildren arrive, the new generation has lunch, and on small cakes with cheese and Patanegra ham comes a champagne Salon 1985. It shines in a very unique way. I had had Salon 1983 which was good, but the 1985 is several stairs above. This champagne justifies why I love Salon. The bubble is very active, the colour is of a young champagne. In mouth it is a rare pleasure. I see white and pink flowers, pictures of David Hamilton suggesting the beauty of teen girls. But this is a mask. Because behind that, the personality of this champagne is extremely strong. In westerns, the hero is never standing where the killers shoot. This champagne is in the same situation : it delivers a taste which is not the one you would expect. The whole family adored this champagne.

On a foie gras just grilled, very simple, the Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 is unbelievable. For my son, it is the greatest white wine of his life. I must say that I have adored it. Because the wine controls completely its strength. For example, the wine does not dominate the foie gras. They cooperate on a mutual agreement. The nose is impressive, exposing an incredible complexity. In mouth, one would expect a bomb, but it is not the case. If it is a space invader, it is a pacifist one. What is amazing is the spectrum of all the complex tastes that are shown by this wine. Green citrus, liquorice, and all what one can imagine. Its set of suggestions is infinite.

On a beef filet in a pastry with truffles and potatoes, three reds. The La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 comes first. I had examined its smell hour after hour, and I concluded that the wine would be ready for dinner. There are still some wounds, but let us examine also its brother : Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954. I have drunk twice La Tache 1943 which belong to my favourite DRC wines. I had never had the RC 1954. I had not been very convinced by the RC 1952 (too young vines) but the RC 1956 initially judged as a weak RC was for me very romantic. So, to see that these wines have wounds today makes me unhappy.

I say it. And my wife, who does not drink, ask me the good question : if the label would not indicate DRC, what would you say about these wines? And I said honestly that if the wines were not DRC, I would praise and describe their real qualities, as they are good wines. And my son interrupted me by saying : you say the contrary of what you want to teach other people : just like what you have in the glass, without being influenced by the label. I agreed on his comment but I must say that to open three DRC wines for the same lunch is not very usual for me, and I would have liked that it would be 100% what I wanted. It explains why I am so severe. Because the wines were truly nice. I have had by a few moments an image of the perfection of Romanée Conti, but is was only by a few moments.

My children were like the corner of a boxer who has put three times one knee on the floor during the last round. As the corner manager says, trying to be convincing : “you have it in your gloves. Go, you will win”, my children said to me : « look, Daddy, it’s  a great wine ! ».

As we were talking and as I was drinking, we arrived at the last drops. And then, a flash. One single flash, but worth everything : I had the flash of a great Romanée Conti. My sad face turned to a happy smile. Is it self persuasion? I do not care, I had it. It was like the green ray when the sun sets, that I see many times and that my wife has never seen. You have it or not. I had my flash of Romanée Conti. Is it real or invented, I had it as the green ray.

The La Tache had also some moments when it woke up. But, having the memory of great 1943, it was not enough to please me. The end of the bottle had nice expressions.

And here is the magic of wine. The Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959 had given me not any problem by opening, with a very straightforward smell. Immediately, it gives in the glass a wonderful Burgundy. For my daughter and my daughter in law who do not share our necrophilia obsessions, this wine is very pleasant. And it is. It is charming, well built, nicely representative of this great year. But objectively, this successful wine seems absolutely simple when compared to the complexity of the two DRC wines. So, even if wounded, the DRC wines were above a very nice 1959 wine. The messages of the two DRC wines were largely greater than what I said, due to my anger to have not the perfection.

On a Tarte Tatin that my wife makes in a perfect way, the Château Caillou, Barsac, crème de tête 1929 created a pure moment of gastronomic ecstasy. The wine is ambered as caramail. The nose is intense as it happens with “crème de tete”. In mouth, it is a sun shining on a great day. The length is infinite. The wine is absolutely magnificent, and could compete with many of the greatest Sauternes.

I wanted to create for my children an event which they would remember for long. Seeing their reactions, I think that this has been done, as they were largely more tolerant that I was. My only satisfaction, apart from the familial satisfaction, is to have given a chance to two DRC wines that 99.99% of people would have thrown away after the first smell. I was obstinate, and the wines have had a chance to deliver their message, even if it was with a too low voice. If, as I have noticed, my children have been pleased to try these wines, I am happy to have insisted.

In a whole, when wine is concerned, am I happy or am I unhappy ? It is very difficult to say.

I am probably happy, as the important thing is to share, and the success of a wine is an additional reward. The Montrachet, the Caillou and the Salon have given to all of us a sufficient pleasure. The rest is a plus.

Repas de famille avec 3 vins de la Romanée Conti dimanche, 11 juin 2006

Les vins de ce repas sont : Champagne Salon 1985, Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943, Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954, Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959, Château Caillou, Barsac, crème de tête 1929.

Avec les emplois du temps des uns et des autres, les occasions où nos trois enfants viennent à la maison se font rares. Alors, si ma cave doit avoir un sens, c’est bien pour eux. Une collection de vins ne vaut que si elle vit. Et si c’est pour mes enfants, c’est encore mieux. Je descends à la cave ouvrir les bouteilles ce matin, puisque nous nous réunissons pour déjeuner. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 a un niveau assez bas, mais possible. J’ouvre la capsule et le haut du bouchon sent un sale vinaigre. Le bouchon est noir, sale, gras. Les traces sur le goulot sont graisseuses. Le vin sent très mauvais. S’il revit, il part vraiment de très bas.

J’ouvre la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954 dont la capsule m’étonne car je n’avais pas remarqué : c’est une capsule de négoce, avec un numéro dans le département 21 qui finit par 66. Or l’étiquette indique Monopole et Leroy. Que s’est-il passé ? Est-ce la capsule de Leroy ? La capsule est éclatée par un vice pervers, le bouchon est encore plus noir et plus gras que celui de La Tâche. Ça sent aussi mauvais, à peine un peu moins. Voilà deux bouteilles qu’un sommelier ou le vigneron élimineraient immédiatement, dans cet état d’odeurs insupportables. Je suis assez agacé, car je trouve dans les vins de la Romanée Conti une plus grande vulnérabilité que celle que je trouve ailleurs. N’en tirons pas de conclusions hâtives, car en salles des ventes, il a dû m’arriver d’accepter d’acheter des bouteilles à risque, plus pour le DRC que pour tout autre domaine. Mais quand même ça m’agace.

Je me dis qu’au moins, le monstre que je vais ouvrir, lui, sera sans surprise. Je décapsule le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 qu’il me tentait d’ouvrir pour mes enfants. Et là, chose incroyable, le haut du bouchon est noir, et à déjà cette poussière terreuse que j’ai vue pour les vins du Domaine. C’en est trop pour mon cœur fragile. Je me jure de ne plus acheter de vins anciens du Domaine. Cette colère me passera. L’important, puisque j’écris ces lignes avant le repas, c’est ce qui va se passer ensuite.

Les enfants et petits enfants arrivent, on fait manger la petite génération, et sur des gougères et un Pata Negra bien gras un champagne Salon 1985 brille de façon unique. Ce champagne est magistral. C’est lui qui justifie mon amour pour ce grand cru. Sa bulle est active, vivante, sa couleur est pleine de jeunesse. Il donne en bouche un plaisir rare. Des roses, des fleurs blanches, des photos de David Hamilton donnent le change, car ce champagne est fort d’une personnalité extrême. Il réunit un ensemble de qualités déroutantes, car comme dans les bons westerns où le héros échappe à toutes les embuscades, il n’est jamais là où l’on attendrait son goût. Toute la famille a adoré cet extraordinaire champagne.

Sur un foie gras poêlé tout simple, le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 est absolument inimaginable de perfection. Et, qui l’eût cru, ce n’est ni le vin ni le foie qui prennent le dessus. Il semble que l’accord délicat se forme sans négociation. La robe est jaune citron. Le nez est imposant. Il envahit l’espace. En bouche, on attendrait une bombe. Mais pas du tout. C’est une invasion pacifique. Le vin s’installe dans le palais, et décline des saveurs à l’envi. C’est le citron vert, c’est la réglisse, mais c’est aussi tout ce que l’on désire. Mon fils dit que c’est son plus grand blanc. Je fronce le sourcil et il précise : c’est mon plus grand blanc jeune. Là, je le rejoins volontiers, car ce vin qui ne joue pas sur le registre de la puissance – tant mieux – est d’une palette gustative infinie.

Un filet de bœuf en croûte à la purée de pommes de terre aux truffes va accueillir trois rouges. Nous commençons par La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943. J’avais suivi son nez depuis quatre heures, et je m’étais dit que ce vin serait en fait suffisamment ouvert pour le dîner. Il manque encore quelques pansements à ses blessures. Parlons de lui comme du suivant, qui est : Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954. Disons le tout de suite, ce sont des vins que je ne bois pas fréquemment. J’ai déjà bu deux fois La Tâche 1943, et les deux précédentes sont à cent coudées au dessus de celle-ci, et en Romanée Conti, de l’après guerre, les 1952 et 1956 que j’ai bues ne figurent pas forcément à mon Panthéon. Aussi, voir ces bouteilles qui ont survécu, mais ne peuvent pas cacher leurs blessures, ça m’agace. Je suis un peu excédé de toutes ces bouteilles imparfaites. Et ma femme eut la bonne question sur la Romanée Conti. Elle me dit : si c’était un autre vin, comment en parlerais-tu ? Et je répondis, au sujet de la Romanée Conti : si le même contenu était sous un autre nom, j’en parlerais en vantant ses mérites. Car il est bon. Je dirais même qu’il est excellent. Mais justement, comme c’est Romanée Conti, et comme je sais qu’il pourrait être tellement au dessus, je suis plus agacé, frustré, et je ne me contente pas de ses qualités. Mon fils me fit remarquer que je dis ainsi le contraire de ce que je prône, à savoir de recevoir un vin tel qu’il est. A quoi je répondis que le fait d’ouvrir la Romanée Conti ne ressemble à rien d’autre. Je suis content de l’avoir ouverte. Mais je sais qu’elle pourrait donner mieux, et je suis impatient d’en boire une aussi parfaite que ce que nous a donné le Montrachet 2000 sans aucun défaut.

Alors, comme le monsieur Ramirez du coin d’un boxeur, qui rassure son poulain qui vient de mettre trois fois le genou à terre, et lui dit en fin de round : « tu le tiens, il est à toi », mes enfants me dirent : « allez, il est sacrément bon, c’est un grand vin ».

Comme la conversation se prolonge, on arrive de plus en plus vers la fin de bouteille, où les arômes sont les plus concentrés. Et là, est-ce de l’auto-persuasion, alors que je venais d’être plus critique, pour ce vin, que je ne le serais pour un autre, j’ai trois gorgées, les dernières, où j’ai enfin, sans l’ombre d’un défaut, la perfection de ce qui fait l’inégalable de la Romanée Conti. Mon cœur s’est arrêté, comme quand je côtoie la perfection, et je me suis empressé de saisir cette idéalité éphémère. Si je dois me contenter de ces trois gorgées, je les prends, car c’est mon retour d’affection. Oui, la Romanée Conti est inégalable. Oui cette bouteille jouait avec un bras cassé. Mais quel grand vin !

Et La Tâche dans tout cela. Si je la compare aux précédentes 1943, il n’y a pas photo, on est trois étages plus bas. Nous avons donc cherché à lui trouver du charme. Il est arrivé qu’on y réussisse. Je bougonnais trop fort pour m’être laissé aller. La fin de bouteille comme pour La Romanée Conti avait beaucoup de charme.

Et c’est là qu’on voit la magie du vin. Le Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959 que j’avais ouvert quand j’avais constaté les blessures des vins du DRC montrait à l’ouverture un parfum de bonheur. Servi à ma fille et belle-fille qui ne partagent pas nos nécrophilies, il était applaudi. Bu après les deux DRC (plutôt les trois DRC), il est charmant et bien construit. Et c’est là que l’on voit la magie du vin (bis), ce vin chaleureux d’une couleur de bambin, d’une réussite totale est à des hectomètres de la complexité de La Tâche et de La Romanée Conti. Donc, même blessés, ces vins prestigieux du DRC ont des messages merveilleux.

Une délicieuse tarte Tatin a formé avec un Château Caillou, Barsac, crème de tête 1929 un accord de jouissance gastronomique. Le vin fort ambré caramel a le nez dense d’une crème de tête. En bouche, une fois que s’est estompée une légère trace glycérinée, c’est un pur soleil à la longueur infinie. Vin absolument magnifique, d’une rondeur, d’une élégance doucereuse bien affirmée.

Je voulais honorer mes enfants avec des vins rares. Je crois que ce fut fait. Le Montrachet, le Salon 1985 sont des vins d’un goût magistral. J’avouerai que j’ai eu par instants des fulgurances de génie dans La Tâche et dans la Romanée-Conti qui justifient que je continue à les aimer. Mais l’agacement de voir ces si grands vins en berne a été trop fort. Je n’ai qu’une satisfaction, une seule. Je pense que 99,99 % des gens qui seraient en situation d’ouvrir de telles bouteilles les auraient jetées. Mon obstination les a sauvées. Si elles ont donné à mes enfants et leurs conjoints des moments de grand plaisir, comme ils n’ont cessé de me le dire, je suis content d’avoir été persévérant.

Suis-je heureux, suis-je malheureux ? Très difficile à dire.

rencontre de forums, jour 2 avec un éventail de bons vins samedi, 10 juin 2006

Il fait une chaleur anormale dans le délicieux jardin du restaurant Laurent. Les bouteilles que j’ouvre sont immédiatement portées en chambre semi-froide, pour éviter des évanouissements d’arômes. Deux phénomènes se sont conjugués pour me pousser à élargir mon apport de vins. Le premier est qu’une participante ayant déclaré ne pas aimer les bourgognes, et ayant apprécié mon Richebourg 1973, la tentation était grande d’enfoncer le clou. La seconde est qu’un photographe est venu photographier ma cave pour une revue de gastronomie. J’ai erré dans la cave pendant les réglages. J’ai repéré une bouteille intéressante et une en dessous du niveau de vidange. L’envie de faire de la pédagogie s’offrait. Je l’ai suivie.

Pendant l’ouverture des bouteilles, j’ai composé avec Philippe Bourguignon un menu tenant compte de la chaleur et des vins. Le voici : volaille de Bresse et foie gras en gelée au vin d’Arbois / filet de saint-pierre, moelle, rôtie, sauce matelote / agneau de lait des Pyrénées, épaule confite aux épices d’un tajine, côtes caramélisées et bayaldi d’aubergines / bleu de Sassenage / clafoutis aux cerises. Ce fut délicat, sain, adapté comme il convient à un éventail de vins très large.

Le Vieux Château Chauvin 1998 ne me parle pas au premier abord, tant je sens la structure moderne qui crée chez moi comme une allergie. En laissant le vin s’ébrouer on sent une certaine intelligence, mais ce n’est pas pour moi. Au contraire, le Château Léoville Las Cases 1997 me plait, et encore plus, du fait de cette association avec le 1998. Léger, frêle, tout en suggestion, j’adore sa distinction. Pourquoi faudrait-il que les vins fassent boum-boum ? Très agréable vin tout droit sorti de mon imaginaire des salons littéraires du XVIIIème siècle. J’avais tenté de mettre sur l’entrée en troisième vin le Château Ducru-Beaucaillou 1978 et ce fut un bon choix. Même si sa couleur est déjà marquée, le vin chante d’équilibre et ne paraît pas « vieux » à côté des bambins. Très belle réussite de l’année 1978 d’un vin que je sais solide, sérieux et constant. Son 1961 est légendaire.

La Mission Haut-Brion 1985 en magnum a été carafé. L’image qui me vient est celle de l’étudiant qui pendant l’année scolaire a les carnets de notes les plus brillants, faisant la joie de ses professeurs, et qui, paniquant le jour de l’examen, perd le bénéfice de son travail. Ce Mission que l’on sent bien structuré n’est pas présent au moment où il le faudrait. Trop tard, c’est trop tard. A l’inverse, l’équilibre éblouissant de Château La Lagune 1982 impose le respect. Ce vin est la définition de ce que devrait être le bordeaux. Il est en ce moment à un point d’équilibre parfait. C’est tellement bon qu’on ne peut même pas imaginer le moindre petit défaut. Mais le Château L’Eglise Clinet 1964 parle à mon goût des vins anciens. Ce vin est chaleureux, joyeux, chantant, très peu conforme au schéma classique des Pomerols. J’adore ce vin plein de vie, qui emplit la bouche avec bonheur. La Lagune est plus construit, L’Eglise Clinet est plus séducteur et charmant.

Viennent ensuite pour notre assemblée de onze dont la composition avait un peu changé, sans réduire son cosmopolitisme, mes trois bourgognes. Le Chambertin caves Nicolas 1953 arrive trop froid de la chambre froide. Il faut lui laisser le temps de s’ouvrir. Et quand il s’ouvre, quel gentil bonheur. Il est bourguignon, un peu coincé, n’a pas la noblesse d’un Chambertin des plus hauts niveaux, mais c’est vraiment adorable. Ma voisine que je cherchais à convaincre commence à se poser des questions. C’est bon signe. Le Volnay Santenots Lucien Chouet 1966 se présente à l’ouverture beaucoup plus civilisé que le Chambertin. Il tient la corde pendant quelques minutes, mais dès que le Chambertin a changé de braquet, l’aimable Volnay à la complexité folle et à l’énigme intéressante n’a plus suivi le sillage de son aîné.

La surprise que je voulais didactique, vint du Beaune Marconnets Remoissenet 1937. Nettement sous la vidange, il était à jeter. J’ai donc annoncé à cette noble assemblée que je ne me battrais pas pour le défendre, mais pourquoi ne pas l’essayer ? Déjà, le nez annonce que ce vin est buvable. A la première gorgée, il y a du caramel, du torréfié qui trahit la fatigue du vin. Mais dans le verre, par un phénomène aussi impressionnant que lorsqu’un honnête garçon de bureau se transforme en superman pour sauver la planète ou en Hulk pour effrayer les foules, nous avons assisté à l’éclosion d’un vin que je qualifierais volontiers d’immense. Bien sûr, ne rêvons pas, il n’a pas repris l’intégralité de sa forme. Mais c’est sans doute le plus racé des bourgognes de ce soir. Je ne le mettrai pas dans mon classement, mais avec quelques convives nous nous faisions la réflexion que les dernières gouttes de ce vin étaient éblouissantes.

Le retour sur terre se fit beaucoup plus facilement que ce que l’on pouvait craindre. Le Clos Vougeot Henri Rebourseau 1998 plut à beaucoup de convives, car il est facilement compréhensible. En dégustant ses notes de cassis, de poivre, et ce goût juteux fort plaisant, je mesurais à quel point la complexité est chez les vins anciens. Je suis heureux d’explorer les vins anciens. Car quelles que soient les blessures que l’on rencontre, il y a un monde de complexité qui vaut la démarche.

Note ami ayant récidivé avec le Clos de Papes Châteauneuf du Pape 2003, je ne rajouterai pas au commentaire d’hier, sauf à dire que celui-ci me paraissait plus civilisé (si c’est possible) que le même de la veille.

Le Château Filhot crème de tête 1990 est une curiosité, car Filhot ne fait jamais, en dehors de ce millésime, de crème de tête. Aussi, l’étonnante couleur ambrée s’explique par la concentration. C’est prodigieusement étonnant. C’est tellement sucré et concentré qu’on pense à un Essencia de Tokaji. L’accord avec le délicieux bleu est magique. Mon goût va plutôt vers des sauternes moins lourds. Mais c’est un très grand vin.

Je suis très heureux d’avoir suggéré à Philippe Bourguignon de faire des clafoutis. Car avec le Porto Taylors Flagdate Vintage 1977, l’accord est fusionnel. Ce Porto est lourd comme le plomb, flatteur, rassurant, et je comprends pourquoi je n’en mets quasiment jamais dans mes dîners : ça plombe la bouche et le cœur pour l’éternité de la nuit. Mais quel plaisir !

Voter pour des vins aussi disparates est un exercice difficile. Je m’y risquerai pour le fun. Je mets en premier l’Eglise Clinet 1964, car trouver un Pomerol aussi joyeux est un grand plaisir. En deux, ce sera le Chambertin 1953, car son émotion est belle. En trois le Filhot 1990, car son goût est d’une rare séduction. Et en quatre La Lagune 1982 pour la précision de sa définition. Donc : 1- L’Eglise Clinet 1964, 2 – Chambertin caves Nicolas 1953, 3- Château Filhot crème de tête 1990, 4- Château La Lagune 1982.

Sur deux jours, avec des amis de tous pays qui échangent des anecdotes et avis sur les vins dans plusieurs forums, nous avons approché de très grands vins de tous âges et de toutes régions. Un grand succès de l’amitié internationale que crée l’internet.

rencontre de forums – un immense La Tour Milon 1926 vendredi, 9 juin 2006

Sur des forums internet, des liens se sont créés, et des rencontres de moins en moins virtuelles nous réunissent. Ce soir, c’est un dîner à la brasserie Dauphin qui rassemble onze passionnés de vins, dont un couple d’allemands, un couple de texans, un couple de suisses, un hollandais et le reste de français. L’idée est de partager nos vins et nos impressions.

Faute de temps, je n’ai pas pu me concerter avec le chef sur le menu. Aussi, la cuisine, que j’apprécie souvent, va ici jouer son numéro sans se soucier de ce qui se passe du côté des vins. Cela permet de prendre conscience du fait que les beaux accords ne sont pas le fruit du hasard. Voici le menu : langoustines rôties, vinaigrette de pomelos et melon / raviole de crabe au jus de bouchot / gâteau de cèpes de printemps au foie gras grillé / suprême de pigeonneau rôti au jésus de Morteau, jus simple / la tomme de chèvre au raisiné / le cakaille pistache aux fruits rouges. Rien ne fut mauvais, rien ne fut bon. Mais c’est ma faute : pas de concertation suffisante. Regardons du côté des vins.

Un champagne Salon « S » 1983 dégorgé le matin même et non dosé, voilà un beau début. Champagne à la forte personnalité,  original, typé, vineux, dense, présent en bouche, il forme un contraste absolument intéressant avec le champagne Bollinger R.D. 1982 dégorgé en 2000 et très faiblement dosé. Le Bollinger est un vrai champagne, à la bulle active et puissante. Si l’on devait désigner des deux lequel est du champagne, c’est sans hésiter le Bollinger, magnifique de jeunesse, de rayonnement et de pureté. Le Salon, c’est autre chose. C’est du vin. C’est un vin qui appelle une cuisine, pour se frotter avec des saveurs étranges qui vont le mettre en valeur. Faut-il en préférer un ? Bien sûr que non. Il faut aimer les deux.

Ayant ouvert toutes les bouteilles (ça devient une habitude) qui avaient été apportées à ma demande en avance, j’avais ouvert le Montrachet Bouchard 1980 vers 19 heures. Sa couleur fort ambrée et son nez fatigué m’avaient poussé à annoncer aux convives de se méfier de ce vin là, et de l’approcher avec précaution : tout jugement hâtif prononcé sur l’instant empêcherait  de comprendre ce vin. A ma grande surprise, le vin existe. Et non seulement il existe, mais il parle. Ce n’est évidemment pas un Montrachet flamboyant et fougueux. Mais il est élégant, centré sur ses valeurs de base, et il joue sur un registre de finesse qui le rend plaisant. On ne joue pas à plein régime, on suggère en délicatesse.

Le Château L’Evangile, Pomerol 1998 plait instantanément à cette assemblée qui ne vit que de vins jeunes. Beau nez épicé, belle structure joyeuse en bouche. C’est un vin serein, dans la plénitude absolue de ses moyens. Vin très bon. A côté de lui, le Château Magdeleine 2001 fait plus sénateur, bourgeois. Il est confortable. Ah, il ne va pas faire l’école buissonnière ! Mais comme il est, déjà accompli, propre sur lui, c’est un agréable compagnon de jeu.

Le Gruaud-Larose 1986 est trompeur. Car il joue en sourdine en début de verre. Et quand il s’installe, quelle merveille de joie de vivre. C’est un vin sans défaut. Il ne brille pas par des risques insensés. Il fait son devoir. Servi en même temps, le Château Ausone 1983 éclipse le beau Gruaud-Laroze. Car cet Ausone est immense. Est-ce cette bouteille qui est particulièrement brillante ? Toujours est-il que l’amoureux d’Ausone que je suis prend un plaisir incontrôlable. C’est immense, je le redis une nouvelle fois. Comment décrire cette petite merveille de précision ? Un vin qui chante, qui s’installe en bouche comme en un canapé profond. Si Saint-Emilion a un type, ce n’est pas avec ce vin étonnamment charmeur qu’on le reconnaîtra. Je le désignerais volontiers comme vin de la soirée si n’apparaissait le Château La Tour Milon Pauillac 1926. D’un niveau dans le goulot, d’une couleur irréellement jeune, au nez fruité et joyeux, ce vin, s’il était bu à l’aveugle ferait se tromper tout dégustateur de plus de vingt ans. On me dirait 1964, voire 1961, je ne dirais pas non. Toute la table est estomaquée. Et ce d’autant plus que nous parlions de la courbe de la vie du vin. Je défends un parcours sinusoïdal à périodes irrégulières, alors que le schéma traditionnel commande un plateau de maturité et un déclin. Quand on voit ce 1926, quand était son pic de maturité ? Aucun schéma politiquement correct ne s’applique à ce vin. J’avoue qu’il constitue pour moi une énigme, car il est grandiose. Décidément, l’année 1926 que j’adore ne m’apporte que des surprises extrêmes.

Je suis servi en premier du Richebourg Charles Noëllat 1973. Ce sont donc des gouttes très légères et pâles qui se déversent dans mon verre. J’annonce donc un grand danger (je préfère toujours commencer par un discours pessimiste pour que mes convives aient de bonnes surprises. Et le Richebourg, objectivement fatigué, séduit par son message bourguignon authentique. Il joue manifestement à 80% de sa valeur, comme une équipe de France sans Djibril Cissé, mais ce qu’il raconte est loin d’être sans intérêt. Il aurait dû être bu il y a au moins dix ans. Mais il est là, écoutons-le.

Alors, quand arrive le Clos des Papes Châteauneuf du Pape 2003, ça décoiffe. Car là, ce n’est plus pareil. C’est Monsieur Robert Parker en smoking. Tout y est. C’est le kit complet du petit Parker illustré. Vous voulez du poivre ? Il y en a. Vous voulez du jus de cassis, ça baigne. Vous voulez du copeau, il infuse. Du clou de girofle, c’est une pleine moisson. On ne peut pas dire que c’est désagréable. Car ça flatte et excite la papille. Mais on est entré dans un monde du vin qui pourrait sortir d’un laboratoire et n’a plus aucun besoin de terroir. Je dis ça d’autant plus volontiers que j’adore les vins de Paul Avril quand ce sont des Châteauneuf du Pape.

Le nez du Christoffel WS Riesling Auslese 1976 est d’une promesse quasi irréelle. Magique. C’est le champion du Monde du nez. Hélas en bouche, on en est loin. Il y a de belles variations sur le thème du Riesling, avec des suggestions de complexités ravissantes. Mais c’est l’intégration du tout qui manque. Le nez et l’attaque en bouche annoncent un triomphe, et ça finit comme Clearstream.

Il faut aimer les vins de glace. J’en ai aimé la découverte. A l’usage, c’est comme avec les muscats de Beaumes de Venise, on en a un peu fait le tour. Alors, ce Karlsmühle Eiswein 2002 est amusant par ses évocations étranges où le litchi prend sa part. Mais ça s’arrête là.

Le Malaga Larios, solera 1780 a forcément quelques molécules du 18ème siècle. On s’amuse de cette datation généreuse. Mais ce vin mérite d’être pris au sérieux. Il y a assurément une part non négligeable de ce vin qui a plus de 150 ans, et certainement plus de cent ans de fût. On sent que cette date n’est pas qu’un baptême ambitieux. Il y a un charme qui ne peut provenir que d’un grand âge, et le rapprochement gustatif avec les Commandaria de Chypre indique l’authenticité de la vétusté respectable de ce grand vin doux de pur charme, que l’on siroterait pendant des heures si l’on avait encore une petite place dans son cœur, après tant de belles bouteilles.

Si l’on parle de goût pur, c’est Ausone 1983 que je placerai en premier. Mais si l’on intègre d’autres dimensions de rareté, de surprise, d’étonnement, c’est le La Tour Milon 1926 qui ramasse la mise. Mon classement sera donc : 1- La Tour Milon 1926, 2 – Ausone 1983 3 – Malaga 1780, 4 – L’Evangile 1998.

Les forums gagnent en intérêt dès qu’ils cessent d’être virtuels. Cette assemblée qui n’est plus virtuelle se revoit ce soir pour de nouvelles agapes.