Dîner chez Patrick Pignol dimanche, 9 mars 2003

Dîner chez Patrick Pignol. Il n’y a pas beaucoup de restaurants où je me sente si bien. Le maître d’hôtel a la technique d’un professionnel du bonneteau : on choisit le plat qu’il a décidé que l’on prendrait, mais ça se passe avec une joyeuse soumission, ce restaurant contaminant sa clientèle d’un dangereux germe de bonne humeur.

Nicolas le sommelier avait carte blanche, aussi a-t-on pu goûter des découvertes qui gratifient le patient travail de recherche accompli. Bien sûr je ne l’ai pas laissé faire au début, car j’avais soif de champagne Salon 1988. Pas besoin de sommelier pour choisir, puis succomber à ce nez magnifique, à un vineux délicat, combinant savamment charme, force et douceur. Le Pernand Vergelesses 1997 de Gabriel Muskovac a tout d’un grand vin. Beau nez affirmé et typé, et belle rondeur en bouche de suffisante longueur, qui évoque des appellations plus grandes. Très beau travail. Sur des coquilles Saint Jacques qui se parent d’un parfum d’oursin, une juteuse combinaison. Mais c’est surtout une petite tartine à la truffe qui améliore diablement ce vin. Les Fiefs Vendéens « la Grande Pièce » 1999 de T. Michon, c’est vraiment « découverte ». C’est gentil. Le fruit et le travail amusent le palais pour un verre. Mais rapidement on voit les limites d’un fort honnête vin. L’agneau parfait lui faisait du bien, le rendant plus viril. Très belle délicatesse discrète d’un Tokay Pinot Gris Sélection de grains nobles 1988 des Caves de Turckheim. C’est ce qu’il fallait sur des dattes qui avaient le charme oriental de la courtisane musquée.

J’approuve ces essais, car c’est l’intérêt de tous, professionnels, amateurs, de mettre en valeur les régions et les vignerons. Mais la vérité – encore une fois – est au fond du verre en fin de repas. Il faudrait idéalement ne jamais enlever les verres vides. Car ce sont les derniers arômes qui diront la race des vins. Le charme immédiat de certains produits flatteurs ne résiste pas à cet examen. D’autres au contraire entraînent des ovations. Les contrastes sont redoutables.

 

 

REPAS AU PETIT NICE lundi, 3 mars 2003

Au Petit Nice, star de la Corniche marseillaise, on cherche dans l’opulente carte des vins. L’opulence est dans le choix, mais aussi dans les prix, ce qui réduit l’horizon. On fait main basse sur les deux dernières bouteilles de Champagne Salon 1985.

Sur un oursin traité de multiples façons, le Salon crée un choc de rêve. Son animalité, sa force, sa densité brutalisent l’oursin pour son plus grand bien. On n’atteint pas avec un goûteux pigeon une multiplication aussi naturelle qu’avec l’oursin, même si un accord se trouve. Un jus fort concentré fait avec les entrailles du pigeon créait au contraire une harmonie rêvée. De plusieurs fromages essayés, c’est le Langres qui réveillait le mieux la bulle si charnelle. Une composition à base de fruits de la passion fut aussi l’occasion de vérifier que Salon 85 est un grand champagne, qui peut servir de support à la totalité d’un repas. Une cuisine influencée par de belles japonaiseries, qui compliquent un peu le repas, mais offrent des saveurs invitant au voyage. La famille Passedat s’est entourée d’un personnel compétent. Face à la mer, un repas fort excitant que mit en valeur mon chouchou Salon 85.

Le lendemain au même endroit, essai d’un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1985. Dès le premier nez, un certain manque de puissance. Sur une entrée compliquée au crabe et homard, où six goûts différents montrent le talent du chef mais ne forment pas une harmonie gustative apaisante, le Corton Charlemagne reste comme le boxeur dans son coin, n’ayant pas entendu l’appel de la reprise. Puis, sur un remarquable et délicieux veau de lait, le Corton grimpe de dix étages en un instant. Le boxeur jaillit et vous assène toute sa panoplie de coups. Quelle merveilleuse sensation avec la chair seule d’une viande qui a du caractère et du goût. C’est à ce moment là le plaisir rare d’une viande de qualité présentée de façon juste et d’un vin qui semble avoir été fait pour elle. Le plaisir du vin se prolonge sur un Saint-Marcellin et un Saint-Félicien. Puis le vin estime qu’il en a assez donné et se rendort, confirmant l’impression première d’un manque de puissance. C’est peut-être ce qui aura permis paradoxalement un accord parfait avec le veau. Un délicieux dessert, l’une des forces de cette belle maison, se déguste avec une once de Bénédictine, pâturage divin. Belle étape. Indispensable même.

 

 

VINS ANCIENS VINS MODERNES dimanche, 2 mars 2003

D’abord des sensations fortes racontées comme je les ai éprouvées en goûtant ensemble deux vins opposés. Faut-il de ce fait participer à la polémique sur l’évolution du goût du vin ? Ne produisant pas de vin, ne commercialisant pas de vins, je n’ai pas de thèse à défendre.

Chaque vigneron fait ce qu’il croit bon et le marché tranche. Me trouvant parfois immergé au sein de débats sur l’évolution du vin, je verse ce petit exemple que j’ai outré à plaisir comme un chef épice un plat pour exciter le goût. Je ne partirai pas en croisade, à chacun son domaine. Le mien est celui des vins anciens dont je me fais volontiers le chantre, et celui de la haute gastronomie que j’admire et soutiens. De très grands noms du vin se battent pour la préservation de l’authenticité et pour que la technique soit au service du terroir et pas l’inverse. Le combat se gagne plus dans le verre que sur le papier. Après ces longs prolégomènes,j’ajoute mon historiette.

Lors d’un dîner fort simple mais fort bon, on commence par un Chablis Grenouilles la Chablisienne 1996. C’est bon et c’est goulu, mais c’est plus premier cru que grand cru. Il manque une petite folie à ce vin bien fait. Puis on me fait découvrir à l’aveugle Almaviva Baron Ph. de Rothschild 1998. Ça démarre comme un bourguignon qui aurait du nerf, avec un zeste de Roussillon. On ne peut pas dire que ce n’est pas plaisant, mais pour moi, cela tient de l’infusion de copeaux. Puis arrive le révélateur : un Cornas Robert Michel 1982 (Grand vin des Cotes du Rhône) servi quasi simultanément. Pour le collectionneur que je suis, je ne mourrai pas si je rate un Cornas, et je ne vis pas enchaîné aux grilles de la propriété de Robert Michel pour être sûr d’avoir mon quota annuel. Mais la révélation était là : c’était du vin !! L’Almaviva, c’est une montagne de technologie, c’est la déforestation de toute l’Amérique du Sud, mais, excusez ce propos assassin, c’est de la tendance, ce n’est pas du vin. Et au nez, aux lèvres, ce Cornas de 20 ans avait tout d’un vin de bonheur, il iodlait dans la bouche, quand l’Almaviva nous soûlait de copeaux. J’ai donc compris la fureur d’Aimé Guibert de Daumas Gassac, j’ai compris la véhémence des vignerons de terroir, mais j’ai aussi entrevu par l’exemple tout ce qui passionne ces belles querelles. Il vaut mieux du terroir que de la technologie. Et même si l’on a le terroir, il faut modérer la technologie. Mais je ne veux pas aller plus loin, car il y a mille experts plus compétents pour dire quelle est la voie.

 

 

galerie 1988 vendredi, 28 février 2003

Chateau d’Yquem 1988. C’est assez rare de voir une étiquette déjà piquée. Du moment que le vin soit sublime (il l’est), peu importe.

Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 bu au restaurant "le Bec Fin" à Dôle le 2/02/2007. Un grand champagne.

Déjeuner chez DeVez jeudi, 27 février 2003

Déjeuner chez DeVez, le Pape de l’Aubrac. Gentille brasserie où le service est d’une frappe chirurgicale. Dans un restaurant étoilé, on joue le service. Là, on joue l’efficacité. C’est comme « Questions pour un champion ». Si vous parlez dans le temps imparti, ça va. Sinon, vous êtes out. Une petite jeune femme toute en volonté nous a pris en mains avec une autorité à laquelle on succombe facilement. Signe de l’époque. Délicieuses tapas originales, puis viande charnue, qui mériterait, à mon goût, un petit vieillissement de plus. Là dessus Corton Clos Du Roy Domaine Michel Voarick 1993, dont l’animalité semble faite pour la viande, vin apporté par un mien ami pour plaire à mes papilles. Il faut encourager ce bistrot là s’il reste Aubrac et ne devient pas fashion.

Dîner de wine-dinners au restaurant « Gérard Besson » mercredi, 26 février 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Gérard Besson » le 26 février 2003
Bulletin 68 – livre page 85

Les vins :
Champagne Pol Roger 1988
Côtes du Jura Château d’Arlay 1969
Pavillon blanc de château Margaux 1992
Chablis Grenouilles 1976 Domaine de la Maladière William Fèvre
Larcis Ducasse Saint Emilion 1971
Clos des Jacobins Saint Emilion 1924
Chapelle Chambertin Clair Daü 1976
Vosne Romanée Thomas Frères 1943
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1961
Château Gaudiet Loupiac 1967
Yquem 1988

Le menu, créé par Gérard Besson :
Fromage de tête de cochon au vinaigre de vin vieux
Huître spéciale pochée dans un bouillon aux noix et Xérès
Damier de chevreuil et foie gras de canard dans une gelée à la pétale de rose, brochette d’artichaut truffe
Darne de turbot poêlée, sauce marinière
Carré de veau « sous la mère » juste rôti, le jus court, salsifis à l’étuvée de truffe
Petit toast à la truffe
Filet de bœuf Salers, piqué de lard fin et cuit saignant, sauce et garniture à la financière
Stilton, gouda 4 ans, brebis
Fenouil confit, épices et condiments
Duo de tartes fines, « pomelos pommes » et « ananas »
Mignardises

Dîner de wine-dinners chez Gérard Besson mercredi, 26 février 2003

Dîner chez Gérard Besson. La mise au point du menu a été très intéressante car Gérard Besson a une grande sensibilité aux vins anciens. Ce qui m’a particulièrement plu c’est que ses idées se sont affinées au fil des jours de préparation, de nouvelles pistes s’ouvrant pour de meilleurs accords. En liaison avec le Salon des Grands Vins, France 2 voulait faire un reportage sur un collectionneur de vins. Le choix tomba sur moi, et l’équipe de tournage vint assister à l’ouverture des vins, en ayant convié Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde, et ancien participant d’un dîner de wine-dinners, à cette cérémonie. J’ai eu le plaisir d’ouvrir les bouteilles avec Philippe, ce qui fut l’occasion de quelques beaux échanges. Nous sommes allés plus vite que d’habitude, pour des impératifs de l’équipe de tournage, ce qui fait que le Chapelle Chambertin n’a pas attiré mon attention comme il aurait dû. A l’ouverture, odeur charnelle du Vosne Romanée, qui s’est progressivement estompée. Odeur parfaite du Richebourg, mais surtout du Clos des Jacobins.
Dîner de plusieurs amateurs novices, avec quatre femmes fort attentives et motivées, dont la journaliste qui a fait filmer des parties du repas. Ces images n’ont pas été reprises dans le reportage, qui se concentra surtout sur les vins d’une de mes caves. L’anonymat et la vie privée des convives auront été respectés. Un service de qualité, dont celui, absolument parfait de Gilles, sommelier de talent.
Le menu composé par Gérard Besson, ajusté plusieurs fois grâce à sa mémoire des vins : Fromage de tête de cochon au vinaigre de vin vieux, Huître spéciale pochée dans un bouillon aux noix et Xérès, Damier de chevreuil et foie gras de canard dans une gelée à la pétale de rose, brochette d’artichaut truffe, Darne de turbot poêlée, sauce marinière, Sandre farci et braisé au vin rouge de Loire, flan de grenouille, sauce genevoise, Carré de veau « sous la mère » juste rôti, le jus court, salsifis à l’étuvée de truffe, Petit toast à la truffe, Filet de bœuf Salers, piqué de lard fin et cuit saignant, sauce et garniture à la financière, Stilton, gouda 4 ans, brebis, Fenouil confit, épices et condiments, Duo de tartes fines, « pomelos pommes » et « ananas », Mignardises.
Pol Roger 1988 est un beau champagne, à la bulle moyenne, moins typé que certains colosses, mais très exact, et très représentatif du beau champagne de plaisir, servi à la bonne température. En plus des vins annoncés, j’avais envie de faire le cadeau de découvrir un Côtes du Jura Château d’Arlay 1969. Un nez envoûtant, qui n’a cessé de se renforcer tout au long du repas dans le verre conservé sur table, comme c’est la tradition à tous nos dîners : on sent et ressent l’évolution de l’odeur du verre presque vide. C’est l’occasion de belles surprises. Sur l’huître, un accord extraordinaire, plus magique encore avec le bouillon qui accompagnait l’huître.
Le Pavillon blanc de château Margaux 1992 est un Bordeaux blanc classique, solide et bien ouvert. Il trouvait sur l’artichaut et la truffe une longueur extrême. Mais la magie, comme lors de mon déjeuner avec Alain Senderens, c’était de mâcher la rose et de boire le vin. La confrontation est un pur bonheur. Quelle puissance chaleureuse que celle du Chablis Grenouilles 1976 Domaine de la Maladière. C’est juteux, plein de force. Beaucoup plus pénétrant qu’un Chablis actuel. Mais la sauce marinière ne lui convenait pas si bien.
Le Larcis Ducasse Saint Emilion 1971 est un petit chef d’oeuvre : il est tout en légèreté et en discrétion. Le message est filigrané. Alors, si on ne rêve que de puissance comme avec le Richebourg qui allait suivre, on est sur sa faim. Mais si on accepte la légèreté, on est, comme moi, particulièrement comblé par la subtilité. Sandre et Saint Emilion nagèrent de concert. Il aurait fallu filmer le visage des convives au premier contact avec le Clos des Jacobins Saint Emilion 1924. Pour beaucoup, c’était presque 50 ans de plus que le plus vieux vin qu’ils avaient déjà dégusté. Et découvrir qu’un vin si ancien peut être si bon et surtout si jeune est toujours un étonnement qui se révèle sur les visages. On peut facilement imaginer que cet éveil des consciences est un de mes plaisirs. Très beau Clos des Jacobins, goûteux, puissant, avec une longueur rare. J’avais oublié de sentir le Chapelle Chambertin Clair Daü 1976 qui était bouchonné. Avec un peu de patience on le voyait revenir à une belle présentation au fruité généreux, mais il y avait mieux à faire. Sur une viande de Salers puissante et affirmée, le coté charnel, animal, « yéti » du Vosne Romanée Thomas Frères 1943 allait créer un accord comme on en raffole : un échange d’uppercuts pour donner une émotion gustative majeure. Un convive plus patient a su attendre le réveil du Chapelle. Il renaissait.
Arrive alors la vedette de la soirée, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1961. Magnifique, sûr de lui, il est exactement ce que l’on attend, un vin de construction parfaite, doublé d’une puissance et d’un équilibre d’exception. C’est un très grand vin, de la race des géants. Une des participantes avait un rêve : boire un jour un DRC. Ce rêve s’exauçait. Le bonheur sur son visage. Philippe Faure-Brac avait annoncé à l’avance l’animalité du DRC à la caméra. Elle fut abondante. Vin de race, de force et d’extrême présence qui confirme la prouesse de cette année là.
La couleur du Château Gaudiet Loupiac 1967 était émouvante : cuivre doré. En bouche, l’évocation de tous les agrumes du monde. Sur le fenouil confit (une réussite de Gérard Besson), mais plus encore sur des fruits épicés complexes, un rebond éblouissant.
Yquem 1988 concluait dans la beauté de sa flamboyance un repas qui dépassait largement les attentes de beaucoup de convives enthousiastes. On a voté dans la bonne humeur, et trois vins ont émergé : le Vosne Romanée, le Clos des Jacobins et le Richebourg. Mon vote personnel, assez largement partagé fut, dans l’ordre : Richebourg 61, Clos des Jacobins 24, Vosne Romanée 43 et Chablis 76. Je précise bien volontiers, pour répondre à la remarque d’un lecteur avec qui je converse, que la mention de mon tiercé n’est pas faite en opposition au vote des convives. Je suis au contraire ravi de la diversité des préférences, qui montre que plusieurs vins peuvent très souvent concourir pour le titre.
Un chef de talent et amoureux des vins a réalisé des accords brillants. Ceci me conforte dans l’admiration que j’ai et veux faire partager pour les artistes que sont ces chefs. Ils nous donnent tant d’occasions de bonheur. Une soirée marquée par un vin magique et des accords réussis. Une majorité de participants ressentaient un goût de revenez-y.

Dîner d’amis lundi, 24 février 2003

A coté de ces grands chefs, dîner chez un ami de mon fils. J’apporte trois vins, dont l’Esprit de Chevalier 1996, Connétable de Talbot 1996 et Mas de Daumas Gassac 1999. Je n’ai pas aimé les seconds bordelais que j’ai trouvé se poussant un peu du col, et par contraste le Daumas Gassac, dont le jeune hôte est un fan, offrait une justesse bien adaptée. Le savoyard nous servit une Chartreuse Tarragone sur un dessert à l’orange. Curieuse association, alors qu’en prenant des litchis à ma portée, j’ai pu essayer une association bien excitante. Discuter dans une joyeuse atmosphère avec des jeunes de talent, ça vaudrait quelques étoiles dans un Guide au classement de fantaisie …
Chez Guy Savoy j’ai rencontré par hasard un des hommes qui dirige l’une des plus grandes forces dans le domaine du vin, le jour même j’avais déjeuné avec un inconnu, qui gère une vigne parisienne et un stock de vins unique. Je rencontre Anne Pic chez Hélène Darroze, je converse avec Robert Hossein. Si ça continue, je vais croire comme Robert Hossein que des pouvoirs occultes « pilotent mon Palm ». !

Dîner chez Patrick Pignol jeudi, 20 février 2003

Dîner chez Patrick Pignol. Quel bonheur de joie de vivre, quel talent bien assumé, avec le travail et la décontraction. Maison bien tenue, avec un personnel aux gestes précis. Un Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1995. Que ce vin est bon ! Il est arrivé un peu frais, ce qui lui allait bien, car on s’habituait progressivement à sa force. Et quel talent dans la force : les techniques précises sont utilisées pour mettre en valeur le vin et pas la force, ce qui lui donne une authenticité complète. Un grand vin, qui donne déjà un plaisir parfait et progressera encore en prenant de l’âge. Sur une truffe complexe, un accord bien attrayant. Puis, arrive un vin que j’avais déjà goûté au même endroit : Côte Rôtie La Mouline Guigal 1991. Quand le vin est versé, le nez est si extraordinaire qu’il se produit un phénomène que j’ai déjà ressenti : l’odeur est si parfaite que l’on n’a pas envie de boire le vin. On est capturé par l’odeur qui paralyse de séduction. Quand la raison prend le dessus, on tombe à la renverse : ce vin est décidément parfait. Rond, plein, lourd, pénétrant au dernier degré de l’intimité. Je n’ai jamais cherché accès aux paradis artificiels, mais j’imagine volontiers que ce vin fait l’effet décapant d’une drogue : on a l’impression d’avoir atteint le bonheur œnologique ultime. Sur un ris de veau l’accord était là. Amusant d’avoir en si peu de temps deux ris de veau, celui de Guy Savoy et celui de Patrick Pignol. Deux traitements très distincts, très révélateurs de deux philosophies que j’apprécie beaucoup. Je retrouve et j’admire la personnalité qui se dégage dans chaque bouchée complexe. Au moment des alcools servis généreusement par ce si sympathique Nicolas, discussions passionnantes avec Patrick Pignol qui a une vision si juste de sa profession, ses risques et ses possibles évolutions, tant ce métier requiert de qualités et de capitaux.
A propose de discussion, passant chez Laurent pour voir Philippe Bourguignon, je me suis pris à bavarder pendant près d’une heure avec Robert Hossein, écorché vif au cerveau en perpétuelle ébullition, tour à tour passionné par l’évocation des vins de mes dîners, fabricant de chimères nouvelles, et analyste des forces occultes qui dirigent son monde de croyant.

Hélène Darroze et Gérard Besson lundi, 17 février 2003

Les restaurants dans le Guide Rouge ont la bougeotte, je vais chez Hélène Darroze le midi, et chez Gérard Besson le soir, une promue et un rétrogradé. Ce bulletin n’est pas là pour se substituer aux critiques gastronomiques : je respecte trop le talent des chefs auxquels j’apporte de temps à autre des trésors de nos vignobles pour qu’ils les mettent en valeur comme on le fait en créant une robe de mariée. Chez la si jolie promue au nez mutin, j’ai pris le repas de truffes qui fut mis en valeur par un somptueux Bâtard Montrachet Louis Jadot 1998. Il arrive souvent que des Bâtard me donnent plus d’émotions que des Montrachet. La densité et la persistance de celui-ci faisaient danser les truffes. Lorsque la joue de bœuf apparut, je fis ouvrir un Quinta do Noval Vila Nova de Gaia 1995 qui titre 20,5°. Même si c’est intéressant, c’est quand même beaucoup trop fort pour un plat, et c’est seulement sur le fromage que ce Porto juteux comme un fuit rouge a trouvé son bonheur. Lorsque nous étions là, un grand hebdomadaire préparait un article sur les femmes chef. Quelle joie de trouver là Anne Pic qui assume si bien les destinées du joyau de Valence.
Gros contraste avec le restaurant de Gérard Besson, où tout respire la tradition. Sa brouillade aux truffes est un plaisir de simplicité abondante. On campe dans la truffe. On se sent devenir chêne, chien, cochon. Son pigeon est dans une pure tradition culinaire et son fenouil confit est un petit bijou. Je ne peux pas suivre le Guide, mais ce n’est que mon avis. Dommage pour le choix du vin. Le Clos Vougeot grand cru Domaine Georges Mugneret 1988 est un grand vin, mais il est beaucoup trop fermé, même après une longue oxygénation. Il faut le laisser vieillir encore. De toutes façons, ouvert ou non, ce vin n’aurait pas tenu le choc contre les œufs. Il faudrait la force du Jura pour lui résister (objectivité, quand tu nous tiens !..).