Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner en hommage à Gérard Besson jeudi, 16 décembre 2010

Nous avions envisagé un Casual Friday, qui, au nom des droits à l’égalité et à la libération des jours de la semaine, devait se tenir un jeudi. C’est l’un d’entre nous qui avait proposé de fournir le plus grand nombre de vins. Tout occupé au 143ème dîner et au voyage pour des obsèques, je n’ai pas bien compris que la séance soit annulée. Elle a été remplacée par autre chose. Aussi est-ce dans une configuration différente des séances précédentes et avec des participants différents que nous nous sommes retrouvés à sept au restaurant Gérard Besson pour le déjeuner d’adieu que j’avais suggéré et souhaité pour rendre un dernier hommage à un grand monsieur de la cuisine française.

Lorsque j’arrive, des bouteilles alignées ont été débouchées par Gilles. Les bouchons sont torturés comme cela arrive avec des vins très anciens. Certains vins ont des niveaux un peu bas, et les odeurs des vins un peu chauds ne sont pas très engageantes. Il est demandé à Gilles de descendre les bouteilles dans la cave, car il serait désagréable de boire des vins trop chauds.

Gérard Besson nous a concocté ce menu : amuse bouche de gougères et saucisse coupée au couteau / Saint-Jacques d’Erquy aux lames de truffe / oreiller de la belle Aurore, sauce fumet plumes et poils / oiseau, figue et champignons / oiseau comme le faisait "Georges Garin" / Brie de Melun, lames de truffe / tarte d’automne aux quatre fruits.

Il était exclu que nous quittions Gérard Besson, que nous reverrons bien sûr, sans qu’il exécute l’oreiller de la belle Aurore, plat emblématique de la cuisine française, tourte de douze chairs différentes, de gibiers de toutes sortes.

Lorsque l’ami qui a apporté le plus grand nombre de vins se présente, avec la diplomatie qui me caractérise, je lui dis : "tu sais, il y aura du déchet". Les faits montreront que j’ai bien eu tort, car les performances furent belles. Et je trouve justifié de rendre hommage à son choix de vins.

Le Champagne Moët & Chandon Brut 1964 est magnifique. Ce qui est bien avec ce champagne dans cette année, c’est qu’il est confortable, facile à vivre, donnant l’image du champagne serein. Si on prend ses lunettes pour critiquer, on trouvera toujours un petit détail qui manque. Mais si on l’accepte comme un ami, il renvoie son amitié. C’est très agréable de boire un tel champagne qui démontre avec facilité l’intérêt des champagnes anciens.

Le Champagne le Diamant Bleu Hiedsieck Monopole 1964 est d’une extraction supérieure. Doté de plus de bulles, d’une couleur plus claire qui indique une jeunesse mieux préservée, ce vin est moins dosé, plus strict et plus profond, avec une longueur qui fait rebondir le goût. Alors bien sûr on se moque de moi car je manifeste ma joie de boire ce vin qui est mon apport, mais il est évident que si le Diamant bleu est plus grand, les deux champagnes de 1964 sont deux vrais plaisirs.

Le Pouilly-Fuissé "les Champs" Georges Burrier 1955 a une couleur qui commence à ambrer, un nez extrêmement séducteur, car il combine le parfum du zeste de citron vert avec des fraîcheurs mentholées. En bouche il est bien rond, ne montre pas trop son âge. C’est un très bon vin assez simple et de plaisir. Il a un final entraînant.

Le Meursault 1ère J. Faiveley 1919 d’une amie est une bouteille rare. Le risque est assez grand avec une bouteille de 91 ans et effectivement le nez fait très âgé, à la limite (non franchie) du bouchonné. Le palais est plus agréable et l’on note même une belle rondeur. Ce vin est fatigué mais va montrer au fil des heures un beau retour à une vie possible.

Le Château Rausan Ségla Margaux 1928 est très peu marqué par l’âge, mais il l’est quand même un peu. Sa couleur est un peu trouble, le nez est élégant et en bouche il se boit agréablement, riche dans sa structure. On pourrait être moins critique mais le Château Nénin Pomerol 1955 est tellement éblouissant que le cœur ne retient que lui. Tous les vins de 1955 sont grandioses en ce moment, cela se vérifie à chaque essai. L’oreiller est magnifique et sa sauce est redoutable. Nous l’aimons tellement que nous réclamons un supplément, car à l’œil, nos sept tranches sont loin d’épuiser le long oreiller, presque de lit double. Gilles nous dit que le reste a été partagé en cuisine, ce qui est une belle attention de la part du chef.

Lorsque l’on verse le Chambolle Musigny Albert Brenot 1926 nous nous souvenons de la phrase indélébile de notre ami, dont nous nous moquons, qui est : "je n’ai jamais été déçu avec les 1926". C’est le petit côté élitiste, voire l’aspect "secte des sachant" que nous stigmatisons. Et en fait, ce 1926 lui donne raison. Il a une rondeur de grand cru, alors qu’il ne l’est pas. J’adore ce vin chaleureux. Les oiseaux sont servis par des sauces absolument exceptionnelles, car le chef est le prince des sauces. Les vins en profitent.

Au contraire, le Chambertin Cuvée Héritiers Latour Domaine Louis Latour 1935 fait franchement fatigué. On peut lui trouver des circonstances atténuantes, car le message est encore lisible, mais il vaut mieux se tourner vers l’Aloxe-Corton P. A. André négociant au Château de Corton 1959, vin absolument resplendissant et sans défaut. Voilà un vin que j’aime.

L’Hermitage E. Vérilhac 1945 montre moins de signes de fatigue que ce que le bas niveau faisait craindre. Il est pur, équilibré, solide comme un hermitage, et se boit avec plaisir si on enlève le voile de fatigue.

Le Caillou blanc du Château Talbot 1959 est parfait, ne lésinons pas sur le commentaire. Ce que je veux exprimer, c’est qu’il n’a aucun défaut, l’année merveilleuse lui donnant une jeunesse éternelle. Equilibré, serein, il n’a peut-être pas le coffre des plus grands, mais il se boit comme un grand. Le Puligny-Montrachet les Pucelles Bouchard Père & Fils 1976 est aussi une belle surprise, d’un vin qui apporte un joli fruité. Ces deux blancs sont purs.

Le Champagne Salon 1997 est une belle récompense sur le brie et sa truffe. Charmant, floral à souhait, il se révèle comme un Salon qui joue plus sur l’élégance que sur la force.

Le Château Rayne-Vigneau 1928 est grand, bien campé solidement sur un squelette irréprochable. Sa sérénité est conquérante et sur la sublime tarte de Gérard Besson, c’est un régal. Bravo l’ami pour tes choix de vins.

Gérard Besson vient nous rejoindre et nous fait servir un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos des Capucins Domaine Weinbach Théo Faller 1983. Le vin est riche, frais, fluide, avec la légèreté des grands liquoreux alsaciens. Nous trinquons avec Gérard en évoquant quelques grands souvenirs de gastronomie. Les voix s’éraillent sous le poids de l’émotion. Nous imaginons une rencontre nouvelle chez un autre chef ami de Gérard, pour que le cordon ombilical ne se coupe pas.

Les amis s’en vont, je reste seul pour embrasser Gérard Besson et son épouse, et là, les larmes sont au bord des yeux. Prince des sauces, prince des gibiers, grand connaisseur des accords mets et vins, Gérard est devenu au fil des ans un ami. Il part en plein succès car tout le monde veut l’honorer, au point que le service a du mal à suivre. Tant mieux, car Gérard partira en sachant que de nombreux gourmets lui doivent des souvenirs impérissables.

déjeuner au Gérard Besson – les vins, les plats jeudi, 16 décembre 2010

Champagne Moët & Chandon Brut 1964

Champagne le Diamant Bleu Hiedsieck Monopole 1964

Pouilly-Fuissé "les Champs" Georges Burrier 1955

Meursault 1ère J. Faiveley 1919

Château Rausan Ségla Margaux 1928

Château Nénin Pomerol 1955

Chambolle Musigny Albert Brenot 1926

Chambertin Cuvée Héritiers Latour Domaine Louis Latour 1935

Aloxe-Corton P. A. André négociant au Château de Corton 1959

Hermitage E. Vérilhac 1945

Caillou blanc du Château Talbot 1959

Puligny-Montrachet les Pucelles Bouchard Père & Fils 1976

Champagne Salon 1997

Château Rayne-Vigneau 1928

Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos des Capucins Domaine Weinbach Théo Faller 1983

les vins dans l’ordre de service

les bouchons

les plats (au centre et à droite l’oreiller de la belle Aurore)

le grand chef Gérard Besson, à qui nous avons rendu hommage pour les grands moments de gastronomie qu’il nous a fait vivre

déjeuner au restaurant Apicius lundi, 13 décembre 2010

Un ami de mon gendre m’invite au restaurant Apicius. Dans le beau jardin, les décorations de Noël sont du plus bel effet. Arrivé en avance, on me propose une coupe de Champagne Cuvée 1522 Philipponnat 2000. Ce champagne est charmeur, plein, à peine fumé. Avec des saveurs dorées de fruit, il emplit la bouche avec générosité. L’atmosphère au bar est joyeuse. On sent que ce sont des habitués qui l’occupent.

Nous passons à table dans une salle dont la décoration me plait toujours autant. Jean-Pierre Vigato, selon son habitude, vient nous proposer des plats qui ne sont pas à la carte, diablement tentateurs, car l’homme, mais aussi les intitulés sont charmeurs. J’ai pris une composition faite d’une huître de Marennes et d’un huître belon avec une langoustine crue et une coquille Saint-Jacques crue dans un jus iodé fait de l’eau des huîtres. Notre plat de résistance sera commun : un râble de lièvre et betterave. Pour préserver notre après-midi, nous déjeunons au champagne suggéré par le sommelier, un Champagne Henri Abelé 1996 très vineux. Il est plus sec et plus strict que le Philipponnat, mais il est taillé pour la gastronomie.

Jean Pierre Vigato m’avait prévenu que l’entrée serait iodé, mais à ce point là, je ne m’y attendais pas. Même si j’aime l’iode, on est dans l’excès. Il faut vraiment s’accrocher et les saveurs qui sont intéressantes gagneraient à être dégustées avec un bémol. Le bonheur, c’est le râble. C’est le chef lui-même qui vient découper une magnifique pièce, d’un beau rose à la colonne. La viande est tout simplement divine. Le champagne trouve une résonnance vibrante avec le râble. Bravo le sommelier.

Le dessert sied au champagne. Voilà un bien joli déjeuner.

explosion de truffe blanche au Carré des Feuillants jeudi, 9 décembre 2010

Au restaurant le Carré des Feuillants, Monica, Armin et Michel m’attendent, malgré ma recommandation de ne pas le faire, autour d’un Champagne Mumm cuvée R. Lalou magnum 1998. Je me joins à eux et le champagne me paraît assez ennuyeux. Il est bien fait, mais l’émotion n’est pas là, ce qui étonne Michel qui ne retrouve pas le goût qu’il avait en mémoire. J’en ai parlé au chef de caves de Mumm qui présentait au Grand Tasting ce même vin. Dans cette autre atmosphère, il m’a beaucoup plu. Mes amis ont faim, et Alain Dutournier aime tellement discuter avec Michel que nous avons peur que le festival ne démarre pas. D’autant qu’Alain vient nous mettre sous le nez la truffe encore dans sa boîte, nous disant qu’il n’a jamais senti une truffe blanche de cette qualité. Ce que nous ne savions pas, c’est que tout se prépare en coulisse avec une extrême efficacité.

Voici le menu qu’Alain Dutournier a conçu, donnant libre cours à son talent : infusion de girolles spéciales d’Arcachon en aumônières de calamar et truffe blanche d’Alba / saumon sauvage juste poché en gelée de sous-bois et délicatement fumé à l’aulne, avocat en chantilly et truffe blanche d’Alba / bouillon mousseux de châtaignes, truffe blanche d’Alba râpée, aiguillette de poule faisane pochée / tronçon de turbot sauvage étuvé dans son jus de cuisson, truffe blanche d’Alba, semoule de brocoli et riz noir / la truffe noire à la truffe cuite entière à l’étouffée – piccata de ris de veau / envie de lièvre en prestigieuse "royale", le râble servi en rosé en médiéval "saupiquet", quelques gourmandises braconnier / vacherin et truffe blanche d’Alba / perles de mangoustan, marrons glacé "Mont-Blanc", parfait vanillé, gelée de rhum.

Ce repas réalisé par le grand chef pour la truffe a été d’un niveau exceptionnel, avec une sensibilité extrême, d’un niveau de trois étoiles.

Le Mumm est vite remplacé par un Champagne Charles Heidsieck Blanc des Millénaires 1995. L’écart de présence et de personnalité est très grand. Ce champagne très vineux, puissant, à la grande longueur nous ravit. Il est plein, typé, expressif. Il "cause".

Le sommelier qui a assuré le service tout au long du repas s’est régalé à entendre les supputations de Michel fort en verve, car tout s’est déroulé à l’aveugle. Il dépose devant nous trois blancs. Le Jurançon sec La Canopée domaine Cauhapé 2007 est d’un jaune clair et jeune. Je suis frappé par la construction d’une précision extrême de ce vin. Il est fin, précis et élégant. Pour moi, son nez est définitivement sud-ouest et Michel est de ce même avis. Puis il change, se mettant à explorer plusieurs régions. Je suis sûr qu’il s’est amusé à brouiller les pistes par ce numéro de patinage artistique interrégional.

Le Jurançon sec Château des Navailles F. Paul 1992 est plus doux que le 2007 et plus fruité, mais moins fin. Je le trouve un peu plus pataud. Le Pur Sang Didier Dagueneau Pouilly Fumé 1996 au nez de litchi est un vin canaille qui pirouette, d’un immense vigneron hélas disparu, que je suis incapable de situer dans sa région. Là aussi nous avons tous fait du patinage artistique, glissant sur les régions avec une insolente légèreté. Le vin est beau, et sa complexité atypique m’a empêché de le reconnaître. C’est un grand vin.

C’est sur le vin suivant que la bonne humeur de Michel s’est exprimée de façon éclatante. Il lance, tout de go : "si ce vin là n’est pas un Pessac Léognan, je quitte mon métier". Et sa confusion est grande puisqu’il s’agit du Vin de jardin Alain Dutournier 2001, vin qui doit être de son sud-ouest. Brillant de précision, riche en bouche et joyeux, c’est un vin de belle mâche au fruit généreux.

Pendant que nous cherchons, nous prenons quand même le temps de nager dans les odeurs de truffe blanche invraisemblablement enivrantes. Les plats concoctés par Alain Dutournier sont au sommet de la gastronomie. La châtaigne crée un accord prodigieux.

Alain a voulu que la truffe noire soit aussi à l’honneur, et le Château La Cabanne pomerol 1989 nous a immensément plu, réussite superbe d’équilibre d’un grand pomerol pour la truffe noire, mais aussi pour le plat le plus chaleureux, le divin lièvre à la royale, dont la force est adoucie par le foie gras.

Le vacherin et la truffe blanche ont formé un couple parfait. Le Maury Thunevin Calvet 2007 est joliment fait dans sa fraîcheur juvénile. Nous voulions éviter le dessert mais Alain nous l’a imposé. Michel voulait un digestif et nous a entraînés vers un Bas Armagnac domaine Charlot 1970 d’une pureté exemplaire.

Alain Dutournier a fait une cuisine exceptionnelle en traitant la truffe blanche dans des compositions éblouissantes. Michel était en pleine forme. A la générosité de Michel qui a offert la truffe blanche a répondu la générosité d’Alain qui nous a offert le repas. Ce fut un grand moment d’amitié.

casual Friday – photos samedi, 6 novembre 2010

Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995

Champagne Alfred Gratien 1964

Château Carbonnieux blanc 1937

Pavillon blanc de Château Margaux 1929

Montrachet Diard et Girard 1949

Château Gruaud-Larose 1926

Château Haut Brion 1926

(le nom d’André Gibert est peu souvent cité. C’est étonnant que l’on parle d’une mise en bouteille "intégrale" au chateau)

Les couleurs des deux 1926 sont résolument différentes (Haut-Brion à droite) :

Corton Grancey Louis Latour 1959

Chateauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1945

Marestel Robson-Missol 1934

Champagne Moët et Chandon Rosé 1975

Champagne Dom Ruinart 1996

Les plats

Cette signature raffinée sur les plats de service, j’espère que nous pourrons continuer de la voir, en souvenir d’un chef, Gérard Besson, meilleur ouvrier de France, de grand talent.

Casual Friday chez Gérard Besson vendredi, 5 novembre 2010

Il y avait longtemps que nous n’avions pas fait de Casual Friday, moment fou où entre amis, offre du vin qui veut. Comme au poker, il y a toujours un joueur qui mise fort, décourageant la contradiction. Ce coup-ci, c’est Florent qui a asphyxié la concurrence. Il arrive de Lyon de bon matin au restaurant Gérard Besson, et, par un réflexe d’amitié, je viens le rejoindre pour qu’il ne se sente pas seul. Nous savons que Lionel, professionnel des arrivées tardives, sera en retard comme d’habitude. Aussi, nous bavardons de choses et d’autres, et à midi, il fait soif. Nous choisissons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995. Ce champagne est d’une tension assez extrême. Lorsqu’il s’oxygène, il se domestique, et nous jouissons d’un champagne goûteux. Notre petit groupe se constitue. J’ai oublié mon portable, ce qui me paralyse, aussi est-ce bien tard que je rappelle à l’ordre Cédric qui pensait qu’un Casual Friday était un dîner. Il nous a rejoints rapidement.

Le Champagne Alfred Gratien 1964 est une pure merveille. Il a une couleur abricot, un pétillant actif et son goût est extrême. Je vois des fruits jaunes, des fruits confits, du citron vert et de l’écorce d’agrume. Sur les amuse-bouche, brioche de homard, gougère et tête de veau, c’est cette dernière qui fait vibrer le champagne grâce à son poivre bien dosé. On se sent "confortable" en buvant un champagne "plein", joyeux, riche comme des rêves de mille et une nuits.

Le Château Carbonnieux blanc 1937 est d’un bel ambre et son nez est superbe. Il y a de la poire, du coing, et une élégance rare. Ce vin est dans une forme parfaite. Florent l’avait acheté sur la foi de mes commentaires. Tout se confirme. Denis est un bizut de notre groupe, dont le "passeport" est un Pavillon blanc de Château Margaux 1929. Il est des tickets d’entrée de moindre prestige. Hélas, le "ticket" a un nez un peu incertain. La bouche est un peu déviée, délavée, tendance serpillière. Par comparaison, le Carbonnieux brille d’autant plus. Le 1929 est buvable et Denis le défend, ce qui est légitime. Mais c’est une version faible de ce vin. Le pâté de turbot est un plat de la cuisine de nos enfances, perpétuation des recettes d’antan. Et c’est un vrai bonheur. Le Carbonnieux est magique sur ce plat.

Le Montrachet Diard et Girard 1949 a une sale couleur grise. Il sent le gibier, et n’est pas engageant. Je n’insiste pas même si je sens que quelques heures de plus pourraient réveiller ce moribond. Pour l’instant il est mort. C’est dommage pour le bar qui est superbe.

Pour accompagner la grouse fort typée, le Château Gruaud-Larose 1926 à la couleur d’un rouge de belle jeunesse est idéal. Ce qui me frappe dans ce vin, c’est qu’il est impossible de lui trouver le moindre défaut. Il est parfait, dans une forme absolument accomplie d’un vin intemporel. En bouche, c’est un plaisir parfait. A côté de lui, le Château Haut Brion 1926 qui est ma contribution est d’une couleur noire, indiquant une densité extrême. Quand le Gruaud Larose joue sur le charme, le Haut-Brion joue sur la profondeur. J’ai toujours considéré que 1926 est la plus grande année de Haut-Brion. Celui-ci nous entraîne dans l’extrême. Il n’est pas facile à comprendre pour beaucoup de mes amis, mais je le trouve absolument grand, dans une forme d’une intensité rare. Evidemment mes amis se moquent de moi car je succombe à la densité de ce vin et j’en vante les qualités.

Nous passons maintenant au lièvre à la royale qui est magnifiquement réalisé, tout en finesse, ce qui ne caractérise normalement pas un tel plat. C’est ce qu’il faut pour le Corton Grancey Louis Latour 1959 au nez d’une sensualité bourguignonne. Le vin est "frais", magique, délicat. Il a toute la richesse de la Bourgogne. Des amis pensent que le Corton Grancey est un peu faible à côté du lièvre, et c’est ce que je croyais "sur le papier". Mais en fait l’accord se fait. C’est le Haut-brion 1926 qui crée le plus bel accord avec le lièvre.

Le Chateauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1945 me frappe par sa jeunesse. Je lui trouve des aspects mentholés. Il a de la fraîcheur et un léger manque d’homogénéité. Gérard Besson a ajouté à son menu une assiette de champignons et des pains grillés aux abats qui s’accordent très bien au vin du Rhône.

J’ai choisi, parmi les apports prestigieux proposés, que nous goûtions un Marestel Robson-Missol 1934 proposé par la seule femme de notre déjeuner. L’étiquette indique "Marétel". Le vin à la couleur claire a un goût très pur. Je l’avais aimé à l’ouverture et il va bien sur une tomme de Marie Quatrehomme. Mais il ne peut pas cacher certaines limites de goût, car il est plutôt monolithique et simplifié. Mais je suis ravi de cet essai.

Sur le dessert, chocolat-framboise, le Champagne Moët et Chandon Rosé 1975 à la vilaine couleur est mort, définitivement mort. Aussi l’un d’entre nous commande-t-il un Champagne Dom Ruinart 1996 qui signe un brutal retour sur terre. Nous étions dans un monde de saveurs équilibrées, intégrées et délicates. Ce champagne qui serait bon dans un autre contexte marque un retour brutal au monde des vins d’aujourd’hui.

Gérard Besson va quitter son restaurant fin décembre. Il nous a offert un déjeuner d’une très grande qualité. Nous avons donc pris date pour un nouveau repas, d’adieu cette fois, où l’oreiller de la Belle Aurore, plat emblématique du chef, sera au rendez-vous.

Le vote du consensus de notre groupe de huit est : 1 – Château Gruaud-Larose 1926, 2 – Corton Grancey Latour 1959, 3 – Château Haut Brion 1926, 4 – Champagne Alfred Gratien 1964.

Mon vote est : 1 – Château Gruaud-Larose 1926, 2 – Château Carbonnieux blanc 1937, 3 – Château Haut Brion 1926, 4 – Corton Grancey Latour 1959.

Ce fut un Casual Friday de grande qualité.

repas gastronomique chez des amis du sud lundi, 1 novembre 2010

Des amis de notre villégiature du sud nous invitent à dîner. L’apéritif se grignote sur un Champagne Bollinger 2000 qui est très agréable. Il n’est pas aussi typé que les champagnes de la veille, mais il tient très agréablement son rang de champagne. Il y a un fruité et un fumé qui sont délicatement dosés.

Notre hôtesse a réalisé des recettes complexes puisées dans la mouvance bio, et nous sommes admiratifs de sa dextérité. Un rouleau de poivron rouge bio au potimarron, chèvre frais et aneth, tuiles aux graines de lin, gomasio et paillettes d’algues, crème de spiruline au sésame colle avec une adéquation saisissante au Château de la Nerthe Chateauneuf-du-Pape blanc 2008 qui épouse le poivron miraculeusement. Le vin est profond tout en n’en faisant pas trop, et l’accord est élégant. Je n m’attendais pas à un équilibre aussi délicat de la part de ce jeune Châteauneuf. Voilà un vin blanc de grande tenue.

J’ai apporté deux vins sans connaître le menu. Le plat suivant est une papillote translucide de saumon fondant, girolles, confit d’oignons au miel et vin rouge. Le vin est un Château Canon Saint-Emilion 1971 dont le niveau était dans le goulot. La couleur est belle, intense, d’un rouge joliment noir. Le nez est incisif, et ce qui me marquera tout au long du voyage de ce vin, c’est la profondeur de la trame de ce vin riche. On pense aux tapis les plus nobles dont le nombre de points est quasi infini. On a cette impression avec ce saint-émilion profond aux tannins présents. L’accord avec le saumon se trouve mieux qu’avec les girolles trop imprégnés du jus fort. Ce Château Canon est une petite merveille.

Le plateau de fromage avec un Saint-Félicien bio, avec un époisses et un Livarot n’est peut-être pas le partenaire idéal pour le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Armand Rousseau 2001, mais tout le monde est prêt à se conformer à ce casting. Car le vin de Rousseau est un plaisir majeur, au fruit rose et rouge, à la mâche délicate, et au parcours en bouche charmant. C’est un vin que l’on déguste, essayant de lire tous les sourires qu’il nous propose comme le fait un jeune enfant. Ce vin bien fait, riche, plein et équilibré joue sur un registre de distinction calme. J’adore cette expression tranquille assumée.

Nous finissons sur une crème brûlée recouverte d’une fine couche de chocolat qui réclame de l’eau pour en suivre les subtilités.

Nous avons refait le monde, car la période s’y prête, en ponctuant ce beau repas d’une cuisinière qui a réussi à jouer la complexité avec succès, par des vins de grands niveaux.

Vive le sud !