Repas divers mardi, 9 décembre 2003

De retour à Paris, un Château Canon 1er Grand Cru de Saint-Emilion 1986. Je l’ai volontairement servi juste sorti de cave, pour suivre son évolution. Délicieux quand il éclot, il ravit par son épanouissement ultérieur. Très fort tannin et joli fruit rouge, ce vin de forte charpente a de l’avenir. Quel contraste avec un Mazoyères Chambertin Henri Richard 1978 d’une couleur de thé dense. C’est le charme absolu qui explose en bouche, la panière de fruits qui envahit le palais, rapidement suivie par une amertume plaisante faite justement de goût de thé. Puis un final en panache. Deux vins très différents qui confortent l’obligation d’aimer les deux régions. Disons même les trois tant – en rouge – Bordeaux, Bourgogne et Rhône doivent être vénérés.

Repas dans ma maison du Sud lundi, 8 décembre 2003

Je rejoins ma maison du Sud en prévision d’un dîner de wine-dinners à l’Oustau de Baumanière. Je le raconte dans le bulletin 101. Déjeuner sur mer, sur des achats chez un caviste local qui fait d’assez bons choix. Savigny-lès-Beaune Vieille Vigne Doudet-Naudin 2001 : très jolie amertume qui précède une rondeur en bouche fort plaisante. Si c’est un vin de mélange, il est bien fait.

Domaine de Souviou Bandol 1996 qui a obtenu une médaille d’or en 1999 au concours général agricole. Il titre 13° comme le Savigny, mais on voit nettement l’influence de tannins lourds et de techniques modernes. Le Savigny nage dans l’authentique quand le Bandol nage dans le modernisme, ce goût flatteur mais de plus en plus détaché de la région d’origine. Il est intéressant de voir que c’est ce goût là qui est médaillé. Si c’est une tendance, ce n’est sans doute pas la bonne car les terroirs sont infiniment plus excitants que l’uniformité.

Un dîner de bord de mer avec des choix spontanés de ma cave locale, de modeste spectre. A l’apéritif, Charles Heidsieck mise en cave 1996 très champagne, mais très vert, un peu âpre, puis Bollinger Grande Année 1996. Ce qui est assez amusant, c’est qu’il présente beaucoup de racines communes avec le précédent, avec une élégance plus marquée. Un champagne très agréable et distingué, qui va se bonifier si on lui laisse quelques années de plus.

Sur une omelette aux truffes et foie gras, une idée me vient : Condrieu Guigal 1998. Accord parfait. Le vin a un peu de fumé, une belle concentration, et une solidité à toute épreuve. Très joli accord. Sur des daurades, Château Carbonnieux blanc 2000, blanc magnifique, avec des notes citronnées et une accumulation de saveurs chatoyantes. C’est un grand blanc de Bordeaux, qui combine avec plaisir quelques techniques modernes avec le beau terroir qui s’exprime avec bonheur.

Au fromage, La Courtade Porquerolles 1990 qui titre 12,5°. J’adore ce Côtes de Provence qui a un beau caractère. Cette propriété s’est orientée depuis vers des vins plus modernes. Elle doit savoir évidemment ce que ce 1990 peut exprimer en authenticité. C’est l’archétype du vin de charme quand on sait le situer dans son contexte culturel. Le Tokaji Aszu 5 Puttonyos 1988 qui titre 13° accompagne une tarte Tatin avec un infini bonheur. Le vin a la dorure des pommes. Son dosage en sucre est idéal pour ce plat. Un Escenzia eut été trop fort. Je me suis régalé de ce vin auquel j’ai trouvé des saveurs de thé et de confiture de fruits. Sur un repas fort simple, le choix des vins m’a particulièrement plu, car les accords se sont faits de belle façon.

 

 

Déjeuner à Apicius mercredi, 3 décembre 2003

Déjeuner à Apicius. Un grammairien dirait sans doute quand il faut dire "à" et quand il faut dire "chez", car la règle achoppe sur la sonorité. On ne va pas à Maxim’s mais chez Maxim’s, alors qu’on va à la Tour d’Argent ou au Carré des Feuillants. Aller chez Apicius ou chez Lucas Carton est plus une affaire de sonorité que de logique. Tout ça pour dire que nous nous rendîmes chez Jean Pierre Vigato. En premier choix de vin, Hermitage blanc de Jean Louis Chave 1997. Nez d’épices et de miel, couleur d’épi doré. En bouche du gras, du fumé. On suce un galet bouillant de soleil. Mais je trouve que c’est quand même un peu limité, un peu court. Puis, sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar, le vin monte de dix niveaux. Il devient tout simplement extraordinaire, car le sucré de la coquille crue et le caviar amaigrissent le vin qui prend l’allure d’un jeune premier. Il fallait que le sucre soit dans la coquille pour qu’il ne soit plus dans le goût du vin. Tout simplement génial. Par comparaison, la coquille Saint Jacques chaude cette fois, avec de la châtaigne et des truffes blanches fait revenir le vin à son goût initial de vin chaleureux, brillant, mais n’ayant plus cette étincelle de génie que lui donnait le premier plat.

Comme il ne fallait pas rester sur le goût récent de la Landonne 1993 un peu juste, on allait trouver une compensation de belle taille avec Cote Rôtie La Mouline Guigal 1990. A l’ouverture un nez de sous bois, de champignon, mais très vite un nez de confiture, de pâte de fruit. Quelle générosité, quelle exubérance. La couleur lorsqu’on verse en carafe est rose trouble, tant on sent l’explosion du fruit fort. Sur une petite préparation à la pomme de terre et aux premières truffes noires d’une année de truffes qui ne sera sans doute pas si maigre, le vin observe encore le terrain, il étale sa belle palette de couleurs de chaleur et de volupté, mais il attend un peu. Sur un succulent ris de veau il m’a conquis. J’aime ces vins qui sont simples, au message extrêmement lisible, mais qui offrent, quand on y prend bien garde, de la complexité à chaque détour. Ce vin est rassurant de perfection simple. Il embellit l’âme, et on le boit avec un plaisir direct que ne donneraient jamais un Pétrus et un Ausone, qui font appel à un dictionnaire de repères sophistiqués, indispensable pour qu’on les déchiffre pleinement. Sur le fromage on pouvait jongler avec le blanc et le rouge. Il est indéniable qu’on peut largement bousculer les traditions et donner au Chave une chance de briller là ou c’est normalement le domaine des rouges. Le sourire de Jean Pierre Vigato nous a conduit sur des territoires gustatifs d’un beau raffinement, avec cette simplicité apparente, exactement comme celle de cette majestueuse Mouline.

déjeuner à Hiramatsu mardi, 2 décembre 2003

Supposé déclin de la France ou désamour américain, la fréquentation des grands restaurants ralentit. La contrepartie, c’est qu’on peut assouvir quelques impulsions. Il est de très grandes tables où l’on peut décider d’aller le jour même. Souhaitons pour elles que ce soit passager, mais quel confort ! Et je ne m’en prive pas !

Nouveau déjeuner à Hiramatsu où l’accueil est toujours aussi agréablement attentionné. On est loin des critiques éreintantes d’une chronique récente. Le foie gras au chou est brillant. Le pigeon pourrait être un peu plus excitant. La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1993 apparaît assez austère, voire un peu métallique. Elle s’épanouit petit à petit, mais manque de rondeur, de cette chaleur caractéristique. C’est bien la première fois qu’une de ces belles Cote Rôtie ne m’enchante pas, malgré une évidente belle technique.

Voyage en Beaujolais vendredi, 28 novembre 2003

Le lendemain je me rendais chez des amis en Beaujolais. Nous dînons dans un petit restaurant de village qui se bat avec courage et un résultat certain pour offrir de la qualité. Un bien agréable Tokay Pinot Gris 1999 Blanck a accompagné une escalope de foie gras, et un Pommard 1er Cru Michel Gaunoux 1990 a confirmé, par l’astringence, la rugosité et le charme sous-jacent qu’il a un potentiel de garde quasi infini, pour rejoindre au Panthéon son grand frère de 1926 bu récemment. Chez ces amis je visite la cave. Un choc : un Montrachet 1906, l’année de ce si sublime Romanée Saint Vivant 1906 Bouchard bu il y a peu. Un autre choc : un vin de Chypre du 19ème siècle dont mon généreux ami me fit cadeau.

Le lendemain matin, visite chez René Laplace vigneron à Brouilly qui nous fait goûter ses Côtes de Brouilly. Le 1978, de nez très caractéristique, a une belle trame, c’est un clairet. Le 1971 a plus de charpente et nous entraîne plus sur des idées de Bourgogne tant il est dense, et le 1976 est une merveilleuse synthèse, beaujolais délicieusement accompli. Le 1996 que l’on boit en dernier a une jeunesse folle, mais est particulièrement agressif. Nous rapportons les trois premières bouteilles entamées pour le déjeuner. J’ouvre le Montrachet 1906, comme l’indique l’étiquette manuscrite collée sur une bouteille de forme Bordeaux. Surprise totale, le liquide doré a toutes les caractéristiques d’un liquoreux de la région Sauternes, Sainte Croix du Mont, Loupiac, ou autre. Je n’arrive pas à m’imaginer qu’un Montrachet qui aurait madérisé puisse donner cette élégance où toutes les caractéristiques d’un beau liquoreux existent. Après examen approfondi, je penche vers une expression de type Langoiran ou Cérons, plus probablement de 1920 que de 1906. Délicieux sur un foie gras. Sur un gigot, nous essayons les Cotes de Brouilly 1971 et 1976 qui expriment dix fois plus de personnalité qu’en cave froide juste après l’ouverture, et je sers alors un Fleurie Bichot 1945 du même lot que celui bu au dîner chez Alain Dutournier. Etait-ce le fait que j’avais ramené ce vin au pays ? Il fut à mon goût très nettement meilleur que celui bu deux jours avant. Mes amis qui vivent dans cette belle région avaient du mal à imaginer qu’on puisse atteindre une telle perfection dans leur région et que ce soit un « estranger » qui vînt le leur montrer. Ce Fleurie fut absolument splendide. Le soir nous ouvrîmes une bouteille parmi les lots que je venais d’acheter lors d’une vente aux enchères locale, un rosé de Sardaigne de 1968, qui fait partie de ces achats bizarres qu’il m’arrive de réaliser. Etonnamment bon rosé simple et sans complication inutile, rond et plaisant. Et mon ami servit un Moulin à Vent 1999 du Domaine Benoit Trichard extrêmement brillant, ayant des tonalités de beau Bourgogne. Dans un océan de beaujolais où seul le rendement comptait, il y a fort heureusement quelques atolls où l’on peut accoster et qui donnent envie d’aimer ce vin quand il est bien fait. Comme dans d’autres régions viticoles qui ont fait des efforts méritoires, on verra sans doute un renouveau qualitatif du Beaujolais lorsque le vin nouveau ne brouillera plus l’image.

Dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 27 novembre 2003

C’est un plaisir que d’organiser un dîner au Carré des Feuillants car Alain Dutournier est un grand chef en permanente recherche de goûts nouveaux mais aussi parce que c’est un amoureux respectueux des vins. La salle redécorée est résolument moderne, avec des lithographies et tableaux qui parlent à mon goût, car Alechinski a longtemps peuplé mon bureau et ses couleurs s’inscrivent dans une démarche esthétique très actuelle.

J’ouvre les vins avec Christophe, complice d’aventures précédentes. Le nez du Margaux est grand, celui du Traminer étonnamment plaisant de richesse contenue, et nous nous disions que des amateurs peu attentifs élimineraient le Muscadet et le Charmes Chambertin, tant la pestilence initiale évoque les destins brisés. Lorsque j’ai relaté cela pendant le dîner, des convives ne comprenaient pas que l’on eut pu envisager d’éliminer de si beaux vins. Que de fois cependant des trésors de nos terroirs auront été sacrifiés à cause de cette première odeur nauséabonde qui disparaît quand on donne du temps au temps. L’ouverture de tous les vins me rassure. C’est surtout pour le Muscadet que j’avais des craintes, vite levées. Le Suduiraut 1928 est tellement transcendantal que même en l’ayant déjà maintes fois ouvert je ne peux que m’extasier de son invraisemblable perfection.

Alain Dutournier a conçu un menu fort intelligent qui s’est mis « au service » des vins, c’est à dire que chaque création est adaptée au vin qui doit créer une magie fusionnelle, pour parler comme les documents de stratégie pédagogique de l’Education Nationale. Le menu : L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines, capuccino de châtaignes et faisane à la truffe blanche d’Alba, la langoustine pimentée et rôtie, nougatine d’ail doux, réduction de muscat au piment d’Espelette et cébettes, pavé de turbot sauvage « vapeur » caviar et raifort, gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes, quartier d’agneau de lait des Pyrénées, cresson meunière, palets de céleri au jus, fourme crémeuse et coings confits, biscuit chaud fourré de mandarines en marmelade, pané au poivre de Sechuan, gelée, jus et sorbet.

Le Champagne Krug 1982 en magnum est déjà un régal pour les yeux, car cette bouteille de forme unique est d’une rare beauté. Quel champagne ! La couleur est extrêmement jeune, la bulle est racée, et en bouche, un vineux affirmé d’une délicatesse et d’un raffinement extrême. C’est un champagne de pleine maturité, à l’élégance exquise. Ce qui fut amusant, c’est de constater combien le champagne a changé sur les différents goûts qui l’ont accompagné. Seul, il est vineux et légèrement fumé au goût. Sur l’huître le vineux disparaît et la bulle domine. Sur les algues, on a l’équilibre d’un champagne délicat, où l’empreinte Krug est moins marquée, et sur une belle crème typée, le champagne reprend son vineux. Ce Krug explique à lui tout seul le sens de la démarche de nos dîners : un vin – ou un champagne – changera de registre, de magnitude,si l’accord avec le plat se réalise. Sur la truffe blanche d’Alba, ce Krug est un bonheur.

Le Traminer Trimbach 1962 est une des plus belles surprises de la soirée. Légèrement doux, il a des accents fugitifs de vendange tardive. Lançant de ci de là des évocations de pétrole comme ses cousins Riesling, il frappe par l’effet bénéfique de l’âge qui lui a permis d’atteindre des équilibres et des séductions que la jeunesse ne donnerait jamais. J’avais en bouche des saveurs de litchi. Avec la farce de la langoustine ce vin chante, mais il fait un duo avec l’une des énigmes de la soirée, le Muscadet Lagrive 1960. Je tenais beaucoup à offrir à Alain Dutournier l’occasion d’exprimer son talent sur des vins inhabituels. Ce Muscadet, largement hors des limites habituelles de consommation, et qui aurait été condamné à l’évier par son odeur d’ouverture s’est révélé un blanc sec très intéressant, de structure très simplifiée, mais formant avec le petit gâteau d’ail un accord au moins aussi passionnant que celui formé par le Traminer avec la langoustine. C’est excitant de réveiller de tels vins et de voir ce qu’ils peuvent atteindre avec l’âge.

Sur le délicat turbot le Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1997 ramène les convives dans des saveurs connues. Celui-ci est bien « nature », facile à vivre. Je lui ai trouvé des arômes de pain d’épices. Là aussi on pouvait vérifier comme le vin change selon les composantes du plat.

Le Château Margaux 1986 est une bombe. Quelle puissance ! Un vin de couleur dense opaque tant les tannins sont concentrés. Un nez qui dès l’ouverture avait une insolente présence comme une tirade de Cyrano de Bergerac, et en bouche une affirmation merveilleuse, faite surtout de puissance mais aussi de densité. Si sa trame était celle d’une cotte de maille, elle rendrait invulnérable. A coté la Romanée de Bouchard 1986 à la couleur délicieusement rose rouge faisait gaminet. Mais le gamin avait de la ressource car son odeur était l’exacte reproduction du plat de topinambour. Il chantait sur chaque composante du plat. On avait donc le seigneur Margaux d’une insolente jeunesse qui bousculait tout sur son passage et la Romanée qui collait au plat pour briller avec lui. Patinage artistique en solo pour le Margaux et patinage en couple pour la Romanée et le plat. Grâce à cette confrontation d’un soir, chacun des deux vins, si différents, nous a fait rêver. Notons que le plat était diablement savoureux.

Sur l’agneau, autre association osée : le Fleurie Bichot 1945 côtoyait un Charmes Chambertin Grivelet 1934. Ma voisine était en extase devant le Fleurie, s’émerveillant à chaque seconde que ce vin puisse être aussi brillant. Il est vrai que son état était particulièrement exemplaire. Nous nous disions, avec quelques convives, qu’à l’aveugle, nous aurions dit un grand Bourgogne de 1978. Ce qui prouve que ce vin mérite d’être encore servi dans de grands dîners. Le Charmes était encore plus brillant, l’ascétisme du Fleurie contrastant avec la généreuse rondeur d’un Charmes séducteur. Accompli comme tous les vins de cet âge, il savait recréer ce que la Bourgogne a de bon dans ces années là. Il était assez difficile de départager ces vins différents qui accompagnaient l’un et l’autre parfaitement l’agneau. On aura évidemment compris que j’ai mis ce Fleurie 1945 dans ce dîner là parce qu’il se situait juste une semaine après la date officielle du beaujolais nouveau.

Sur la fourme retravaillée par Alain Dutournier, le Château d’Yquem 1990 est à son aise. Mais c’est sur le coing confit qu’il atteint des sommets gustatifs. Immense Yquem qui promet beaucoup. Chacun se délectait de ce grand Sauternes et aussi des accords d’une subtilité rare, mais nul ne s’imaginait qu’on puisse aller tellement plus haut avec le vin suivant. Le Château Suduiraut 1928 est une vraie légende. Il a un nez à nul autre pareil. Comme lorsque nous l’avions bu chez Guy Savoy, on pouvait se contenter de le sentir. Une des convives attendit même près d’un quart d’heure avant d’y porter les lèvres, tant elle voulait profiter de la pureté de cette odeur. Entendons nous bien, Yquem au même âge que le Suduiraut va montrer sa classe naturelle et son niveau. Mais le jeune talentueux ne peut pas rivaliser aujourd’hui avec le maître. Dans les odeurs, ce Suduiraut donne un spectre quasi infini d’agrumes, de fruits jaunes et roses, et d’épices luxuriantes. En bouche, c’est l’explosion de bonheur dans les mêmes tonalités. Fortement alcoolique, cela le rend charmeur comme un grand cognac. Le dessert avait l’exacte proportion pour que le mariage comble d’aise. On comprenait – si ce n’était déjà largement fait – combien les plats ont de l’importance pour propulser le plaisir d’un vin dans d’autres dimensions. Le Suduiraut se suffisait à lui-même, tant il est complet. Mais avec la mandarine confite, il gagnait encore en attrait. Ce fut certainement le plus bel accord.

Grand plaisir personnel au moment où toute la table fait le classement de vins disparates, car dans les quartés que chacun fit, chacun de mes vins fut cité au moins une fois. Les préférences furent : 1 – Suduiraut, 2 – Charmes Chambertin ex-aequo avec Margaux 86, et 4 – le Traminer. Mon vote personnel fut : 1 – Suduiraut 1928, 2 Charmes-Chambertin 1934 , 3 – Traminer 1962, 4 – Fleurie 1945.

Alain Dutournier qui avait senti et goûté certains vins nous a fait le plaisir de nous rejoindre pour bavarder avec nous en fin de repas sur l’intérêt de ces vins anciens, qui permettent une créativité culinaire motivante. Nous l’avons complimenté sur l’extrême sensibilité de ses choix. Il aura permis à des vins de briller encore plus pour un repas qui marquera chacun des convives.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » jeudi, 27 novembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » le 27 novembre 2003
Bulletin 98

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Krug 1982 en magnum
Traminer Trimbach 1962
Muscadet Lagrive 1960
Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1997
Château Margaux 1986
La Romanée Bouchard 1986
Fleurie Richot 1945
Charmes Chambertin Grivelet 1934
Château d’Yquem 1990
Château Suduiraut 1928

Le menu mis au point par Alain Dutournier :
L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines,
Capuccino de châtaignes et faisane à la truffe blanche d’Alba,
La langoustine pimentée et rôtie, nougatine d’ail doux, réduction de muscat au piment d’Espelette et cébettes,
Pavé de turbot sauvage « vapeur » caviar et raifort,
Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes,
Quartier d’agneau de lait des Pyrénées, cresson meunière, palets de céleri au jus,
Fourme crémeuse et coings confits,
Biscuit chaud fourré de mandarines en marmelade, pané au poivre de Sechuan, gelée, jus et sorbet.

Déjeuner au Carré des Feuillants samedi, 22 novembre 2003

Déjeuner au Carré des Feuillants, sur base de langoustines, cèpes et turbot. Le Y d’Yquem 1988 arrive à bonne température, c’est à dire pas trop froid. Belle couleur très jeune. Contrairement à l’habitude, le nez n’est pas très Yquem. En bouche, l’alcool domine, puis ce vin généreux, riche, envahit le palais. Il y a des notes épicées passionnantes. Le passage en seau lui convient, car en fait c’est légèrement plus frais qu’il s’épanouit. Mais je préfère cette arrivée un peu chaude plutôt qu’un peu trop froide. La langoustine est un grand classique. Mariage naturel avec le Y qui brille sur la chair délicatement épicée de la langoustine. Avec les cèpes, l’accord se fait très bien, mais la force des épices appellerait plus volontiers un lourd vin du Rhône. Le turbot au caviar est une merveille de cuisson. Là, le Y est en plein dans son sujet. Il brille, et ses légères notes fumées enveloppent la chair si parfaite du turbot. Le Y a maintenant trouvé une longueur extrême, laissant une trace comme un bonbon au miel et au coing. J’ose un dessert au litchi et gelée de rose. Choc intéressant. Le litchi raccourcit le vin mais le bouscule gentiment, et la gelée de rose fait découvrir des aspects insoupçonnés du vin. Ça n’a que l’intérêt de l’anecdote, mais c’est amusant. Avantage indirect : le vin apparaît encore meilleur quand on le boit seul.