Vinexpo – dîner au Chateau Haut-Bailly mercredi, 24 juin 2009

Le troisième dîner auquel je participe à l’occasion de Vinexpo est celui du Château Haut-Bailly. Lorsque j’arrive, Noémie Ruelloux, responsable de la communication du Château me dit : « bonjour monsieur Audouze ». Il est toujours agréable d’être reconnu quand on n’est pas connu. Robert Wilmers, propriétaire du château et son épouse accueillent les invités à l’entrée ce qui est une attention qui mérite d’être signalée. Véronique Sanders a un sourire dont le pouvoir est au moins aussi désarmant que celui de Sainte Geneviève matant les Huns. Elle dirige les arrivants vers les chais où les dix millésimes récents sont à déguster. Faisant mine de ne pas être foncièrement concerné par des millésimes si jeunes, le sourire impérieux me dicte : « tu dois ».

Le premier vin à boire est le Château Haut-Bailly 1999. La bouche de l’après-midi n’est pas encore prête et n’a pas ses repères. Mais je note que le vin de belle structure est plaisant avec beaucoup de charme. Les vins sont servis par toute l’équipe qui fait le grand Pessac-Léognan, que l’on sent passionnés. L’homme qui me sert le 1999 oublie de me diriger vers le 2000 et il fait bien. On verra pourquoi.

Le Château Haut-Bailly 2001 est très élégant. Son nez est végétal, évoquant du cassis qui n’est pas encore mûr. Le vin est frais et souple, glisse bien en bouche. C’est un vin de vrai plaisir. Le Château Haut-Bailly 2002 est plutôt une surprise. J’attendais un vin plus plat or il est assez nerveux. Même s’il n’est pas débridé, c’est un vin agréable.

Le Château Haut-Bailly 2003 a un nez très fort et poivré. Il est assez bizarre en bouche car il manque un peu de cohérence. Il demande quelques années encore pour s’exprimer vraiment. Le Château Haut-Bailly 2004 a un nez de pierre à fusil. La bouche râpe un peu, avec des notes végétales et vertes, mais c’est un vin de caractère que j’aime beaucoup. C’est une très belle surprise.

Le Château Haut-Bailly 2005 a un nez très racé. En bouche c’est un grand vin mais encore fermé. Il va se révéler et promet de montrer une grande élégance. Le Château Haut-Bailly 2006 a un nez épicé et une bouche gourmande. C’est un bel exemple d’un Haut-Bailly classique et généreux.

Le Château Haut-Bailly 2007 a un nez soyeux et riche. Mais en bouche le vin manque de corps. Il est assez faible et manque de complexité. Le Château Haut-Bailly 2008 a un nez très pur, combinant le poivre et le velouté. La bouche est très élégante, avec un peu d’astringence et un final rêche. Tout est réuni pour qu’il devienne grand.

Je me dirige alors vers le Château Haut-Bailly 2000 au nez superbe d’élégance que la bouche confirme. Ce vin est maintenant d’un génial accomplissement. Il est superbe, un peu râpeux, et follement excitant. C’est incontestablement celui que je classe en premier, mais, précision d’importance, c’est aujourd’hui, à ce stade de son évolution, comparativement au stade actuel d’évolution de ses puinés. J’en profite pour revenir au Château Haut-Bailly 1999 au nez superbe, qui même s’il n’a pas la largeur du 2000, constitue une belle surprise de plus.

Je croise plusieurs amis dont Andreas Larsson, meilleur sommelier du monde de la promotion 2007, Eric Beaumard, le truculent directeur du Cinq et sommelier à l’immense talent qui me raconte son dîner d’hier à Château Latour qui a failli m’étrangler de folle jalousie.

Sortant du chai je fais un salut militaire à Véronique pour lui signifier que la mission est accomplie et quêter un sourire de plus et je rejoins les beaux jardins du château face aux vignes et au soleil encore vivace où de délicats canapés se croquent sur un Champagne Pol Roger non millésimé toujours aussi plaisant à boire. On bavarde au soleil couchant avec un monde cosmopolite.

Le dîner est placé. Les tables ont des noms de fleurs et la mienne est « pensée ». A cette table deux québécois qui gèrent « SAQ », la société des alcools du Québec qui dispose d’un monopole de la distribution des vins au Québec, le jeune sommelier du Beau Rivage à Genève accompagné de son père, un négociant suisse de vin d’origine belge et son épouse, un journaliste du vin qui est aussi vigneron à Collioure, le représentant français d’un magazine qui se dit « the world’s best wine magazine » et l’acheteuse de vins du plus grand caviste européen avec qui j’avais déjà partagé le merveilleux dîner ici-même pour l’ouverture de Vinexpo il y a deux ans. Les discussions sont riches, animées et passionnées.

Le menu est intitulé « Harmonies, Couleurs, Saveurs par Michel Roth », le talentueux jeune chef du Ritz. Il consiste en : foie gras infusé au vin de l’année / agneau en écrin d’herbes fraîches / gouda millésimé, recette de la maison / pêche à l’hibiscus. Nous commençons par le Château Haut-Bailly 1998. On ne goûte pas les vins de la même façon selon que l’on est debout dans un chai ou assis en début de repas. Le nez du vin est assez discret. Le goût est puissant, de belle structure. Je retrouve une jolie râpe et un gentil poivre. Ce vin est très intéressant et le mariage avec le foie gras est parfait.

La chance m’abandonne avec les deux vins suivants. Le Château Haut-Bailly en magnum 1988 est poussiéreux ce qui gâche le plaisir. Mon voisin sommelier n’a pas la même carafe et nous échangeons nos verres pour constater que le sien est nettement meilleur. Le Château Haut-Bailly en impériale 1978 a une couleur de thé fatigué. Le goût va vers le thé poivré. Le vin est plus fatigué qu’il ne devrait l’être. Il se réveille dans le verre et prend un autre corps. Curieux, je bénéficie de la générosité d’un convive d’une autre table pour vérifier que j’avais une mauvaise pioche car le 1988 et le 1978 qu’on me laisse boire sont nettement meilleurs. Le Château Doisy-Daëne 2005 a un nez incroyablement vert, de feuille d’artichaut. Tout cela présage un infanticide. Il n’en est rien, car la bouche est beaucoup plus amène. Le vin est fruit confit, ananas confit, très dense, avec une jolie fraîcheur. Servi bien frais il est extrêmement élégant Il se marie divinement à la pêche.

Robert Wilmers fait un sobre discours d’introduction, Véronique est aimable dans son propos et exhorte les journalistes et écrivains du vin à écrire sur son vin. Elle rend un hommage particulier à Eric Beaumard qui commente les vins du repas avec Andreas Larsson. Eric insiste sur le renouveau qualitatif apporté par la volonté de Robert Wilmers, par le talent et la sensibilité de Véronique Sanders et par l’apport conceptuel et œnologique de Denis Dubourdieu, tout sourire.

Michel Roth vient nous saluer. Il est chaudement applaudi pour la qualité de sa cuisine, dont Véronique et Eric disent qu’elle a produit des accords divins. Sans vouloir jouer à couper les queues de cerise en quatre je ferai quand même un commentaire parce que le sujet me tient à cœur. Les accords fondamentaux ont été d’une précision absolue. L’accord du foie gras avec le 1998 est absolument parfait. L’agneau est magistral et l’on comprend la pertinence des compliments, car le mariage avec le 1988 est parfait. Mais les à-côtés troublent ces divins mariages. Les trois cerises avec le foie gras font peur au palais qui se retire sous sa coquille, car la cerise, si elle devait équilibrer le foie, se justifierait, alors que c’est le rôle du 1998 de trouver la balance parfaite. Véronique avec qui j’en parlerai le lendemain me dira que les cerises forment une respiration du palais. C’est une conception qui n’est pas la mienne.

Les tranches de pomme et la confiture frottée au gouda très fort sont difficilement acceptées par le 1978. Les accords majeurs sont donc d’un art consommé, mais les ajoutes font reculer le palais de quelques cases. Une mention spéciale doit être donnée au dessert, dont la cohérence est parfaite avec le jeune liquoreux. Mon avis ne doit pas masquer le principal, car les accords majeurs sont divins. Le dîner a été d’une grande élégance et d’une grande justesse dans l’essence des plats.

Après le repas, les bavardages continuent sur la pelouse. Un café avec mignardises est servi aux couche-tard. Ce que je retiendrai de cette soirée, c’est d’une part l’élégance coutumière de la réception dans cette belle propriété. Tout est attentionné et délicat. Et je retiendrai une fois de plus l’élégance de ce vin de Bordeaux qui jamais ne surjoue, préférant la carte de la sincérité, de l’authenticité et de la cohérence. Mille mercis pour une belle soirée d’amitié et de générosité.

Les photos

Le petit dernier et le chai de dégustation

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le symbole de notre table – chaque château a une assiette à son nom sur le même modèle

les cerises et le foie gras – le délicieux agneau

le gouda et la somptueuse pêche dorée à l’or fin

dîner Vinexpo – Domaine de Chevalier mardi, 23 juin 2009

Changement de décor au Domaine de Chevalier. Un groupe de maisons familiales s’est appelé le « Tour de France des appellations » et compte : les vins d’Alphonse Mellot, le domaine Zind-Humbrecht, les domaines Paul-Jaboulet Aîné, le domaine Faiveley, le Château de Fuissé, le domaine Olivier Leflaive, le champagne Pol Roger et bien sûr le Domaine de Chevalier. Créé il y a 25 ans, c’est ce soir son 11ème tour de France. Chaque maison invitant, il est légitime que nous soyons plus nombreux qu’au Château Palmer : cinq cents contre deux cent quarante. Dans le sous-bois derrière les chais, des stands circulaires proposent des vins des huit maisons. On tourne autour, comme les particules qui empruntent un cyclotron, mais au lieu d’être accéléré, le chemin est ralenti par des stands gourmands et tentateurs : de délicieuses huîtres du Cap Ferret, petites comme je les aime, des blinis tartinés de crème et de diverses préparations de saumon, du foie gras juste poêlé posé sur du pain perdu, des gambas et coquilles Saint-Jacques à la plancha, le délicieux jambon ibérique que j’avais eu la chance de déguster ici même lors de la présentation des 2008, et enfin, le clou de ce tour périphérique, une dégustation à la cuiller de caviar d’Aquitaine. Le public est extrêmement cosmopolite car les agents et importateurs de ces huit maisons sont présents. Comme me le dit Anne Bernard, maîtresse de cérémonie, il n’y a quasiment pas de bordelais. Ne voyant aucun crachoir, je me résous à ne boire que le champagne Pol Roger non millésimé fort aimable, même s’il est largement moins brillant que le magnifique Pol Roger 1999 servi la veille en magnum. Anne me dira plus tard : « mais tu peux cracher sur la pelouse », ce qui me permet d’élargir l’échantillon de mes boissons apéritives.

Olivier Bernard et ses compères du tour de France font des discours de bienvenue spontanéistes et probablement incompréhensibles dans leur humour gaulois et chahuteur par la majorité des présents. Nous passons à table et selon la tradition voulue par Olivier Bernard, le dîner n’est pas placé. Voici le tour de la table où je m’installe : un danois vivant à Las Vegas qui organise des dîners spectaculaires à Las Vegas ou a Hong-Kong avec son épouse américaine qui est peintre, une jeune suédoise mâtinée de philippin qui vit à Vancouver mais fait un stage en bordelais pour rejoindre un jour la maison de négoce américaine de son papa, trois américains, de New York, Miami et San Francisco, tous trois importateurs de vins, François Mauss, président du Grand Jury Européen qui organise des dégustations comparatives de grand sérieux, une journaliste d’un grand support français du vin et son mari.

Le principe du dîner est d’avoir un seul plat, une pintade, puisque l’on suppose que nous avons succombé à la ronde des saveurs exquises du sous-bois. Ensuite, fromages de Bernard Antony et mignardises. Pour les boissons, des stands dispersent des merveilles de chaque vigneron du groupe des huit auquel s’ajoute l’invité d’honneur, le Porto Taylor’s.

Cette forme de repas est assez curieuse car on passe beaucoup de temps debout, pour aller remplir les verres de nouveaux nectars, et comme on croise des gens que l’on connaît, on taille une bavette avant de revenir s’asseoir pour constater que ses voisins de table sont partis se réapprovisionner. La pintade délicieuse est absorbée très vite. Je bois côte à côte Le Bâtard Montrachet Olivier Leflaive 2005 et le Corton Charlemagne Olivier Leflaive 2005. Lequel vais-je préférer des deux vins si contraires ? Quand les verres sont frais, c’est la grâce élégante du Corton Charlemagne qui l’emporte. Quand le vin a pris sa place dans le verre et s’est installé confortablement, ayant ordonné ses arômes comme on arrange ses crayons dans un plumier, c’est le Bâtard qui l’emporte par sa générosité flamboyante. Ce sont deux vins de grand plaisir. Une belle découverte est le Mazis-Chambertin domaine Faiveley en jéroboam 2007. Ce vin a tout ce que l’on aime de généreux en Bourgogne et à mon grand étonnement, un expert en vins que je vénère ne partage pas mon enthousiasme alors que ma table a aussi adoré. Comment ne pas aimer ce vin simple et porteur d’un plaisir immédiat ? Il est temps de passer au fromage et je souris de la gentille naïveté de Bernard Antony. Il aime composer lui-même les assiettes et suggérer l’ordre de dégustation de ses fromages. Si l’on est vingt à dîner, voire cinquante, c’est tout à fait possible. Mais pour cinq cents, c’est inenvisageable. Vouloir assumer seul le service de tant de convives est herculéen. La queue qui se forme promet plus d’une heure d’attente. Quand je serai sur le départ, de patients convives attendront encore qu’on les serve. C’est tout le charme de Bernard Antony. Il est certain qu’après tant d’attente, le fromage n’en est que meilleur. C’est l’occasion d’essayer le délicieux Domaine de Chevalier rouge 1989 d’une pureté bordelaise remarquable, de goûter l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1988 bien carafé à la chaleur de cœur réjouissante et à la simplicité rassurante des grands Rhône.

Le Riesling Clos Winsbuhl Domaine Zind-Humbrecht 2007 est trop perlant pour moi sur le fromage, et par contraste le Gewurztraminer Heimbourg sélection de Grains Nobles Domaine Zind-Humbrecht 1989 est une petite merveille. Ce vin est adorable. Car on a la sensation du sucré, du doucereux, qui se combine à une fraîcheur citronnée et à un final limpide et glissant de fraîcheur. On peut évoquer beaucoup de saveurs dont l’abricot est la plus reconnaissable. Ce vin délicieux est le vin de ma soirée. L’impression de fluidité se retrouve aussi dans le Porto Taylor Vintage 2000, que l’on sent puissant et frais en même temps. Il s’accorde à merveille avec quelques fromages très typés et très forts. J’ai raté des merveilles généreusement offertes car il n’était pas possible de répondre à toute cette profusion. Au hasard des tours de stands des conversations se nouent. Beaucoup d’étrangers veulent que mes dîners se délocalisent chez eux. Y aura-t-il des suites ? L’avenir le dira. 

Dans un espace retiré soudainement noir de monde on peut venir téter d’impressionnants cigares et suçoter de délicieux cognacs. On sait vivre chez Anne et Olivier Bernard.

Vinexpo – soir de fête au Chateau Palmer lundi, 22 juin 2009

Les années impaires Vinexpo se tient à Bordeaux et les années paires dans le reste du monde. Le jour, tous les acteurs du monde du vin se pressent dans les allées de l’immense hall où des milliers d’exposants font connaître leurs vins. Le soir est festif, les châteaux bordelais tenant à honorer leurs agents et distributeurs de tous les recoins du vaste monde, des vignerons et journalistes et tous leurs amis. Cette grande fête du vin est démarrée depuis deux jours. Je me limiterai à la partie festive de l’événement, pour rencontrer des personnes que j’apprécie. Pour mon premier soir, c’est la fête au Château Palmer. Un kilomètre avant d’arriver on voit battre aux vents des oriflammes sur le toit du château qui m’évoquent le dessin gravé sur les capsules de Pétrus où un château imaginaire est surmonté de deux énormes drapeaux. Le château restera en dehors de la fête puisque la joyeuse assemblée s’égaye autour des innombrables bâtiments qui forment presque un village. A l’accueil, des hôtesses pointent des listes d’invités interminables et donnent à chacun un canotier dont le bandeau est noir pour les hommes et blanc pour les femmes. L’espace est livré aux saltimbanques. Un couple compose des acrobaties et des équilibres, un jongleur fait voyager une boule de verre sur son corps comme s’il la téléguidait, on peut caillasser des bouteilles avec des boules de pétanque ou des boîtes de conserve avec des boules de feutre.

A l’un de ces petits stands, un homme a disposé des clous sur une grosse poutre et suggère qu’en trois coups d’un lourd marteau on en enfonce un complètement. Le marteau est lourd et difficile à diriger aussi, sur les trois coups que j’assène, aucun n’atteint la tête du clou. L’homme eut une remarque d’un humour merveilleux. Feignant de s’excuser il me dit : « en fait, j’aurais dû mettre mon clou ici », montrant le point où mon marteau s’est écrasé avec une remarquable constance lors des trois tentatives ratées. J’adore cette forme d’humour.

Jésus (prononcez Rézous) planté sur des échasses, me propose d’entrer dans la roulotte d’Emmanuela, qui lit les tarots et prédit l’avenir. J’entre. La gitane ou supposée telle me fait asseoir sur des peaux de bêtes dans un espace aussi chargé que les boutiques pour touristes du Mont-Saint-Michel. Ici, ce sont des serpents en plastique, des évocations indiennes ou fétichistes. La diseuse de bonne aventure m’asperge d’ondes bénéfiques, fait une incantation et me lit les tarots. Pendant qu’elle officie, un décolleté calculé au millimètre près révèle deux demi-mappemondes dont on aimerait lire le cristal pour prédire le présent. Rassuré sur mon avenir qui devrait faire de moi le maître du monde dans une sérénité contrôlée je rejoins le groupe des invités pour bavarder avec le propriétaire de l’Ami Louis. Nos évocations de bonne chère et de bons vins nous donnent l’eau à la bouche. Aux stands, on se régale de pain perdu aux cèpes, de croquettes de pieds de porc, de crépinettes de foie gras à l’échalote confite, de foie gras de canard en toasts et de mille autres petits canapés délicieux. Le Champagne Pol Roger en magnum 1999 se boit avec la facilité des grands champagnes de soif. On y revient ! En revanche, le vin du Château Palmer 2007 qui nous est servi a la brutalité de la jeunesse. Il est dans une phase ingrate où tout est caricatural.

Nous passons à table sous un haut chapiteau de cirque. Je suis assis à côté d’Olivier Decelle et de son épouse, propriétaires de Mas Amiel qui étendent lentement mais sûrement leurs emprises dans le vignoble bordelais. A notre table Eddy Faller du domaine Weinbach, deux français vivant à New York, importateurs et agents de vins, et un concepteur de sites internet pour le vin.

Le menu est ainsi composé : œufs meurettes aux truffes, carbonade de veau, morilles, fonds d’artichaut de Clamart, chèvre frais, pêche blanche au vin, gourmandises foraines et mignardises.

Thomas Duroux s’adresse en un anglais parfait à l’assemblée cosmopolite, suivi de Bernard de Laage de Meux. Les discours sont courts, précis et amicaux. On nous prévient qu’après chaque plat un tirage au sort désignera le gagnant d’un lot. J’indique à ma voisine que je ne gagne jamais à ces tirages de dîners.

L’Alter Ego de Château Palmer 2005 est servi en même temps que le Château Palmer 2005. Les deux vins sont dans leur folle jeunesse. On sent que le Palmer connaîtra un avenir brillant lorsqu’il calmera un peu sa fougue de mustang. L’écart avec le second vin n’est pas aussi grand que ce que je croyais, l’Alter Ego s’en tirant remarquablement bien. Ces deux vins puissants sont délicieux sur le veau très tendre.

Avec une générosité qui mérite d’être signalée, on nous sert en double magnum le Château Palmer 1982. Et ce vin démontre tout l’intérêt du mûrissement du vin. A côté du chien fou, le 1982 montre un message tout en finesse et en délicatesse. C’est Mozart qui succède à Iggy Pop. J’adore ce Palmer à la belle longueur qui combine une subtilité raffinée à une force de persuasion efficace.

Je suis beaucoup moins convaincu par le Condrieu Les Chaillées de l’Enfer domaine Georges Vernay 2007 présenté élégamment par Christine Vernay, car ce vin qui eût été beau sur le veau est inadapté au fromage de chèvre léché de miel. Il se forme un désagréable perlant créé par le fromage, donnant l’impression qu’un comprimé effervescent est posé sur la langue. On revient donc au Palmer 1982 qui charme la fin du repas. Sur les tickets remis à l’entrée pour la tombola, Olivier Decelle a le numéro 68 et j’ai le numéro 69. Le truculent chef italien qui procède au tirage inscrit sur le tableau à la craie : 68. Olivier est attentif. Puis le chef écrit « +1 ». J’ai gagné ! Et pas n’importe quoi : un magnum de Château Palmer 2005. Dans la foule j’entends un brouhaha de certains amis qui disent : « c’est injuste, pourquoi lui, il a déjà tant de vins ». Je m’agrippe à mon lot. Ça fait tellement de bien de gagner pour une fois.

Parmi les convives je salue notamment Didier Depond, président de Salon, grâce auquel je suis ici et Etienne Hugel avec lequel nous évoquons en grande émotion la mémoire du précieux Jean Frédéric Hugel.

Remerciant Thomas Duroux, je lui dis que mon intention est de parader aux autres dîners de la semaine avec « mon » magnum en disant aux vignerons qui nous reçoivent : « vous voyez, chez Palmer, on reçoit comme il faut. Car chaque invité a reçu un magnum de 2005 ». Je ne pense pas que pousserai plus loin ce projet taquin.

La fête à Palmer, dans une ambiance chaleureuse et amicale, fut particulièrement réussie.

les deux plats

Le Condrieu

le goût des gros poissons chez Yvan Roux mercredi, 17 juin 2009

Epuisé après de nombreux dîners, je suis dans le hall 4 de l’aéroport d’Orly, attendant mon vol, lorsque mon téléphone vibre. « François, j’ai un beau poisson, un gros, et j’aimerais te montrer que les gros poissons sont goûteux ». Je n’ai qu’une envie, c’est de me terrer sous terre, de jouer les taupes, les vers de terre, et de fuir tout ce qui bouge autour de moi. Et  voilà que dans mon microphone une voix qui ne peut être que la mienne répond : « j’arrive ».

Yvan Roux n’est pas un cuisinier. C’est le pape des cuissons. C’est une grosse différence car je suis sûr que s’il s’aventurait à vouloir cuisiner, il perdrait le sens des cuissons. Mais Yvan est aussi du monde des pêcheurs. Une belle prise, c’est une belle prise. Aussi, lorsqu’il montre à ses hôtes quelques pêches récentes, il annonce : « regardez-moi cette belle pièce ». Car un gros poisson, c’est la fierté du pêcheur, mais aussi du cuiseur.

Yvan a admis que j’eusse ce propos iconoclaste : « je préfère la chair des petits poissons ». Et ceci se vérifie sur les poissons et les crustacés. Il y a une fierté à proposer une énorme langouste. Mais mon crédo est : « small is beautiful ». Le seul poisson qui supporte d’être gros, à mon sens, c’est le turbot, car l’épaisseur crée une mâche spéciale. Pour tous les autres, à mon goût, c’est le petit qui l’emporte.

Le challenge doit plaire à Yvan. Il m’intéresse aussi puisque je suis là. Je suis seul aussi le champagne Delamotte non millésimé fera très bien l’affaire. C’est un champagne un peut strict, voire un peu amer, mais très pur et dont la trace vineuse s’adapte à beaucoup de situations.

Le Pata Negra est goûteux et très gras, ce que j’adoucis avec de la baguette. Et la réflexion qui me vient est que le pain et la viande rouge s’accommodent particulièrement bien, ce qui justifie le succès de Mac Donald.

Yvan a fait frire des beignets de fleurs de courgettes aux anchois qui sont gourmands. Le champagne a adopté un profil de soir d’élection où il n’y a que des vainqueurs ou des incompris. Il s’adapte à chaque situation sans toutefois créer d’émotion intense. C’est un bon champagne, mais j’en bois de trop bons comme on dit dans le langage djeune.

Sur mon assiette deux demi-homards. Dessous, plus volumineux, un homard femelle. Dessus, plus maigre, un homard mâle. Il est très net que le mâle est plus ferme et plus goûteux. Les cuissons sont superbes. En mangeant, célibataire d’un soir, je me mets à penser. Que commande l’esthétisme du gourmet ? Faut-il comme un mineur de fond explorer chaque galerie des méandres de la carcasse de chaque homard ou se contenter des bouchées qui expriment l’ultime du goût ? Il faudrait sans doute que la queue soit servie dans son simple appareil et que la tête et les alvéoles servent à composer une préparation plus typée. Lorsqu’Yvan, venant recueillir mon verdict, me lance : « je savais que tu étais porté sur les mâles », j’ai eu peur que des oreilles indiscrètes ne le crussent assez.

Un épais matelas de mérou arrive sur une assiette plombée d’aulx confits. Il faut reconnaître que la cuisson d’Yvan est exceptionnelle. Ce mérou, dont Yvan m’a choisi la partie la plus tendre est absolument délicieux. Je reconnais la « mâche » d’un gros poisson, avec ce que cela comporte de pâteux, mais je reconnais aussi une tendreté exceptionnelle avec une personnalité pure et affirmée. Alors, que conclure ? C’est certainement le meilleur mérou que je n’aie jamais mangé. Mais la sensation de « gros poisson » est quand même présente, ce qui limite mon plaisir.

Je refuse le fondant au chocolat pour des fraises des bois au parfum entêtant, une glace vanille aux grains de raisin et rhum.

Comme s’il fallait jeter quelques roses sur le deuil de mon régime, Yvan m’apporte une cuiller de caramel qui se lèche comme un bonbon. Suis-je le Sisyphe de mon régime ?

DAMNED mercredi, 17 juin 2009

DAMNED

Comme beaucoup de jeunes, j’ai découvert le mot « damned » dans Tintin en Amérique.

Et ce mot dit bien ce qu’il veut dire.

Bernard Pivot m’a fait l’extrême plaisir de me faire comprendre qu’il aime lire mes bulletins. Leur lyrisme l’étonne.

Aussi, lorsque dans son dictionnaire amoureux du vin Bernard Pivot dit de moi : « c’est le Bossuet des vieux flacons », tel le corbeau de la fable qui ne se sent plus de joie, j’ai imaginé qu’il me voyait en aigle de Meaux ou de mots, en brillant orateur, brillant prêcheur.

Hélas, mille fois hélas, ce n’était pas ça. Bernard pensait que mon rapport aux vins anciens était, au mieux, une sorcellerie qui faisait ressusciter des vins cliniquement morts, au pire un lyrisme aveugle qui me poussait à déclarer vivants des vins défunts.

Et j’ai compris que ce que Bernard Pivot avait retenu de Bossuet, ce n’était pas le talent d’orateur mais les sujets, les oraisons funèbres et l’art d’imaginer vivants des cadavres largement post mortem.

J’étais donc celui qui croyait voir dans des encéphalogrammes plats des réminiscences de vibrations.

Je croyais que Bernard me voyait en Martin Luther King de l’armée des vins anciens. Il me voyait en aboyeur de cimetière.

 

Chaque fable a sa morale.

Si je déchante (tout est relatif) en découvrant l’image que Bernard avait de moi, je bois mon miel en sachant que Bernard vient de découvrir que mes propos recouvrent une vérité.

Une piqure de rappel s’impose au plus vite.  Car le corbeau ne veut plus lâcher son fromage.

Bernard, ce récent dîner appelle une confirmation.

120ème dîner – les vins jeudi, 11 juin 2009

Champagne Salon 1985 (en utilisant la lumière, j’ai réussi à "écrire" un dollar)

Champagne Krug Vintage 1982

Château Haut-Brion blanc 1980

Château Beychevelle magnum 1928, cadeau de Bernard Pivot. La capsule suggère un habillage récent et l’on suppose un recollage de l’étiquette. L’ouverture montrera qu’il s’agit d’un bouchon très ancien, peut-être d’origine. Cette bouteille provenait directement du château, jusqu’à la cave de Bernard Pivot.

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976

Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 (année déchirée, mais c’est bien 1928)

Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1989

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Anjou Caves Prunier Rablay 1928

Château Climens Sauternes Barsac 1928

Belem’s Malvoisie Vin de Madère 1934

 

120ème dîner – le jeu de une erreur ! jeudi, 11 juin 2009

Regardez bien cette photo. L’une des bouteilles ne sera pas bue lors du dîner.

Laquelle ?

Oui, vous avez gagné, c’est celle de Colibri, bue avec une paille par le fils de Georges Menut, le propriétaire du restaurant de la Grande Cascade.

Son fils, jugeant sans doute que la table où j’officiais était très sale a estimé qu’on pouvait y jeter la bouteille vide du délicieux soda qu’il venait de finir. J’ai trouvé sa décontraction  charmante.

 

120ème dîner – ouverture des vins jeudi, 11 juin 2009

photos de groupe

les bouchons (on voit le petit treillis qui enveloppe la bouteille de La Mouline, que j’ai chiffonné)

Le bouchon du Beychevelle 1928 est très noir, mais ne s’est pas déformé

Ce qui est assez fou, c’est que le bouchon de l’Anjou 1928 porte l’adresse de Prunier avenue Voctor Hugo alors que l’étiquette porte l’adresse de Prunier rue Duphot ! Le Giroud 1928 est plus discret !

bouchon du Climens

le groupe des bouchons, qui, pour une fois, sont très peu abîmés

 

120ème dîner de wine-dinners au restaurant de la Grande Cascade jeudi, 11 juin 2009

Le 120ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de la Grande Cascade. Les vins ont été apportés il y a une semaine, et quand j’arrive à 17 heures pour les ouvrir, la place bruisse de mille mises en place, mais de sommelier point. C’est Dominique Beauvais qui me fait porter la caisse jaune où les vins ont été mis debout depuis la veille. C’est une attention appréciée. Les bouchons s’extirpent avec une facilité déconcertante, aucun ne se brisant. En moins d’une heure l’opération est terminée. L’odeur la plus envoûtante est celle du madère, la plus excitante est celle de la Romanée Saint-Vivant. La plus incertaine est celle du vin d’Anjou. Pendant que j’officie, un jeune garçon entre dans les lieux avec assurance. Son visage ne porte à aucune confusion : c’est le fils de Georges Menut. Il touche aux bouteilles, ce qui me fait trembler, pose de bonnes questions, et voyant que l’espace où j’officie est un vrai chantier, il y dépose nonchalamment la bouteille de soda vide qu’il venait de siroter. J’ai fait une photo de cet apport inattendu aux bouteilles de ce soir.

Dans mes dîners, j’évite les apports de vins des convives car ce pourrait être embarrassant qu’un vin se présente anormalement fatigué. Une exception est faite ce soir car ayant invité depuis des mois et des mois Bernard Pivot pour le remercier de sa gentillesse lorsqu’il m’a cité dans son dictionnaire amoureux du vin, il a eu l’envie d’offrir un magnum de Beychevelle 1928. Un tel cadeau ne se refuse pas. Quand j’ai retiré le bouchon tout noir, à l’odeur de terre humide intense, j’aurais aimé que Bernard fût là pour constater l’extrême désagrément de ce parfum difficilement supportable. C’est le seul vin que je goûte lors de l’opération d’ouverture en vue de prévenir à temps Bernard d’une éventuelle défaillance. Le goût un peu poussiéreux m’indique que le retour à la vie se passera bien.

Un détail m’a plu. Alors que j’officiais, Georges Menut s’approche et me dit que le dessert ne pourra pas convenir au Climens. Je lui avoue que cette anomalie m’a échappé. Nous essayons avec les chefs de trouver une solution, ce qui donne l’occasion d’un examen utile de l’ensemble du menu. Cette volonté d’excellence est plaisante.

Nous sommes dix, dont les trois plus fidèles convives des dîners des récentes années, un couple qui devient fidèle accompagné d’un de leurs fils, Bernard Pivot et deux nouveaux inscrits. Il y a quatre nouveaux et six habitués.

Nous passons à table pour goûter en apéritif le Champagne Salon 1985. Je viens de boire ce champagne il y a moins d’une semaine, et les saveurs sont identiques. D’une belle couleur d’un or ambré le champagne a un parfum envahissant tant il est fort. La bulle est très active et le vin conquérant. Viril, vineux, il prend possession du palais qu’il ne lâche plus tant sa persistance est infinie. Le foie gras dont la gelée est dardée de petits grains de fruits de la passion l’apaise un peu en l’élargissant. L’ananas confit au contraire affute son côté tranchant alors que la brioche reste d’une neutralité de soir d’élections.

Le menu composé par Frédéric Robert est ainsi rédigé : Homard bleu aux pêches, pointes de sucrine à la vanille / Macaroni farcis aux truffes noires et foie gras, gratinés au parmesan, jus truffé / Thon rouge croustillant poivre et sel, charlottes et oignons des sables laqués / Pigeonneau rôti au sautoir, la cuisse en cromesquis "à la diable", mousseline de fève / Comté millésimé et pain blanc toasté au curry de Madras / Coussin coco-citron piña colada / Mignardises chocolat.

Ayant envie d’essayer des pistes nouvelles j’ai associé au homard un champagne et un vin, pour voir ce qui se passe. On constate sur cet essai comme sur un autre qui suivra que la température de service est cruciale pour la réussite d’expériences osées. Les armoires froides des cuisines sont très froides. De peur que les champagnes y résident trop longtemps nous avons été excessivement prudents en les laissant à température de pièce.

Le Champagne Krug Vintage 1982 fait un contraste saisissant avec le Salon. Au guerrier des Saintes Croisades succède la Princesse de Clèves, référence sarkozienne s’il en est. Le côté floral du Krug est délicat et plein de charme. Sa couleur merveilleuse est mise en valeur par un rayon de soleil couchant qui atteint notre table. Le Château Haut-Brion blanc 1980 est d’un jaune citron de pleine jeunesse. Ce vin est généreux, chatoyant, et joue son rôle d’accompagnateur du homard sans se poser de question. Il se marie bien à la pince tandis que le Krug répond mieux à la chair plus dense de la queue. Aucun des deux cependant ne crée de réelle vibration avec l’excellent homard. Je préfère le Graves sur le plat alors que Bernard préfère le Krug. La diversité des goûts est habituelle.

Tout de go Bernard Pivot me dit qu’il attend avec impatience de lire le compte-rendu de ce dîner, car il est différent de lire les aventures que l’on vit. J’écris donc ce texte avec l’angoisse d’être jugé par celui qui a côtoyé tout ce que la littérature a produit de meilleur. Bernard est étonné que je ne prenne aucune note. Nous abordons maintenant son vin, le Château Beychevelle en magnum 1928. La couleur est belle, d’un rouge de grande jeunesse. Le vin est à peine trouble. Etant servi en premier, je suis sensible à une petite acidité dont j’espère que chacun s’accommodera pour ne pas passer à côté du beau message. Le vin est velouté, rond et joyeux, et l’accord avec le lourd jus truffé est gourmand. L’acidité disparaît vite. Bernard qui n’est pas familier des vins de cet âge constate que son vin n’est pas bu « post mortem » mais bien vivant. La pureté du chatoiement du vin est un plaisir que je prolonge en buvant la lie.

Le thon rouge est un plat osé pour les deux bourgognes, surtout lorsqu’il est bardé dans une chevelure d’or croquante. Il faut ne prendre que la chair pour profiter de la pertinence de l’accord. Un des nouveaux convives qui a lu beaucoup d’épisodes de mon blog sourit de me voir fondre de joie en humant la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976. Le parfum est tellement évocateur de la Romanée Conti que je succombe. En bouche, la salinité délicate me comble d’aise. A côté, le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 surprend Bernard Pivot. Car une couleur aussi jeune ne paraît pas possible pour un vin de 81 ans. Un ami suggère que le vin a été hermitagé, par une ajoute de Rhône ou d’Algérie et Bernard découvre ce mot qui exprime joliment les coupages qui se faisaient à l’époque. La Romanée Saint-Vivant est forte, puissante, saline et subtile. Le Nuits-Saint-Georges est calme et velouté. Les deux se complètent bien sans se nuire. C’est un joli passage bourguignon sur une chair tendre qu’aucun des vins n’émeut réellement.

Au moment où je m’y attends le moins, alors que nous parlons de sujets divers, Bernard Pivot me pose la question finale de Bouillon de Culture : « si Dieu existe, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise au moment où vous le rencontrerez ? ». Je suis pris de court et ma réponse entraîne un « peut mieux faire » du professeur attristé par son cancre d’élève. Je lui explique alors que je ne pourrai sans doute jamais répondre à la question car pour moi, si Dieu existe, il est transcendant et la possibilité qu’il me parle n’existe pas. Toute réponse ne serait que pirouette. Nous lui demandons quelle réponse à cette question l’a impressionné. Il nous répond qu’un écrivain, Jean-Claude Brisville je crois, lui a répondu : Dieu me dirait : « pardon ». C’est d’une puissance extrême.

Sur le pigeon, nous allons faire un autre essai, d’associer la chair rose à un fort vin du Rhône et à un champagne rosé. Cette expérience me tente. La Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1989 est divine. Je crois n’avoir jamais ressenti autant de grâce dans ce vin. Il est habituellement impérial, pompéien, et voici qu’il nous joue, sur ce millésime, la jeune Tarentine. Sous une trame d’une solidité à toute épreuve, ce vin se permet d’être fragile, gracile comme une nymphe dansant sur les fleurs des champs.

Je persiste et signe, la cohabitation du pigeon avec le Guigal et avec le Champagne Dom Ruinart rosé 1986 est possible. Mais le champagne est beaucoup trop froid et sera fini avant qu’il n’ait atteint la température qui permettrait de profiter de l’expérience osée à laquelle je crois. Le champagne est bon mais castré par sa température. Le pigeon est délicieux et ne trouvera d’écho qu’avec la Côte Rôtie alors que j’attendais deux échos.

Le Comté est absolument parfait, ferme, goûteux, sans excès d’affinage. Et l’Anjou Caves Prunier Rablay 1928 que je trouve fatigué et giboyeux est nettement mieux ressenti par mes convives qui ne s’arrêtent pas aux défauts que je vois. Lorsqu’il s’épanouit dans le verre, le vin perd le gibier, gagne en rondeur et en douceur et l’accord vaut bien une messe.

Le Château Climens Barsac 1928 est un liquoreux discret qui a légèrement chassé son sucre. C’est un vin raffiné, de grande classe, mais dont la bonne éducation se transforme en discrétion. Malgré le remplacement du dessert du menu par une surprise à la fraise des bois au goût citronné, l’accord est impossible. Le Barsac doit donc trouver sa voie tout seul, frêle, menu, mais d’un grand raffinement tout de même. Ce n’est pas l’explosion aromatique que trois d’entre nous avions connue avec le Climens 1929, mais c’est un très bon vin.

Ce qui manquait de trompette au Climens se trouve à la puissance cent avec le Belem’s Malvoisie Vin de Madère 1934. Je suis fou de ces vins là, car seul un âge canonique peut révéler des saveurs inconnues, à la sensualité unique. Il y a du poivre, de la griotte, du café, de la réglisse, et ce supplément d’âme qu’apporte la rondeur de trois quarts de siècle. J’étais intervenu pour qu’on ajoute un peu de café aux mignardises au chocolat. Ceci créa le plus bel accord de la soirée.

Il faudra que j’apprenne à compter car je n’ai cessé de penser que nous avions trois vins de 1928 alors que nous en avons eu quatre : le Beychevelle, le Nuits-Saint-Georges, l’Anjou et le Climens. Je crois bien que c’est une première. Il est temps maintenant de voter et ce n’est pas facile. Neuf vins sur onze ont eu des votes, ce qui est plaisant et six ont eu un vote de premier, ce qui montre bien la diversité des goûts. Le Salon 1985, le Beychevelle 1928, la Romanée Saint-Vivant 1976, le Climens 1928 ont eu chacun deux votes de premier et le Krug 1982 et le Madère 1934 ont eu un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976, 2 – Château Beychevelle magnum 1928, 3 – Château Climens Barsac 1928, 4 – Champagne Salon 1985.

Mon vote est : 1 – Belem’s Malvoisie Vin de Madère 1934, 2 – Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1989, 3 – Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée-Conti 1976, 4 – Château Climens Barsac 1928.

Je suis fautif de ne pas avoir prêté plus d’attention à la mise au point du menu pour que les accords soient plus pertinents. La température de certains vins, trop chauds ou trop froids a gêné l’éclosion de plusieurs accords. Certains plats furent splendides, le service attentionné et l’atmosphère chaleureuse, illuminée par la gentillesse et l’étonnement de Bernard Pivot. Quelques amis ne voulaient plus quitter la table. L’un d’entre eux offrit un Champagne Egly-Ouriet qui, lui – c’est rageant – apparut à la température idéale. Oublions les petits détails imparfaits pour ne retenir que l’amitié, la générosité et l’intensité de ce beau dîner.

Amuse-bouche : foie gras de canard, passion, ananas

Homard bleu aux pêches, pointes de sucrine à la vanille (j’ai oublié de photographier)

Macaroni farcis aux truffes noires et foie gras, gratinés au parmesan, jus truffé

Thon rouge croustillant poivre et sel, charlottes et oignons des sables laqués

Pigeonneau rôti au sautoir, la cuisse en cromesquis "à la diable", mousseline de fève

Comté millésimé et pain blanc toasté au curry de Madras

Coussin coco-citron piña colada (remplacé par une surprise à la fraise des bois)

Mignardises chocolat

la table en fin de repas