restaurant Garance, le restaurant de Tomo mardi, 13 novembre 2012

Tomo, mon ami japonais avec lequel j’aime déguster des vins très rares, ouvre officiellement son restaurant Garance.

L’adresse est 34 rue Saint-Dominique Paris 7ème et le numéro est 01 45 55 27 56.

On peut dès maintenant réserver des places.

Chef Guillaume ISKANDAR

Sommelier Guillaume MULLER

Pour la petite histoire, j’ai l’honneur d’avoir suggéré le nom de ce restaurant. Nous parlions d’atmosphère et naturellement lorsqu’on parle d’atmosphère, le nom d’Arletty vient à l’esprit. Et Arletty, c’est la sublime Garance des Enfants du Paradis.

En allant au restaurant Garance, vous serez des enfants du paradis.

Dîner de Gala de l’Académie du Vin de France mardi, 13 novembre 2012

L’Académie du Vin de France a son siège au restaurant Laurent. A 17 heures, l’assemblée des membres de l’académie tient ses travaux. A 19 heures, au premier étage du restaurant, les vignerons membres offrent à déguster leurs 2010 ou 2011 et parfois quelques autres années en une sympathique Paulée à la bourguignonne. Le groupe s’étoffe d’amis et invités par les membres de l’académie. La foule étant nombreuse, il faut savoir se faufiler aussi la première étape de mon chemin de choix sera La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2009, au parfum tétanisant. Je suis revenu plusieurs fois goûter ce vin au charme diabolique. Il est parfait à ce stade de sa vie. Il va certainement se refermer dans quelque temps, pour s’épanouir à nouveau et devenir un vin immense. A côté de lui un vin de Dujac de 2010 dont je n’ai pas noté l’appellation (on en prend pas de notes dans ce cénacle) est extrêmement gourmand et généreux alors qu’un Volnay de Montille est d’une grâce d’une distinction remarquables. Il y a un quarantaine de vins présentés. Le Meursault Charmes Comtes Lafon est goûteux, que j’ai préféré au Meursault Genévrières. J’aime l’Hermitage blanc de Chave et le Château Simone blanc. Les bordeaux sont servis beaucoup trop froids au moment où je viens les goûter. Le Jurançon Cauhapé Quintessence du Petit Manseng est une merveille ainsi que le Château de Fargues, subtil tout en étant d’une belle puissance. Pris dans le mouvement, je ne suis pas sûr des millésimes.

Bien sûr on bavarde avec les vignerons présents, et l’on redescend pour un apéritif debout dans la salle ronde qui est l’antichambre du restaurant. Le Champagne Pol Roger 2002 se boit bien, mais il n’a pas la vibration qu’il pourrait avoir.

Le dîner est placé et je suis à une table où Gérard Chave et Jean-Louis Chave sont présents comme Hubert de Montille et sa fille Isabelle. A côté de moi Elizabeth Graillot et Olivier Jullien. Un ou deux amis des vignerons complètent le tour de table.

Le président Jean-Robert Pitte salue l’assemblée et confirme la nomination d’Olivier Bernard, impétrant l’an dernier et membre cette année. Celui qui le suit d’un an, impétrant aujourd’hui, est Olivier Jullien. Il est venu en tenue de vigneron et ça ne gêne personne tant son sourire lui ouvre toutes les portes. J’aurai au cours du repas de longues conversations passionnantes avec lui sur l’histoire et la longévité des vins.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon avec Alain Pégouret est un chef-d’œuvre de pertinence des accords mets et vins. Il faut dire qu’il a donné lieu avec quelques académiciens à des essais en vraie grandeur. Que ne ferait-on pas pour satisfaire cette docte assemblée. Voici le menu : homard en bouillabaisse froide / trompettes de la mort juste rissolées, crémeux d’œuf et jaune coulant sur un fin sablé au parmesan / tronçon de turbot poché, champignons de couche, sauce hollandaise / joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba / Saint-nectaire, l’un d la ferme du Puy de la Bade et l’autre de la ferme Guillaume / gaufrette aux litchis, crème de châtaignes.

Mes trois plats préférés sont les joues de bœuf, le homard et les trompettes de la mort.

Le Palette, Château Simone blanc 2005 a une belle structure, d’une construction solide. Mais le vin est dans une phase où il n’est pas encore parfaitement épanoui et assemblé. Il est agréable, mais on sent qu’il faudrait l’attendre encore. Le homard délicieux lui va bien.

Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 a un nez qui explose de soufre ou qui donne cette impression de soufre. Extrêmement minéral, il paraît d’une jeunesse folle. Il me met un peu mal à l’aise, car lui aussi paraît ne pas être arrivé à un point d’équilibre. Il se confirme que 2005 est une année qu’il faut attendre. Les trompettes de la mort donnent de l’ampleur au vin et le rééquilibrent.

Le Puligny-Montrachet "les Pucelles" Domaine Leflaive 2005 se présente dans des bouteilles dont les évolutions sont différentes. Certaines bouteilles, selon ce que j’entends, ont une oxydation sensible. Daniel, le fidèle sommelier complice de mes dîners m’a servi du vin d’une bouteille parfaite. C’est un vin joyeux, fonceur, charmant et épanoui que j’ai la chance de déguster. C’est avec la chair du turbot qu’il faut en profiter, sans la sauce hollandaise bien sûr.

Si les blancs avaient tous, de façon plus ou moins prononcée, un problème de puberté, le Domaine de Chevalier rouge 2005 arrive comme d’Artagnan avec une assurance insolente. A ce stade de sa vie, ce vin ne pourrait pas être plus parfait. Et comme il est accompagné d’un plat d’une gourmandise invraisemblable, il en profite au mieux. C’est surtout avec la moelle que le vin s’exprime le mieux. Il est goûteux, charnu. C’est un vin de plaisir.

Le Château Branaire-Ducru 2005 a un parfum qui dénote lui aussi que le vin n’a pas trouvé son équilibre. S’il est plus profond que le Domaine de Chevalier, il n’a pas d’épanouissement. On boit un vin en devenir, qu’il faut avoir la patience d’attendre.

Le Château Corbin-Michotte 2005 a un nez d’une forte personnalité. Ce vin n’est pas charmeur, il interpelle. L’image qui me vient est la chanteuse Barbara. On ne peut pas dire qu’elle était belle, mais sa présence était d’une force extrême. Ce vin est ainsi, il a des choses à dire, il raconte, sans orthodoxie, mais avec intérêt.

Le Gewurztraminer Vendange Tardive Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2005 a un nez de litchi et de douceurs, si bien que le dessert lui est indissociable, d’une pertinence absolue. C’est un grand vin, d’un grand charme, mais je ne lui ai pas trouvé l’extrême justesse qui caractérise les vins de Zind-Humbrecht. C’est un grand vin.

Jacques Puisais, selon une solide tradition, a fait une analyse des vins et des accords. Poétique, déroutant souvent, attentif à des détails auxquels on ne songe, Jacques a été brillant comme il sait l’être, malicieux, nous entraînant dans l’irréel , dans l’inattendu, voire dans le surprenant. Lors de précédents dîners, il ajoutait parfois des suggestions érotiques voire grivoises. Ici, son discours a été marqué par l’amour. Souvent il a fini l’analyse d’un plat et d’un vin par un "ils s’aiment" déterminé. Il s’aiment. Circulez, il n’y a rien à voir !

Bavardant après le repas avec des amis d’autres tables, j’ai pu constater que nos analyses des performances des vins sont toutes différentes. Le Corton Charlemagne fut le seul à déclencher l’applaudimètre, et Philippe Bourguignon m’a dit que pour lui c’est un signe fort. Michel Bettane n’a pas vibré autant que moi sur le Corbin-Michotte.

Mon classement personnel est : 1 – Corbin Michotte 2005, 2 – Domaine de Chevalier 2005, 3 – Gewurztraminer Vendange Tardive Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2005, 4 – Puligny-Montrachet "les Pucelles" Domaine Leflaive 2005.

Ce qui est marquant, à mon point de vue, dans un tel dîner, c’est la gentillesse des vignerons, leur générosité aussi, de faire connaissance avec le brillant vigneron du Mas Jullien, la pertinence des accords mets et vins et pour finir, La Tâche 2009 qui sera un monument dans quelques années.

Ouverture pré-officielle du restaurant de mon ami Tomo mardi, 6 novembre 2012

Tomo, le fidèle ami avec lequel j’ai bu deux Romanée Conti pour le film "les quatre saisons de la Romanée Conti" a enfin son restaurant. Débordé par les procédures et les formalités il a mis trois ans pour aboutir. L’ouverture officielle sera dans une quinzaine de jours, parce qu’il y a toujours de petites finitions de dernière minute, mais ce soir, l’équipe au complet œuvre en vraie grandeur avec tous les plats de la carte. Des amis de Guillaume, le directeur, sont venus et toutes les tables du restaurant sont prises. C’est l’ouverture non officielle mais effective du restaurant dont le nom pour l’instant sera Restaurant Tomo. J’indiquerai toutes les coordonnées lorsque Tomo me donnera le feu vert. Le restaurant est dans un quartier chic, à une adresse huppée, la façade est raffinée.

Quand on pousse la porte, la décoration élégante frappe d’emblée. Ardoise, bois et verre sont élégamment dosés. La cuisine est ouverte sur l’entrée et quatre cuisiniers dont Guillaume (l’autre Guillaume) est le chef. En montant l’escalier entre des parois d’ardoise, on peut jeter un œil sur une cave à vins toute en verre, qui plante le décor : Romanée Conti, Yquem, Screaming Eagle, Comtes Lafon, Henri Jayer. Ici, on ne rigole pas, il y a du lourd au programme. Heureusement il y a au sous-sol une autre cave aussi en verre, que l’on peut apercevoir du rez-de-chaussée, où des vins sont plus accessibles.

Je suis venu vers 18h30 pour ouvrir ma bouteille qui doit "marquer le coup" pour un événement si important dans la vie de Tomo. J’ai choisi Hermitage La Chapelle 1959, une rareté qu’il faut boire, puisque le niveau est à 5 ou 6 cm du bouchon. En voulant planter mon tirebouchon, le bouchon recule. J’essaie de le piquer, mais il bouge encore et finit par tomber. Je suis obligé de transvaser le liquide dans une autre bouteille. Le parfum me semble pur et n’a pas été affecté car le bouchon avait jusqu’à ce moment joué son rôle.

A 20 heures, Tomo et son épouse ainsi que la mienne me rejoignent à notre table. Une coupe de Champagne Billecart Salmon Brut sans année est désaltérante, mais ne m’inspire pas trop, car j’ai en tête l’anxiété du comportement futur de mon vin. Plutôt que des gougères, le chef a préparé une brioche que Guillaume découpe en petites tranches que nous pouvons tremper dans une sauce verte délicieuse. C’est original, goûteux, et se marie bien avec le champagne.

Nous choisissons nos plats. Pour moi ce sera : céleri cuit au four, lard, échalotes, moelle de bœuf / homard bleu, carotte, raifort / agneau en deux services, haricot de Soissons / coing glacé, butternut, marrons vanillés.

Tomo a apporté un Charlemagne Grand Cru Doudet-Naudin 1929 dont l’habillage est récent, car les étiquettes et leurs libellés sont modernes. A travers le verre, on peut voir que le vin est fortement ambré. Hélas, le parfum ranciote et le goût en bouche est définitivement madérisé. Le vin manque d’intérêt, car la madérisation étouffe toute autre saveur. Ce n’est pas désagréable, mais ce n’est pas ce que nous attendons. Le céleri est délicieux et se prend de sympathie pour le vin blanc. Le blanc étant mis de côté, l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1959 entre en scène plus tôt que prévu. Son nez est pur et respire la truffe. En bouche le vin est solidement charpenté, évoque une lourde truffe, mais on le sent monolithique, coincé dans une expression minimale. Le homard a un effet extraordinaire sur le vin. Il le rend plus long, plus aiguisé et lui permet de se réveiller. La chair du homard est très intense, comme je l’aime et le radis et le raifort l’excitent, mais alors il ne faut pas penser au vin. Seule la chair du homard joue un rôle curatif pour le vin.

Tomo fait ouvrir La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1980. Le parfum est la signature du domaine d’une façon inimitable. Sel et rose sont au rendez-vous. Mais le vin commence par n’être qu’un squelette d’un vin du domaine. Il a toutes les cartes d’identité et passeports du domaine, mais il manque de chair, d’ampleur, de joie de vivre.

Sur un agneau exceptionnellement bon, nous allons assister à un phénomène dont on pourrait penser qu’il a été voulu, mais qui est le fruit de la chance. La subtile sauce de la première partie de l’agneau donne le coup d’envoi d’une résurrection de La Tâche. Elle gagne en opulence, devient charnelle, et le vin est exactement ce que nous aimons de La Tâche, un vin qui interpelle, qui donne des signaux où l’amertume est subtile. Nous sommes en plein dans un accord de haute subtilité. Lorsque je dis que cet agneau est un plat de deux étoiles, Tomo me dit : "ce n’est pas ce que nous visons". Et lorsque plus tard j’irai féliciter le chef Guillaume en cuisine en lui parlant de deux étoiles il a la même réponse : "ce n’est pas ce que nous visons". Peut-être, peut-être, mais démarrer ainsi, c’est une sacrée promesse. Et la deuxième partie de la pièce qui se joue, c’est le deuxième service de l’agneau, plus caramélisé. Et là, c’est la consécration de l’Hermitage La Chapelle qui devient éblouissant. C’est un très grand vin, puissant, droit, direct, aux fruits rouges et noirs un peu passés, à la truffe bien dosée, qui plait par son équilibre et sa sérénité. Il a tout de son petit frère 1961, sauf le génie. A ce moment précis nous avons La Tâche 1980 qui est ce qu’elle doit être et l’Hermitage 1959 qui est ce qu’il doit être. Et c’est un moment de grâce. Nous avons eu peur, mais le temps et l’éclosion des vins nous ont apporté du bonheur.

Le dessert est délicieux et accompagné d’un vin de table de France Turbullent avec deux "L", Le Roc’ambulle qui titre 9° et tient un peu du cidre mais convient bien pour finir sur une légèreté.

Je brûlerais bien sûr de vous donner le nom et l’adresse de cet endroit où nous avons dîné de bien belle façon avec une cuisine précise, classique, magnifique pour les vins, couronnée par un agneau sublime. Mais je respecte le désir de Tomo. Il veut que tout soit prêt pour recevoir les réservations. Soyez prêts à réagir le jour venu, car voilà un lieu où l’on mange bien.

L’Axel à Fontainebleau, un grand restaurant dimanche, 4 novembre 2012

A Fontainebleau, Kunihisa Goto a créé avec son épouse le restaurant L’Axel. Nous sommes reçus par le joli sourire de la maîtresse des lieux. La décoration est sobre et très agréable, l’espace est bien géré. Tout semble réuni pour que nous passions une bonne soirée. Alors que Leslie Simonetto, jeune sommelière dynamique a conçu des accords mets et vins avec le chef, nous avons apporté des vins qui accompagneront, nous l’espérons, le menu dégustation.

En voici le programme : crème de cerfeuil et trompette de la mort, émulsion champignons / huître en salade de fruits exotiques, émulsion à la passion / salade de truffe de Bourgogne, mousse de pommes de terre et vieux comté, brioche à la truffe / Saint-Jacques d’Erquy en carpaccio, rémoulade de topinambour, caviar d’Aquitaine / œuf translucide, émulsion de truffe de Bourgogne, velouté de cèpes, toast de Pata Negra / bar doré sur peau, risotto de riz vénéré, consommé de seiche / pigeon rôti et cuisse confite, paille de pomme de terre et salsifis / fromages /gelée d’orange, coulis de litchi, mousse aux coquelicots de Nemours / salade de fruits exotiques, gelée à la passion, biscuit spéculoos, meringues et crème Dulcey.

Le Champagne Bollinger R.D.1996 est dans un état de grâce. On peut difficilement penser qu’il puisse devenir meilleur. Il est fort, son alcool se sent, il est complexe et ce qui me fascine, c’est sa faculté de se transformer au contact des saveurs qui lui sont associées. Avec le cerfeuil, il prend des poses de sénateur. Avec l’huître, il devient affuté comme le plus tranchant des couteaux. C’est un très beau champagne à la couleur déjà ambrée, parfait à ce stade de sa vie.

Le Château Haut-Brion blanc 1967 a une couleur très jeune. Même si l’ambré est légèrement doré, la couleur évoque la jeunesse. Le parfum de ce vin est envoûtant, très sensuel. En bouche c’est un vin accompli, de belle maturité, mais qui semble ne pas avoir d’âge. Il représente la beauté du vin blanc de Bordeaux, quand la complexité est quasi infinie, avec une acidité citronnée très ciselée et une longueur de bon aloi. Avec la salade de truffe, le vin est à son aise. Mais c’est sur la délicieuse coquille Saint-Jacques que le vin s’épanouit le mieux. Ses dernières gouttes brillent sur le bar cuit à la perfection.

Nous avions prévu de prendre un vin à la carte du restaurant. Cette carte est bien chiche, mais le lieu vient d’ouvrir. Elle s’étoffera. Ayant souvent entendu parler des vins de Priorat et n’en ayant jamais bu, j’ai envie d’essayer Embruix de Vall Llach Priorat Espagne 2003. Au moment où Leslie me sert pour le goûter, je n’ai qu’une envie, c’est de le refuser. Car ce vin qui titre 14,5°, c’est la force brutale. Il n’y a pas l’ombre d’une imagination dans ce vin rustre. Nous le buvons quand même, mais ce vin rustaud ne correspond en rien à la cuisine élégante du chef. On nous explique qu’il figurait en cave avant la reprise par l’équipe actuelle.

Pour les délicieux desserts, nous buvons un Château d’Yquem 1/2 bouteille 1997. La couleur est déjà très abricot. Le nez est riche. Le vin a un fort alcool et un sucre impérieux. Mais il est glorieusement agréable. C’est un guerrier qui réagit parfaitement aux subtilités des desserts. C’est certainement un Yquem qui sera immense dans vingt ans.

Kunihisa Goto est un chef au talent certain. Il respecte la cuisine française et ajoute sa patte en déclinant des subtilités qui parfois m’ont fait penser à Pascal Barbot. On sent que pour l’instant, il s’en tient à un certain classicisme. Lorsque le succès se confirmera – la salle était pleine ce soir – il pourra donner libre cours à une imagination plus débridée pour nous surprendre. Les plats les plus beaux sont le pigeon à la cuisson idéale, le bar délicieux cuit à la seconde près, les coquilles dont l’épaisseur est idéale. Les desserts sont gourmands.

Ce chef est talentueux, d’ailleurs reconnu comme l’un des chefs du futur dans une célèbre revue, son équipe crée une ambiance ouverte et accueillante. C’est une table où nous reviendrons sûrement.

dîner chez des amis avec Hill of Grace samedi, 3 novembre 2012

Nous nous rendons chez des amis. Elle est passionnée de cuisine et lui de vins. Le Champagne Cuvée Louise Pommery 1995 a un nez épanoui, solide et généreux. En bouche il est serein, de belle facture, très rassurant. De fines tranches d’andouille lui donnent de l’ampleur et des cannelés au chou-fleur et parmesan lui donnent de la longueur. On est bien avec ce champagne raffiné. Son bouchon est curieusement petit et déjà chevillé. Il faut sans doute boire vite ce champagne s’il ne s’agit pas d’une exception, car même si la longévité du vin est loin d’être entamée, il faut éviter des dégradations possibles.

Sur une crème aux châtaignes et écrevisses, le Château Mont-Redon Blanc de Blancs Chateauneuf-du-Pape 2002 servi très froid n’a pas le moindre parfum, ce qui est étrange. En bouche il est plat, mais c’est le froid qui en est la cause, car il va progressivement s’épanouir pour devenir un aimable Chateauneuf-du-Pape. Mais c’est bien tard.

Sans connaître le programme de mon ami, j’ai apporté un Château Ausone 1987, d’une année relativement faible, dont je souhaite vérifier comment il se comporte à 25 ans. A l’ouverture, le parfum est d’une rare délicatesse. Il est subtil, racé, avec des fragrances délicates. En bouche, il garde cette délicatesse et même si le vin manque un peu de coffre, je le trouve charmant et élégant. Mais la vedette est ailleurs, car Bernard a ouvert un Hill of Grace Henschke Australie 1995. Le vin carafé est servi à l’aveugle et Bernard me demande à quoi je pense. Immédiatement, c’est vers les grandes Côtes Rôties de Guigal que mes pensées se dirigent. Et j’aurais dû aussi mentionner Penfolds Grange, car il y a une belle complicité de goût avec cet autre vin australien. Le vin titre 14°, mais ce qui est impressionnant, c’est la fraîcheur mentholée qui accompagne des fruits noirs et rouges. Le vin est riche, dynamique et plus adapté à la joue de porc aux légumes oubliés que le délicat Ausone.

Les fromages sont absolument délicieux et un vin est servi à l’aveugle aussi. Mon palais est tellement pris par les saveurs fortes dont celle d’un fromage qui sent la noix de façon impérieuse que je ne reconnais pas tout de suite le Champagne Dom Pérignon 1990 magnifique et épanoui, meilleur que le souvenir du dernier 1990 que j’ai bu.

Pour le dessert, Bernard a prévu une demi-bouteille de Vin de paille Marsanne Domaine de Trévallon 2007 aux grains séchés trois ans sur paille et mis en bouteille par Antoine Dürrbach en 2010. Le vin titre 15°. Il est très frais et l’on ne sent pas trop de sucre ou de charge alcoolique.

Ce n’est pas le cas avec l’Elixir Végétal de la Grande Chartreuse fabriqué à Voiron par les Pères Chartreux et qui titre 69°. Que cet alcool est traître ! Car le côté végétal, très Grande Chartreuse, pousse à y revenir, ce qui est tout simplement mortel. C’est de l’au-delà que je termine ce rapport d’un dîner amical dont les saveurs culinaires furent parfaites et les vins éclectiques passionnants.

163ème dîner de wine-dinners au restaurant Lasserre vendredi, 26 octobre 2012

Le 163ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Lasserre. Ce sera la première fois qu’un de mes dîners se tient en ce lieu et l’envie de revoir Antoine Pétrus, sympathique et brillant sommelier a pesé beaucoup. J’étais venu déjeuner en "repérage" il y a quelques jours en ce lieu riche de souvenirs de jeunesse. Antoine m’accueille à 17 heures, je fais la photo des vins et commence alors la cérémonie d’ouverture. L’Y d’Yquem 1988 a un parfum à se damner. Il est conquérant. Pour voir si le lien de famille se fait, j’ouvre l’Yquem 1955 au nez moins envahissant mais d’une rare subtilité. Et l’on peut imaginer un petit lien de famille. Le nez du Laville Haut-Brion 1951 a en rigueur ce que l’Y a en joie de vivre. Mais ce parfum distingué me plait. Le Vray canon Boyer 1947 explose de truffe, alors que le nez du Latour 1946, plus retenu, est plus distingué. Les parfums des deux bourgognes, les vedettes attendues de ce repas sont exactement ce qu’ils doivent être : le Cros Parantoux d’Henri Jayer 1993 est d’une pureté dogmatique et le nez de la Romanée Conti 1983 a l’ADN de la Romanée Conti, le sel et la rose. Je le répète souvent, mais c’est tellement vrai. Comme à son habitude, le haut du bouchon de ce vin sent la terre de la cave de la Romanée Conti, sans que cette odeur ne se retrouve nulle part. Le Muscat de la Collection Massandra 1928 a un nez qui m’étonne. Très strict, il évoque fortement la réglisse. Alors, auprès de Claire, la chef pâtissière, j’essaie de plaider la cause d’un coulis à la réglisse, à côté des madeleines prévues. Mais la chef n’est pas facilement influençable.

Nous sommes huit dont trois nouveaux et de solides habitués. La parité n’est pas franchement en marche, les mâles trustant sept sièges. Plusieurs présents fêtent un anniversaire.

Le menu mis au point par Christophe Moret avec Antoine Pétrus est : toasts de foie gras / laitue en délicate royale, caviar osciètre, émulsion légèrement citronnée / cèpes rôtis de la tête aux pieds / colvert façon Rossini / noix de veau de lait / une assiette autour de la mangue / madeleine. L’exécution de ce repas a été en tous points remarquable.

Le Champagne Alfred Rothschild 1966 est d’une couleur étonnamment jeune, ne montrant aucun ambre. La bulle est très active. C’est vraiment un "jeune" champagne qui est très séduisant. Rond, complexe, charmeur et de belle longueur il se boit avec bonheur et l’excellent foie gras lui convient à merveille.

Quel étonnement lorsqu’on voit la couleur du Champagne Bollinger Grande Année 1990 ! L’ambre que son aîné n’a pas se retrouve dans ce champagne dont la maturité est surprenante. J’attendais un gamin et c’est un adulte qui se présente à nous. La laitue était prévue pour un champagne jeune et pas pour celui-ci. Le caviar lui convient et l’excite bien. Le champagne a une belle complexité, une race plus grande que celle du précédent champagne, mais son évolution inattendue limite le plaisir.

Le parfum du Y d’Yquem 1988 est une bombe. Ce vin est un guerrier, mais un guerrier chantant. Il a des accents de douceur, et emplit la bouche de mille évocations de fleurs et fruits jaunes. Avec les cèpes l’accord est extraordinaire. Antoine a fait découper sur la galette de cèpes de fines lamelles de cèpes crus. Et c’est avec le Château Laville Haut-Brion 1951 que l’accord se crée mieux sur le cèpe cru. Alors que l’année 1951 n’a rien produit de grandiose, j’avais choisi ce vin en cave pour sa couleur dorée. Dans le verre c’est un or jeune. Le parfum est moins expansif que celui de l’Y mais tout aussi raffiné. Le Laville est plus strict, plus sérieux, alors que l’Y est un jeune fou bondissant. Ces deux blancs sont superbes et montrent l’intérêt des vins blancs bordelais. Très dissemblables, ils ont chacun leurs charmes.

La surprise est immense lorsque le Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, à la belle étiquette dorée et doté d’une contre-étiquette de la maison Bichot, est versé dans les verres. Car sa couleur est d’un rubis de sang noble d’une invraisemblable jeunesse. Et en bouche ce vin, qui m’évoque la truffe et pour d’autres le poivron vert ou le cacao, est d’une vivacité que l’on n’attendrait jamais d’un Canon Fronsac. Il claque sur la langue et son final est d’une longueur rare.

La couleur du Château Latour 1946 n’a pas de traces orangées, mais elle paraît moins jeune que celle du 1947. Elle aussi un peu trouble. Le nez est racé et délicat, moins expansif que celui du 1947. En bouche, ce vin est velouté, noble, délicat, mais il joue un peu en dedans alors que le Vray Canon Boyer "se lâche" et joue d’instinct. Certains convives préfèrent le Latour, mais une large majorité préfère le Vray Canon Boyer, magnifique et généreuse surprise. Le colvert est goûteux et subtil. Il crée un accord plus que pertinent avec les deux vins.

Les deux vins bourguignons qui vont suivre sont normalement les vedettes de ce repas. Vont-elles honorer leur rang ? Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993 est d’une belle couleur d’un rouge prononcé. Le parfum est d’une rare pureté et c’est ce mot qui caractérise aussi le goût de ce grand vin. Doctrinal, pur, emblématique, ce vin est une expression aboutie du travail d’un grand vigneron. Bien que l’année ne soit pas une année remarquée, c’est un des plus beaux Cros Parantoux d’Henri Jayer que j’aie bus. Pureté, précision, raffinement, mais aussi grand plaisir.

Lorsqu’on me sert en premier la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, je ne peux masquer le sourire qui barre mon visage. Car le parfum est exactement ce que j’attendais. Si l’année 1983 n’est pas référencée dans les meilleures à la Romanée Conti, il va falloir la faire remonter de plusieurs places. Car cette Romanée Conti est d’une élégance infinie. J’aime la Romanée Conti comme cela. Elle suggère, elle parle à voix basse, mais on la comprend. Elle a bien sûr le sel et la rose qui sont sa signature, mais elle y ajoute du charme de l’élégance. Elle virevolte et c’est notre plaisir. Les votes la consacreront.

Le Château d’Yquem 1955 a une belle couleur foncée. Son nez est percutant, riche de fruits lourds. Alors que 1955 est une réussite de première grandeur à Yquem, et alors que ce vin opulent dégage une force conquérante, je suis gêné car le vin est servi trop chaud. C’est ma faute, car j’avais dit à Antoine que l’on serve l’Yquem à la température d’un vin rouge mais en l’occurrence, c’est une erreur et c’est dommage de ne pas avoir profité au mieux d’un des grands Yquem de l’histoire. Inutile de dire qu’il est quand même sacrément bon. Le dessert à la mangue n’a pas créé l’accord escompté.

A l’ouverture, le White Muscat Livadia Massandra Collection 1928 m’était apparu beaucoup plus strict que ce que j’attendais. Ce n’est plus le cas maintenant. Le vin est chaleureux, doucereux, séducteur. Il est très muscat mais aussi rappelle des vins de paille. Ce sont les pruneaux, les prunes et les fruits bruns qui dominent dans un goût merveilleux qu’embellit l’âge. Avec des madeleines et un soupçon de vinaigre balsamique, c’est un péché de gourmandise que ce vin aux langueurs orientales, fou de sex-appeal.

Nous sommes huit à voter. Sur les dix vins, neuf figurent dans au moins un vote, ce qui est toujours sympathique à constater. La Romanée Conti a été votée sept fois première et le Cros Parantoux une fois.

Le vote du consensus est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993, 3 – Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, 4 – White Muscat Livadia Massandra Collection 1928, 5 – Champagne Alfred Rothschild 1966.

Mon vote est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – White Muscat Livadia Massandra Collection 1928, 3 – Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, 4 – Y d’Yquem 1988.

Dans la belle salle à la décoration un peu surannée, le toit ouvrant est toujours une attraction. Les volutes des fumées de cigares ne s’en échappent plus. Le service en habit est élégant et d’une grande précision. Les plats se sont montrés brillants, de grande justesse. Les accords les plus percutants ont été celui des cèpes avec l’Y d’Yquem, le colvert avec les deux bordeaux et les madeleines avec le muscat de 1928. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître.

Bouchons dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas : Romanée Conti, Cros Parantoux, Massandra, Vray Canon Boyer, Latour, Y, Yquem et Laville

le célèbre toit ouvrant du restaurant

les verres sur table en fin de repas

163ème dîner de wine-dinners – les vins dimanche, 21 octobre 2012

Champagne Alfred Rothschild 1966

Champagne Bollinger Grande Année 1990

Y d’Yquem 1988

Château Laville Haut-Brion 1951

Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947

Château Latour 1946

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983

Château d’Yquem 1955

White Muscat Livadia Massandra Collection 1928

Mouton 1989 et Rieussec 1947 à la maison dimanche, 21 octobre 2012

C’est l’anniversaire de ma fille cadette à la maison. J’ouvre un Champagne Krug 1982. Le bouchon chevillé offre peu de résistance. Le nez est un peu amer. Les premières gorgées sont amères mais le vin s’assemble pour prendre plus de cohésion. Ma femme a préparé une terrine de foie gras dont la gelée est au thé. Nous ne nous étions pas concertés, mais c’est la gelée qui crée avec le champagne un accord de grande sensibilité. Le champagne est subtil, mais je trouve qu’il manque de corps et d’ampleur. Il est néanmoins de grande délicatesse.

Pour des bulots, nous buvons le Château Laville Haut-Brion 1982 au jaune d’un or très jeune, presque vert. Le vin est racé, complexe, avec de jolies notes citronnées d’un grand équilibre. Mais mon gendre qui l’a apporté est plus sévère que moi. Il lui trouve un manque d’ampleur que je décelais chez le Krug.

De fines tranches de coquilles Saint-Jacques crues arrondissent le vin de leur douceur. Nous allons passer maintenant à des rougets juste poêlés. Il y a dans deux carafes des Château Ausone 1964 que j’ai trouvés en cave avec le bouchon flottant. Alors que le nez n’est pas affecté, la cause est perdue, les vins sont morts. Je descends vite en cave et j’ouvre Château Mouton-Rothschild 1989. Le vin juste ouvert, encore frais de la cave est une merveille absolue. Le nez est racé, élégant, raffiné. En bouche, c’est de la soie, du cachemire et du velours. L’expérience est alors du plus grand intérêt. Le Laville Haut-Brion cohabite avec le rouget, mais poliment. Alors que le Mouton crée un accord avec le rouget qui est d’une émotion de première grandeur. Ce vin est d’une immense beauté, d’une élégance infinie. Je suis totalement sous le charme et j’ai plus d’émotion qu’avec le Mouton 1982 qui jouit d’une plus grande renommée. Le 1982 plus puissant n’est pas encore accompli. Le 1989 est actuellement à un stade d’excellence totale, dans l’élégance et le raffinement. Ce vin pianote de la luxure distinguée et l’accord avec rouget juste poêlé est parfait. Quel velours !

Ma femme apporte le lourd plat d’un agneau cuit au curry et aux épices orientales. Hier, goûtant la sauce hors contexte, j’avais dit que l’accord avec les Ausone 1964 pourrait se trouver. En sentant les premiers effluves du plat posé sur table, j’annonce que le Mouton 1989 n’ira jamais avec lui. Nous essayons et la preuve est faite. Quel vin conviendrait ? Ce n’est pas le Laville. Alors ce sera le Chateau Rieussec 1947 qui devait apparaître au dessert. Par un caprice du sort, ma femme avait organisé le dessert pour un Rieussec 1919 tenu au frais. Or mon gendre est arrivé avec ce Rieussec 1947 qui a perdu du volume et qui suinte. Il est beaucoup plus ambré que le 1919. Et là où le sort nous est favorable, c’est que le Rieussec 1947 crée avec le plat d’agneau à la mexicaine un accord d’anthologie que le 1919 n’aurait sans doute jamais procuré. Car le 1947 au parfum envoûtant a des accents de caramel qui conviennent merveilleusement aux épices racées. Nous sommes tous conquis par cet accord fusionnel qui crée une continuité invraisemblable entre le vin et l’agneau.

L’accord du sauternes était prévu au dessert, avec des tranches de mangue à peine teintées de fruit de la passion. C’est avec le 1919 qui eût été plus pertinent. Nous l’ouvrirons un autre jour.

Les deux vins qui émergent de ce repas sont le Mouton 1989 et le Rieussec 1947. Les deux accords les plus enthousiasmants sont ceux créés par ces deux vins avec les rougets et avec l’agneau. Celui du Krug avec la gelée du foie gras au thé est aussi à signaler.

Triste surprise avec ces Ausone 1964