suite de la célébration de Noël deux jours plus tard samedi, 27 décembre 2008

Une de mes filles n’ayant pas pu fêter Noël avec nous selon le calendrier, nous l’aménageons en fêtant Noël deux jours plus tard. Les emballages des cadeaux que les enfants déchirent dans la précipitation et les rires s’éparpillent autour du sapin. Nous goûtons un Champagne Dom Ruinart 1986 blanc de blancs. Servi un peu trop froid il lui faut du temps pour montrer son excellence. D’une belle couleur d’un or discret, d’une bulle forte, ce champagne est d’une pleine jeunesse. Contrairement aux deux champagnes précédents qui avaient nettement basculé dans la maturité, celui est plein de fougue, avec des goûts joyeux, fleuris, chantants. Sur des tartelettes au parmesan puis sur des gougères, nous nous régalons.

Ma femme a préparé des petites bourses de saumon fourrées de tarama à la ciboulette, et le Chevalier-Montrachet « la Cabote » Bouchard Père & Fils 2000 est spectaculaire. La richesse de ce vin est extrême. Il remplit la bouche de mille explosions chatoyantes, riches de fruits jaunes et d’or. La longueur et le coup de fouet sur la langue sont le signe d’un vin d’une race extrême, un de ceux que je préfère de tous les merveilleux vins blancs de Bourgogne.

Sur un porcelet aux petites pommes de terre en robe des champs, nous commençons par un Opus One Napa Valley 1988 dont les premières gorgées semblent marquées par une légère amertume qui s’estompe rapidement au contact du plat riche. Le vin prend des accents de vin de Bordeaux, avec un message simplifié mais riche. Je le trouve très expressif, goûteux, avec une mâche généreuse. Ce sont des « oh » et des « ah » qui accueillent l’apparition de la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996. Ce vin généreux, chantant, fruité, est un vin de pur plaisir. On sait qu’il est jeune, mais tel qu’il est, il n’apporte que du bonheur. Nous finissons les verres de blanc et de rouge avec un camembert.

La tarte Tatin, conforme à la réputation de mon épouse, s’essaie sur le Château Coutet 1934 d’il y a deux jours. Il ne décline pas mais continue de souffrir du petit défaut que je lui trouvais. Nous n’insisterons pas. En trois repas nous aurons profité de nos enfants et petits enfants. La richesse de ces instants vaut tous les vins du monde.

Noël en famille, deuxième partie – photos samedi, 27 décembre 2008

Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1986

Chevalier-Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 (vin que j’adore) et Opus One 1988

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996

Aumonière de saumon au tarama et porcelet aux pommes de terre en robes des champs

L’impériale tarte Tatin de mon épouse, à la couleur de grand sauternes !

repas de Noël en famille mercredi, 24 décembre 2008

Le jour de Noël, tout le monde fourbit ses cadeaux et un faux Père Noël fait luire les yeux des enfants qui y croient encore. Sur des toasts au foie gras, un champagne Louis Roederer 1966 est assez exceptionnel. Il est fortement ambré, et sa maturité est beaucoup plus assumée que celle du Salon 1982. Plus naturelle, elle nous emporte vers des saveurs romantiques, très douces. La variété des saveurs est extrême.

Sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar de Russie, le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1990 développe un parfum envoûtant. Le nez est d’une puissance rare. Avec mon fils, nous nous souvenons du 1986 bu en magnum tout récemment d’une perfection absolue. Celui-ci n’a pas l’immensité du 1986, mais on retrouve la grandeur de ce grand vin blanc. Puissant, fruité, avec une très longue trace en bouche et une palette de saveurs très large, c’est un vin qui se marie merveilleusement bien avec le plat.

Le Clos de la Roche Grand Cru Domaine Armand Rousseau 1999 est une nouveauté pour moi. J’ai eu envie d’essayer, même si ce vin est très jeune. Le nez est d’une subtilité rare. En bouche, on est conquis par la pureté d’un vin qui n’est pas extrêmement puissant, mais qui combine complexité et grâce. Mon gendre a cuit à peine des gambas qu’il a léchées d’un arôme de rose qui fait écho au vin, et le soupçon de cacao maigre élargit l’un des plus beaux vins jeunes que l’on puisse boire.

Le plat suivant est un pigeon farci au foie gras, émulsion de mogettes de Vendée. Le Vega Sicilia Unico 1941 a un nez puissant, lourd, torréfié. Le vin est noir et évoque le café. Mon gendre et mon fils sont ravis de ce vin qui me gêne un peu par sa lourde trace après celle gracile du Clos de la Roche. On reconnaît toutefois la solidité de ce vin espagnol qui évoque certains vins lourds du Rhône.

Ma femme ayant prévu un dessert et moi un vin, le mariage ne paraît pas possible aussi mon gendre essaie-t-il la crème au chocolat caramel sur le Vega Sicilia. Je n’essaie pas, car ça ne peut pas marcher, aussi ce dessert est-il une pause. Le Château Coutet Barsac 1934 avait un niveau bas. A l’ouverture, un nez d’orange confite m’avait rassuré. Nous buvons ce noir liquoreux, couleur café, sur des pamplemousses roses. On reconnaît bien sûr les attraits des sauternes, mais celui-ci, marqué d’un petit défaut métallique, ne me plaît pas plus que cela.

Nous avons plébiscité le Clos de la Roche Armand Rousseau comme plus grand vin suivi du Corton Charlemagne. Nous différons ensuite. Mon troisième est le Louis Roederer 1966 et le quatrième le Mont-Redon 1978. Beaux moments familiaux avec des vins variés de grand intérêt.

Noël en famille – les photos mercredi, 24 décembre 2008

Le Chateauneuf-du-Pape Mont-Redon 1978 est un cadeau de mon gendre

Champagne Louis Roederer 1966

Vega Sicilia Unico 1941

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1999 : quelle splendeur !

Chateau Coutet 1934 à la magnifique étiquette. Hélas, le goût n’est pas aussi brillant.

La table de famille. Compte tenu de la charge de travail qui pèse sur les épaules de mon épouse, les petits verres ont été préférés aux verres impressionnants de volume (mais nous avons triché en cours de route !).

Coquilles Saint-Jacques crues au caviar et crevettes roses cuites d’une façon divine.

Cette crème n’était pas franchement idéale pour le Coutet !

Je ne pensais pas que les oranges puissent avoir un coeur gros comme ça ! Accord meilleur avec le Coutet.

veille de Noël mardi, 23 décembre 2008

La veille de Noël, la maison bruisse des rires des petits enfants. Mon gendre m’annonce qu’il a prévu le vin du soir, un Domaine de Mont-Redon Chateauneuf-du-Pape 1978. Nous sommes donc engagés dans un tour de chauffe avant Noël. J’ouvre un Champagne Salon 1982. La couleur est belle, déjà prononcée. Sa bulle est suffisante. Le champagne a manifestement un goût de vin ancien. Il fait plus que son âge et me rappelle un peu le Salon 1966. Va-t-on l’accueillir comme il est ou lui reprocher une maturité excessive ? Nous prenons le parti de l’accepter tel qu’il est et nous avons raison. Car les champagnes anciens ont une complexité et un charme rares, dans des douceurs que les champagnes jeunes n’ont pas. Sur du foie gras, le Salon est accueillant. Sur une anguille fumée, il gagne en longueur et en profondeur.

Le Domaine de Mont-Redon Chateauneuf-du-Pape 1978 est vraiment à un sommet gustatif. D’une magnifique année, il la rondeur rassurante des vins du Rhône. Ce vin délicat sensible tout en ayant une belle richesse en bouche m’a fait penser aux propos que me tenait mon grand-père, qui aimait le vin sans vraiment le connaître : « si tu veux un vin de plaisir, prends un Chateauneuf-du-Pape ». Nous l’essayons sur du saumon cru sans aucun assaisonnement, car le Salon est épuisé depuis longtemps, et cela n’apporte rien au vin, alors que sur des coquilles Saint-Jacques juste poêlées, avec un soupçon de vinaigre celtique épicé, l’accord est extrêmement intéressant.

Les macaronis d’Eric Fréchon au patrimoine … lundi, 22 décembre 2008

Jean-Philippe Durand envoie un message à quelques amis : il a faim, une grosse envie des macaronis truffés d’Eric Fréchon. Apparemment l’envie est urgente, car le message est envoyé un samedi après-midi pour un déjeuner le lundi midi.

Nous nous retrouvons à quatre au restaurant de l’hôtel Bristol. Nous disons à Marco, le sommelier que nous avons connu au Taillevent, que l’esprit est de ne prendre qu’un plat, le macaroni. Marco nous répond par une montée au filet instantanée : vous ne pouvez pas ne pas essayer l’oignon.

Après avoir tergiversé sur la taille des portions, nous décidons enfin qu’il s’agira de portions entières. Mon insistance a pesé dans la décision. Comme Edith Piaf, je ne regrette rien.

La carte des vins est une des plus dissuasives qui soient. Les prix ne sont pas stratosphériques, ils naviguent autour du monde du vin en navettes spatiales. Il y a quand même quelques bonnes pioches – tout est relatif – et après une discussion de mise au point avec Marco, nous jetons notre dévolu sur un Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel blanc 1993. Nous pensions avoir un « vieilles vignes », mais celui-ci fit parfaitement l’affaire.

L’amuse-bouche en quatre parties est d’une délicatesse rare. Le foie gras à l’anguille met en place le palais pour la suite. C’est l’occasion de goûter le vin qui arrive beaucoup trop froid.

Sa couleur est ambrée et son nez n’est pas encore sensible. En bouche son charme est déjà présent et la bouchée lui va bien. La petite préparation au champignon de Paris fait irrésistiblement penser à l’Astrance et son plat d’anthologie.

La bouchée ronde à l’huître est d’une saveur unique. Toutes les vagues des mers du Sud qui secouent en ce moment les marins du Vendée Globe fouettent les narines. L’iode est extraordinaire. La petite sucette finale dont j’ai oublié la composition m’a laissé un souvenir de joie, car on se félicite du talent du chef. Chaque bouchée a un goût pur et jamais le chef ne sur-joue.

Un deuxième amuse-bouche est une Royale de foie gras fumé à l’écume d’oseille. C’est pour moi un enchantement total. Et l’accord avec le vin se fait merveilleusement, car le fumé du plat exhausse le fumé de la roussanne.

L’oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles est envoûtant, car il nous fait découvrir des saveurs inconnues. C’est talentueux et chaque élément est pesé au trébuchet. Et, comme l’avait prédit Marco, l’accord avec le vin est talentueux, le fumé du lard gommant cette fois-ci le fumé du vin, pour lui donner un final encore plus enlevé.

Les macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan, objet de la grande faim de Jean-Philippe, seraient classés dans les guides bleus dans la rubrique : « mérite le détour, à voir absolument ». Car c’est une institution. Tout en ce plat est d’un dosage parfait. La continuité avec le vin charnu est idéale. Ce plat pourrait accueillir beaucoup d’autres vins mais cet accord est extrêmement justifié. Le vin en lui-même est assez indéfinissable. Il montre des signes de maturité sans aucunement paraître assagi, il est calme, tranquille, apaisé, ses notes de fumé étant sereines. L’équilibre du vin n’empêche pas la vivacité, car il réagit à chaque saveur en imprimant sa marque. C’est un vin poli et très agréable.

La gelée à l’hibiscus, sorbet Campari pamplemousse est un avant-dessert délicat qui ne sera pas suivi de dessert mais de caramels, nougats et guimauve à la poire à se damner. Devant ce chariot, il est impossible de résister à la tentation, sauf Jean-Philippe qui résistera à l’appel de la guimauve. Même les êtres parfaits commettent des erreurs.

J’ai particulièrement apprécié la cohérence des saveurs dans chaque plat, qui montre une maturité et une sérénité exemplaires. Eric Fréchon qui est venu nous saluer à notre départ mérite les trois étoiles. Nous lui avons exprimé nos vœux que ceci se réalise sur le prochain guide.

déjeuner au Bristol pour un macaroni – les photos lundi, 22 décembre 2008

L’amuse-bouche en quatre parties dont une  bouchée ronde à l’huître, et une sucette

Royale de foie gras fumé à l’écume d’oseille,

L’oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles

Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan (un plat mythique – culte comme diraient les djeunes)

 

Réflexion sur la carte des vins idéale d’un restaurant dimanche, 21 décembre 2008

Cette réflexion est conduite en dehors du contexte actuel de crise, car il y aura une vie après la crise.

Pratiquant beaucoup de restaurants, je constate que beaucoup de cartes des vins des restaurants de haut rang ne correspondent pas à ce que l’on serait en droit d’attendre.

Pour illustrer mon propos, imaginons un vin de 1982 acheté en 1984 autour de 8 / 15 €. Prenons 12. (Les premiers crus classés ne dépassaient pas 15 €).

Si l’on considère qu’un capital rémunéré à 10% est bien rémunéré, 24 ans plus tard, les 12 € valent 118 €.

Supposons que le prix de marché de ce grand vin soit aujourd’hui de 800 €.

Le restaurant qui aurait gardé cette bouteille depuis son achat en primeur et mettrait à sa carte le vin à un prix égal à 80% du prix de marché, soit 640 €, s’assurerait un placement à 18 % par an, ce qui est assez joli.

Acheter un vin à 20% de moins que sa valeur marchande est tentant, bien sûr pour ceux qui en ont les moyens. (Mais on peut transposer l’exemple à tous les niveaux).

Tandis que si le restaurant se dit : la bouteille vaut 800, je peux donc la proposer à 2000 €, il revendique un placement à 24% par an pendant 24 ans, en revendant 166 fois plus cher que son prix d’achat.

Lorsque les vins d’Henri Jayer étaient bon marché, des restaurateurs intelligents gardaient ces vins à leur carte avec un très confortable coefficient, et comme plusieurs amateurs avisés, j’ai pu boire des Cros Parantoux à 300 € quand les prix commençaient à dépasser les 1000 €.

Si aujourd’hui, alors que les prix de ces vins dépassent 2000 €, les restaurateurs les affichaient à 5000 € pour un prix d’achat autour de 15 €, ce serait définitivement dissuasif. Alors bien sûr on objecte l’existence des consommateurs russes, mais ce serait faire fi d’une clientèle plus durable et probablement plus fidèle.

Alors, j’imagine ce que devrait être la règle de constitution de la cave d’un très grand restaurant, en ce qui concerne des grands vins (mais aussi les autres).

Dans le cahier des charges de la cave, il faudrait inscrire que la cave doit avoir pour mission le mûrissement. Si l’on admet qu’un vin nécessite 15 ans pour être bon à boire, la cave doit le permettre. Ce qui veut dire que les 2005 ne seront pas à la carte maintenant, mais à partir de 2015 / 2018. On voit que cela conduit à une certaine vision au plan capitalistique, car une cave doit représenter – par exemple – 15 ans de stock et non pas deux seulement, voire moins. Un financement spécifique doit exister, justifié par la croissance normale naturelle des prix du vin (hors crise).

A noter que des restaurateurs m’ont dit : « on sait bien que les 2005 ne devraient pas être à la carte, mais si on ne les met pas, les clients américains râlent ». Il faut remettre de l’ordre et du bon sens.

Il me semble que ce critère de constitution de cave devrait compter pour l’attribution des étoiles par le guide rouge.

Dans un passé récent on trouvait encore des restaurants qui mettaient sur leur carte des vins pour certains millésimes récents : « en vieillissement ».

Le stockage des vins pourrait se faire dans leur cave mais aussi dans des caves de vieillissement.

Le prix de vente du vin sur la carte du restaurant se ferait à environ 80% du prix du marché, si ce prix permet de garantir un rendement sur investissement minimum de 10%. Sinon, il serait au dessus.

Une autre condition serait que le restaurant ne vende pas de bouteilles au client qui ne consomme pas sur place.

Ceci veut dire que le restaurant ne devrait pas acheter des 1990 en 2008 par exemple, en multipliant ses prix d’achat par trois. Cette pratique ne devrait pas être acceptable. La gestion à long terme de la cave devrait être la règle.

Dans ces conditions, on pourrait envisager la carte des vins comme une invitation à boire les vins que l’on peut s’offrir et non pas à être forcé d’essayer de trouver la bonne pioche dégotée avec talent par le sommelier, parce que les coefficients pratiqués interdisent d’accéder aux vins que l’on boit normalement.

J’aimerais bien conduire une réflexion avec des restaurateurs sur ce sujet qui intéresse tous les amateurs de vins qui aimeraient qu’au restaurant ce ne soit pas : « on s’éclate sur la nourriture et on se restreint sur le vin ».

Lafite 1900 et Pichon Baron 1904 sur la cuisine de Patrick Pignol vendredi, 19 décembre 2008

Le « casual Friday » commence à devenir une institution. Le périmètre des présents change un peu, mais l’esprit est le même. Le retardataire institutionnel entretient sa réputation dans des limites toujours grandissantes. Comme c’est lui qui a apporté le premier vin nous avons la bouche qui s’assèche. Nous décidons d’inverser l’ordre des champagnes, pour ne pas ouvrir sa bouteille avant qu’il ne soit là.

Les vins ont été ouverts ce matin à 9 heures par Nicolas, le sommelier fidèle du restaurant de Patrick Pignol, tremblant de peur de fragiliser les vins précieux. J’ai mis au point le menu avec Patrick Pignol avant l’arrivée des convives. Un ami qui offre le champagne Dom Pérignon 1969 de la carte du restaurant a la bonne idée de demander des petits toasts à la truffe qui nous permettent d’attendre le dernier des sept de notre table. Le champagne est absolument délicieux. Il a une bulle active. Sa couleur ne montre aucun signe d’âge. Le parfum est pur, riche, envoûtant. En bouche, c’est une petite merveille de précision. Je suis sous le charme de ce champagne où le miel, la brioche voisine avec une belle trace citronnée. La longueur est extrême et la bouchée truffée est un vrai cadeau de Noël.

Une huître enveloppée dans une feuille d’épinard garde tout son iode, comme nous l’indique si bien madame Pignol. Elle se marie agréablement avec le Pavillon blanc de Château Margaux 1988 à la belle couleur, à la bouche intelligente combinant fraîcheur et délicatesse.  C’est surtout la fraîcheur finale qui me conquiert.

Une préparation d’oursins légèrement sucrés accueille un champagne Ruinart 1955. Sa couleur est nettement ambrée et le vin montre une fatigue certaine. Mais c’est un des miracles du vin, le plat réveille le champagne qui devient plaisant. Il s’endort à nouveau dès que le plat est fini. Il nous a communiqué l’espace d’un instant une belle émotion.

J’avais intercalé le blanc entre les deux champagnes pour que la bouche soit prête à accueillir le cadeau que je réservais à mes amis : Château Lafite-Rothschild 1900. J’avais annoncé que le niveau de la bouteille est bas, et que dans ces conditions, cette bouteille est une incertitude totale. Aussi ai-je prévu du secours. La bouteille est basse épaule. Le vin a une belle couleur foncée, variable selon la hauteur dans la bouteille et son sédiment est important. Le nez est extrêmement intense et un ami qui a professé l’œnologie dans une partie de sa carrière nous dit que cette odeur prenante est totalement caractéristique de Lafite. En bouche, nous sommes étonnés que le vin soit aussi présent. Son charme est intense. Je sens une légère fatigue mais cet ami dit qu’il n’y a pas l’ombre d’un défaut. Nous sommes enchantés, et le ravioli de céleri noyé sous des tranches de truffes est idéal pour faire ressortir les accents de truffe du vin. Le final est beau. Le vin est riche et velouté. Il y a même quelques soupçons de pétales de rose, « à la » bourguignonne. Nous prenons conscience que nous sommes en train de vivre un grand moment, car le vin s’épanouit et apporte la preuve de l’excellence légendaire de l’année 1900.

Le ris de veau juste saisi et légèrement caramélisé est absolument délicieux. Le Château Pichon-Longueville Baron 1904 que j’ai apporté en secours, dont le niveau est presque dans le goulot est d’une couleur irréellement jeune, car le rouge est d’un beau rubis. Le nez est un peu moins noble que celui du Lafite, mais on sent le cousinage des deux Pauillac. Le vin a de la personnalité, se montre jeune malgré ses 104 ans, et ce qui me plait énormément c’est cette vivacité de jeunesse. On sent bien que la race n’est pas aussi grande que celle du Lafite. Mais elle est grande et le vin me séduit.

La chair de l’agneau de lait est tendre comme un bonbon. Elle cohabite d’abord avec un Château Pibran 1928 apporté par mon fils, qui a la joie d’un 1928 mais manque un peu de coffre. Vient ensuite un Vega Sicilia Unico 1964 que j’ai apporté pour le cas où le 1900 et le 1904 eussent été tous les deux souffrants. Le vin est presque noir. Il est lourd comme le plomb et l’on pense à un vin de Porto qui serait sec. Il est torréfié, avec des traces de café. Son charme est rare et sa présence envahit nos palais. Il est fort mais séduisant et se boit goulûment. Il évoque de lourds vins du Rhône.

Le comté affiné de nombreux mois mais qui a gardé sa fraîcheur est merveilleux pour mettre en valeur le Jurançon 1929 des caves Nicolas. Ce vin est de la joie de vivre. Sa couleur est d’or, son nez est excitant d’agrumes poivrés et en bouche il court dans toutes les directions, mêlant les grains de raisins bien mûrs et bien ronds à de fines traces d’agrumes. Un vin de pur plaisir.

Un soufflé à la mandarine et une clémentine légèrement confite donnent la stricte représentation du Château Suduiraut 1944, bel exemple de ce vin qui est attachant quasiment à tous les millésimes. Le vin est serein, bien dessiné et récite ses agrumes orangés avec un bel entrain.

Nous votons, et sept vins sur neuf ont des votes. Le Lafite 1900 recueille trois votes de premier, le Dom Pérignon 1969 en recueille deux et le Pichon 1904 ainsi que le Jurançon 1929 en recueillent chacun un. Quatre vins premiers pour sept votants, c’est d’un bel éclectisme. Nous sommes deux à avoir dans le désordre le même vote que le vote de synthèse, celui que j’appelle le vote du consensus, qui est :

1 – Château Lafite-Rothschild 1900, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – champagne Dom Pérignon 1969, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Mon vote : 1 – champagne Dom Pérignon 1969, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – Château Lafite-Rothschild 1900, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Manifestement le Lafite 1900 a impressionné toute la table. Patrick Pignol, intéressé par notre expérience, qui me blague souvent en disant que mes reliques ont un ticket qui n’est plus valable a été enthousiasmé par le Lafite 1900. Si je ne l’ai mis que troisième, c’est que j’espère secrètement que les autres Lafite 1900 qui sont dans ma cave, de meilleurs niveaux, seront des premiers récurrents. Le 1900 et le 1904 proviennent d’un lot important que j’ai acheté récemment, d’une cave qui avait été murée pendant des décennies. La prestation des vins de ce jour confirme l’intérêt de ce lot, ce qui me satisfait au plus haut point.

Dans une ambiance joyeuse de collégiens en école buissonnière, sur une cuisine faite par un chef talentueux travaillant de beaux produits, sur des vins dont certains sont des témoignages extrêmement rares, nous avons lu une émouvante page d’histoire.

casual Friday – les photos vendredi, 19 décembre 2008

Le Chateau Lafite-Rothschild 1900 était le prétexte de ce déjeuner. L’intitulé gravé dans le verre est pour moi un sujet de fierté. Cette présentation est la même que pour Lafite 1945 que j’ai bu deux fois avec Alexandre de Lur Saluces en provenance de sa cave.

Les vins bus lors de ce déjeuner

Le goût de l’huître est merveilleusement préservé dans cette feuille; délicieux calamar

les plats principaux, ris de veau et agneau de lait

soufflé à la mandarine et clémentine légèrement confite pour le Suduiraut 1944

On croit que c’est facile de boire des vins anciens. Mais ça se mérite ! Ici, les sédiments du Lafite 1900 et du Pichon Baron 1904

Mon carnet de notes pour enregistrer les votes des amis. Quelques verres aux couleurs sympathiques

un ami tel Cartier-Bresson a voulu tirer mon portrait. Le temps qu’il trouve comment un appareil de photo se prend en main, et il réussissait.