Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner de vins anciens au restaurant Garance mardi, 26 février 2013

Mon ami Tomo continue de promener son groupe de japonais dans tous les restaurants de la capitale. Le dernier dîner de leur séjour sera au restaurant Garance et Tomo me demande de me joindre à eux. Tous les vins seront de la cave du restaurant ou de la cave de Tomo. Nous serons neuf car trois japonaises viennent grossir le contingent que nous formions au restaurant Taillevent il y a peu de jours. L’une est sommelière dans un restaurant de Sens, une autre est journaliste et conseillère en communication à Paris et à Tokyo et la troisième est l’attachée de presse du restaurateur de Tokyo. Je serai le seul non japonais de la table.

Nous commençons, sur la suggestion de Guillaume Muller par le Champagne Cuvée 736 Jacquesson extra-brut. Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que ce champagne n’est pas dosé. Il est en effet assez abrupt, mais j’aime beaucoup sa personnalité affirmée. Il est jeune et très judicieusement, de fines tranches de magret bien grasses atténuent sa fougue.

Le moment est venu de goûter deux champagnes assez exceptionnels. Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1966 explose en bouche d’arômes innombrables, comme les gigantesques boules d’un feu d’artifice. On dirait un bouquet tout rond de saveurs infinies. La sommelière évoque le bonbon au miel et c’est très vrai. J’y ajoute le picotement du poivre et un bouquet de fruits exotiques. Alors que le Moët 1966 est tout en rondeur, le Champagne Dom Pérignon 1966 est tout en profondeur. Très riche, lourd de sens, il laisse une trace en bouche qui est comme un sillon de bonheur. Ce champagne est beaucoup grand que le Moët mais ne lui fait pas ombrage. Les deux sont délicieux, très différents, le Moët dans des notes très colorées et généreuses, le Dom Pérignon dans la profondeur, dans la noblesse et l’élégance. J’ai toujours eu un amour particulier pour Dom Pérignon 1966. Celui-ci est brillant et c’est sans doute le plus sérieux de ceux que j’ai bus. Avec le Brut Impérial, je me demande toujours comment fait Moët pour réussir des vins de cette richesse. La matière de ces deux champagnes est beaucoup plus brillante que celle du Jacquesson.

Sur la brioche à la crème, le Moët est à son aise et sur des dés de veau cru au raifort, le Dom Pérignon est parfait. Lorsque l’on prend avec du pain la sauce au parmesan, l’accord avec le Moët est diabolique.

Le Château Mouton d’Armailhacq 1934 est bien fatigué. Il expose une acidité assez prégnante qui gêne le plaisir. Le lieu jaune, absolument divin arrive à le réveiller et comme j’ai la chance qu’on me serve le fond de la bouteille je peux prendre conscience de la richesse de trame de ce vin car l’acidité n’a pas touché la lie, riche et truffée.

Lorsque j’étais arrivé, Tomo était en train de se battre avec le bouchon du Château Montrose 1959. J’ai pris les choses en main, car j’adore ça, pour sortir le bouchon tout déchiqueté sans qu’aucune brisure ne tombe dans le liquide. Tomo était peu optimiste pour ce vin et il a tort, car c’est un très beau Montrose, peut-être légèrement coincé et un peu simplifié, mais c’est un vin plaisant, riche au message très droit. Je l’ai beaucoup aimé. Le lieu jaune s’accorde à merveille avec ce vin. C’est le plus beau plat du dîner.

Le Musigny domaine Comte Georges de Vogüé 1967 est d’une couleur d’un rose fané. Le vin est un peu trouble. En bouche, on a un vin qui n’est pas désagréable, mais qui n’est pas ce que peut donner le domaine de Vogüé. Alors, on est un peu déçu.

Fort heureusement, le Musigny domaine Jacques Prieur 1967 rattrape la mise. Au nez et à l’attaque en bouche, il a des accents de vins de la Romanée Conti. C’est à cause de sa trace saline. Résolument bourguignon, ce vin me plait beaucoup. Il est de 1967, ce qui limite un peu sa puissance. Mais il est plaisant. Sur l’agneau servi en deux services les deux vins se comportent bien, surtout sur la première partie.

Tomo me demande la couleur du vin que j’aimerais goûter maintenant. J’aimerais bien un vin rouge charnu. Le vin est goûté à l’aveugle et je me trompe de région, car ce vin très équilibré, sans aspérité apparente pourrait provenir de plusieurs régions. J’ai eu en tête Haut-Brion mais c’est en fait un Chateauneuf-du-Pape Henri Bonneau Cuvée Spéciale 1998. Il n’y a eu que 2.200 bouteilles de cette cuvée dont Tomo me dit qu’elle n’a été faite qu’en 1990 et 1998. Le vin est opulent, d’un équilibre rare. On a du mal à le cerner, tant tout est intégré, lissé, policé. C’est un beau grand vin surprenant. Je l’aime beaucoup. Nous le buvons sur une tomme de Savoie un peu forte pour lui.

Nous finissons notre parcours avec un Château Rieussec 1958 à la magnifique couleur, agréable, mais qui demanderait à s’étoffer de quelques heures d’aération avant de le déguster.

Le service est amical et attentionné, les plats sont d’une grande justesse. Si l’agneau en deux services est un régal, la deuxième partie étant d’une gourmandise rare, c’est le lieu jaune que j’ai trouvé le plus raffiné. La palme à l’innovation vient de la viande crue au raifort avec la crème de parmesan. C’est une belle idée. La bouteille qui émerge, et de loin, est le Dom Pérignon 1966 magnifique, suivie du vin d’Henri Bonneau 1998 et du Moët 1966.

Tous les vins n’étaient pas parfaits, mais ce qui compte c’est le voyage que nous avons faits dans le temps, avec des convives attentifs, dans une ambiance multilingue joyeuse. Merci Tomo.

 

DSC03976 DSC03982

DSC03985 DSC03981

DSC03962DSC03986

DSC03977DSC03979

DSC03987DSC03975

DSC03963DSC03965 DSC03966 DSC03968 DSC03970 DSC03973 DSC03974

DSC03967

DSC03988

Déjeuner au restaurant Laurent avec un Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau vendredi, 22 février 2013

Déjeuner au restaurant Laurent. C’est rare que je prenne des vins de la carte puisque le plus souvent, grâce à la gentillesse de Philippe Bourguignon, j’apporte mes vins. Ayant le temps de regarder la carte, je peux voir comment les vins de certains domaines disparaissent de la carte. Ainsi, pour les plus emblématiques domaines de Bourgogne on trouve de 2009 à 2006. Et après, tout a été asséché. C’est évidemment dommage car c’est après que les vins seraient les meilleurs. Et cela tient à deux choses : il est coûteux de garder des caves « longues », et les prix du restaurant étant sages, les amateurs n’ont pas de frein pour commettre des infanticides. Hélas, mais pour mon plus grand plaisir, je serai de ce camp-là, en choisissant un Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2006.

Le nez de ce vin est prometteur des plus belles complexités. On ne s’arrêterait pas de n’en saisir que les parfums. Le nez évoque une belle tenture de velours que l’on expose à un chaud soleil. Il est capiteux, poivré, complexe. On se complait d’imaginer les saveurs, sans y goûter.

Les plats choisis pour ce vin sont le cabillaud et les pieds de porc. Le côté salin du cabillaud met bien en valeur le salin bourguignon du vin alors que le pied de porc cultive son opulence. Ce vin est riche, mais a une belle fraîcheur, si bien que la première image qui me vient est celle de l’eau tranquille d’un ruisseau qui vient d’être agité par une petite bise. Le vin est frais, marqué d’un beau fruit rouge et noir, et d’une belle trace de poivre. Ce qui est enthousiasmant, c’est que le message n’en finit pas. Alors que la gorgée vient d’être avalée, elle continue de chanter dans le palais. Ce vin, c’est un tapis volant, c’est mille et une nuits de saveurs. Si les vins de Rousseau plus chenus ont une assise plus ferme, on a ici la folle insouciance de la jeunesse. C’est un vin qui ne finit jamais de complexifier son message, ajoutant saveur sur saveur. Dans la jeunesse, c’est un vin plein d’énergie mais aussi de douceur, vin raffiné dans la séduction et le plaisir. Un grand moment sur une cuisine raffinée.

déjeuner de conscrits avec un chambertin de talent lundi, 18 février 2013

C’est à mon tour d’organiser le déjeuner de notre club de conscrits. Ce sera au restaurant Garance, dans le salon privatif du premier étage. J’ai apporté les vins il y a plusieurs jours. Lorsque j’arrive, une heure avant le déjeuner, j’essaie d’ajuster les plats prévus par le chef avec mes envies. Nous nous comprenons bien, mais le fait que la direction est bicéphale, Guillaume Muller et Guillaume Iskandar, va poser des petits problèmes de communication. Ils joueront à la marge, bien sûr.

Sur la suggestion du directeur, nous commençons par le Champagne Efflorescence Marie-Courtin Extra Brut Pinot Noir 2007. Le champagne est bien fait mais amer et rude. Il est fort aimablement adouci par la brioche et sa sauce moutarde. Nous passons vite au Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1990. Mes amis sont émerveillés par sa jeunesse. Ce champagne de 22 ans a une bulle active comme s’il avait dix ans, une couleur d’un jaune citron et en bouche, il cause ! C’est un champagne vibrant, d’une belle mâche, agréable, car avec lui, on ne se pose pas de question. On le boit avec joie. Sur le foie gras et purée de topinambour, l’accord se fait.

Le Château Laville Haut-Brion 1998 est hélas bouchonné. Une goûteuse sauce aux champignons efface un peu cette impression mais hélas le vin n’est pas au rendez-vous, même s’il n’est pas un repoussoir.

Sur un lieu jaune, nous goûtons le Domaine de La Passion Haut-Brion Graves 1978. A l’ouverture, le parfum de ce vin était celui d’un premier grand cru, et l’on aurait pu le confondre avec le parfum d’un Haut-Brion. Une heure et demie plus tard, le parfum est toujours aussi puissant mais moins vif. En bouche, c’est un vin riche, très truffé. Il est beaucoup plus noble que ce que je pouvais imaginer.

Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1964, dès que je le goûte, me fait un choc. Un ami demande : « est-il mauvais ? ». Je souris et dis : « c’est le contraire. Quand un vin est de première grandeur, je ressens comme un choc ». Ce vin délicieusement bourguignon est romantique. L’année 1964 a adouci toutes les aspérités de la jeunesse et le vin glisse en bouche avec délicatesse. Quel grand vin ! Un ami s’alarme du fait qu’il est trouble. Et c’est vrai, mais cela n’affecte en rien son goût qui nous enchante tous.

La Côte Rôtie La Turque Guigal 1993 est fruitée à souhait, généreuse, gouleyante. Mais lorsque l’on revient au chambertin on constate à quel point la subtilité est chez le bourguignon, la pétulance étant sur les pentes escarpées de la Côte Rôtie.

Lorsque j’avais ouvert les deux vins doux, leurs parfums si typés et si différents m’avaient poussé à aller voir le chef pour qu’il les sente. Et j’imaginais que le Maury avec ses notes si prononcées de réglisse accompagnerait bien un ris de veau réglissé, que le vin sud-africain avec ses notes d’agrumes mais aussi de fenouil irait avec un dessert aux agrumes, et le dessert au chocolat verrait le retour du Maury. C’est ce qui s’est passé.

Le Maurydoré Cuvée Désiré Estève Paule de Volontat 1932 est délicieux. Il combine la fraîcheur qu’aurait un vin jeune avec la profondeur que donne son grand âge. Avec le ris de veau réglissé, l’accord est comme je le souhaitais.

Le Klein Constantia Afrique du Sud Sauvignon blanc 1998 est d’une rare fraîcheur. Ce qui est intéressant, c’est de comparer les deux vins. Le Constantia est sur des évocations de fruits jaunes ou oranges, comme mirabelle ou mangue. Le Maury est dans les fruits bruns comme le pruneau ou la quetsche. Le sud-africain paraît moins muté et plus frais que le Maury plus lourd. Le Maury crée un accord avec de dessert frais au chocolat qui est diabolique.

Si l’on doit classer les vins ce sera : 1 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1964, 2 – Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1990, 3 – Maurydoré Cuvée Désiré Estève Paule de Volontat 1932. L’accord le plus brillant est, pour mon goût, le dessert au chocolat avec le Maury puis le lieu jaune avec La Passion Haut-Brion 1978. Ce fut un déjeuner de conscrits fort réussi.

casual Friday au restaurant Garance samedi, 16 février 2013

En quittant les locaux de la Romanée Conti, je devais faire fissa, car un déjeuner m’attendait à Paris. Un ami avait pris l’initiative de relancer les casual Fridays que j’avais un peu oubliés. Il avait tout organisé et voilà qu’arrive l’invitation de la Romanée Conti. J’aurais eu mauvaise grâce à faire annuler ce déjeuner aussi ai-je tout fait pour pouvoir être aux côtés de mes amis au point de paraître impoli en faisant accélérer les présentations des scientifiques sur les vins mystères de l’abbaye de Saint-Vivant.

Lorsque j’arrive au restaurant Garance, le service a été ralenti pour tenir compte de mon arrivée tardive. Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle a déjà été bu mais un des convives me tend son verre pour que je profite un peu de ce champagne très expressif au citron ensoleillé.

Sur le risotto nous avons deux vins. Le Chassagne-Montrachet 1er Cru les Caillerets Marc Colin 1992 est d’une richesse de goût qui pourrait être celle d’un grand cru. Il faut dire que l’année 1992 est superbe. A côté, le Condrieu Delas 1984 fait un peu simple mais il est gouleyant et je l’aime bien dans sa simplicité. Et les deux vins cohabitent bien. On peut passer de l’un à l’autre et profiter d’un bourgogne riche, complexe et subtil autant que d’un Condrieu joyeux, généreux et facile à vivre.

Sur du poisson, je recommande que l’on serve le Château Mouton-Rothschild 1979 et l’ami organisateur qui doutait que ce soit possible est tout étonné. Le vin n’est pas puissant. Il est tout en suggestion. Son velours est délicat. Ma voisine qui l’a apporté, œnologue de talent, est plutôt critique avec ce vin. Cela dépend en fait de la perspective que l’on a pour ce vin. Si l’on accepte une « petite musique de nuit », onprend du plaisir avec ce vin de bonne mâche.

Un Valbuena Vega Sicilia 1986 est un vin généreux et ensoleillé. Mais la mémoire du Vega Sicilia Unico m’empêche de profiter autant que je le voudrais de ce vin franc et accessible, car j’ai en tête le gap qualitatif entre les deux.

Le Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes Paul Avril 1973 a une couleur trop tuilée pour son âge. Mais le vin dépasse une première fatigue pour devenir plaisant. Il manque quand même de précision. Le Juliénas Antonin Rodet 1947 a une couleur beaucoup plus jeune. Il est assez simple, mais il est très vivant. Il réagit très bien à la chair de la viande.

Pour le fromage nous ouvrons un Château Carbonnieux blanc 1984étonnamment vert pour son âge. Il est très citronné et heureusement, le vin le domestique un peu.

Un Château Doisy-Daëne 1970 est extrêmement bouchonné. Autour de moi les amis guettent son retour à la vie, mais, même lorsqu’ils annoncent que le vin est revenu, je ne modifie pas ma position négative sur ce vin.

Un Champagne Louis Roederer brut premier sans année est suffisamment agréable pour mettre un aimable point final à ce déjeuner d’amis. Il a fallu que Guillaume Muller nous chasse, tant nous parlions de bon cœur des problèmes politiques qui noircissent l’avenir au lieu de l’éclairer. Sur une belle cuisine, assez peu copieuse, ce fut un beau casual Friday.

restaurant Garance jeudi, 14 février 2013

Nouveau passage au restaurant Garance. Au rez-de-chaussée, saluant Guillaume Iskandar, le talentueux chef, je lui demande quels sont ses beaux produits du jour. Il évoque un risotto à l’ail et un beau ris de veau. Voilà qui pourrait s’accorder avec un aimable vin rouge. Un examen de la carte des vins me pousse vers un Domaine de Trévallon vin de pays des Bouches-du-Rhône 2003. La présentation des plats est élégante dans sa simplicité. Lorsqu’on voit des légumes verts autour du risotto, en feuilles ou en émulsion, on se dit qu’ils ne seront pas l’ami du vin mais en fait, cela fonctionne très bien et j’apprécie les vins qui en sont capables. Le vin est un peu frais et a besoin de s’épanouir. Son nez est profond, de grande sensibilité. Le vin est précis, fin, raffiné, et on serait bien en peine de reconnaître une région. Car sa finesse est celle des grands vins de toutes régions. Rien n’est excessif, et le velouté qui apparaîtprogressivement est très soyeux. Elégance, raffinement, toucher de bouche délicat sont ses caractéristiques. Le ris de veau est d’une très belle qualité et le vin en profite. Guillaume Muller apporte un peu d’un Hermitage de l’union des propriétaires de vins fins à Tain l’Hermitage 1984. A l’aveugle, j’ai beaucoup de mal à imaginer une région. Le vin est assez faible, mais surtout très court. Sa plus belle qualité est de mettre en valeur, s’il en était besoin, un magnifique Trévallon 2003 profond et raffiné. La table Garanceest une belle halte où je reviendrai bientôt.

déjeuner au restaurant La Cagouille jeudi, 14 février 2013

Un rendez-vous a été pris avec un journaliste que je ne connais pas, qui possède et anime une revue sur les vins de Loire. C’est l’occasion d’optimiser les trajets en fixant le point de rencontre au restaurant La Cagouille, à un jet de pierre de la gare Montparnasse. Dans l’intelligente carte des vins du restaurant, il n’y a que des pépites et on a l’embarras du choix pour boire du grand sans se ruiner. Je suis tenté par une bouteille emblématique, que l’on m’apporte. L’expérience m’a appris qu’il vaut mieux être prudent et ne pas l’ouvrir avant l’arrivée de mon invité. J’ouvre la bouteille que j’ai apportée, que mon convive découvrira à l’aveugle. A cet effet, je fais carafer le vin aux couleurs d’un ambre doré du plus bel effet.

Mon convive n’est pas arrivé à l’heure du rendez-vous, aussi des petites coques vont me permettre de patienter. Et l’idée me vient que les coques et mon vin vont créer un accord merveilleux. Voilà qui serait une belle entrée en matière pour une interview.

Jean-Claude arrive et nous nous présentons. Il me prévient qu’il a subi rhume et grippe l’obligeant à prendre des antibiotiques, ce qui lui interdit le vin. Adieu le vin d’Auvenay que j’avais lorgné. Mon vin étant le seul ouvert, nous y tremperons nos lèvres. Je compose le menu : coques, langoustines juste cuites, barbue avec des pommes de terre et oignons frits.

Sur les coques, l’accord avec le vin mystère marche remarquablement. Les coques ont un goût salé qui picote le vin et lui donne une belle vibration. Mon invité reconnait le chenin, et ne se trompe que de quarante ans sur le millésime. Il est loin des records de dégustateurs célèbres. Je ne résiste pas au plaisir de lui montrer la bouteille : Tête de Vouvray, Vouvray, Mme Dubech Jeune, négociant 1937. Le vin a une couleur très ensoleillée. Le nez est très pur et délicat. En bouche, l’acidité est figurée par du citron, de la mandarine. Et, plus le vin s’étend dans le verre et plus l’on va vers les abricots, les zestes d’orange et les fruits confits. Si le vin n’est pas d’une très noble extraction, il me séduit par sa complexité et par la longueur en bouche qui laisse une trace de grande fraîcheur. On n’est pas en présence du vin le plus raffiné, mais on jouit d’un vin de plaisir. Ce qui m’étonne, positivement, c’est qu’il fait bonne figure aussi bien sur les langoustines que sur la barbue qui lui donne le plus de tension. Il nous semble qu’il devait être très peu moelleux. Il a tenu sa place tout au long du repas, donnant un plaisir suffisamment joyeux pour compenser le petit manque de structure et de noblesse.

J’avais prévenu André Robert le propriétaire des lieux de mon passage, mais il n’était pas libre. Il m’a appelé au milieu du repas. Ses deux acolytes que j’appréciais beaucoup ne sont plus là. Mais une charmante jeune femme qui m’a reçu a montré qu’elle est une collaboratrice sur laquelle André peut compter. Ce restaurant a une carte des vins qui inspire le respect, une cuisine simple fondée sur le produit qui est l’amie du vin. C’est une table clef de la restauration parisienne.

DSC03847

dîner chez des amis dans le sud dimanche, 10 février 2013

Dîner dans le sud chez des amis. Le Champagne Heidsieck Monopole est un aimable champagne, pas très ample, mais agréable à boire. Le Champagne Dom Pérignon 2003 confirme une impression récente : il est aux abonnés absents. C’est un bon champagne, mais la vibration n’est pas là. Viendra-t-elle un jour ? A suivre.

Le Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2004 est généreux. Un peu taillé à la serpe, anguleux, il est toutefois très agréable à boire. Le message est un peu monocorde au fur et à mesure de la dégustation mais il convient bien à un filet de bœuf très tendre. C’est un vin de belle qualité qui vieillira bien.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1996 est très expressif. C’est un champagne ample, à la mâche solide, et à la trace intense. Il est extrêmement agréable, parce qu’il transmet des émotions. J’aime sa personnalité. Il est tellement intéressant que nous le sirotons encore à trois heures du matin, n’arrivant pas à accorder nos avis sur le sujet du moment, le mariage gay.

dîner avec Dom Pérignon 1980 dimanche, 10 février 2013

Nous avons profité de notre fils près de trois semaines, deux à Miami et une à Paris. Il nous quitte demain. Ma femme a prévu frugal et raisonnable, mais on ne peut pas se quitter comme cela. Pour ce dernier dîner, j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1980. La couleur est belle, d’un ambre clair. Le pschitt est marqué même s’il n’est pas explosif. Le nez est joli, riche d’arômes champêtres. En bouche, c’est une très grande surprise. Jamais on n’attendrait un 1980 à ce niveau de noblesse. Le champagne est puissant, conquérant, énigmatique. Mon fils voit des fruits, alors que c’est le caractère vineux qui me frappe. Il est évolué, mais sa jeunesse est toujours là. Il est complexe et très difficile à définir. Je vois du minéral, presque du sel, et un peu de fumé. Mais le plus important, c’est son ampleur et sa noblesse. Dom Pérignon atypique, il nous a conquis et conduits à bavarder tard dans la nuit des derniers sujets qu’on voudrait ne pas oublier avant son départ.

restaurant Garance mardi, 5 février 2013

Tomo n’avait pas pu être des nôtres au réveillon de fin d’année 2012 parce qu’il avait programmé un voyage dans des pays exotiques. Cela faisait trop longtemps que nous ne nous étions vus, aussi rendez-vous fut pris au restaurant Garance. J’avais en cave un Château Ausone 1914 de niveau basse épaule mais de très belle présentation qui ne demandait qu’à être ouvert. Je le propose à Tomo. Nous nous retrouvons à midi trente et Tomo a déjà fait ouvrir ses bouteilles. J’ouvre l’Ausone dont le haut de la capsule ferait fondre un numismate, tant son dessin et sa couleur forment une œuvre d’art, et le premier nez est délicieusement délicat. Je repose la bouteille et quand je veux la sentir à nouveau, brrr, un vilain nez de bouchon occupe l’espace et occulte toute autre sensation. Tristesse, tristesse.

Le Champagne Dom Pérignon 1970 est d’un or d’ambre gris. Le nez est intense et en bouche, c’est un expression atypique de Dom Pérignon. Il y a du miel, mais un miel amer. Le champagne est profond, typé, expressif, mais il est borderline. Il joue à part, et c’est follement excitant. Tomo a fait ouvrir aussi un Château Chalon Henri Maire 1945. Le nez est conforme à ce que l’on attend, l’attaque en bouche est naturelle et ce qui apparaît, c’est une absence de corps. Le vin est agréable, mais il manque de souffle. Nous avons pour l’apéritif une brioche avec une crème épicée délicieuse et rien n’est plus intelligent que cette entrée en matière. Nous pouvons vérifier comme chaque fois que le Château Chalon donne au champagne un coup de fouet de première grandeur. Il y a une symbiose entre le vin jaune et le champagne qui est spectaculaire. L’entrée est : ravioles de lotte, émulsion moules. On ne peut pas imaginer à quel point cette entrée rehausse le Château Chalon. C’est étonnant. Le champagne y trouve son compte aussi, champagne qui m’intéresse d’autant plus qu’il est hors norme. Tout au long du repas il saura garder cette sympathique énigme.

Le plat suivant est volaille, boudin et olive. Le Château Ausone 1914 a un nez horrible de bouchon. Le goût en bouche est évidemment influencé par le goût de bouchon, mais le vin a quelque chose à dire. Il y a un velouté, une truffe, qui nous accrochent à son message. Car, même blessé, ce vin a quelque chose à dire, et je bénis le ciel que ce vin ait été ouvert avec Tomo. Car Tomo, comme moi, écoute le message du vin, sans prononcer d’excommunication hâtive. Nous écoutons, nous écoutons, mais quand même, nous aimerions avoir du vin, aussi Tomo fait ouvrir une Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1996. Quel vin ! Il a tout ce qui fait l’âme de la Romanée Conti, avec ce côté salin si caractéristique. Ce vin est une splendeur de complexité et de subtilité, avec une longueur raffinée. Il est follement domaine, le plus proche de cœur de la Romanée Conti. Il ne fait aucune ombre à l’Ausone qui continue à exister et dont le bouchon est de moins en moins sensible au point qu’avec un bleu de Termignon très peu fait, il donne l’impression que tout est corrigé.

Que retenir de ce déjeuner ? La première chose est qu’avec Tomo, nous partageons la même approche du vin : l’important est d’ouvrir et d’écouter le message du vin. Il existe quelques rares enregistrements du Caruso, chanteur légendaire de bel canto. Quand beaucoup d’amateurs n’entendraient que les grésillements, nous entendons, Tomo et moi, le Caruso. L’Ausone 1914 était objectivement malade, mais nous avons capté ses derniers souffles. La deuxième chose est la qualité de la cuisine de Guillaume Iskand. Sérieux, élégant, précis, c’est un chef qui va à l’essentiel. C’est une très bonne nouvelle pour les accords mets et vins. La troisième chose est l’accueil charmant de Garance, un restaurant où on se sent bien. Je classerai ainsi : 1 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1996, 2 – Champagne Dom Pérignon 1970, 3 – Château Ausone 1914, 4 – Château Chalon Henri Maire 1945.

restaurant Georges Kitchen dans le Design District de Miami dimanche, 27 janvier 2013

Certaines font de l’or avec tout ce qu’ils touchent. Georges est de ceux-là. Français arrivé à Miami il y a plus de dix ans, il a ouvert un restaurant « Georges ». Plus tard un deuxième. Il en a fermé un et ouvert un autre il y a dix jours, le restaurant Georges Kitchen dans le « Design District ». A peine ouvert, ce restaurant est plein et fréquenté par les « beautiful people ». Le premier étage est « The Loft Georges « , « cocktails and bar bites ». La musique y est assourdissante et Georges, souriant nous offre des coupes d’un champagne rosé « Georges » qui ne marquera pas nos mémoires. Les jolies filles aux jambes interminables se succèdent à un rythme inouï.

Georges m’explique qu’avec ses deux restaurants, « Georges Sunset » et « Georges Kitchen », il emploie près de deux cent personnes pour environ huit cent couverts par jour. C’est la réussite et on le voit, tant la place grouille de monde.

Au rez-de-chaussée, c’est le restaurant, avec sa cuisine centrale et ouverte où des tabourets permettent à certains clients de dîner face à la ruche qui y travaille. A notre table, nous commandons un Champagne Pierre Péters Cuvée de Réserve Grand Cru sans année qui se boit avec grand plaisir, vin jeune qui claque bien en bouche. La ronde des jolies filles est incessante et le bruit est assourdissant, mais c’est l’endroit à la mode, devenu à la mode en moins de dix jours. Comment le bouche à oreille peut-il être aussi efficace ?

La cuisine est solide, sérieuse, sans risque. Le secret de Georges, c’est un service d’une qualité irréprochable et d’une efficacité totale. Il faut dire que Georges voit tout et gare au serveur qui ferait une faute ! Sur les conseils d’un ami de mon fils qui connaît bien le vin, nous prenons un Col Solare vin rouge de la Columbia Valley 2007 qui titre 14,5°. Ce vin est le fruit d’une association entre Antinori et le Château Ste. Michelle de l’Etat de Washington. Le vin est lourd. Il trouerait les chaussettes tant il plombe le palais qui ne peut résister. Mais il est sauvé par un final frais très végétal. C’est un vin agréable mais un peu monotone, au discours peu complexe.

Nous ne sommes pas là pour faire de l’œnologie, mais pour essayer de discuter dans le vacarme ambiant, tout en « nous rinçant les mirettes » devant ce contingent de jolies filles, et pour profiter de la chaleur communicative de Georges, personnage chaleureux et affectif qui tient là « the place » où il faut être si l’on est branché.