Dîner d’amis américains au restaurant Maxence lundi, 25 mars 2002

Réception d’un couple d’américains amateurs de vins. Une fois de plus au Maxence. Occasion d’ouvrir un Rivesaltes du Domaine Cazes 1976, la Cuvée Aimé Cazes, vin tant aimé de Bernard Cazes, qui a une si belle construction. Un signe qui ne trompe pas : plusieurs heures après, dans le verre vide, l’odeur était toujours aussi belle (amis gourmets, exigez de vos restaurateurs préférés que les verres vides restent sur table ! rien n’est plus plaisant que l’évolution des odeurs). Un Charmes Chambertin 1997 de Louis Max fut un agréable Bourgogne. Cette ancienne maison a toujours fait de bons vins. Celui-ci était agréable, mais bien jeune. La vraie star de ce dîner fut Château Coutet 1924. Comme chaque fois, mais vous le savez déjà, les Sauternes des années 20 se révèlent des vins merveilleux. Couleur ambrée, et cette senteur si imprégnante. Ces vins peuvent se sentir pendant des heures. Classique arôme d’agrumes, de fruits exotiques. Un grand Sauternes, doté d’une longueur exceptionnelle. Un grand vin.

déjeuner d’un groupe d’amis jeudi, 21 mars 2002

Un déjeuner d’un groupe d’amis qui se retrouvent périodiquement. Un champagne Mumm 85 annoncé madérisé par le sommelier, que nous prenons en connaissance de cause, et qui se révèle délicieux, si on accepte cet aspect du champagne. Il était plus madérisé que le 37 de la photo de ce bulletin. Ormes de Pez 1989. Agréable, mais sans véritable intérêt. Puis une vraie merveille : Lafite 1986. Vin grandiose, orthodoxe, parfaite représentation du grand vin de Bordeaux. Le 1955 du précédent bulletin m’avait apporté un peu plus sans doute, mais celui-ci est plus dans l’épanouissement du jeune adulte, plus fruité et déjà bien mûr. Deux expressions de Lafite, le 86 et le 55, qui se complètent très bien. Il ne faudrait pas en conclure que vérité en Lafite erreur au delà. C’est le hasard des « voyages » œnologiques qui permet de comparer deux vins magnifiques dans deux expressions particulièrement intéressantes à mettre en perspective : le 86 et le 55 de Lafite.
Un Saint-Joseph « le Grand Pompée » de Paul Jaboulet Aîné 1992. C’est toujours intéressant d’explorer ces appellations qui sont agréables quand le vin, comme ici est bien fait. Pourquoi l’avoir ouverte ? Sans doute parce que sur l’étiquette il y a trois vers de la Maison de Roland de Victor Hugo dont c’est le bicentenaire. C’est le charme des coïncidences inopinées.

Dîner au Grand Véfour lundi, 18 mars 2002

Soirée au Grand Véfour, ce site si beau qui abrite un cuisinier de talent et une merveilleuse équipe talentueuse où j’ai retrouvé un sommelier ami. Un Vieux Télégraphe 1995 m’a confirmé le charme des Chateauneuf du Pape. Fort curieusement, j’ai préféré le début de bouteille quand le vin était encore frais à la fin de bouteille, quand la température faisait ressortir l’alcool au détriment de ce si beau fruit. Belle soirée dans un cadre enchanteur et historiquement marqué.

Vins divers samedi, 16 mars 2002

Essai d’un Hermitage blanc Chevalier de Sterimberg Jaboulet 1998 : un vin onctueux qui s’exprime avec un plat. Seul, il est orphelin. Très bien fait et puissant, ensoleillé et réjouissant. Un Vouvray demi sec de Clovis Lefèvre 1959. Le 1961 en sec m’avait déçu. Celui-ci, d’une grande année donne des sensations énigmatiques qui justifient qu’on l’aime : on est hors des sentiers des saveurs habituelles. J’ai ensuite essayé l’un de ces Banyuls années 20 sans étiquette de mon vieux militaire. Je suis rassuré : bon achat, et confirmation s’il en était besoin, que ces Banyuls antiques sont de pures merveilles.

Achats chez un particulier vendredi, 15 mars 2002

Dans le précédent bulletin je disais ne pas acheter de cave. Mais un hasard récent m’a fait visiter un vieux militaire chez qui j’ai trouvé des bouteilles qui enchanteront de prochains dîners, et de belles bouteilles de Banyuls des années vingt, à ouvrir au visiteur égaré et assoiffé … J’ai notamment acheté des Moët & Chandon 1928, qui justifient le petit clin d’œil de la photo ci-dessus. Ces grands vieux champagnes sont parfois, avec tout le risque couru, de véritables moments de bonheur.

Salon des Grands Vins dimanche, 10 mars 2002

Salon des Grands Vins. Il se tient chaque année à la Porte d’Auteuil. De talentueux grands vignerons tiennent stand, et d’autres y font des conférences. Ayant eu un stand l’an dernier, mais pas cette année, j’ai eu plus de liberté pour visiter des amis, ou les écouter religieusement, verre à la main. Philippe Parès exposait sa fabuleuse collection d’étiquettes. Il crée une association. Demandez moi les coordonnées. Il a plus de 200.000 étiquettes de rêve. Philippe assistait le Mas Amiel dont le stand fut le plus couru du Salon. Mas de Daumas Gassac accueillait ses fidèles admirateurs, et un stand du Sauternais dispensait de vrais trésors.
Parmi de belles découvertes lors de conférences : Cos d’Estournel, vin que j’adore dans ses expressions anciennes, faisait goûter Pagodes 97, Cos 97, Cos 98 et Cos 96. Je ne suis pas du tout convaincu par le travail excessif fait pour le 98 et à l’inverse, je me sens mieux avec l’orthodoxie historique du 96. Un grand vin qui mérite de ne pas être trop « travaillé ».
Une fabuleuse accumulation de Sauternes de 1999. Alors que je fuis généralement les jeunes Sauternes par crainte d’infanticide, on avait là de très beaux vins déjà agréables. Les préférences sont affaire personnelle. J’ai préféré Guiraud, loin devant les autres pour ses notes d’agrumes plus prononcées que d’autres, j’ai aimé la Tour Blanche moins choisi par d’autres à cause de son coté « fumé », j’ai aimé ensuite les trois plus représentatifs du Sauternais : Rayne Vigneau le plus féminin, Suduiraut le plus authentique et Lafaurie Peyraguey le plus solidement charpenté (on ne peut résumer de telles merveilles d’un seul qualificatif, forcément trop succinct). Ces cinq là se détachaient un peu de Filhot, Malle et d’autres qui composaient une dégustation exceptionnelle, couronnée par une vraie curiosité : les Rayne Vigneau et Guiraud 2001, si jeunes bébés sans jambe, mais jus si merveilleusement bon. L’un sentait moins bon que l’autre, mais les deux emplissaient le palais avec de merveilleuses promesses.
Haut-Bailly, mon chouchou, présenté par Véronique Sanders et Eric Beaumard qui en parle comme s’il l’avait fait ! Le 99 n’est pas facile à analyser car trop jeune (alors que le 2000 bu il y a un an m’avait enthousiasmé), le 97 est une réussite étonnante pour cette année là, et le 96, tout en subtilité et en savoir faire, mérite des années de garde, mais a tant de talent.
Un jeune membre de la famille Guigal présentait de jeunes vins d’immense talent. Le Château d’Ampuis, Côte Rôtie Guigal 1998 est chaleureux, ensoleillé, extrêmement plaisant. Et quand arrive La Landonne 1998. Mon Dieu ! Quel grand vin. Une richesse, une structure, une profondeur. Un plaisir gustatif extrême. N’était son prix élevé du fait de la rareté (4800 bouteilles par an dont tant sacrifiées ce jour même), on en ferait son vin de tous les jours, en se demandant quand on s’en lasserait ? C’est certainement mon plaisir gustatif le plus grand de ce Salon.
Dom Pérignon 1995 et 1985 sont de grands champagnes, le 85 plus à mon goût. Suis-je influencé par Krug ou Salon ? Je n’ai pas eu cette grande émotion qui est la marque des très grands champagnes.
Tout ceci montre à quel point le Salon des Grands Vins mérite le détour, car ces vins agrémentèrent des conférences d’une seule journée, et le salon en compte trois. Nicolas de Rabaudy mène de façon talentueuse ces présentations et fait en sorte qu’elles ne soient pas que de pur commerce, les « secrets » du vin intéressant des amateurs de très bon niveau.

Dîner à l’Ecu de France lundi, 4 mars 2002

Chez mon restaurateur fétiche, celui dont je ne dirai le nom que la tête sur le billot (mais le secret est déjà assez éventé) un prodigieux Lafite-Rothschild 1955. Bouteille poussiéreuse, un bouchon bien solide et sentant merveilleusement bon, couleur de jeunesse bien rouge, élégant, raffiné, exactement ce qu’un Bordeaux doit être. Académique, ce vin devrait être montré dans toutes les écoles d’œnologie pour représenter le travail parfait sur un vin : tout y est, et 1955 s’exprime maintenant d’une façon parfaite. Pas étonnant que Lafite survole les années récentes, années où d’autres en font trop !

Repas chez Dessirier vendredi, 1 mars 2002

Chez Dessirier qui trouve bien sa place maintenant, Carbonnieux blanc 1997. Il n’y a rien de plus énigmatique que ces Bordeaux blancs qui délivrent des saveurs et des arômes complexes, quasi orientaux. Belle alternative aux Bourgognes. Un Banyuls Domaine du Mas Blanc 1989 a accompagné les délicieux desserts de Dessirier (on n’y va pas que pour les poissons et les fruits de mer).

Des alcools et apéritifs vendredi, 1 mars 2002

Cette bouteille de liqueur de goudron Clacquesin au pin de Norvège doit dater, malgré une présentation très jeune, de 1925 / 1935. Elle fait partie d’un fond de cave hétéroclite. D’habitude je n’achète pas des caves entières, car c’est un métier en soi, les déchets pouvant être plus nombreux que les bonnes bouteilles. Mais j’ai été attiré par la présence de quelques bouteilles de vin d’Algérie des années 40 qui sont de tels plaisirs gustatifs que je n’ai pas résisté. Dans le lot, beaucoup d’apéritifs étranges dont des vieux Saint-Raphaël si fantastiques et de vieux alcools dont des Rhums du 19ème siècle. Et des Barsac génériques 1945 et autres amusantes originalités. Au milieu de ces bouteilles bien poussiéreuses une bouteille sans étiquette, avec un bouchon de rebouchage, et aucune capsule. Gros risque ! Je pensai que c’est un Barsac comme les autres et décidai de l’ouvrir pour faire plaisir à des amateurs curieux. Quelle surprise !!! C’est en fait un alcool de prune vers 1945/1950, sans doute d’un alambic clandestin. Le produit initial il y a cinquante ans devait titrer plus de 70°. Là, il titre encore au moins 53 / 55°. Le fruit est intense et brillant. Le goût de cet alcool est magique. Quelle belle tenue. Comme je l’ai souvent constaté, l’âge donne aux apéritifs et alcools un fondu magique qui les fait entrer dans des saveurs intenses mais lissées. Jamais la moindre Chartreuse verte faite après guerre ne peut donner l’émotion d’une Chartreuse du début de siècle. Même chose pour les Calvados, les Armagnacs et cette prune magique. Si d’aventure vous passez près de mon bureau, arrêtez vous. La bouteille de prune vous attend.

La troisième étoile de Guy Savoy vendredi, 1 mars 2002

D’abord, l’événement le plus sympathique des jours récents, c’est la troisième étoile de Guy Savoy. Il la mérite depuis longtemps, mais c’est si agréable de le constater quand cela arrive. Je suis passé le féliciter. Il règne dans son restaurant une atmosphère euphorique qui fait plaisir à voir. Guy Savoy sera certainement le plus ouvert et le plus accessible des grands chefs de ce groupe si restreint de grands talents. Il n’y a pas le risque qu’il se disperse, comme hélas d’autres l’ont fait.
Le lien de cet événement avec la bouteille ci-dessus n’est pas évident, mais voilà. Guy Savoy avait fait pour ma femme et moi une recette spéciale : un poulet en vessie au « zan » ! Pour une de mes bouteilles de Chypre 1845. Et l’association était magique, le soupçon de zan se mariant si bien avec la saveur de réglisse du Chypre. J’aimerais bien qu’il fasse – s’il en a envie – une recette pour ce si étrange apéritif Clacquesin qui sent le goudron de façon intense, comme de vieux Rieslings. C’est une liqueur faite avec des pins de Norvège, dont on prend les bourgeons, les fruits, et des herbes, pour obtenir une décoction noirâtre qui sent de façon brutale. En bouche on cherche sa voie, tant c’est étrange. On pense au Fernet-Branca, puis assez rapidement, comme le suggère le long texte de l’étiquette, on est pris par le coté apéritif, c’est à dire donnant faim, tant il titille les papilles. C’est sur cet appel d’un plat que j’aimerais qu’un grand chef crée, car on peut s’amuser sur une palette de goûts extrêmement inhabituelle. Je verrais bien des calamars, des pâtes parfumées, et pourquoi pas tester le céleri et l’artichaut ? L’association la plus provocante, ce serait sans doute le caviar tapissant le dos d’un poisson (ça passe ou ça casse, car c’est osé). J’ai faim en l’écrivant et en y pensant.