Il se trouve que le dîner qui a clôturé le premier semestre est le 299ème. Le prochain dîner sera fin septembre. Il est intéressant, mais il n’est pas au niveau des dîners comme le 100ème ou le 200ème. Une solution était possible, de créer plusieurs 300ème dîners (des A, B ou C), pour satisfaire les fidèles participants de mes dîners.
Comment résoudre ce dilemme ? J’ai décidé que ce serait le déjeuner du 15 août qui serait le 300ème repas. De ce fait j’ai préparé avant de partir dans le sud, donc tout au début du mois de juin, ce qui conviendrait à ce grand événement. Et je dois dire je suis très excité par le choix que j’ai fait. La veille du 15 août, donc juste après notre retour du repas chez Alexandre Mazzia à Marseille, j’ai ouvert un magnum de Champagne Salon 2008 pour qu’il ait pris de l’ampleur au moment du déjeuner.
De tôt matin, j’ai ouvert les autres vins. Le ciel devait être avec moi car les ouvertures se sont faites avec une grande facilité et sans risque de mauvaise odeur. J’ai eu un petit doute sur le parfum du Chevalier Montrachet, mais ce doute a très vite disparu.
La gestation du menu avec mon épouse a occupé de longues heures de discussions. Il est parfois plus facile de créer un menu avec un chef trois étoiles qu’avec la femme qui partage ma vie depuis 59 ans. Mais nous y sommes arrivés et voici le menu.
Le menu de Silke Audouze : rillette, saucisson mou, jambon Paleta de Pata Negra, pâté en croûte de canard aux abricots / anchois Cantabrique sur brioche toastée / caviar osciètre / filet de bar sur sa peau avec caviar baeri / magret de canard polenta truffée / Wagyu en deux services sel fleuri ou avec purée Robuchon / deux fromages Jort de divers affinages / tarte au citron meringué de Matyasy.
Le Champagne Salon Magnum 2008 est une singularité dans le monde du champagne, car ce 2008 n’a été proposé qu’en magnum et vendu dans des coffrets avec six autres champagnes Salon de trois autres millésimes. De ce fait ce champagne est devenu rare et difficilement accessible. C’est un champagne de ce calibre qu’il fallait pour un 300ème repas. Il mérite sa légende. Il est solide et majestueux. Mais il y a tellement de vins étonnants que ce champagne ne figurera même pas dans les six premiers du classement global.
C’est la rillette qui, de loin, met en valeur le beau champagne, suivie du saucisson dit ‘mou’. Et l’anchois crée l’accord le plus raffiné et subtil.
Le Champagne Heidsieck DRY Monopole 1955 est une pure merveille à la richesse infinie. L’indication DRY me laissait présager que ce champagne serait très doux, contrairement à l’acception habituelle de ce mot, mais en fait il est vif, opulent et délicieusement charmeur. C’est la plus belle surprise gustative.
Le champagne a cohabité avec le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1994 et c’est agréable de constater que l’on peut passer de l’un à l’autre sans problème, chacun mettant en valeur son partenaire. Le filet de bar avec le caviar a fait briller les deux, le Chevalier Montrachet prenant une longueur que l’on n’attendrait pas de son millésime. Il est un Leflaive de grande pureté. J’ai pu constater aussi que le champagne était pour moi l’accompagnant naturel du caviar et qu’en fait le riche blanc de Bourgogne convenait très bien au caviar.
L’idée de mettre ensemble un Pétrus 1976 avec un Clos de Tart Grand Cru Monopole 2009 est quelque chose qui m’excite au plus haut point et comme pour le couple précédent, chaque vin respecte l’autre. Et l’on analyse beaucoup mieux leurs singularités. Le Pétrus est d’une rigueur profonde, assis sur une structure impressionnante. Le Clos de Tart est le jeune tonitruant, fier de sa jeunesse et éclatant de joie. Je suis si heureux de les avoir mariés.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1970 est d’une année difficile aussi étais-je prudent en le mettant dans ce repas. Mais il a montré une subtilité qui confirme que c’est dans les années incertaines que la Romanée Conti expose le mieux la subtilité de ses vins. L’avantage du wagyu est qu’il met en valeur tous les vins qui l’accompagnent. Une Tâche émouvante, complexe aura enthousiasmé mes amis.
Un 300ème repas m’imposait d’ouvrir les bras aux vins étrangers. Le Harlan Estate Californie 2010 est un vin riche et puissant, influencé bien sûr par les orientations de Robert Parker, mais de façon intelligente.
A côté de lui, le Vega Sicilia Unico 1961 combine la puissance et le subtilité, avec un finale charmant. Je ne sais pas pourquoi, mais les camemberts Jort ont l’air d’avoir été créés spécialement pour le champagne Salon et pour le Vega Sicilia Unico, car les accords sont particulièrement réussis.
Il fallait un intermède avant le dessert et j’ai choisi un Champagne Salon 2015 que je trouve d’un romantisme charmant. Ce champagne me fascine.
Il est suivi du Château d’Yquem 1970 au parfum envoûtant qui se montre plus gourmand que ce que j’attendais. Dans ma vision des vins c’est un sauternes ‘jeune’, mais il a quand même 55 ans et montre une sérénité joyeuse sur la tarte au citron.
J’avais dans le sud une bouteille de Cognac Grande Fine Champagne Navarre 1925. Je ne sais pas comment elle est arrivée ici et quand nous l’avons ouverte car il en reste peu. Mais pour un repas comme celui-ci un alcool de cent ans s’imposait. Contrairement à ce que je pensais, ce cognac a gardé une belle énergie et une grande noblesse.
Le classement des vins dont le cognac est exclu puisque nous le buvons en votant, n’est pas facile. Ma femme n’a pas voté puisqu’elle ne boit pas. Nous sommes sept qui désignent leurs cinq vins préférés. Tous les vins ont eu au moins un vote, ce qui est plaisant. Seuls deux vins ont trusté les votes de premier. La Tâche a eu cinq votes de premier et le Champagne Heidsieck deux votes de premier.
Le vote de l’ensemble de la table est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1970, 2 – Champagne Heidsieck DRY Monopole 1955, 3 – Pétrus 1976, 4 – Vega Sicilia Unico 1961, 5 – Champagne Salon 2015, 6 – Château d’Yquem 1970.
Mon vote est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1970, 2 – Pétrus 1976, 3 – Champagne Salon 2015, 4 – Champagne Heidsieck DRY Monopole 1955, 5 – Magnum Champagne Salon 2008.
Je suis content d’avoir associé des vins que rien ne rapproche logiquement. L’anchois, le filet de bar et le Wagyu ont été les plus belles saveurs.
Dans une ambiance de grande amitié nous avons vécu un moment merveilleux avec des vins excellents. Vive le 300ème.