Abnégation, je vous dis mardi, 11 octobre 2011

Abnégation, abnégation, tout, dans ma vie, n’est qu’abnégation. Devant préparer le 150ème dîner, qui, selon une logique toute booléenne, doit apparaître après le 151ème, je me rends au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët, pour mettre au point avec le chef Bernard Dance le menu du dîner. Je m’annonce à la porte électrique et lorsque je mets pied à terre, Bernard Dance, Romain le sommelier et Hélène, la maîtresse des lieux, sont là pour m’accueillir. Une coupe de Champagne Moët & Chandon 2002 effacerait un décalage horaire si mon voyage en avait un. Comme ce n’est pas le cas, il montre surtout sa franchise et un épanouissement qu’il n’avait pas jusqu’alors. Ce champagne fait sens aujourd’hui, avec une richesse et une opulence que seul l’âge peut lui donner. Trois cuillers, de saumon, de foie gras et de concombre lui trouvent de belles vibrations.

Nous sommes trois dans la belle salle à manger, fleurie d’hortensias roses et bleus, Stanislas, Bernard Dance et moi. Le chef a conçu un menu qui ne doit pas préfigurer ce que nous ferons dans un mois, mais doit permettre de réfléchir. Le menu est : noix de Saint-Jacques à l’émulsion de pamplemousse / filet d’agneau en croûte de tapenade d’olive et petits légumes / plateau de fromages / éclair macaron ganache Tagada sauce menthe.

Le Champagne Moët & Chandon magnum 1985 a un nez spectaculairement beau. C’est une belle surprise. La bouche est belle, mais le nez de grande race domine. On sent du miel, des blés blonds dans ce vin. Bernard m’explique que l’émulsion de pamplemousse est dimensionnée pour un 2002. Il faudrait l’atténuer pour un 1985, mais je ne boude pas mon plaisir. Sur l’agneau, un Champagne Moët & Chandon rosé 1981 est très pertinent. Sa couleur est d’un rose intense, son nez est discret. En bouche le vin est très adapté au plat.

J’ai dans ma musette une arme de compétition. J’ai apporté une Côte Rôtie La Turque Guigal 1995. Ce vin légendaire est d’une richesse extrême, avec des évocations de fenouil et d’anis qui sont rafraîchissantes. Et l’on constate avec plaisir que le plat réagit aussi bien à la Côte Rôtie que j’ai trouvée plus discrète qu’elle ne pourrait qu’au champagne rosé délicat mais joyeux.

Sur des fromages très crémeux, la Turque et le rosé sont pertinents. La Turque dit au revoir lorsqu’arrive le dessert qui allume mille lanternes évocatrices de souvenirs d’enfance. La mâche du macaron est diabolique.

Pendant tout le repas, nous avons décliné les plats qui conviendraient aux vins du 150ème dîner. Le dialogue avec Bernard Dance est ouvert, fécond, car il comprend la prédominance des vins, et ne sent pas son art diminué par cette majeure. Nous avons bâti un repas de folie, qui va s’affiner dans les semaines à venir.

Nous passons au salon où le café se pousse avec un Cognac Paradis, antichambre d’une sieste bien méritée. Abnégation, je vous dis.

repas avec un beau Chambertin Clos de Bèze dimanche, 9 octobre 2011

Il pleut, mais cela ne trouble pas la beauté des feuilles d’automne dans la forêt de Fontainebleau. Nous allons déjeuner dans la maison de campagne de ma fille cadette. C’est mon gendre qui cuisine. Il ouvre un Champagne Krug Grande Cuvée que je trouve un peu trop vert. Il est bon sur des crevettes roses, mais il faut impérativement faire vieillir la Grande Cuvée avant de la boire.

Sur de délicieuses coquilles Saint-Jacques juste poêlée avec un riz parfumé par de petits poireaux du jardin potager, nous goûtons un Chassagne-Montrachet Domaine Ramonet 1988 au parfum intense et prenant. Le goût de ce vin est aussi intense, avec un fruit très riche et une belle acidité.

Pour des seiches cuites avec un bouillon de têtes de crevettes, c’est le Chambertin Clos de Bèze « Domaine Marion » Bouchard Aîné et Fils 1967 qui convient le mieux. Le bouillon donne au vin une profondeur extrême. Le vin est riche, fruité, d’une rare jeunesse. Et il est follement bourguignon. C’est un très grand vin.

Contrairement à ce que je pouvais imaginer, le vin rouge va moins bien avec des filets de rougets, même si l’accord fait sens. Quelques gouttes d’un fond de Maury Mas Amiel 1969 forment un accord convenu avec la mousse au chocolat. Je la préfère avec le vin de Bourgogne, même si le Maury est plus pertinent. Mon gendre a cuisiné des produits de grande qualité avec des cuissons justes, ce qui a donné à ce repas le rayon de soleil que le ciel nous refusait.

dîner chez Jonathan – les vins samedi, 8 octobre 2011

Champagne Cédric Bouchard « La Bolorée » 2006

Champagne de Castellane brut 1949

Hermitage blanc – J.L. Chave 1989

Château de l’Etoile – Vin de l’Etoile 1967

Château Haut-Brion 1990

Château Margaux 1934

Beaune Grèves mise Nicolas 1952

Torbreck « The Laird » Australie 2005

Champagne Dom Pérignon 1969

Château Suduiraut 2001

Château Loubens – Sainte-Croix-du-Mont 1942

une cuisine brillante de Jean-Philippe Durand samedi, 8 octobre 2011

Jonathan vit maintenant en Australie. Quand il vient à Paris, c’est l’occasion de dîners fous. Celui-ci se tient dans la maison de son père, avec ses parents, un américain de Boston, un couple de suédois de Malmö, avec Jean-Philippe aux fourneaux, assisté pour les desserts par un jeune normalien en première année de la rue d’Ulm. Pour la première fois Jean-Philippe restera en cuisine de bout en bout, et comme nous dînons dans la pièce immense, en prolongement de la cuisine, il pourra entendre nos applaudissements et nous expliquer ses créations.

Je crois que jamais Jean-Philippe n’a été aussi inspiré comme on peut en juger en lisant ce menu : Noix de St Jacques crue – Betterave blanche – Wasabi / Huître pochée – Camembert – Cardamome / Polenta – Fruits de la passion – Coques / Joue de boeuf – Navet « boule d’or » / Cervelle de veau – Chorizo / Noix de St Jacques – Sauce douce, condiment amer / Filet de sole – Chou-fleur – Badiane / Homard – Céleri rave – Pommes de terre fumées / Ris de veau – Sauce Havane /Quasi de Veau – Cèpes / Canard des marais – Fagioli rizina à la rose- Sauce Hibiscus / Boeuf de Salers – Radis « Red Meat » – Sauce Fruits noirs-cacao / Coing, huile d’olive, fleur de sarriette, crème de combawa / Mirabelle, verveine et citron vert, lait d’amande, riz grillé / Fine tarte sablée agrumes-sauge / Matcha, orange amère, figue et kumquat.

Etant arrivé une bonne heure avant le repas, j’ai le temps d’ouvrir les vins. Le Château Margaux 1934 au niveau mi-épaule a un affreux bouchon, noir et poussiéreux sur le dessus et très imbibé en bas. L’odeur de chiffon humide est désagréable, mais on sent qu’un retour en grâce pourrait se produire. Les autres vins sont sans histoire.

Nous passons tout de suite à table, car le premier champagne va accompagner les cinq premières préparations absolument délicieuses et d’un éclectisme rare. Le Champagne Cédric Bouchard « La Bolorée » 2006 est original car il est fait de pinot blanc. Très précis, il est racé, présent, et malgré sa jeunesse, il a une personnalité affirmée. J’aime beaucoup ce champagne. La joue de bœuf lui convient bien et c’est sur les coques que la vibration est la plus forte.

La bouteille du Champagne de Castellane brut 1949 est très belle, le millésime étant inscrit sur le coin de l’étiquette qui semble pliée comme un bristol. Le bouchon se brise et est extirpé au tirebouchon sans qu’un pschitt n’apparaisse. La couleur est joliment ambrée, la bulle a disparu mais le pétillant est bien présent. La complexité de ce champagne est spectaculaire et appartient à ce millésime légendaire. Avec la noix de Saint-Jacques, l’accord est exemplaire.

L’Hermitage blanc – J.L. Chave 1989 a un nez riche et ensoleillé. Le vin profite de sa maturité. Son discours est assez simple, mais il compense par sa joie de vivre entraînante. La sole lui donne du raffinement.

Le Château de l’Etoile – Vin de l’Etoile, 1967 fait dire à mon voisin de table suédois : « c’est le plus grand vin de ma vie ». Ce vin est d’une originalité particulière, comme le sont le plus souvent les vins du Jura. De belle râpe, avec des fruits jaunes et un vineux fort, il brille sur le succulent homard et surtout sur les pommes de terre dont le fumet au thé correspond au léger fumé du vin.

En ces temps où les bordeaux deviennent inaccessibles du fait de leurs prix, il est de bon ton de dire qu’il y a mieux et moins cher dans d’autres régions. Le Château Haut-Brion 1990 arrive à point nommé pour montrer que pour faire mieux, il faut se lever de bon matin. Car ce bordeaux est génial. Il a tout pour lui comme Luciano Pavarotti. Il est juste, précis, puissant, riche, d’une structure inébranlable. La sauce Havane du ris de veau renforce, s’il en était besoin, sa perfection.

Après ce vin remarquable, je sens le Château Margaux 1934 avec une petite anxiété. L’odeur du vin est revenue dans le droit chemin. Je goûte le vin et il apparaît que ce vin est un peu fatigué, n’est pas parfait mais est fort agréable. Lorsqu’on a admis qu’il n’est pas parfait, on retrouve avec plaisir le charme de Margaux, avec un velouté très convaincant et une trame bien assise. Le quasi de veau l’a aidé à se restructurer et les cèpes lui ont donné un judicieux coup de fouet.

Le nez du Beaune Grèves mise Nicolas 1952 était d’un bourguignon « bourguignonnant » à l’ouverture. Il est follement séducteur quelques heures plus tard. Ce vin a un charme exceptionnel. La transition bordeaux- bourgogne donne toujours un supplément d’âme aux bourgognes. La sauce hibiscus exacerbe le côté pétales de rose du vin de Beaune. Il est d’une qualité nettement supérieure à ce que j’attendais.

Le bœuf de Salers vaut tous les wagyu du monde. Quelle viande ! Le Torbreck « The Laird » Australie 2005 est une syrah qui titre 14,8°. Cette cuvée confidentielle est faite de vignes d’avant 1950, et je suis extrêmement impressionné par la réussite de ce vin. Il est frais, presque mentholé, et sa délicatesse et sa finesse sont confondantes. Ce vin est adorable, et joue dans la ligue des Vega Sicilia Unico. C’est un très grand vin. La sauce cacaotée fait apparaître les arômes chocolatés du vin, créant un bel accord avec la viande de compétition.

Le Champagne Dom Pérignon 1969 est impérial, brillant, comme tous les Dom Pérignon de la décennie 60.

Le Château Suduiraut 2001 est un très joli jeune sauternes qui réagit remarquablement aux desserts exceptionnels de Rémi. Comment peut-on avoir autant de talent quand on a vingt ans à peine ?

Le Château Loubens – Sainte-Croix-du-Mont 1942 est très agrumes et citron confit. Le kumquat et l’orange amère lui vont divinement bien.

La palme vient incontestablement sur le front de Jean-Philippe et sur celui de Rémi. Mais les vins ont été brillants. Le Castellane 1949, l’Etoile 1967 et le Beaune Grèves 1952 ont la palme de l’originalité. Le Haut-Brion 1990, le Dom Pérignon 1969 et le Torbreck 2005 ont la palme de l’excellence.

Ce fut un très grand dîner.

151ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 6 octobre 2011

Le diner de wine-dinners de ce soir devrait être le 150ème, mais ce numéro est déjà réservé pour un dîner qui se tiendra au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët & Chandon, qui avait accueilli naguère le 100ème dîner. Alors, nommons-le 151ème, avec cette vertu arithmétique d’une logique relativiste.

Un journaliste espagnol qui est spécialisé dans la gastronomie et le vin m’avait demandé de filmer ce repas qui se tient au restaurant Ledoyen. Nous sommes installés dans le grand salon « Cariatides II » du premier étage dont la terrasse est gardée par quatre cariatides imposantes qui regardent vers une fontaine dont le centre est occupé par une Vénus à la pose lascive et vers un kiosque à musique caché dans la perspective du jardin. Le pavillon Ledoyen est une bonbonnière nichée dans le cadre le plus beau de Paris, dans un petit bois reliant le Grand Palais à la place de la Concorde.

En attendant les journalistes, je range les douze bouteilles du dîner. Quand ils arrivent, j’officie, et malgré la diversités des situations des bouchons, aucun ne me pose de problème, même celui du vin de 1918 qui tombe en miettes. Je montre au journaliste un fait étonnant : à l’ouverture, le vin de 1918 senti au goulot n’est que de la terre, une terre forte et dense. Une minute plus tard, la terre est moins sensible et le vin, muet jusqu’alors, commence à parler. Deux minutes plus tard, l’odeur du vin chasse celle de la terre. Nous verrons comment se poursuivra cette évolution. Le Guiraud 1959 est intense, d’une richesse de fruit rare, et le Massandra 1936 est à se damner. Je mourrais pour de tels parfums marqués au citron vert et aux fruits capiteux. Tout semble se dessiner au mieux, même si le sûr n’est jamais sûr.

Pour encourager les journalistes, je demande à Géraud un bon champagne en demi-bouteille et il me suggère un Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas-François Billecart 1997. Quel bon champagne ! Je suis très agréablement surpris par la qualité, l’audace et l’allant de ce beau brut. Voilà un beau départ et une façon aimable d’attendre les convives.

Nous sommes onze, dont trois femmes, et les habitués des dîners sont huit, trois nouveaux venant tenter l’aventure de ces dîners. Après les traditionnelles recommandations, nous passons à table sans avoir trinqué debout, car le menu prévoit deux amuse-bouche dès le premier champagne.

Le menu créé par Christian Le Squer est ainsi rédigé : Foie gras passion – Sardines à cru, en amuse bouche / Pâté en croûte, fine gelée de cuisson / Bouquet du jardinier aux saveurs marines / Cèpes de châtaignier crus et cuits et marmelade d’aubergine / Sole de ligne étuvée aux senteurs des bois / Pièce d’agneau rôtie / Pigeon poudré de noix : jus de poire – cresson / Stilton / Ananas et mangues , givré de citron / Mignardises.

Le Champagne Dom Pérignon 1992 est une joyeuse surprise, avec sa couleur blonde comme des blés de printemps. Lorsque 1992 est inclus dans une dégustation verticale de Dom Pérignon, on constate qu’il est moins charpenté que les années brillantes. Mais là, seul en représentation, il est tout simplement charmant, joyeux, plein en bouche comme un grand Dom Pérignon. Je suis heureux qu’il se comporte aussi bien, l’âge lui ayant donné une maturité sereine.

Avec le Champagne Charles Heidsieck Royal 1969 nous entrons dans le monde des champagnes anciens. La bulle a presque disparu mais le pétillant est bien présent. La couleur est d’un abricot léger. Le goût de ce champagne est confondant, car il aligne les complexités. Et le pâté en croûte, le plat le plus goûteux du repas lui donne un coup de fouet de première grandeur. Ces champagnes anciens sont des régals.

A l’ouverture, le parfum du Corton Charlemagne Louis Affre vers 1959 était spectaculairement riche. Quelques heures plus tard, il n’a rien perdu de cette force. Il évoque les fruits jaunes, comme la belle couleur de sa robe. En bouche, c’est un beau vin riche, un peu simple mais extrêmement plaisant. J’imagine volontiers que le négociant qui a embouteillé ce vin n’imaginait jamais qu’il puisse devenir aussi voluptueux. La délicieuse gelée du plat de poisson cru est un régal avec le vin.

Nous allons maintenant goûter quatre bordeaux d’années que je chéris, par séries de deux sur les deux plats qui suivent. Le Château Calon Montagne Saint-Emilion 1961 surprend tout le monde par sa richesse, sa densité, et son accomplissement lié à son millésime légendaire. Il faut fait dire que les cèpes arrivent à exhausser le goût du vin comme un haut-parleur réglé sur le maximum. Les votes vont couronner cette divine surprise.

Le Château Pavie-Decesses Saint-Emilion 1945 est plus assis, plus construit, avec la densité d’un Saint-Emilion. C’est un vin rassurant qui n’a pas pris une seule ride et 1945 est une année accomplie. On aime les deux vins bus sur les cèpes et le Montagne Saint-Emilion ne souffre en aucun cas de la juxtaposition.

J’ai un amour particulier pour l’année 1955 aussi suis-je conquis par l’élégance du Château Pontet Saint-Emilion 1955. Il est romantique, délicat, féminin et je succombe à son charme.

Il fallait que le quatrième bordeaux change de rive et j’ai voulu mettre à ce dîner le Carruades de Château Lafite 1929 pour faire un petit clin d’œil. Dans la folie tarifaire qui a propulsé le Château Lafite-Rothschild au sommet des prix, le Carruades de Château Lafite a suivi dans son sillage à des prix que ne justifie pas sa valeur gustative. Alors, pour prouver que ce vin se boit aussi, j’ai voulu ouvrir le 1929 qui atteindrait des sommets en salle de vente. L’intitulé de l’étiquette est le suivant : « Grand Cru des Carruades / près Lafite-Rothschild / Pauillac (Médoc) / 1929 / G. Bonnefous propriétaire« . Il faut bien noter ce « près ». Le vin ne peut pas cacher son âge mais comme c’est un 1929, il a du répondant. Velouté, il est relativement peu structuré mais nous délivre un discours charmant. La sole aux senteurs de bois lui convient parfaitement. Encore une fois, la juxtaposition de deux vins d’âges différents ne nuit à aucun des deux.

Le Grand Chambertin Sosthène de Grésigny Jules Régnier 1918 fait partie des bouteilles que je chéris. Le bouchon noir s’était déchiré en mille morceaux. L’odeur première, de terre, aurait fait rejeter ce vin par un amateur peu averti. Maintenant, près de cinq heures après l’ouverture, l’odeur est claire, précise et sans défaut. Et en bouche ce vin récite tout le dictionnaire des arômes de Bourgogne, dont celui des pétales de rose qui sont si caractéristiques. Bien vivant même s’il ne triche pas sur son âge, il est doucereux, joyeux et follement bourguignon. Ce sont des récompenses, car j’ai fait confiance à ce vin. L’agneau très simple est délicieux et lui va bien.

Par caprice, j’ai voulu mettre maintenant deux vins de quatre-vingts ans plus jeunes, qui plus est, de deux régions distinctes, sur le pigeon goûteux. Et là encore cela fonctionne, comme on dit en langage managérial, sans qu’aucun vin n’en souffre. Il faut dire que les deux 1998 sont des aristocrates polis.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998 est dans un état de jeunesse enthousiasmant. On sait mon amour pour les vins du Domaine et en particulier pour la Romanée Saint-Vivant, romantique et délicate, ciselée, précise et charmante. J’adore le sel et la rose, même s’ils ne sont qu’en filigrane, tant le fruit est prégnant. C’est un très grand vin qui cohabite à la perfection avec son conscrit plus au sud, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1998, monument de fraîcheur, de rectitude et de jouissance. Le pigeon est fait pour ces deux vins charnus et joyeux, qui n’écrasent en rien les aînés qui les ont précédés.

Le Château Guiraud Sauternes 1959 m’avait surpris par la force de son parfum. Il l’a toujours. Dans les mangues mais plus encore sur les agrumes, il est dans une plénitude absolue. C’est un sauternes équilibré, solide et convaincant. Un grand Guiraud, même si mon cœur va plutôt vers ceux qui ont cinquante ans de plus. Le Stilton est exactement ce qu’il fallait pour mettre en valeur les agrumes du vin.

Le Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936 m’avait tétanisé par son parfum à l’ouverture. Il y avait du citron vert avec du poivre sur un fond de fruits confits. Et là, la magie opère, car la complexité est infinie. Il est doucereux comme une liqueur, fringant comme un porto, et par certains côtés, son poivré m’évoque mes chouchous, mes vins de Chypre de 1845. Alors, on comprendra que mon vote ait penché de ce côté-là.

Drame dans la vie d’un homme, j’ai perdu la feuille sur laquelle j’ai consigné les votes des onze convives. Grâce à leur aide du lendemain, j’ai pu reconstituer la majeure partie des votes, mais ce n’est pas pareil. Sur douze vins, dix figurent sur au moins l’une des feuilles de vote, ce qui évidemment plaisant.

Six vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers, ce qui aussi excite ma fierté car six vins préférés par au moins l’un des convives est une preuve de qualité. Mais cela montre aussi la diversité des goûts, ce qui me ravit.

L’ordre des votes montre que mes convives ne se sont pas laissé éblouir par les vins dits d’étiquette.

Le vote du consensus est : 1 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918, 2 – Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936, 3 – Château Calon Montagne Saint Emilion 1961, 4 – Château Guiraud Sauternes 1959, 5 – Château Pavie-Decesses Saint Emilion 1945.

Mon vote est : 1 – Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936, 2 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918, 3 – Château Pontet Saint Emilion 1955, 4 – Château Guiraud Sauternes 1959.

Les journalistes qui ont filmé le dîner n’ont en aucun cas bridé nos discussions enjouées, riantes, amicales. Christian Le Squer a fait une cuisine absolument idéale pour ce repas. Les plats qui ont mis en valeur les vins de la façon la plus spectaculaire sont le pâté en croûte et les cèpes. Tous les autres plats ont été d’une justesse remarquée. Le service fut parfait. Grâce aux rires et la bonne humeur de tous, mais aussi grâce aux vins, ce fut un grand repas. Cent-cinquantième ou non, il prend date dans l’histoire des dîners de wine-dinners.

151ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 6 octobre 2011

Notre salon du restaurant Ledoyen vu du jardin (semblant collés à la toiture, des pignons du Grand Palais)

notre salon est protégé par des cariatides – l’une des cariatides me fait penser à Cameron Diaz

la Vénus de la fontaine du parc (qui est peut-être une Diane) a un déhanchement assez lascif

le kiosque de musique dans la perspective du jardin

dans le salon, notre table

les vin, disposés avant l’ouverture

je sens le parfum envoûtant du vin de Massandra 1936

Les vins et les bouchons

dans l’ordre des photos, les bouchons du Carruades 1929, du Pavie Decesses 1945, du Massandra 1936, puis, Guiraud 1959, Chambertin 1918, Pontet 1955, Corton Charlemagne 1959, Calon 1961, les deux 1998, Romanée Saint-Vivant et La Landonne

tous les bouchons

le Champagne Billecart Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 1997 bu avec les journalistes

les plats du dîner

la table en fin de repas

151ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 6 octobre 2011

Champagne Dom Pérignon 1992

Champagne Charles Heidsieck Royal 1969

Corton Charlemagne Louis Affre vers 1959 (la marque de l’année en lettres jaunes sur fond blanc est devenue illisible)

Château Calon Montagne Saint Emilion 1961

Château Pavie-Decesses Saint Emilion 1945

Château Pontet Saint Emilion 1955

Carruades de Château Lafite 1929

Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918

Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1998

Château Guiraud Sauternes 1959

Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936