Angélus 1989 et Cheval Blanc 1990 dans de beaux accords mercredi, 4 octobre 2006

Notre groupe de conscrits se réunit une fois de plus dans un des grands cercles parisiens. Un champagne Mumm 1985 montre à quel point l’âge embellit les champagnes quand ils savent ne pas vieillir. Une bulle active, un parfum de fleurs exotiques, et ce goût rare de liqueur de vieux fruits rouges qui enchante le palais. Nous passons à table, et voyant le menu composé à deux options par plat (c’est ça ou ça), je suggère que l’on prenne le saucisson de Lyon et le mignon de veau. Je ne suis pas celui qui invite, mais comme souvent, on me charge du choix des vins.

Le Château Carbonnieux blanc 2002 forme un couple avec le saucisson de Lyon d’un érotisme qui fait de Pauline Réage la rédactrice d’une histoire d’eau de rose plutôt que d’une histoire d’ô.

Le caractère citronné, les agrumes secs du Carbonnieux jouent avec facilité sur la pistache du saucisson de Lyon qui a la chance d’avoir pour compère une pomme de terre intelligente.

Sur le mignon de veau, la sauce à peine groseillée, dosée d’un sucre délicat, se marie en un accord Lucullien avec le Château Angélus 1989. La légère sucrosité du vin est intégralement répétée par la sauce. C’est une symbiose magique. Le vin est éblouissant de sérénité, épanoui, avec ce côté doucereux que la sauce met en valeur. On reconnait bien sûr le Saint-émilion dont je viens il y a peu de goûter 20 millésimes, mais ici, c’est la force de l’union qui transcende le vin.

Le Château Cheval blanc 1990 est un vin qui impose le respect. Tout en lui appelle le recueillement. Le nez n’est pas imposant mais annonce une structure d’une trame noble. En bouche, ça démarre comme un bobsleigh : les premiers mètres sont tranquilles. Mais quand la vitesse est acquise, accrochez-vous ! Ce qui frappe dans ce vin, c’est une main de fer dans un gant de velours. Ce vin est d’une sérénité inébranlable. On peut dire tout ce qu’on veut, reconnaître sa densité extrême, il est là, serein, puissant, au bois joliment mesuré. C’est un immense vin. Le saint-nectaire et le reblochon surent se faire discrets pour qu’on s’extasie sans contrainte devant ce vin d’une race inégalable.

Sur un gâteau aux noix, un champagne Laurent Perrier rosé brut sans année est un compagnon reposant de fin de repas. On pourrait se dire que l’on a inscrit le mot fin à cette belle aventure. Mais un de nos conscrits, alors que la table avait diminué de moitié, tant des sexagénaires peuvent être encore indispensables à leurs affaires en cours, déclara qu’il avait soif. Un Château d’Yquem 1987 répondit à sa question. Arrivé un peu chaud sur la table, il a transporté le petit cercle que nous formions dans un nième ciel de félicité. Je crois qu’on ne peut pas s’imaginer à quel point cet Yquem est parfait. Il y a en lui de l’abricot sec, du caramel, distillés avec intelligence. Pas une gorgée qui ne soit synonyme de plaisir parfait.

Nous sommes conscrits, donc cacochymes, mais qu’est-ce qu’on boit bien !

dîner de wine-dinners au Pré Catelan mercredi, 27 septembre 2006

Le 76ème dîner de wine-dinners se tient une nouvelle fois au restaurant le Pré Catelan. Je viens ouvrir les bouteilles vers 16h30 et je suis aidé par un sympathique jeune homme que je considère comme un sommelier. Je lui fais sentir les vins que j’ouvre, je donne mes consignes de température de stockage avant le dîner. Il s’intéresse. It est efficace. Lorsque nous revêtirons nos costumes de scène, mon costume cravate d’un côté, son vêtement de fonction de l’autre, je constaterai avec une amusante surprise que c’est le voiturier. S’il a l’amour du vin, je suis heureux qu’il ait eu ce plaisir. Le nez le plus surprenant de toutes les bouteilles ouvertes c’est le « Graves supérieures » que je situe dans les années trente. Un ami sommelier qui savait que j’étais là, venu bavarder avec moi pendant les ouvertures, en convient : ce nez appartiendrait à un Suduiraut ou un Rayne-Vigneau qu’on ne serait pas autrement surpris.

Embarras parisiens ou coquetterie féminine, les arrivées à ce dîner ne furent pas synchrones, ce qui est embarrassant. La beauté de ma voisine me fera accepter son arrivée tardive avec un sourire béat. Elle annonce que si nous sommes sept à table, la promesse d’un huitième convive l’accompagnera dans ce repas. Lorsqu’il aura l’âge de comprendre, saura-t-il qu’un vin de plus de 110 ans son aîné aura peut-être parfumé le cocon douillet dans lequel il se forme ? J’explique les consignes d’usage et nous passons à table, sous la jolie rotonde qui forme une excroissance dans le joli bois qui entoure ce palais, cette petite folie champêtre.

Le menu préparé par Olivier Poussier et Frédéric Anton est fait de plats du menu, quasiment inchangés. Les adaptations n’ont concerné que le dessert délicieux, fait spécialement pour le vin le plus vieux. Voici ce que nous avons mangé, marqué par le talent de Frédéric Anton :  étrille préparée en coque, fine gelée de corail et caviar, soupe au parfum de fenouil / Girolles, juste poêlées, fine purée de céleri à la cannelle, petites fleurs de capucine et d’ail en tempura / Sole, cuite au naturel, glacée d’un jus de soja épicé, poêlée de germes de soja, mangue fraîche légèrement acidulée / Ris de veau cuit en casserole, petites girolles aux herbes fraîches / Agneau, le filet cuit à la plancha, pané de poivre noir et sauge, pomme de terre farcie d’un fondant de l’agneau épicé, jus gras / Bleu de Termignon, fourme d’Ambert, bleu des Causses / Fine tartelette aux mirabelles.

Le Champagne Dom Pérignon 1993 est un vrai Dom Pérignon, un des plus sages de sa génération. L’un des convives est en admiration devant ce champagne délicat au parfum intense et suivra son évolution olfactive pendant toute la soirée, avec des étonnements de pleine admiration. L’étrille fait chanter le champagne en l’excitant sournoisement.

Le Puligny Montrachet Les Chalumeaux Jean Pascal & Fils 1976 montre à cette assemblée qui compte de très fins palais, dont un professionnel du jugement des vins, combien l’âge embellit les vins de ce calibre. Ce Puligny est franc, généreux, doré dans sa gaieté, et ses composantes se sont gentiment ordonnées pour un plaisir naturel. Les girolles sont un compagnon de jeu idéal pour le Puligny, qui gagne de la longueur avec cette saveur fort lourde, dont le sucré délicat prolonge sa rigueur.

Le Gewurztraminer Hugel Réserve Personnelle 1983 a un nez époustouflant. On pourrait se contenter de son seul parfum, enivrant. En bouche, c’est un kaléidoscope remuant. Quel brio, quelle complexité, quel talent ! Ce vin est remarquablement construit, racé, et donne de l’Alsace la plus belle image qui soit. Sa jeunesse explose. La chair absolument goûteuse de la sole aurait suffi pour ce vin. La sauce trop vinaigrée obscurcit le paysage, et les petites complications latérales n’ajoutent rien. Ce plat eût dû être simplifié pour accompagner un Gewurztraminer de ce talent.

Ah, que le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 ressemble à ce que j’aime de ce domaine. Comme souvent, voilà un vin qui ne veut pas séduire. C’est une danseuse de java, qui ne séduit pas mais conquiert. Alors, d’aucuns lui trouve de l’olive, du thé, de la câpre. Je lui trouve cette trace salée qui est comme une signature du domaine. On pourrait ne pas être sensible à un vin déroutant qui reste une énigme. Toute la table l’a adoré. Manquant d’objectivité, accro aux vins de ce domaine, j’ai succombé au charme de cette danseuse, belle inconnue qui me snobe mais s’empare de mon âme.

Les deux Bordeaux rouges sont servis ensemble. Le Château Gazin Pomerol 1953 a une couleur d’une franche jeunesse, un nez précis et dans la pure définition du Pomerol. Il offre en bouche un confort absolu. J’aime Gazin, j’aime 1953, je suis donc à mon aise.

Le Château Cantenac-Brown, Cantenac 1934 ne met pas du tout à l’aise, car il va surprendre au-delà de l’imaginable. Il va montrer à quel point un vin peut se transformer dans le verre. Le premier contact est vieillot, légèrement acide, fatigué. Sentant ce qui va se produire, j’alerte mes convives. Et nous allons assister à une résurrection invraisemblable. Que tout le monde à la table soit conquis par un vin qui aurait été immédiatement condamné par tout juge, est une surprise de taille. Il fallait avoir cette humilité, que je recommande toujours, pour ne pas former un jugement trop hâtif. Cette erreur aurait eu pour conséquence de passer à côté d’un vin splendide, qui fut bien apprécié dans les votes.

Les connaisseurs de vins de la table ont eu la même surprise que moi : comment le Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930 peut-il être aussi authentiquement sauternais. Il ne suggère pas, il impose cette puissance liquoreuse au charme rare.

Chacun se plait tellement avec le Jauberts que le Barsac illisible vers années 1890 / 1900 sera beaucoup moins perçu. J’ai lu sur le bouchon Château de Ruomieu. L’année, vers 1890, est confirmée par le goût. C’est un vin émouvant, que je fus seul à couronner de votes, car tout le monde avait en tête le goût du Jauberts, si surprenant. Et la compréhension des sauternes qui ont « mangé » leur sucre est plus difficile.

Lorsque je prends en cave des vins en supplément, pour couvrir une défaillance, j’aime me faire plaisir. Ne sachant pas ce que donnerait le Barsac, j’ai pris un vin doux : un Rancio Caves de Maury vers 1945 ou avant. Cette bouteille banale d’un litre cernée d’étoiles gravées dans le verre, a tant de charme, que j’ai décidé de l’ouvrir, malgré l’absence de besoin. Il fallait qu’elle fût bue sur un gâteau au chocolat. L’accord de ce rancio avec le gâteau au chocolat devrait être inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Comment décrire ce moment de pure folie où l’on ne sait pas si la griotte vient du vin ou de la tarte ? C’est de la jouissance pure, fondée sur des goûts naturels, sensuels, proches du divin.

Nous étions sept présents à voter pour neuf vins. Huit vins sur neuf ont eu droit à au moins un vote. Quatre vins eurent droit à un vote de premier : le Grands Echézeaux, le plus couronné, trois fois, le Cantenac Brown 1934 deux fois, le Jauberts vers 1930 une fois, ainsi que le Château Ruomieu vers 1890 une fois. Le vote du consensus serait : Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930, Château Cantenac-Brown, Cantenac 1934 et Château Gazin Pomerol 1953.

Mon vote : Château Ruomieu, Barsac, vers 1890, Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930, Rancio Caves de Maury vers 1945, Gewurztraminer Hugel Réserve Personnelle 1983. Mon vote ne contient que des blancs ou des liquoreux, ce qui n’enlève rien à la valeur des rouges.

Le service du Pré Catelan est toujours aussi précis, l’équipe animée par Jean-Jacques Chauveau étant particulièrement motivée. Il serait sans doute souhaitable que certains plats soient « revisités » pour tenir compte de l’âge des vins, qui supportent moins bien la générosité gustative. Mais Frédéric Anton a tant de justesse dans ses recettes que cette remarque est à la marge. Nous avons passé une soirée remarquable, sur des saveurs d’une belle justesse et des vins aux énigmes invraisemblables. La palme absolue des accords revient au Rancio associé au délicieux dessert au chocolat. Gourmands de tous les pays, unissez-vous !

deux beaux Chateauneuf-du-Pape lors d’un dîner d’amis samedi, 23 septembre 2006

Je rejoins le Sud, des voisins m’invitent pour une « langouste-party ». J’ai le temps de prendre en cave deux vins. Le monde est petit car je retrouve l’un des convives du dîner que je viens de faire au Carré des Feuillants il y a deux jours.

Le Chateauneuf-du-Pape blanc de E. Malbec a reçu des médailles d’or à la foire d’Orange et au concours agricole à Paris, les deux en 1971. On peut supposer que c’est un 1969, à une année près. D’un jaune doré, d’un nez franc, il dégage un charme certain qui n’a pas pris une ride. Chaleureux, droit, sincère, c’est un vin magnifique.

Le Chateauneuf-du-Pape de Jean et Jean-Paul Versino 1989 produit un accord avec la chair de la langouste bretonne qui est remarquable. Vineux, viril, de gentille râpe, ce vin joue son rôle à fond. C’est un vin de pur plaisir. Voici deux bonnes pioches qui me réconcilient avec la cave que j’avais achetée un peu comme chat en poche à un retraité d’Orange.

75ème dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 21 septembre 2006

Les vins

  1. Champagne Richeroy Carte d’Or demi sec vers années 1940
  2. Champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers année 1985             
  3. « Y » d’Yquem 1985
  4. Arbois, réserve de la Reine Pédauque 1933
  5. Château L’Enclos Pomerol 1976
  6. Château Clos Fourtet Saint-Emilion 1934
  7. Château Haut-Brion 1918
    Haut-Brion 1918, star de la soirée. A droite, lambeaux de l’étiquette du Filhot 1935

  8. Richebourg, domaine Gros Frères 1987
  9. Côte Rôtie La Mouline 1989
  10. Vouvray Le Haut Lieu Huet 1919
  11. Haut Sauternes, D. Lafon Propriétaire 1867
  12. Chateau Filhot 1935

Le menu créé par l’équipe d’Alain Dutournier

Homard vapeur, amandes effilées, fraîcheurs du jardin, la pince en rouleau végétal

Cuisses de grenouilles épicées, pousses de roquettes, girolles en tempura

Tronçon de baudroie ficelé de pommes de terre, lasagne de chou tendre, fumet mousseux au raifort

Cèpes marinés, le chapeau poêlé et le pied en petit pâté chaud

Tendron de veau de lait dans son jus, barigoule de poivrade, chair de tomates anciennes, pistou d’aubergines, olives noires

Vieux gouda travaillé, truffe de Bourgogne râpée

Figues caramélisées, gingembre confit, crème glacée aux noix fraîches, craquant aux noix, compotée de figues, citron, cannelle

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 21 septembre 2006

Le 75ème dîner de wine-dinners se tient au Carré des Feuillants. Christophe, sommelier attentif qui a déjà assisté à plusieurs ouvertures de vins pour mes dîners a tout préparé. Les bouchons sont ouverts beaucoup plus facilement que d’habitude. Je fais sentir à Christophe le Château Clos Fourtet Saint-Émilion 1934. Il constate et s’étonne de la forte différence de nos appréciations. Là où il sent un vin fermé, je sens d’immenses promesses qui m’emplissent d’aise. La plus spectaculaire bouteille est celle de Haut-Brion 1918. La capsule est d’époque. Le dessus du bouchon sur le goulot porte des marques du temps mais le bouchon lui-même est irréellement bien conservé. Il a joué son rôle plus qu’il n’eût dû, puisque le niveau du vin est dans le goulot. En le sentant, je vois les évolutions qu’il va connaître pour s’ouvrir vers sa perfection. Le Haut-Sauternes 1867 a un niveau très bas. La partie supérieure du bouchon est terreuse. Le bas du bouchon est sain. L’odeur à l’ouverture est épouvantable. Je ne crois pas me tromper en annonçant qu’il ne revivra jamais. Alors que dans la bouteille sa couleur est trouble et marron foncé, dans le verre, c’est un or brillant qui attire mon regard. Et en bouche, c’est même buvable. Que va-t-il se passer ? Je prévois que l’on ouvre dans quelque temps un Filhot 1935 que j’ai en réserve, si un nouvel examen ne montre pas de retour à la vie. Mais je ne crois pas au miracle.

Toute l’opération d’ouverture s’est passée très vite, aussi ai-je le temps d’aller errer dans un Paris ensoleillé par une fin d’été qui donne aux parisiennes une séduisante beauté. Tout le monde est à l’heure, ce qui est agréable. Huit des neuf convives me sont connus. Les rires ont fusé ce qui m’a valu fort tard dans la nuit cette remarque d’Alain Dutournier : « on sentait à vos rires que vous vous amusiez ».

Le menu créé par l’équipe d’Alain Dutournier : Homard vapeur, amandes effilées, fraîcheurs du jardin, la pince en rouleau végétal / Cuisses de grenouilles épicées, pousses de roquettes, girolles en tempura / Tronçon de baudroie ficelé de pommes de terre, lasagne de chou tendre, fumet mousseux au raifort / Cèpes marinés, le chapeau poêlé et le pied en petit pâté chaud / Tendron de veau de lait dans son jus, barigoule de poivrade, chair de tomates anciennes, pistou d’aubergines, olives noires / Vieux gouda travaillé, truffe de Bourgogne râpée / Figues caramélisées, gingembre confit, crème glacée aux noix fraîches, craquant aux noix, compotée de figues, citron, cannelle. Un chef au sommet de son art a créé des accords d’une justesse rare.

Le Champagne Richeroy Carte d’Or demi sec # années 40 a une robe d’un or abricoté. La bulle n’est pas très active mais sera largement suffisante pour imprimer son charme à un vin doucereux, à la structure simple mais confortable. Champagne particulièrement plaisant qui n’est que la première parmi les folles surprises de cette soirée.

Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle, avait été annoncé autour de 1985. En fait, au vu du bouchon et au goût, il faut largement ajouter vingt ans. Disons qu’il est : vers 1966. Une robe ambrée, une bulle très active, une odeur affirmée. On est en présence d’un très grand champagne. Sur le homard aux diverses formes de présentation, il change de costume pour montrer son élégance variée.

Présenter sur un même plat le « Y » d’Yquem 1985 et une relique, un Arbois, réserve de la Reine Pédauque 1933 est assez audacieux. Il fallait éviter que l’Arbois n’écrase l’Y. Le blanc sec du sauternais est particulièrement élégant. Je n’ai pas retrouvé la signature traditionnelle qui fait percevoir les grains de raisin du terroir d’Yquem. Mais il a gagné en sérénité par rapport à des essais précédents. Il ne porte absolument pas son âge, sa couleur jaune citron d’une folle jeunesse, son nez impétueux son attaque fougueuse en bouche le rapprochant d’un vin de six ans plutôt que de 21. L’Arbois 1933 est une captivante surprise et je suis autant étonné que le reste de la table. Ce vin ne ressemble à rien de connu. Il est lourd, puissant comme un Hermitage, sa robe brune est pesante. En bouche, il a des tons de caramel, de café, mais aussi une vraie trace d’un vin velouté et séduisant. C’est la véritable énigme d’un vin captivant.

Le Château l’Enclos Pomerol 1976, s’il était bu seul à la maison, remplirait d’aise, avec son léger goût râpeux très bourguignon (mais oui !). Ici, il n’est que le faire-valoir, monsieur Loyal d’un Château Clos Fourtet Saint-Émilion 1934 qui fait vaciller toute la table. J’observe assez souvent ces moments où l’incertitude gagne tous les convives. Comment est-il possible qu’un vin de 72 ans ait cette jeunesse incroyable, cette fraîcheur, cette franchise de goût ? On n’y croit pas. Deux convives qui n’avaient pas entendu ce que disait l’autre déclarèrent au même moment : « le plus vieux du 34 et du 76, c’est le 76 ! ». Je fis alors le commentaire suivant : « si vous parlez de ce que vous avez constaté, personne  ne vous croira. Personne ne peut admettre la vivacité de ces vins bien conservés, au bouchon très sain. Tant qu’on n’a pas bu soi-même un tel vin, on ne peut pas l’admettre ».

Le Château Haut-Brion 1918 va une fois de plus faire chavirer toute la table. Au point qu’un convive ami me dit : « avoue-le, tu as mis du 1986 dans la bouteille ». Là aussi, c’est inimaginable pour l’amateur normal de considérer que de tels vins puissent être si beaux. C’est en fait la gratification de ma passion des vins anciens que de constater que certains vins développent des goûts et des complexités introuvables dans les vins jeunes, et d’une magnitude transcendantale. Une fois de plus un 1918 est magistral, comme les cinq autres 1918 que j’ai ouverts à mes dîners.

Nous allons revenir sur des terres familières avec les deux vins qui nous sont servis. Le Richebourg, Domaine Gros Frères 1987 est fondé sur l’élégance subtile où la puissance est bannie. La robe est claire, mais le vin n’a pas la fragilité de son année. Au contraire ! La trace qu’il imprime en bouche est charmante, colorée, subtile, de belle complexité. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1989, c’est un flash ball, le pistolet de la police moderne, qui stoppe un agresseur à dix mètres. On prend un coup de poing dans le cœur quand on boit ce vin. Il anesthésie complètement la volonté. On reste béat, benêt, cloué, car on ne sait pas quoi dire. C’est de la perfection qui laisse pantois. Il y a de la puissance, bien sûr, couplée à un boisé fort. Mais la complexité et la subtilité sont là aussi. C’est un vin immense.

Le Vouvray Le Haut Lieu Huet 1919 excite la table, car presque tout le monde connait ce vin dans une expression récente. Alors, les papilles sont en alerte. Le coing, le litchi, la mangue sont présents au rendez-vous et chacun s’en enchante. Je reste un peu plus réservé, car ce vin reconditionné au domaine est trop pur, sans dépôt. C’est évidemment un 1919, mais qui a perdu un peu de sa spontanéité.

Je déclare un peu trop vite les réserves et les craintes que j’avais eues à l’ouverture du Haut-Sauternes, D Lafon propriétaire 1867. On me sert, et je commence à être surpris. Quand le vin à la belle couleur dorée s’épanouit dans le verre, à mon grand étonnement, c’est un vrai vin qui parle. Et en plus il est bon. J’avais suggéré que l’on trempe seulement ses lèvres pour avoir goûté un vin du 19èmes siècle, même mort. En fait, nous avons tout bu ! On reconnaissait vraiment un sauternes, avec ses notes de coing, de mangue et d’agrumes. On ne peut pas prétendre qu’il délivre 100% de ce qu’il pourrait faire, mais c’est un vin de curiosité de réel plaisir. Il va servir de faire valoir à son cadet de près de 70 ans, le Château Filhot 1935 que j’avais apporté « pour le cas où ». Ce vin que j’ai bu très souvent est un de mes repères. Ce n’est pas un sauternes puissant et ensoleillé comme Suduiraut 1928, la perfection absolue. C’est un sauternes assez strict (comme toute la décennie 30), un peu réservé, mais qui déploie un large répertoire fondé sur la subtilité. Au lieu de fruits orangés, ce sont plutôt des fruits jaunes et verts. Là aussi la jeunesse est étonnante.

La justesse des accords a été éblouissante, la palme revenant sans doute au plat de cèpes avec le Haut-Brion 1918. Nous avons voté, et sur les douze vins, huit ont eu les honneurs des votes. Quatre vins ont eu l’honneur d’être cités premier. Le Haut-Brion 1918 a recueilli quatre votes de premier, la Mouline 1989 trois votes de premier, le Clos Fourtet 1934 deux votes de premier et le Filhot 1935 un vote de premier.

Le vote du consensus serait : Haut-Brion 1918, l’Arbois 1933, la Mouline 1989, le Clos Fourtet 1934 et le Filhot 1935. Mon vote a été : Clos Fourtet 1934, Filhot 1935, Haut-Brion 1918 et l’Arbois 1933. C’est la première fois, je crois, que je vote pour trois années qui se suivent de la décennie 30.

Comme cela se passe très souvent, nous sommes figés à table, personne ne voulant écrire le mot « FIN » à notre belle aventure. Un Armagnac Laubade 1964 offert par un convive permet de prolonger les rires, les discussions, l’accumulation de souvenirs, fort tard dans la nuit. Ce 75ème dîner fut l’un des plus extraordinaires que nous ayons vécus.

de beaux bourgognes au restaurant Laurent mercredi, 20 septembre 2006

De merveilleux bourgognes de 1947 et autres années

Un ami de mon fils souhaitait partager avec moi une belle bouteille. Nous prenons date. Je pense à apporter aussi une bouteille.  En la choisissant, je décide d’inviter d’autres amis pour avoir un éventail de vins plus large.

Nous allons déjeuner au restaurant Laurent, et j’ai fait ouvrir les bouteilles à l’avance par Patrick Lair. Nous sommes cinq à table, et nous commençons par une demi-bouteille de Chassagne Montrachet rouge Charles Viénot 1947. Le nez est extrêmement bourguignon, viril, tendance animale. On peut avoir deux approches : on décide que ce vin est passé, et on l’oublie. Ou l’on a la tolérance d’accepter une légère acidité (qui va d’ailleurs disparaître), et on a un bourgogne viril, râpeux, terriblement bourguignon.

Sur un foie gras poêlé absolument délicieux, le Corton Jacques Bouchard 1957 me surprend par sa jeunesse folle. Et le Viénot 1947 sert de faire-valoir à ce beau bourgogne au message clair, qui laisse le négociant en vins de notre table (l’ami de mon fils) quasiment pantois : comment trouver dans un tel vin une grille d’analyse qui s’inspire de la grille d’analyse des vins qu’il juge au quotidien. Ce que relève mon ami, c’est surtout la jeunesse de ce vin, qui le trouble. De mon côté, je suis très surpris qu’un 1957, d’une année ingrate, puisse atteindre ce niveau là.

Les pieds de porc sont le plat le plus confortable qui soit. Sa sécurité gustative autoriserait toutes les audaces avec les vins (un blanc serait très tentant).

Le Corton du Roy Faiveley probable 1947 (car il a perdu sa collerette d’année) a un nez resplendissant. C’est la pourpre cardinalice. En bouche le premier contact est tellement chaleureux que je me mets à penser à 1929. Un tel charme ne peut appartenir qu’à 1929. Mais dans le merveilleux jardin du restaurant Laurent dont nous profitons pour une des dernières fois de l’année, la température relativement fraîche va limiter l’ardeur de ce Corton qui redevient plus probablement un 1947, mais le doute subsiste, car la chaleur gustative de ce vin est du calibre de 1929. Lorsque je ferai en fin de repas une nouvelle analyse de tous les vins que nous avons bus, c’est la générosité, la spontanéité de ce Corton qui le placera nettement au dessus des autres vins. On sent des fruits rouges, du jus chaud et vivifiant dans ce vin chaleureux à la longueur très remarquable pour un vin de plus de cinquante ans.

L’apport de l’ami de mon fils, La Romanée, du Château de Vosne Romanée 1966 a une couleur très troublée qui résulte sans doute du voyage depuis Bordeaux. Le nez est un peu acide. En bouche c’est assez joli, mais très « en dedans ». On peut penser qu’avec quelques heures de plus d’ouverture, ce vin aurait développé son message. Ici il se contente d’un texte simplifié, annonciateur quand même du potentiel qu’il aurait pu exprimer.

Dans un repas aussi amical et enjoué, je peux prendre des risques plus grands pour le choix des vins. Sur un saint-nectaire, la  demi-bouteille de Pontet Canet 1924 est morte, sans qu’il soit envisageable de lui trouver le moindre rayon de soleil. En revanche, la demi-bouteille de Gruaud Larose 1922, même si elle ne fait plus partie des vins acceptables, indique, sous ses blessures, qu’il aurait été un jour un vin de grande  valeur.

Pour nous consoler de ces deux bouteilles qui ont dépassé depuis longtemps la validité de leur ticket, le Château Salins, Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941 séduit toute la table sur un soufflé aux pêches. Sa couleur est d’un or joyeux, son nez est discret, mais élégant. Il évoque le coing. En bouche, c’est délicatement liquoreux, avec des évocations de pêche, de fruits blancs, d’agrumes légers. Il est presque sec dans son doucereux. Sa longueur est prudente, mais son plaisir est immense. Dénicher des vins inconnus qui se montrent sous un tel jour est un plaisir certain.

Ce repas m’a donné l’envie de faire ainsi de temps à autre une table amicale où l’on ouvrirait des bouteilles représentant plus de risques, soit pour ne plus prolonger une inutile agonie, soit pour leur permettre de déployer leurs ailes d’anges.

champagnes Pol Roger au George V mardi, 19 septembre 2006

Plusieurs champagnes Pol Roger sur une belle cuisine

L’hôtel George V organise depuis quelques mois des dîners littéraires associant la présentation d’un livre et la présentation d’un vin, avec ses vignerons et les commentaires du directeur du Cinq, Eric Beaumard.

Le Pol Roger 1998 pur Chardonnay est un champagne à la robe très blanche, à la bulle fine, active, qui a un gras surprenant car il pleure sur les parois du verre. Le nez est joli mais relativement discret. En bouche, c’est toute la définition des champagnes en pur Chardonnay. Etant adorateur de Salon, je vibre évidemment à ce champagne racé, peu dosé, qui m’indique que l’année 1998 est prometteuse d’un bel avenir.  A l’apéritif, avec des copeaux de tourteau, c’est ravissant. Et, facteur qui ne trompe pas, c’est un champagne qu’on redemande, champagne de jolie soif. Lorsque nous passons à table, j’ai signalé à mes voisins de bien observer le comportement du champagne avec l’huître, et c’est époustouflant de voir la densité et la longueur infinie que prend ce beau champagne avec l’huître, le sel étant un multiplicateur d’intensité. Eric Beaumard a expliqué le pourquoi du thé vert sur l’huître, à cause du goût de foin du champagne. Et en l’écoutant, je sentais le foin. Je percevais aussi en fond de bouche de la confiture de rose. C’était un autre aspect, complémentaire, de ce vin.

Le Pol Roger Vintage 1998 est fait de Pinot Noir en plus du Chardonnay. Et là, tout change. La couleur est aussi très blanche, la bulle est plus lourde. Le nez est spectaculaire de densité. C’est intense, lourd, capiteux. En bouche, c’est presque du plomb fondu. S’il y a des fleurs blanches, du pain brioché, c’est d’éléments lourds qu’il s’agit. Alors, bien sûr, quand on lui associe la langoustine presque sucrée, au goût de délicat bonbon, il s’anime dans une direction. J’ai préféré quand il s’exprime sur le chou, car le chou civilise sa puissance intrinsèque énorme. Eric Beaumard a expliqué pourquoi la langoustine était légèrement sucrée, le vinaigre s’associant à du miel et pourquoi le chou avait tant mariné. Ce champagne est un vin de gastronomie, qu’on associera sans aucun problème avec des recettes complexes. Un grand champagne vineux, goûteux, fort pour des joutes culinaires.

Quand arrive la Cuvée Winston Churchill 1996, curieusement, ma première impression est d’un champagne plus aérien, plus léger, voire même un peu aqueux. Mais quand la trace en bouche du précédent champagne s’estompe, on mesure la grandeur et la complexité de cette cuvée. Une subtilité, une race, une longueur. C’est noble. Patrick Noyelle, directeur général de Pol Roger, nous a expliqué pourquoi le nom de Winston Churchill a pu être associé à celui de Pol Roger. Il ne nous a pas livré la composition qui reste secrète. Eric Beaumard explique les incroyables complications de la préparation du bar pour coller au Pol Roger Winston Churchill, mais comme souvent, je vibre beaucoup plus sur la chair seule du bar, dans son intégrité (évidemment influencée par le fumet de ce qui l’entoure).

Je me lasse un peu de l’association du champagne rosé et de la tartelette aux fraises des bois. Lorsque j’avais goûté le Dom Pérignon rosé 1990, j’avais envie de canard sauvage. Si ce Pol Roger rosé 1999 est agréable, j’avoue avoir peu vibré.

Et la preuve vient du voyage en sens inverse. Car en buvant après le rosé le Winston Churchill et le Vintage, on voit que le rosé est d’une structure assez conventionnelle, que le Vintage est spectaculairement puissant et envahissant. Mais c’est la noblesse pure du Winston Churchill qui le place au firmament.

Ce soir, le charme des vins était indissociable du charme du lieu, du charme des propos d’une poésie rare d’Eric Beaumard, des choix culinaires d’un intérêt gastronomique majeur.

Les champagnes Pol Roger étaient d’une grande émotion. Leur présentation fut réussie.

cinq Richebourg Méo Camuzet et trois Salon au Carré des Feuillants mardi, 12 septembre 2006

Après la belle verticale de Château l’Angélus, le groupe cornaqué par Bipin Desai allait poursuivre une semaine de débauche gastronomique : Tan Dinh le lendemain midi, Carré des Feuillants au dîner, dîner à Lille le lendemain et déjeuner au restaurant Guy Savoy le jour d’après. On me propose de me joindre au groupe au Carré des Feuillants, je ne me fais pas prier.

La salle du sous-sol, lorsqu’on a dépassé la cave dont on devine les trésors, est accueillante. Portrait et statue clin d’œil du maître, évocations du Sud-ouest rugbystique, c’est chaud au cœur. Nous buvons champagne Delamotte 1999 et Didier Depond qui assiste à ce dîner nous dira que nous sommes les premiers au monde à le déguster, car il fait sa première sortie en public. Ça ne change évidemment pas le goût du champagne, mais ça fait plaisir. Le vin est un peu dosé à mon goût, mais on s’habitue, et on découvre que Delamotte, c’est un « bon plan ». Vivant longtemps à l’ombre de Salon, il n’en a pas la cote, mais il est un vrai champagne à part entière, de belle expression. Je sens un peu de litchi et de fruits roses.

Nous passons à table et le hasard fait bien les choses, je suis assis près de Didier Depond.

Voici le menu élaboré par Alain Dutournier : l’huître, caviar d’Aquitaine, tartare d’algues et écume crémeuse / crevette sauvage tiède en « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané / cuisses de grenouilles épicées, roquettes et girolles en tempura / rouget barbet au plat, bohémienne d’aubergine, citron de Menton / tendron de veau de lait dans son jus, cèpe debout / vieux gouda travaillé, truffe de bourgogne râpée / pêche rôtie au poivre de Séchuan et marasquin, blanc-manger, brioche dorée, glace au miel de bruyère. Je trouve Alain Dutournier au sommet de son art, à un niveau de maturité qui sera forcément récompensé.

Le champagne Salon 1996 est d’une douceur incomparable. C’est un champagne policé. La race est là, et le champagne est déjà réellement buvable. Le 1995 était rude au même stade. Le 1996 a un charme et une délicatesse qui sont rares.

Le champagne Salon 1988 a déjà gagné en maturité. Je le trouve plus évolué que ceux que j’ai en cave. La séduction est extrême. Goût de toast, de fumé, c’est magnifique.

Le champagne Salon 1976 servi en magnum a une approche un peu stricte, mais il va s’ouvrir. Ce qui est d’ailleurs intéressant avec ces trois champagnes, c’est qu’ils ne cessent d’évoluer dans le verre. Il n’y aura donc jamais une photographie unique de leur identité.

Avec l’huître et le caviar, le 1996 est de la vraie gourmandise. Le sel du caviar lui donne une longueur infinie. Je commence à classer 96 / 88 / 76. Mais il y a dans le 1988 qui m’est servi une légère amertume que n’avait pas le premier verre d’une autre bouteille, et comme le 1976 s’ouvre et offre des parfums exotiques raffinés, je classerai 96 / 76 / 88 en écrivant sur mon petit carnet : le 1996, c’est mon amour.

Nous allons goûter trois Savigny « Narbantons » Domaine Leroy. Le 2001 a un nez très fort, sous-tendu par une charpente solide. Le 1999 a un nez américain. C’est trop pour moi. C’est une sorte de soupe de framboise. Le 1997 a un nez plus balancé, plus subtil, tout en restant dans la ligne de 1999. Mon impression première est que ces vins sont trop travaillés. Au nez, c’est le 2001 qui apparait comme le plus traditionnel, ce qui semble paradoxal. Il convient de dire que ces vins très solides sont de grands vins. Seul l’excès de travail me gêne.

Sur les grenouilles délicieuses, le 1997 est absolument excellent. Le 1999 en fait trop, envahissant le palais. Le 2001 est très bourguignon, sauvage. Je classe 1997 / 2001 / 1999. Le 1997 c’est du plaisir, le 2001 est authentique et le 1999 plus caricatural. A noter à quel point la grenouille est un partenaire intéressant pour les vins, qu’ils soient rouges comme ici, ou blancs.

Nous goûtons ces mêmes vins sur un rouget goûteux. Le 2001 est beau, pur. Le 1997 reste un vin de plaisir, et le 1999 commence à me plaire. Si je ne l’avais découvert que maintenant, je dirais que c’est un bon vin.

Nous abordons maintenant une belle série de Richebourg Domaine Méo Camuzet. J’aurais évidemment aimé que Jean Nicolas Méo soit là comme l’est Didier Depond pour Salon car j’aurais aimé confronter nos jugements. La première approche est celle des nez. Le 2001 affiche son alcool et sa richesse. Le 1999 est d’une subtilité olfactive absolue. Il est parfait. Le 1996 est fatigué et a évolué vers la truffe. Le 1993 est timide et le 1991 un peu faible. L’examen des nez devient évidemment impossible lorsque l’assiette du plat est posée.

En bouche le 2001 a un râpeux que j’aime, très bourguignon. Le 1999 est éblouissant, absolument parfait, le 1996 est devenu acide et déséquilibré, mais on sent un belle structure en arrière-plan, cachée par l’acidité comme ça se passe avec des vins anciens. Je me dis de ne pas le condamner trop vite. Le 1993 est animal, au goût de viande et d’intestins. Le 1991, si l’on accepte la légèreté structurelle est intéressant et joliment parfumé.

Le classement sera celui-ci : 1999 / 2001 / 1991, sachant que le 1999 est très largement au dessus de tous les autres.

Le Château Nairac 1997 est un Barsac simple, de structure prévisible. Il s’anime sur certaines composantes du dessert pour devenir charmant. Le goût de coing domine. C’est un vin fort agréable dont je comprends le choix.

La cuisine d’Alain Dutournier a été absolument resplendissante de sérénité. Les goûts sont marqués de forte personnalité, et d’une intelligence culinaire extrême.

Bipin Desai fait profiter ses amis de la justesse de ses choix de vins. Et puis, boire tant de Richebourg d’un domaine que j’aime et tant de Salon, mon chouchou, il faudrait être fou pour demander plus !

vingt millésimes de chateau l’Angélus lundi, 11 septembre 2006

Bipin Desai, ce physicien américain passionné de vins, organise les plus belles dégustations thématiques de la planète. Aujourd’hui, ce sera chez Taillevent avec pour hôtes d’honneur Monsieur et Madame Hubert de Bouard qui présentent vingt millésimes de château l’Angélus, présent dans la famille d’Hubert depuis sept générations. Nous serons 25 élus à partager ce repas, et je reconnais des complices des verticales de Montrose ou de Pichon Longueville comtesse de Lalande, d’autres de celles de Trimbach et Lynch Bages. Serena Sutcliffe et son inénarrable humour très British, Clive Coates aux avis surs et tranchés et plusieurs amis connaisseurs ou amateurs.

Au rez-de-chaussée, nous envahissons l’espace en dégustant un Champagne Taillevent fait par Deutz très peu dosé, élégant et d’une structure raffinée. Nous bavardons avec plaisir, parfois bruyamment. Nous montons ensuite au premier étage, dans cette salle de toute beauté. C’est une des plus belles salles de Paris. Je ne me lasse pas de jouir de son charme.

Devant nous un verre d’un vin surprise. Il sent le cassis, la mûre, le bois précieux. Le nez est élégant. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour comprendre que c’est Angélus 2005 non inscrit sur notre feuille de route. En bouche, l’idée qui me vient est celle de la barbe d’artichaut, puis, le cœur d’artichaut. On sent un potentiel absolument fantastique. Il sort à peine du fût, sa fin est sèche, mais sa promesse immense. On ne sait pas ce que le vin sera après son séjour en fût, mais on sent qu’il sera passionnant. Pendant qu’on le goûte, Hubert de Bouard rend un hommage vibrant au cépage cabernet franc.

Voici le menu qui va accompagner les 20 millésimes : têtes de cèpes aux escargots petits gris / Bar de ligne rôti aux girolles / canard de Challans sauce salmis / Saint-nectaire / Mille-feuille aux framboises et œuf neige.

Les notes qui suivent ayant été prises à la volée, on trouvera des redites, des approximations. S’il y a des incohérences, c’est que ce n’est plus le même instant. C’est la loi de ces marathons.

Je commence par sentir la première volée de vins. Le 1992 a un nez où l’alcool est présent et un joli bois. Le 1993 a un nez beaucoup plus charnu. En bouche le 1992 est court mais ossu. Il est très encourageant. C’est le type de vin que l’on devrait acheter, car il est très pur, à peine astringent, et échappera certainement, du fait du millésime, à la folie des prix actuels.

Le 1993 est beaucoup plus construit, C’est un beau vin, un peu sec, squelettique, mais sympathique au-delà de son austérité.

Le 1994 a un nez plus fermé. Il parle en bouche plus fort que les deux autres, mais il s’arrête tout de suite. Son absence de final me gêne.

Le 2002 a un nez très subtil. Le bois apparaît beaucoup plus fort que pour les trois vins précédents. C’est très joli, mais résolument moderne. Je le trouve plaisant à ce stade de sa vie.

Je reviens sur chacun. Le 1992 est assez limité et court. Le 1993 est charmant. Il est strict et dur, ce qui n’est pas foncièrement charmant, mais ça me plait. Son petit côté poivré est délicat. Le 1994 n’est pas assez équilibré. Le 2002, plus moderne, me plait dans sa jeunesse folle.

Lorsque le plat arrive avec des petits gris et des champignons accommodés de façon délicieuse, c’est le 1994 qui profite le plus de ce plat merveilleux. Et le 2005 est magique sur le plat : il a pris des accents de violette.

Mon classement de cette série : 1993, 2002, 1992, 1994.

La série qui vient maintenant est fort longue. Le 1970 a un nez superbe, nettement plus aguichant que le 1986. Le 1988 est très joli, très contenu. Le 1995 a un nez assez strict mais élégant. Je sens un peu de poussière. Est-ce le verre ? Le 1996 a un nez alcoolique, dans des tonalités qui rappellent le 1988. Et c’est avec le 1999 que se fait la rupture olfactive, quand apparaissent le bois et le cassis.

Vient maintenant l’examen des goûts. Le 1970 est un peu plat en bouche, agréable et coloré, un peu faible de structure. Le 1986 est très 86, je le trouve assez joli.

Le 1988 a une légère trace de bouchon, mais j’aime sa structure simple et cohérente. Le 1995 est un vin vivant, ouvert. Il raconte de belles histoires. J’aime beaucoup le côté un peu râpeux du 1996. C’est son final qui a du panache. Le 1999 est trop strict. Il y a du modernisme mais mal apprivoisé.

Arrivent les deux derniers. Le 2001 a un nez de poivre. Vin très plaisant, qui marque une rupture gustative très nette avec les autres Angélus. Le 2004 a un nez magnifique. Il est beau en bouche. A mon goût, ce n’est plus de l’Angélus.

Comment se passe le deuxième tour ? Le 1970 est un peu amer et manque de corps. Le 1986 est très agréable, et semble un peu avancé. Il fait plus vieux que son âge. Le 1988 est très beau, convainquant, même si je ressens un léger défaut. Le 1995 est jeune, solide, très bien charpenté. Le 1996 est plus austère, mais offre un final ahurissant. Il laisse une trace expressive en bouche. Le 1999 est ici assez coincé. Mais je pressens que dans vingt ans, il va surprendre beaucoup d’amateurs. Le 2001 est « trop » comme on dit chez les jeunes. Il a perdu le caractère d’Angélus. Le 2004 revendique son modernisme, que je trouve ici très bien assumé. C’est bon. Mais est-ce réellement l’avenir pour Angélus ?

Sur un troisième passage, les 86 et 88 gagnent nettement en charme.

Mon classement de cette série : 1986, 1988, 1999 et après les autres.

La troisième série démarre sur le plus vieux vin présenté. Le 1953 est un beau vin. Il a une belle onctuosité, il est chaleureux, et je le trouve plus ensoleillé que la tendance historique d’Angélus. Le 1966 est plus strict mais joli. Le 1989 me parait en ce moment dans une phase intermédiaire. C’est pour les grands vins le moment où l’on abandonne l’adolescence pour devenir adulte, responsable. Le 1990 est immense. Ce vin est grandissime. Le 1998 est joli dans sa jeunesse. Il n’est pas encore intégré, mais il a un très beau final.

Le 2000 a un nez splendide. Ce vin est complètement différent des autres. Il y a un peu d’astringence. Au risque de choquer, je vois beaucoup plus de futur pour le 1999 que pour le 2000. Le nez du 2003 est poivré. Ce n’est plus de l’Angélus, mais c’est fantastique. Et je vois là une aptitude au vieillissement exceptionnelle. Ce 2003 est supérieur à 2005 et à 2000.

Au deuxième tour le 1953 se comporte admirablement sur le canard. Ce canard est sublime.

Mon classement de ce troisième lot de grands vins : 1990, 2003, 1953, 1989.

Bipin est un esthète. Avoir choisi de mettre le 1997 tout seul sur le fromage est d’une intelligence frisant le génie. L’accord est tout simplement fantastique. Que de poivre subtil dans ce vin. Et quelle leçon sur la hiérarchie des millésimes !

Le Riesling Grand Cru Vorburg Clos Saint Landelin 1990 domaine René Muré  a un nez rare. Mais en bouche, c’est trop. A ce stade du repas, trop de goûts exotiques et agressifs saturent mon palais. Il y a du fruit de la passion et du citron vert dans ce vin délicieux mais dont je ne peux réellement profiter.

Dans les notes de tant de vins, je m’efforce d’extrémiser mon propos pour que l’on évite les demi-teintes. Un vin dont je dis « limité » est sans doute un grand vin, mais il faut lui préférer d’autres. Nous ne sommes pas remontés très loin dans l’histoire d’Angélus. On constate donc que les réussites sont des réussites d’années et non pas des tendances décennales. Car il n’y a pas assez de recul. Le parti a été pris d’être plus moderne sur les vins récents. Ce n’est pas ce que je recherche, mais je ne suis pas le consommateur représentatif des tendances actuelles. N’étant pas obtus, je promets un très grand avenir aux 2003 et 2005. Mon cœur va vers le 1990 d’une grande réussite, et je suis content que 1993 et 1997 marquent tant de points. Il faut aussi que ces années là existent.

Le service des vins a été parfait, les oxygénations et températures de service nettement meilleures que lors des deux présentations précédentes chez Taillevent.

La cuisine a été d’une perfection absolue, les accords étant idéaux et les goûts d’une rare efficacité. Hubert de Bouard peut être à juste titre fier de son domaine. Je serai intéressé de vérifier si les vins du troisième millénaire s’inscrivent dans la prestigieuse histoire de ce grand Saint-Emilion.

texte sur le site de France Inter vendredi, 8 septembre 2006

vendredi 8 septembre 2006

Une académie oenologique sur internet

Ca s’appelle l’Académie des vins anciens. C’est un blog tenu par Jean Audouze et c’est d’abord une mémoire, la mémoire d’un plaisir incomparable, celui que procure la dégustation de vins qui ont pris le temps de vieillir.

Quand vous arrivez sur le blog de François, vous tombez sur une photo : une pelouse parfaitement tondu, des tours en vielles pierres, un ciel bleu dur, une lumière extraordinaire, vous êtes à château Yquem.

Ambiance.

Sur son blog, François recense avec minutie les menus des repas qu’il a pris en compagnie des académiciens et bien sûr il commente les bouteilles de vins anciens qu’ils ont dégustées à cette occasion. Mais attention, les textes du blog de François c’est du grand art, c’est de l’érotisme œnologique tellement ça donne envie. C’est juste un extrait du dîner du jeudi 15 juin 2006. Attention…

"Le Château Bouscaut blanc 1953 à la couleur irréellement jeune accompagne le Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964 d’un or majestueux autour de la truffe d’été. (…)Le Chassagne a tant de charme que chacun y succombe instantanément, alors que dans mon silence intérieur, je trouve au moins autant d’atouts à ce Bordeaux d’une précision rare. Sa trace citronnée excite agréablement la pomme de terre presque crue et croquante. Le Chassagne est à l’aise avec la truffe toute en suggestion fragile et virginale. Lourd, expressif, il chante comme Luis Mariano une ode à sa belle. Tout à cet instant est magique, le plat suggestif en nuances, le bordeaux subtil et d’une trame expressive, et le Chassagne conquérant".

Voilà, pour ceux qui aiment le vin et la langue française, ce blog fait l’amour au vin anciens depuis 6 ans. Et même si on n’a pas le portefeuille assez garni pour s’offrir des dîners à plusieurs centaine d’euro, je peux vous dire que la lecture vaut le détour tellement c’est bien écrit. Et puis il y a des photos, les étiquettes vieilles de 50 ans, rongées par la moiteur de caves presque impénétrable, la poussière tombée sur les bouteilles en fine résille, la robe, la cuisse, bref, ce blog est un régal. Et je m’arrête là, Patricia, je sens que je vous saoûle avec mes vins anciens.

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Ce texte est de David Abiker qui m’appelle Jean puis François.

Merci de sa gentillesse, car il mentionne aussi le livre "Carnets d’un Collectionneur de Vins Anciens" chez Michalon.