Le groupe d’américains à l’origine de la dégustation

Voici les deux Clos de Tart 1955, le van der Meulen étant à gauche. Peut-on dire que ce soit sérieux ?
Le groupe d’américains à l’origine de la dégustation

Voici les deux Clos de Tart 1955, le van der Meulen étant à gauche. Peut-on dire que ce soit sérieux ?
Des amateurs américains collectionneurs de vins anciens se sont regroupés en un « wine committee » de la Commanderie d’Amérique de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Ils ont accumulé au fil des ans des bouteilles de Clos de Tart et ont demandé à Sylvain Pitiot, qui gère le Clos, d’organiser une dégustation verticale de 56 millésimes de Clos de Tart de 2005 à 1887. Sylvain, qui sait que je participe à de grandes verticales m’a demandé quelques conseils sur la logistique d’une telle opération et a souhaité que j’ouvre tous les vins anciens. Aussi, le jour dit, je me présente à Clos de Tart, à Morey-Saint-Denis, à midi, pour l’ouverture des bouteilles. 56 bouteilles, c’est un peu plus que ce que j’ouvre pour une séance de l’académie des vins anciens. Sylvain m’aidera en ouvrant les plus jeunes qui ne posent aucun problème, mais trois fois je serai obligé d’intervenir sur les bouteilles qu’il ouvre, car les tirebouchons n’arrivent pas à soulever les parties les plus basses qui restent collées aux parois.
Sylvain n’a aucune connaissance de l’origine et des parcours des vins tout au long de leurs vies. J’ai rencontré beaucoup de situations différentes, et des cas de figure très originaux. Pour plusieurs cas, le haut du bouchon sent la terre avec une évidence indiscutable. L’une ou l’autre sent la serpillière, d’autres l’humus. La 1923 est très étrange, car son niveau a fortement baissé, mais le haut du bouchon sous la capsule est solide comme du roc, sans une seule trace d’humidité. D’où vient l’évaporation ? J’avais demandé une petite collation à prendre pendant les ouvertures, mais on m’emmena pour une pause à la cantine des vignerons, où la profusion de plats délicieux avait toutes chances de me gaver. Boire en ce lieu un vin de Tasmanie, au demeurant fort plaisant, c’est assez psychédélique. Après ce court repas fort riche, je finis les ouvertures. Je découvre un bouchon que je n’avais jamais rencontré : il porte une mention « bouchon de décantage », à l’exclusion de toute autre indication. Après une courte pause au Castel de Très Girard où j’ai ma chambre, je me présente comme les quinze autres personnes à 16 heures dans la salle du pressoir de Clos de Tart.
Il y a autour de Sylvain Pitiot Didier Mommessin et Patrice Noyelle qui représentent la famille des propriétaires de Clos de Tart, le groupe des américains, à majorité de New York, accompagnés d’ Allen Meadows de Los Angeles, qui passe quatre mois par an en Bourgogne et qui est aujourd’hui l’un des plus grands connaisseurs des vins de Bourgogne. Parmi ceux qui seront les témoins de cet événement unique il y a Jancis Robinson, Jeannie Cho Lee, la première femme Master of Wine asiatique que je venais de rencontrer il y a moins d’une semaine, Olivier Poels de la Revue du Vin de France, Christophe Tupinier de Bourgogne Aujourd’hui, Jacques Perrin célèbre écrivain suisse expert en vins et gastronomie, et d’autres encore. Nous aurons huit séries de sept vins.
Pour que l’analyse présente de l’intérêt, j’ai extrémisé mes impressions, déclarant inintéressant un vin qui, s’il était seul, mériterait le voyage. Mais il faut cette exagération du trait pour que les tendances fondamentales n’en apparaissent que mieux.
Clos de Tart 2005 : le nez est très végétal. Il est riche en alcool, son final est très puissant et dynamique. Un vin de longue garde avec du poivre, des épices et du végétal.
Clos de Tart 2003 : sa couleur est la plus foncée. Le nez est épicé, la bouche est déjà plus arrondie. Il est flatteur, plaisant, rond, au final brillant. Plus court que le 2005, il est très plaisant et j’aime bien ce vin subtil.
Clos de Tart 2002 : le nez est droit, sans grande expression. Plus amer, avec moins de puissance et de personnalité. Le final est rêche. Le vin n’est pas très excitant.
Clos de Tart 2001 : le nez est très pur. La bouche est fraîche, printanière. Il est d’une immense subtilité. Le final n’est pas très long, mais c’est un grand vin qui m’évoque le fenouil, l’olive et les épices.
Clos de Tart 2000 : le nez est très doucereux. En bouche on ressent les fruits rouges, groseille et framboise. Le final est très frais. Il est original pour un Clos de Tart, plus agréable que le 1998.
Clos de Tart 1999 : sa couleur est précise. Le nez est un peu poussiéreux. Le corps est un peu rêche, le final est très frais, élégant, mentholé. C’est le plus rafraîchissant. Très subtil il deviendra grand.
Clos de Tart 1998 : le nez est doucereux. C’est le plus évolué de tous. Le corps féminin montre des courbes d’adolescente. Il manque encore de la charpente de l’adulte. C’est un beau vin, un peu rêche.
Mon classement de cette série est 2001 – 2005 – 1999 – 2003, mais je sens qu’en attendant un peu le 2003 doublerait les autres car il s’améliore sans cesse.
Clos de Tart 1997 : le nez est assez floral et varié. L’attaque est très agréable de fruits frais et rouges. Le final est très élégant. C’est une bonne surprise.
Clos de Tart 1996 : le nez est précis, sans trait marqué. La couleur commence à tendre vers l’orange (est-ce l’éclairage très vif ?). Il est plein en bouche, avec une amertume bourguignonne sur le final. Un beau vin solide, mais sans grand panache. Sa forte persistance tient à l’alcool. Il devient plus intéressant quand il s’épanouit.
Clos de Tart 1995 : le nez est discret. Mais on sent le goût du verre. C’est un vin un peu rêche, à la finale amère. Vin peu convaincant.
Clos de Tart 1993 : le léger nez de gibier est confirmé en bouche. Le vin est dévié. C’est un vin faible.
Clos de Tart 1990 : par malheur j’ai un verre qui a modifié le vin, car Sylvain et Jancis me tendent leurs verres très agréables. Mon impression première ne peut donc être significative, car cette année se doit d’être grande et les deux autres verres le suggèrent, sans que j’aie pu l’analyser.
Clos de Tart 1988 : il a un joli nez de vin déjà mûr. La couleur a évolué vers l’orange. La bouche est fluette, mais expressive de vin plus ancien. Le final a une jolie râpe. Il est objectivement trop évolué pour son âge.
Clos de Tart 1987 : le nez est discret. En bouche l’alcool ressort. Il est charnu, sans véritable complexité. Le final est agréable. Mais sans plus.
Je commence à classer ainsi : 97, 96, 88, 87, 90. Mais le 96 progresse et mon classement devient : 1996 – 1997 – 1990 – 1987 – 1988. Cette série se révèlera la plus faible de toutes, avec deux seuls vins méritant l’intérêt en l’absence du 90, abîmé dans mon verre.
Clos de Tart 1986 : le nez est très beau, salin, bourguignon. La bouche est agréable. C’est un vin équilibré au final un peu faible, mais l’impression générale est très positive. Un vin qui n’est pas très Clos de Tart mais que l’on a envie d’aimer.
Clos de Tart 1985 : le nez est peu flatteur. La bouche est élégante, fluide, avec assez peu de matière. J’aime beaucoup le final de sel, de poivre et de végétal. Il est agréable, pas très profond et c’est son final qui est très long et plaisant.
Clos de Tart 1980 : le nez est très bourguignon. C’est typiquement le bourgogne d’une année moyenne dont j’aime l’expressivité en demi-teinte. Ça me plait.
Clos de Tart 1979 : à l’ouverture il avait le nez le plus spectaculaire, et il confirme, avec un nez tonitruant et triomphant. C’est un bourgogne charmant. L’alcool se sent un peu trop et le doucereux aussi. Le final est joli, salin et de fruit rouge. C’est un vin charmant que j’adore.
Clos de Tart 1978 : nez très joli et subtil. Il y a un joli fruit en bouche. Le final salin est un peu trop simple, mais j’aime bien et je me dis que cela va être dur de classer ces vins.
Clos de Tart 1976 : le nez est neutre, la bouche est agréable sans grand discours. Le vin est agréable mais j’attendais mieux.
Clos de Tart 1975 : le nez est faible, fatigué. C’est un vin sans intérêt.
Je classe cette série ainsi : 1979 – 1986 – 1985 – 1980 – 1976.
Clos de Tart 1974 : le nez est salin, discret et alcooleux. L’amertume domine sur un message assez limité. Le final est imprécis.
Clos de Tart 1973 : le nez est très discret, le goût est de fruits rouges, de framboise légère. Il n’est pas très précis, mais plus chaleureux que ce que j’attendais.
Clos de Tart 1971 : l’alcool domine dans le nez. Le vin est fatigué comme les deux premiers de la série, mais il y a ici plus de fruit et un final agréable et long. J’aime son côté bourgogne évolué.
Clos de Tart 1970 : le nez est aqueux, la bouche est aqueuse, le vin est mort.
Clos de Tart 1969 : le nez est agréable et élégant. Il est frais en bouche. Après les quatre premiers, ça, c’est du vin ! J’adore ce vin au final mentholé.
Clos de Tart 1967 : le nez est très bourguignon. Il est plus évolué que le 1969 mais il est très joli aussi. Il a un beau final salin picotant.
Clos de Tart 1966 : il a une sale couleur fatiguée. Son léger goût de caramel obscurcit le message. Il n’est pas inintéressant, mais le coté « cuit » me dérange alors que d’autres l’apprécieront.
Il y a dans cette série des vins plus fatigués qu’ils ne le devraient. Je classe : 1969 – 1967 – 1971 – 1966.
Les couleurs qui étaient devenues de plus en plus orangées et de plus en plus claires avec les vins des années 70 commencent à redevenir plus foncées, ce qui est signe de concentration.
Clos de Tart 1964 : le nez est un peu gibier et fruits rouges. Le vin est adorable, car on commence à entrer dans le monde des vins que j’aime. J’apprécie ce beau vin velouté.
Clos de Tart 1962 : le nez est très agréable. C’est un beau vin de surprise et de plaisir. On me demande d’ouvrir un deuxième 1955 et je le fais en expliquant à tous ma méthode d’ouverture. Par bonheur le bouchon sort entier, comme pour la quasi-totalité des vins que j’ai ouverts.
Clos de Tart 1961 : nez très élégant. C’est un très joli vin, très racé. C’est un très grand vin mais le côté un peu désuet du 1969 me plait presque plus. C’est un très grand vin au nez superbe.
Clos de Tart 1960 : le nez évolué n’est pas pur. Le final est dévié, tendant vers le gibier.
Clos de Tart 1959 : nous en goûterons deux, car l’un d’entre eux est annoncé Vieilles Vignes (VV). Le VV a un très joli nez. Je l’aime beaucoup, même si son alcool se montre. Le second Clos de Tart 1959 se présente dans sa fraîcheur, avec une plus belle couleur. La structure du VV est nettement dominante, et la fraîcheur du second est belle.
Clos de Tart 1957 : le nez m’avait plu à l’ouverture. Il est maintenant joli mais moins impressionnant. L’alcool se montre. C’est dommage.
Clos de Tart 1955 : le vin de Van der Meullen négociant belge à la réputation sulfureuse se présente dans une bouteille en verre rouge qui interdit l’examen de la couleur. Dans le verre, c’est une scandaleuse imposture. Quand on compare au deuxième Clos de Tart 1955 que je viens d’ouvrir, l’écart des couleurs est le même que celui d’un Porto avec un Beaujolais. Le premier a un goût fortifié, c’est de la triche. Le second a un nez un peu brulé. Il est agréable même s’il est un peu trop évolué.
Le classement de cette série est : 1961 – 1964 – 1962 – 1959.
Clos de Tart 1954 : le nez salin est très bourguignon. La bouche agréable est de framboise et le final est salin. C’est un assez beau vin, au dessus de ce que j’attendais.
Clos de Tart 1953 : l’alcool s’exhale. La bouche est très flatteuse. C’est un vin bien épanoui. Le final claque bien. C’est un beau vin très élégant.
Clos de Tart 1952, caves Nicolas : le nez est fin et élégant. Le vin est très élégant. Il n’est pas très Clos de Tart, mais très agréable, au final agréable aussi. Un bon vin un peu hors normes.
Clos de Tart 1951, caves Nicolas : le nez est champignon et cramé. Le vin est dévié et fatigué. Il est mort.
Clos de Tart 1950 à l’étiquette la plus originale et inconnue car elle indique pour quel notaire belge un négociant Couvreur l’a embouteillée : le nez est très agréable ; l’élégance est remarquable. C’est un beau vin, c’est du vrai vin.
Clos de Tart 1949, mise Van der Meullen : le nez est extraordinaire. Il est un peu doucereux, voire sucré et son final est un peu court, mais c’est finasser. C’est un très grand vin.
Clos de Tart 1948 : il est un peu fatigué, son final est déplaisant, même si le vin n’est pas à rejeter.
Je reviens par instinct sur le 2005 et la continuité gustative du 2005 avec les 53, 50 et 49 est spectaculaire. Le classement a évolué en fonction d’un épanouissement considérable du 1953 et je classe : 1953 – 1950 – 1949 – 1954 – 1952.
Clos de Tart 1947 : le nez est très bourguignon avec cette délicieuse amertume salée. La bouche est saline. Il manque un peu de complexité, malgré la puissance qu’on retrouve aussi dans le final. Mais le vin se réveille au galop et devient très très grand.
Clos de Tart 1945 : la couleur est plus belle que celle du 1947. Le nez est très élégant et vivant. C’est un très grand vin vivant et accompli. Je note même : « vin immense » et épanoui.
Clos de Tart 1943 : le nez est de framboise. La bouche est très fruit rouge. Il est vivant et riche, au final de fruits rouges. Un très joli vin qui n’en finit pas en bouche et de belle couleur.
Clos de Tart 1937 de Bouchard Aîné & Fils : l’alcool apparaît dans l’odeur. La bouche est brillante. C’est vin riche et beau qui m’impressionne car il est supérieur à son année.
Clos de Tart 1934 dont la collerette d’année est dans un rond rouge : son nez est peu agréable. La bouche est belle même si la fatigue se sent. C’est le plus fatigué de la série pour l’instant.
Clos de Tart 1929 de F. Chauvenet : sa couleur est magnifique. Il est très clair quand le 1928 est trouble. La bouche est belle, précise. C’est un vin de pure définition. Un vin net, extraordinaire.
Clos de Tart 1928 de Van der Meullen : il est bouchonné, trouble, mort.
Le classement va évoluer en fonction de la spectaculaire évolution du 1947. Il s’établit ainsi : 1947 – 1929 – 1945 – 1937 – 1943. C’est de loin la plus belle série, même en tenant compte du 1928.
Clos de Tart 1923 de Chauvenet : la couleur est trouble, le nez médicinal. La bouche est acceptable, madérisée.
Clos de Tart 1921 Van der Meullen : la couleur est foncée, le nez est médicinal, viré. La bouche est agréable mais le vin est cuit.
Clos de Tart 1916 : la couleur est belle et claire, le nez est très beau. Le vin est frais, limpide, clair et pur. Un très grand vin au final de grande distinction.
Clos de Tart 1915 : le nez est très raffiné. La couleur est très belle. Un vin immense, d’un équilibre fou, d’une jeunesse folle. Avant l’ouverture des vins, par bravade, j’avais dit que le gagnant serait 1915. On n’en est pas loin tant le vin devient de plus en plus jeune et fringant. Allen Meadows m’a fait plaisir en confirmant qu’il avait la même idée en venant ici.
Clos de Tart 1914 Faiveley en demi-bouteille : l’alcool apparaît au nez. La couleur est belle. Le vin n’est pas parfait mais il se boit bien. Le final n’est pas assez net. Intéressant, ce vin est insuffisant. Un autre Clos de Tart 1914 en demi-bouteille Jules Régnier est bouchonné.
Clos de Tart 1900 mise Nicolas : la couleur est belle le nez n’est pas parfait mais acceptable. Il n’a pas le panache que devrait avoir 1900 mais il se réveille progressivement.
Clos de Tart 1887 Bouchard Père & Fils : la couleur est jeune, plus soutenue que celle de ses cadets. Le nez est très subtil, presque trop délicat pour un Clos de Tart. La bouche du seul vin pré-phylloxérique de cette dégustation est merveilleuse. C’est un voyage dans l’inconnu. Un vin magnifique de plaisir.
Mon classement est : 1915 – 1916 – 1887 – 1900.
Cette dégustation est exemplaire, car nous avons pu suivre l’histoire d’un vin en ayant 56 jalons (plutôt 59) posés sur 118 ans. Rien ne permettrait de mieux apprendre un vin. Les années 70 et 80 sont des années de flottement. Sans vouloir le flatter, il est clair qu’un renouveau existe depuis la prise en main par Sylvain Pitiot. Et ce qui m’a fait plaisir, c’est de constater que 2005 montre une continuité gustative avec les vins subtils des années 50. Il est remarquable que Clos de Tart soit quasiment tout le temps présent au rendez-vous des grandes années. 1915, 1929, 1947, 1961 sont des années remarquablement réussies. Nous avons pu mesurer la longévité extrême de ce vin. A part un ou deux, les vins de mise belge Van der Meullen sont une injure au métier de négociant embouteilleur tel qu’il a été pratiqué avant la mise systématique au domaine.
La logistique de la dégustation a été remarquablement réglée. J’ai pu faire la comparaison entre les dégustations de Bipin Desai où les vins, ouverts au dernier moment, sont brutalement carafés et cette dégustation où j’ai ouvert les vins quatre à six heures avant. Ma méthode fait perdre un peu de la fraîcheur. Et pour les vins un peu faibles, leur alcool ressort beaucoup plus. Alors que pour les grands vins à la structure parfaite, l’évolution et l’épanouissement qui se poursuit dans le verre permet d’avoir des vins dans la plus belle expression de leur beauté, très nettement supérieurs à ce que donne l’autre méthode.
Merci à ces collectionneurs américains qui ont rassemblé un témoignage historique unique. Merci à Sylvain Pitiot d’avoir organisé aussi bien cette promenade fascinante à travers le temps. Il y avait comme un début de petite faim, aussi, marchant dans la froidure, nous allons tous dîner maintenant au Castel de Très Girard.
Champagne Pol Roger 1979


Chateau d’Yquem 1927


Bourbon en provenance de la cave parisienne du duc de Windsor (on voit la bouteille en haut de la photo de droite)


Le repas



Les vins du repas

Le lendemain au réveil, le soleil inonde les vignes
La 77ème édition de la Paulée de Meursault se tient au château de Meursault. Dans deux salles immenses, pas moins de 765 personnes serrées comme des sardines vont participer à un déjeuner pantagruélique placé sous le double signe de la générosité et de la démesure. Nous nous sommes mis à table à 12h30, et quand je suis parti à 18h20, j’étais l’un des premiers à quitter les lieux. Jusqu’à quand dura cette spectaculaire profusion de vins, je ne le sais pas.
J’étais invité par la maison Bouchard Père & Fils, et l’on m’avait suggéré d’apporter une ou deux bouteilles. J’en avais pris sept avec moi, pensant choisir sur place ce que j’ouvrirais. Mais dans la chaleur communicative de ce banquet, emporté par l’élan, j’ai ouvert mes sept bouteilles. Et je n’étais pas le seul, car à notre table, un groupe de huit anglais invités par une gazette locale n’arrêtaient pas de puiser dans des sacs sans fond des vins de haute qualité que nous avons échangés avec eux, puisque c’est le principe de la Paulée. Nous sommes assaillis de vins. Je vais en citer, donner parfois un commentaire, sachant que je vais sans doute en oublier la moitié.
A tout seigneur tout honneur, voici les vins de mon hôte, la maison Bouchard Père & Fils. Le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1997 qui montre déjà des signes de maturité et un beau fumé. Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 2005 d’une magnifique jeunesse. Le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1989 et le Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1999, et enfin en magnum, le sublime « Le Corton » Bouchard Père et Fils 1959, un infini régal. Mes vins : un Chambertin Charles Viénot 1934 qui comme plusieurs de mes vins a souffert du voyage puisque son bouchon est tombé. Il m’a fait peur, mais ce fut un vin d’une rare élégance, apprécié de tout notre petit groupe et ailleurs, puisque j’allais offrir mes vins à d’autres tables. Un Chambolle-Musigny Louis Grivot 1949 absolument extraordinaire de vivacité et de charme. Un Corton Charlemagne Louis Affre daté entre 1959 et 1964 par Jean-François Coche Dury qui l’a beaucoup aimé. Un Chambolle-Musigny Domaine Grivelet 1949 affreusement mort, un Bourgogne Louis Max 1949 absolument charmant, terriblement simple mais très charmant, un Volnay Les Caillerets Félix Clerget 1971 délicieux et merveilleusement bourguignon et le plus beau de tous, un Chambertin Clos de Bèze d’un propriétaire au nom illisible installé à Barsac en Gironde de 1945, vin éblouissant de sérénité et d’équilibre. Je n’imaginais pas ouvrir autant, mais la générosité était à toutes les tables.
Voici en outre ce que j’ai goûté, venant de gauche, de droite, arrivant dans le désordre le plus absolu, mais on s’y habitue. Champagne demi-sec Grumier- Andry sans doute des années 50, délicieux à l’attaque mais trop pruneau au final, un Chevalier-Montrachet Louis Jadot les Demoiselles 2004, très beau, Meursault les Meix Chavaux Roulot 2002, Meursault Charmes en magnum Roulot 2006, Volnay Fremiet Clos de la Rougeotte Bouchard Père & Fils 1934 au niveau très bas qui, au-delà de belles évocations, souffrait d’un aspect torréfié lié à la baisse de niveau. Un Beaune Clos des Mouches en double magnum Joseph Drouhin 2006 très bon, très pur, très très bon. Un Bourgogne Coche Dury 2004 d’une puissance incroyable, un Meursault Charmes Comtes Lafon 1992 au sommet de son art, superbe vin riche, opulent. Un Meursault Bouchères Roulot 2007 très beau dans sa jeunesse. Un Corton Charlemagne Coche-Dury 1992 dont Jean-François Coche-Dury conviendra avec moi qu’il est dans une phase de repli, un Meursault Chevalières Coche-Dury 1996 absolument énorme, un Clos de la Roche Coquard-Loison-Fleurot 1989 très fruité mais court, un Meursault Genévrières Comtes Lafon 1996 très bon que j’ai aimé.
Un Vosne-Romanée les Suchots Charles Noëllat 1972 de nos amis anglais absolument splendide, un Meursault Goutte d’or Bouzereau 1998 très fruité, un Echézeaux Méo-Camuzet 2007 très beau même dans l’infanticide, un Volnay Villages Bouchard Père & Fils 1964 ne venant pas de la cave de Bouchard, une Côte Rôtie Côte Brune Jamet 1991 magnifique, un Vosne Romanée les Charmes Méo Camuzet 2000 prometteur.
Un Château-Chalon Denis Bury 1990 plaisant comme ce vin oxydatif sait l’être, un Monbazillac 1957 joliment fruité et ayant mangé son sucre, apporté, comme le champagne du début, par Sébastien, le magicien amateur de vieux vins avec qui j’avais partagé un dîner de vins anciens au château de Beaune. Une femme nous apporte une bouteille de verre blanc de forme champenoise, qu’elle retourne, et dans le liquide rose pétillant, des confettis d’or envahissent l’espace. Il s’agit d’un Crémant « Côte Or » rosé, au goût plaisant.
C’est lorsque la charmante fille d’Andrée Médeville m’a versé Château Gilette 1983 puis Château Gilette 1975 sublime que j’ai décidé que tout pouvait s’arrêter sur ce point d’orgue.
Je suis allé papillonner ici et là avec mes vieux flacons, tentant de convaincre Dominique Lafon, Alix de Montille épouse Roulot ou Pierre Arditi. J’étais en terrain plus conquis avec Philippe Bourguignon, Eric Beaumard ou Jean-François Coche-Dury qui me confia que son grand-père n’avait jamais raté une seule Paulée et que lui-même les avait quasiment toutes faites, tant cet événement bourguignon compte entre les vignerons. Le pauvre Jean-François, si l’on peut dire, connu de tous, assailli de toutes parts, à qui chacun voulait faire apprécier son vin par ce sage de la Bourgogne a dû avaler des quantités infinies de vins de toutes couleurs à un rythme insoutenable.
Comme à la Confrérie du Tastevin au château de Clos-Vougeot le service à table est impeccable. Le menu copieux est fort bon. Le repas a été ponctué de discours, dont celui un peu bizarre du président de la Paulée, Gérard Oberlé, qui vanta ses excès alors qu’il est un rescapé médical. Les chansons bourguignonnes ajoutent au brouhaha sympathique.
Cette Paulée est un événement de pure générosité, où chacun ouvre les flacons qu’il aime et tient à les partager. Tout le monde discute avec tout le monde dans une ambiance d’amitié. On comprend en y participant pourquoi les bourguignons y sont autant attachés.
Les salles où 765 personnes vont partager des vins



Volnay Fremiets Clos de la Rougeotte Bouchard Père & Fils 1934

Chambertin Charles Viénot 1934

Bourgogne Coche Dury 2004


Chambolle-Musigny Louis Grivot 1949 (le millésime est connu par les autres bouteilles que j’ai de ce vin)


Champagne demi-sec Grumier- Andry sans doute des années 50


Pendant ce temps, se déroulait le repas






Beaune Clos des Mouches en double magnum Joseph Drouhin 2006

Corton Charlemagne Louis Affre daté entre 1959 et 1964


Meursault Charmes Comtes Lafon 1992

Meursault les Meix Chavaux Roulot 2002

Château-Chalon Denis Bury 1990

Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 2005


Chambolle-Musigny Domaine Grivelet 1949

Meursault Chevalières Coche-Dury 1996


Volnay Clos de la Barre Louis Jadot 1997

Vosne-Romanée les Suchots Charles Noëllat 1972


« Le Corton » Bouchard Père et Fils 1959


Clos de Vougeot Marc Rougeot-Dupin 2005

Volnay Caillerets Félix Clerget 1971


Bourgogne Louis Max 1949


La salle à manger attend les enfants

Champagne Dom Pérignon 1964

Hermitage Chevalier de Sterimberg Jaboulet Aîné 2005


Chateauneuf-du-pape Vieux Télégraphe 1999


Gevrey-Chambertin Clair Daü 1961


Champagne Dom Ruinart rosé 1990


les vins alignés

coquilles Saint-Jacques


la viande fondante


les diaboliques madeleines de ma femme, selon la recette de l’Astrance

Cela faisait longtemps qu’enfants et petits-enfants n’avaient pas envahi notre maison de leurs rires et de leurs cris de joie. Après mes escapades américaines, il fallait combler ce vide. Ma femme a prévu de nous servir une rillette de thon, des coquilles Saint-Jacques juste poêlées, un gigot de sept heures avec une purée de patate douce, des dés de coings et une petite compote de coing, deux camemberts et un dessert aux pommes poêlées au caramel léger. J’avais pris l’habitude de profiter des repas de famille pour ouvrir des bouteilles en danger et depuis quelques mois, il m’était apparu que mes enfants méritaient des bouteilles ingambes. Aussi mon choix inclut-il les deux.
Dans une vente aux enchères récente, j’avais acquis deux bouteilles de Dom Pérignon 1964 sans les avoir vues. L’une d’elle est très basse ce qui m’a contrarié. Cette bouteille est donc le premier vin du repas, sachant qu’il y a bien sûr une solution de secours. Le muselet n’est pas fermé comme il le devrait et la fine feuille de métal qui entoure le haut de la bouteille a complètement disparu du pourtour du bouchon. Je peux aisément imaginer que quelqu’un a voulu ouvrir cette bouteille dans le passé et a stoppé son geste avant de toucher au bouchon. Il n’y a heureusement aucune conséquence néfaste si l’on excepte la baisse de niveau, et le bouchon que j’extrais provoque un pschitt léger mais rassurant. La bulle du Champagne Dom Pérignon 1964 est faible mais existe. La couleur est d’un rose isabelle, plutôt sympathique. Le nez est joyeux et évoque les fruits jaunes et blancs comme les pêches. En bouche l’attaque est d’une amertume sympathique, puis la complexité prend le dessus, et nous sommes de plain-pied dans les champagnes anciens, aux plaisirs secrets. Mon fils, mon gendre et moi sommes tout à fait sur la longueur d’onde de ces goûts exotiques, étranges et non conventionnels. Nous en jouissons avec un contentement raffiné. La rillette de thon réagit bien sur ce champagne, exhaussant son fruité.
Nous passons à table et mon gendre a préparé lorsqu’il est arrivé une cassolette de cèpes fraîchement cueillis par un de ses voisins. L’ail est juste suggéré, laissant profiter de la tendreté du la chair goûteuse de l’épais bolet. L’ Hermitage blanc Chevalier de Sterimberg Paul Jaboulet Aîné 2005 est exactement ce qu’il faut pour assurer une continuité gustative parfaite. J’adore ce vin. D’un délicat fumé, il est d’une structure forte, d’une juteuse sérénité. Plus le temps avance et plus le charme de ce vin simple mais direct m’enchante. La combinaison est parfaite. Avec les coquilles Saint-Jacques cuites à la perfection, le vin se sent bien, mais la vibration n’est pas la même, plus convenue que celle des champignons. Je ne boude pas mon plaisir avec ce vin au naturel charmant.
Sur le gigot qui se sert à la cuiller, les Ginette ont leur vin. Les hommes se partagent un Gevrey-Chambertin Clos-Saint-Jacques Domaine Clair-Daü 1961. Peut-on imaginer plus bourguignon que ce vin généreux, servi par une immense année. D’un niveau parfait dans la bouteille, d’un parfum le plus pur, ce vin a la râpe bourguignonne, la légère amertume que j’adore, une force alcoolique certain, et offre un plaisir qui ne se divise pas. La chair du gigot accompagne très bien, l’âpreté du coing excite celle du vin, mais c’est paradoxalement sur la patate douce que le vin se trouve propulsé encore plus haut dans l’échelle du plaisir. Nous n’allions ignorer le Ginette’s club plus longtemps. Le Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 1999 est un vin joyeux, rassurant, au beau fruité plein de jeunesse. Mais il vit mal le retour au Gevrey-Chambertin dont la complexité est trop supérieure. On profite cependant du vin du Rhône sans restriction, car il faut le prendre comme il est, naturel, joyeux et sans complexe.
Mon gendre qui avait quelque chose à fêter a apporté un Champagne Dom Ruinart rosé 1990. D’une couleur de pêche jaune rose, ce champagne est un vrai bonheur, qui combine la complexité et la facilité. D’une bulle très active, il trouve un joli partenaire dans les tranches d’une pomme à peine acide, cuites à l’extérieur mais crues à l’intérieur.
De ce repas joyeux je retiendrai deux vins, le Gevrey-Chambertin d’un équilibre bourguignon idéal et l’Hermitage blanc, gorgé de vie, de saveurs irisées, joyeux d’être jeune. Mais la palme est évidemment décernée à la chaleur de l’affection familiale.
Un lecteur fidèle du blog me reproche l’absence de photos sur maintenant plus d’un mois.
Je suis extrêmement en retard, et ce n’est pas le voyage à Los Angeles qui me fera rattraper ce déficit.
Le jour venu, il vous faudra lire plusieurs pages en arrière pour retrouver les photos qui agrémentent les textes.
Désolé pour ce retard et mille excuses.
Ce 12 novembre sont décernés le 12ème prix Edmond de Rothschild et le 2ème prix Nadine de Rothschild couronnant des ouvrages qui mettent en valeur le vin. J’ai l’honneur d’être membre du jury qui décerne les deux prix.
Au très beau domicile de Nadine de Rothschild se pressent ses amis, la presse et des personnes qui comptent dans le monde du vin. C’est bien sûr pour la maîtresse de maison, pour la qualité du buffet, mais c’est aussi pour honorer trois femmes, lauréates de ces deux prix.
Le prix Edmond est remis à Sophie Brissaud pour son livre "Grands Crus Classés, grands chefs étoilés" aux éditions La Martinière.
Le prix Nadine est remis à Corinne Lefort et Karine Valentin pour un petit livre tout frais et mignon : "Grands Palais, 2500 ans de passion du vin" aux éditions Idées Claires.
Les ouvrages qui avaient été choisis pour concourir étaient particulièrement brillants cette année. Le vin reste une matière qui inspire de beaux livres. Le plus documenté de tous est celui de Jean-Robert Pitte aux éditions Fayard : "Le désir du vin à la conquête du monde".
Un des plus grands cavistes de Paris m’appelle. Une jeune coréenne vivant à Hong-Kong, première femme d’origine asiatique ayant obtenu le prestigieux diplôme de « Master of Wine », cherche à rencontrer « le » collectionneur français spécialisé dans les vins anciens dont elle a entendu parler à Hong-Kong. Le caviste me propose de déjeuner avec elle. Je dis oui. Jeannie a écrit un livre sur les vins « Asian Palate » et se spécialise sur les accords des vins avec la cuisine asiatique. Elle voudrait explorer les vins anciens avec les cuisines de l’Orient. C’est un sujet qui ne peut que m’intéresser car j’ai en mémoire que lorsque Joël Robuchon a fait une pause sabbatique en abandonnant ses trois étoiles d’alors, il avait passé son nouveau temps libre à explorer les infinies possibilités de la cuisine chinoise où il a puisé de nouvelles sources d’inspiration. Trouver de nouveaux champs d’expérimentation pour les vins anciens ne peut que m’exciter.
Dans la salle de la cave où l’on grignote, nous prenons un persillé aux lentilles et un mini plateau de fromages. C’est amplement suffisant. L’ami caviste nous fait boire trois vins à l’aveugle. Le premier est doux d’approche, agréable et juteux, et ce qui me plait, c’est qu’il n’en fait pas trop. C’est un Coteaux du Languedoc Domaine de la Marfée, les champs murmurés Thierry Hasard 2005. Disons-le tout net, j’ai beaucoup aimé, car c’est franc, facile à boire, sans chichi et sans fausse note.
Ce n’est pas le cas du vin suivant : Marius, vin de pays des Côtes Catalanes 2005 qui titre 14,5°. Il a en lui tout ce modernisme auquel j’ai un mal fou à me faire. Jeannie dit : « cooked ». Ce vin a, pour elle, un fruit complètement brûlé, cuit, éteint. Elle non plus ne l’aime pas, ce qui doit venir d’un problème de bouteille, car le vigneron qui le fait n’est pas connu pour mal faire.
La belle surprise, c’est le vin Peyre Rose Oro, Coteaux du Languedoc blanc 1996 de Marlène Soria, une magicienne du vin. Ce vin d’une couleur inspirée par le nom, virant vers le rose, est assez fumé, avec des notes oxydatives qui évoquent le Jura ou un vin de Bourgogne ayant prématurément mûri. Mais ce vin bien sec, d’une forte personnalité se boit avec un plaisir certain. Je le trouve parfait, car il joue juste. Deux bonnes pioches, c’est un score excellent. Je suis ravi de ces découvertes. Nous avons bâti avec Jeannie des pistes de travail. Des pistes de goûts nouvelles, voilà qui excite le palais et le cortex.