Dîner au Meurice avec un sublime accord jeudi, 8 décembre 2005

Tout commence chez Marc Veyrat. Un de ses amis nous avait initiés à sa cuisine. Cette merveilleuse aventure est racontée dans le bulletin 158. Nous nous sommes revus chez lui. Il a réalisé une cuisine d’une sensibilité rare, c’est dans le bulletin 160. Ayant gagné un pari contre l’une des femmes de cette équipe, sur un de ces sujets dont le caractère « planétaire » n’a pas à être dévoilé, je choisis d’être invité au restaurant de l’hôtel Meurice, car ces amis grands gastronomes avaient envie d’entrer dans l’univers créatif de Yannick Alléno. L’enjeu de ce repas dépassant la valeur du pari, je promis d’apporter une bouteille.

Devant préparer les vins de futurs repas et ceux des réveillons, j’erre dans ma cave et je saisis quatre bouteilles, ayant en tête le menu que réalisera le chef. Le choix des bouteilles en cave est un de mes exercices favoris : imaginer les accords possibles est extrêmement excitant. J’arrive à 17h30 et j’ouvre le bordeaux. Odeur poussiéreuse mais sympathique. Le madère que je situerais volontiers vers 1870 (voire avant) car il est plus ancien que ce que j’ai annoncé à mes amis : 1890, a une odeur putride qui me fait peur. J’ai raison d’avoir peur, car elle ne veut pas s’estomper. Je m’occupe maintenant des deux bourgognes. Ces bouteilles sont lourdes comme des bouteilles du 19ème siècle, quand on ne comptait pas le poids du verre. Les capsules d’un rouge sang sont identiques, avec la mention très lisible « Chevillot Beaune ». Je vais sur internet pour rechercher ce que pourrait être ce vin sans étiquette, et je trouve un compte-rendu de John Kapon, cet américain fou de vin que j’ai rencontré à New York et à Paris pour partager de grandes bouteilles, qui indique un sublime Musigny Chevillot 1928. C’était à une manifestation organisée par Bipin Desai, cet ami américain qui fait les dégustations les plus extravagantes de la planète. J’avais déjà constaté que nous avons des coups de cœur communs : quand il aime un Pommard 1926, je l’aime aussi, quand il aime une Romanée Conti 1972, je l’aime aussi. J’ai estimé que ces convergences vaudraient aussi en cette circonstance. Il faut en effet un nom pour ce vin, comme on le souhaitait pour ce pianiste en habit échoué sur les côtes anglaises. Alors ce sera Musigny et 1928. L’expérience montra que c’est Musigny. L’idée de 1928 me plait assez, mais si on me démontrait (il est trop tard) que c’est 1899, je ne dirais pas non, pour une brassée d’indices relevés à l’ouverture. Et aussi parce qu’il me rappelle ce Musigny Coron Père & Fils 1899 qui est un des plus grands vins de ma vie. Appelons ces deux vins Musigny Chevillot 1928. Une bouteille est gravement basse et dégage une odeur affreuse à l’ouverture. L’autre a un niveau superbe et les émanations me comblent de joie.

Les bouteilles sont ouvertes et j’attends que mes amis et mon épouse arrivent. Nous avons choisi le menu dégustation en faisant remplacer l’une des viandes par le lièvre à la royale, dont ma parieuse est friande. Je voulais mettre le foie gras à la fin, « à l’ancienne », mais Yannick Alleno me dit que la sauce étant au Chambertin, la logique était plutôt dans l’ordre prévu. J’ai acquiescé. Voici ce menu : délicate gelée de bulots aux langues d’oursin, crème de riz et croûte aux algues / noix de coquilles Saint-Jacques au poêlon, bouillon léger de céleri aux châtaignes fraîches / médaillons de homard bleu vivement poêlés, confit de chou blanc à l’essence de truffe / foie gras de canard poché au vin de chambertin, pâtes gonflées au jus de truffe et fourrées d’une purée de pois /lièvre à la royale, petites pâtes coudées liées à la crème truffée / croustillant de sarrasin, fourré de crème de cabri ariégeois parfumé à l’huile de truffe blanche / cœur de poire rôtie, tuile à la fève de tonka glacée au caramel au beurre salé / palet fondant au chocolat caraïbes, crème glacée aux spéculos.

Nous commençons par un champagne de Souza, cuvée les caudalies non millésimé que je trouve au nez un peu dosé pour mon goût, et en bouche, j’ai moins d’émotion que sur des cuvées moins prestigieuses de cette maison de Mesnil-sur-Oger dont j’aime le style. L’amuse-bouche est un peu la copie conforme du premier plat ce qui me crée une confusion. Le champagne hausse le ton de façon très significative sur le premier plat qui est un exemple de la virtuosité de Yannick Alléno. Il devient d’une justesse extrême, très Mesnil comme je les aime, et la preuve de son adéquation complète au plat est donnée quand on retire l’assiette vide. Le champagne redevient falot, tout en étant, toutes choses égales, un bon champagne. Le plat l’avait transformé.

Nous aurons la preuve inverse avec le second plat. Nicolas Rebut, sommelier compétent que j’apprécie beaucoup nous avait suggéré un Vouvray demi-sec les Monts Domaine Huet 2001. Avec le plat de coquilles Saint-Jacques extrêmement subtil, où le céleri et la châtaigne rivalisent de suggestions délicates, le Vouvray est tout pataud. C’est évidemment un vin de belle facture. Mais là, beaucoup trop affirmé pour le plat. La démonstration contraire de celle du champagne apparut avec la même évidence : dès que l’assiette est enlevée, le pataud devient ballerine, joyeux et fluide en bouche. Le plat l’avait inhibé.

Le homard est un monument de perfection. Que dis-je le homard, la sauce ! Et le Château Duhart-Milon, Pauillac 1962 est invraisemblable. Ce vin ‘est’ la sauce du homard. Il est devenu sauce du homard. A notre table, il y a de redoutables esthètes. L’un d’entre eux, est ému de la perfection gustative de cet accord, qui fait partie d’un des plus beaux qu’il ait eu l’occasion de vivre, au point qu’il commence à pleurer de bonheur. Il n’est point besoin de décrire le vin, et l’on en est bien incapable, car le vin « est » la sauce, comme Louis Jouvet « est » le docteur Knock. Le généreux chef ayant eu la riche idée de donner sur table des petites cassolettes de sauce, j’en piratai une, pour m’abîmer dans le plaisir de cet accord incommensurable.

Des deux bouteilles de Musigny 1928, puisque c’est comme cela que nous les avons vécues, laquelle allait être servie la première ? Les odeurs de la plus basse m’avaient interpelé, que boirait-on d’abord ? La bonne ou la mauvaise ? On opta pour la dite mauvaise, mais je voulus goûter les deux. La « mauvaise » est superbe, joyeuse, si on sait faire la part des petites imperfections qui n’agacent pas et ne cryptent pas le message. La « bonne » me cloue sur place. Mon ami qui m’observait fut émerveillé : « comment peux-tu, après tout ce que tu as bu, encore éprouver des sensations aussi fortes ? ». J’avais en bouche une de ces émotions qui m’annonçaient immédiatement qu’il y avait là l’un des plus grands vins de ma vie.

Le foie gras est superlatif. Immense. Avec le Musigny Chevillot 1928 plus fatigué, un accord prodigieux. Et on oublie que le vin a des chaussettes sales. Il dégage cette beauté bourguignonne râpeuse, rugueuse, d’un noble mineur de fond. On peut chercher les sous-bois, champignons, mais qu’importe, sur une chair d’une sensualité de texture et d’une personnalité de goût, le vin est là, serein quoique fatigué, donnant en bouche une myriade de saveurs inattendues.

Le deuxième Musigny Chevillot 1928 est la perfection absolue de la Bourgogne. J’ai pensé à quelques amis grands vignerons de cette région à qui j’aurais aimé faire goûter un bourgogne qui est parfait, pour qu’ils sachent ce qui me fait vibrer de leur si grandiose région. Est-il parfait à cause de Chevillot, je ne sais pas. Mais ce vin, à ce moment, est à un équilibre inatteignable de toutes les composantes de la belle Bourgogne. Râpeux, dérangeant comme je les aime, mais virevoltant pour vous embobiner le palais. Un vin qui rejoint mon Panthéon. J’ai encore, en écrivant ces lignes, la satisfaction d’avoir touché ce qui fait de ces vins des énigmes gustatives paralysantes et confondantes de séduction déroutante. Ce vin a la folie d’un Verlaine quand il écrit ses poèmes les plus beaux, et celle d’Egon Schiele quand il torture sur sa toile les formes et les couleurs. C’est le foie gras du lièvre qui se marie mieux que le lièvre aux saveurs variables, doucereux sur certaines portions et gibier sur d’autres. J’ai trouvé ce lièvre un peu intellectuel. Je l’aurais aimé plus canaille, plus prolétaire. Mais à chaque chef son interprétation de cette institution.

Il fallait bien sûr que sur le lièvre apparaisse aussi le Madère 1890. C’est ce que j’avais annoncé mais il est beaucoup plus vieux, car son bouchon est l’exacte réplique du bouchon du Chypre 1845 que je vais raconter plus loin : sa taille a la moitié de la dernière phalange d’un auriculaire. Je pestais parce que le voile qui masquait sa valeur n’était pas parti. Mes amis, sont-ils polis ou sincères, l’apprécient. Dans mon coin, j’enrage. Et voici que tout à coup, par un de ces miracles que j’ai plusieurs fois observés, le masque tombe. La pellicule, le voile, qui masquaient la beauté de ce vin, s’effacent et le vin s’illumine. C’est un madère assez curieux car il est joyeux, rond, presque fruit rouge, ce qui n’est pas l’exacte définition d’un madère. Mais c’est beau, chaleureux, remplissant la bouche d’une belle splendeur.

L’ennui, c’est que ce réveil – qui n’effaçait pas tout à fait les blessures, mais on idéalise ce qui se réveille – apparut sur un fromage pas vraiment nécessaire dans le voyage intense que nous vivions. Les desserts raccrochèrent un wagon de délices à ce cortège de sensations d’une richesse inouïe.

Ce repas dégustation révèle clairement trois facettes de la cuisine de ce chef que je compte parmi les plus grands. Il y a la facette virtuose, pour le bulot ou le lièvre, et ce n’est pas celle qui parle le plus à mon cœur. Il y a la facette sentimentale, du cuisinier généreux et sensible, qui s’exprime dans le foie gras et la coquille Saint-Jacques. Là, je le suis, car on est dans la ligne de mes vins, qui aspirent à cette finesse. Enfin il y a le homard, que Yannick traite en empereur, chef d’œuvre de sérénité.

Un chef explore des pistes différentes, car il faut satisfaire tous les goûts. Et Dieu sait s’il n’existe pas un seul goût. Le Duhart-Milon fut d’une exactitude inégalable. Un Musigny 1928 fut « la» plus belle expression possible de la Bourgogne. De tels moments sont d’une richesse infinie.

galerie 1919 mardi, 6 décembre 2005

cette bouteille a une histoire. Quand j’ai cassé une Margaux 1900 que je venais d’acheter, j’ai mis du temps à réaliser la perte irréparable. Pour ne pas rester sur un échec, j’ai ouvert cette bouteille qui est à ce jour le plus beau Ausone de ma vie.

 

les bordeaux que j’ai bus mardi, 6 décembre 2005

J’ai compilé à ce jour la base de données des vins que j’ai bus. Je bois du vin depuis plus de trente ans, et je ne tiens cette statistique que depuis 6 ans. La statistique n’est donc pas complète, mais ce n’est pas si mal. Après chaque année, le nombre de vins (avec parfois un vin en double si je l’ai bu deux fois).

Ce magnum de Cheval Blanc est une icône du vin bordelais.

Le signe # veut dire que l’année a été estimée, qui était illisible ou non indiquée 1858 # (1) – 1869 (1) – 1870 (4) – 1874 (1) – 1878 (1) – 1887 (1) – 1888 (1) – 1890 (3) – 1891 (1) – 1893 (1) – 1898 (1) – 1899 (3) – 1900 (10) – 1904 (3) – 1905 (1) – 1906 (1) – 1907 (3) – 1908 (1) – 1909 (1) – 1911 (1) – 1912 (1) – 1914 (2) – 1916 (4) – 1918 (8) – 1919 (6) – 1920 (2) – 1921 (4) – 1922 (1) – 1923 (1) – 1924 (8) – 1925 (1) – 1926 (8) – 1928 (22) – 1929 (20) – 1931 # (1) – 1933 (7) – 1934 (17) – 1936 (2) – 1937 (14) – 1938 (3) – 1939 (2) – 1940 (1) – 1940 # (1) – 1941 (2) – 1943 (8) – 1943 # (1) – 1945 (12) – 1946 (1) – 1947 (19) – 1948 (6) – 1949 (4) – 1950 (12) – 1951 (1) – 1952 (8) – 1953 (8) – 1954 (1) – 1955 (22) – 1957 (2) – 1958 (2) – 1959 (17) – 1960 (4) – 1960 # (1) – 1961 (19) – 1962 (10) – 1963 (2) – 1964 (19) – 1965 (1) – 1966 (10) – 1967 (11) – 1969 (5) – 1970 (15) – 1971 (11) – 1972 (3) – 1973 (2) – 1974 (5) – 1975 (18) – 1976 (6) – 1977 (2) – 1978 (15) – 1979 (12) – 1980 (4) – 1981 (11) – 1982 (19) – 1983 (13) – 1984 (3) – 1985 (7) – 1986 (20) – 1987 (13) – 1988 (13) – 1989 (27) – 1990 (24) – 1991 (2) – 1992 (5) – 1993 (10) – 1994 (10) – 1995 (11) – 1996 (21) – 1997 (11) – 1998 (16) – 1999 (17) – 2000 (14) – 2001 (9) – 2002 (11) – 2003 (4) – 2004 (20). Les 20 de 2004, c’est parce que j’ai été invité à la séance de notation de la rive droite en avril 2005.

un dîner chez Jean Bardet en présence de grands chefs samedi, 3 décembre 2005

Les médecins sont certainement des hommes d’une extrême générosité de cœur. Je suis allé chez Marc Veyrat en suivant un médecin, à la Confrérie du lièvre à la royale en suivant un médecin, et voilà qu’un médecin m’appelle. Un dîner va réunir des grands chefs. Est-ce que je voulais en être ? J’y suis allé.
Il y avait, je crois, une manifestation (colloque, exposition, séminaire ?) à Tours sur les nouvelles tendances culinaires. Un dîner de gala a lieu après de doctes discussions chez Jean Bardet sous la présidence prestigieuse de Pierre Troisgros, avec de nombreux chefs avec lesquels j’aurai le plaisir de bavarder. Alain Dutournier bien sûr parce que nous nous connaissons, Olivier Roellinger, Michel Bras, discret mais impressionnant, Emile Jung, Gérard Cagna, et d’autres.
Pour remercier ce médecin inconnu du lien qu’il crée, je fais ouvrir un Krug Grande Cuvée assez récent donc vert, qui eut bien du mal à se débrider. Alain Dutournier qui le goûta lui trouva un goût de lumière. Cette expression est jolie, qui évoque une planche mal calée dans la charpente d’une toiture et laisse briller un rai dans un environnement poussiéreux.
Le menu est fort bon. Etant à coté de Sophie Bardet, j’ai constaté qu’elle a fait une sélection sur la liste d’une vingtaine de vins que l’on pouvait se faire servir. Elle en a trouvé de fort bons. Le Vouvray sec-souple Chateau Gaudrelle A Monmousseau 2004 est extrêmement bien fait, très équilibré, sans excès, d’une belle justesse de ton. Sur un capuccino d’écrevisses délicatement cacaoté, il s’exprime avec une franchise spontanée.
Le Vouvray moelleux Le Clos du Bourg Maison Huet 2002 accompagne de façon brillante, par un de ces contrastes magiques, un turbot poché où la pomme Granny-smith abonde. Comme elle est fort astucieusement assagie, le mariage est non seulement possible mais étonnamment plaisant.
Le Chateau Clinet 1997 bu en magnum a déjà des signes d’âge (couleur qui évolue) et a un bois un peu insistant, mais il crée là aussi un de ces accords qui me remplissent de joie : une poitrine de porc est morganatiquement mariée à du caviar d’Aquitaine qui joue dans le registre « chevalier servant » et non pas « jeune premier en tête d’affiche », et avec ce vin rouge un peu râpeux, et une charmante petite purée de charlotte, ça marche à merveille. C’est presque plus intense quand le jus de cochon n’est pas encore servi, qui devait assurer la cohérence du plat, mais en fait le marque d’une trace forte, et par contrecoup moins élégante que lorsque la combinaison se fait sans cette sauce.
J’ai bien aimé ces deux vins de Loire jeunes qui ont mis en valeur la région, ce qui était le but recherché. Un magnum de Moët & Chandon 1990 fut apprécié et aurait pu conclure en beauté cet événement si mon nouvel ami, hâbleur, « bonimenteur placier » auprès de tous les convives de mes aventures au point de m’en gêner, n’avait eu l’idée de décacheter une jolie fiole d’un armagnac de 1959 de la réserve de la maison Corcellet redoutablement bon.
Les discussions avec Jean Bardet de fort bonne humeur, au cours desquelles nous avons comparé nos conceptions et hiérarchies des accords mets et vins, et avec la ravissante Valérie sa fille, se sont poursuivies au delà de toute heure décente, ce qui signifiait que la soirée était réussie.

dégustation de Dom Pérignon de 1998 à 1976 mardi, 29 novembre 2005

Gérard Sibourd-Baudry m’avait dit : es-tu inscrit à la dégustation de Dom Pérignon ? N’ayant reçu aucune information, je dis non. Ayant l’habitude de réagir assez vite, j’en fus et je fis bien.
J’arrive un peu en avance aux Caves Legrand, ce qui me permet d’échanger quelques mots avec Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon, qui va nous présenter Dom Pérignon comme personne ne serait capable de le faire. Il a la sensibilité de chaque composante de ce vin. Si cette dégustation devait ajouter à la gloire de Dom Pérignon, elle a atteint son objectif. Je n’étais pas un bizut puisque j’avais participé au jury qui avait consacré par de lourds lauriers le Dom Pérignon 1996 (bulletins 120 et 121). Il en fallait beaucoup pour que je fusse subjugué. Je le fus.
J’ai trouvé en Richard Geoffroy un chantre de son vin particulièrement enthousiaste. Il commença par nous dire : « je vais vous parler de la subjectivité de Dom Pérignon ». J’aime quand on démarre comme cela, dans des registres qui dépassent de loin la technique.
Le Dom Pérignon 1998 est un petit prodige de jeunesse, sans doute le Dom Pérignon de demain. Bien sûr il faut se méfier de ce que nous réserve le réchauffement climatique, car des réussites comme Yquem 2001, on risque d’en voir beaucoup d’autres à l’avenir. Mais ce 1998 est là et bien là. Comme pour le 1998 bu il y a quelques jours, ce qui est fabuleux, c’est le milieu de bouche. Ce qui m’a émerveillé, c’est que la truffe blanche d’un agréable risotto a fait apparaître des fruits blancs dans le panorama de ce Dom Pérignon subtil. Blanc sur blanc de la truffe et de ce goût de pêche blanche, c’est l’esprit des couleurs. La bulle est active, d’autant plus canaille que le riz la modère. La trace en bouche de la truffe blanche semble éternelle. Voilà un de ces accords d’une justesse absolue.
Sur un Jabugo bien dosé où le gras est calme, la première gorgée du Dom Pérignon 1996 m’assomme. Je suis groggy et Richard en rit car il a vu ma réaction. Ce 1996 est un produit du diable. C’est la Dame de Shangaï. C’est la sensualité énigmatique de Rita Hayworth. Le Selles sur Cher est plus le partenaire du Dom Pérignon 1995. Merveilleux Dom Pérignon, profond, linéaire, très clair dans son discours, mais plus volontiers dans la ligne du parti, il s’oppose catégoriquement au 1996 totalement canaille. Le 1995 est Richelieu, le 1996 est Arsène Lupin.
Le caviar sur une pomme de terre excite le Dom Pérignon Œnothèque 1990. Il lui donne une direction d’expression saline. Et le caviar influence le 1990. C’est intéressant mais maintes fois exploré. Je ne suis pas sûr que cet accord dépasse le stade du symbole de l’aventurier mondain lady killer. Quand cette trace gustative typée s’assagit on se rend compte que le 1990 est un grand champagne. Il est magnifique de simplicité, ce qui est ici un compliment. On peut se demander comment il est possible d’atteindre des niveaux de qualité élevés sur de tels volumes de production (gardés secrets, marketing oblige). Mais la vérité est là : c’est un grand champagne. Le caviar devait aussi accompagner le Dom Pérignon rosé 1990 servi en magnum. La répulsion est immédiate. Pas de copinage possible. On cherche à imaginer ce que ce beau rosé aimerait. Il me vient immédiatement l’envie de la chair d’une biche, sans aucun accompagnement. Plus le temps passe et plus le rosé montre une forte personnalité. Dom Ruinart rosé 1990 est grand. Ce Dom Pérignon rosé est de la même veine.
Le Dom Pérignon Œnothèque 1976 doit susciter trois accords. Avec les deux foies gras, on cherche mais on ne trouve pas. Le foie gras ne fait pas se trémousser ce champagne dont j’attendais plus de fanfare. La sourdine est mise. Mais avec le loukoum, c’est un réveil et un bel accord. La sécheresse apparente du 1976 et la subtilité troublante du loukoum se marient fort bien. C’est la pistache qui est la clé de cette excitation.
Quand Richard Geoffroy a parlé de fenêtres d’émotion pour les Dom Pérignon, qui s’épanouissent à 7 ans, puis à 14 ans, puis à 30 ans, je buvais du petit lait car je ne cesse de parler de ces moments où les vins s’expriment. C’est en ce moment que les rouges de 1953 et 1955 sont éblouissants, comme le sont de façon magistrale les 1928 et 1929. Ne pas linéariser l’histoire d’un vin, c’est ce que je clame. Que j’aie la même idée que le maître de caves d’un vin connu de la planète me comble de joie.
J’étais placé à coté d’une japonaise venue spécialement de Tokyo pour cette seule dégustation. Nous nous étions déjà rencontrés lors de l’historique dégustation de Pétrus (bulletin 120) pour laquelle elle avait aussi fait ce même long voyage pour un seul but. Elle m’a raconté qu’elle a bu Pétrus 1943, 1945, 1947. Cette volonté d’être là pour un vin représente la forme ultime de la passion du vin. Quelle leçon pour beaucoup d’amateurs mâles !
Ce fut une magnifique soirée avec des vins qui ne sont pas seulement réservés aux agents secrets qui sauvent la planète mais aussi aux amateurs qui recherchent des grands champagnes expressifs, intelligents et de charme.

galerie 1921 lundi, 28 novembre 2005

Très curieux Yquem 1921 bu à Noël 2006 (lire compte rendu à cette date).

Cette bouteille est d’un négociant "A.M.G.", visible sur l’écusson et la capsule. L’étiquette très  épurée comporte un seul nom : Musigny.

 

Chateau du Breuil Beaulieu Coteaux du Layon 1921. Vin immense.

Salon des vignerons indépendants lundi, 28 novembre 2005

Le salon des vignerons indépendants est une institution. Une foule immense s’y presse pour apprendre une région, dénicher un vigneron qui fait un bon vin, et faire de belles emplettes. Quand je vois ces visiteurs qui tirent le diable par la … poignée, avec des cartons de vins qui me sont le plus souvent inconnus, et quand je vois leur mine fière comme celle immortalisée par Cartier-Bresson en 1952, de cet enfant qui rapporte fièrement deux litrons à son père, je me dis que le vin a une dimension culturelle, historique et patrimoniale. Quel contraste entre la mine réjouie de ceux qui sont persuadés d’avoir déniché « la » pépite et ceux qui poussent le caddie le samedi. Or ce sont les mêmes personnes.
Je m’y rends pour dire un amical bonjour à quelques vignerons que j’apprécie, et ça me fait sourire quand l’un ou l’autre me dit : « dites donc, vous ne parlez pas souvent de mes vins dans vos bulletins », alors qu’ils savent que je les mentionne. Je rencontre aussi de solides amateurs, qui me donnent de bons tuyaux. On repère tout de suite autour d’un stand les amateurs avec lesquels on a envie de parler. Je vais voir le Domaine Cazes en Rivesaltes, la Coume du Roy en Maury comme Mas Amiel, le Monbazillac de René Monbouché, château Caillou, château Filhot, tous les vins du Jura et je vais me présenter à M. Dupasquier qui fait cette si belle Roussette que j’avais dégustée dans sa version 1988 chez Marc Veyrat. Je découvre un château Cadet, un Côtes de Castillon fort agréable présenté par des vigneronnes ravissantes (il faut toujours avoir, en matière de vin, des critères de sélection cohérents). Il faudrait des années pour découvrir tous ces beaux vins. Ce salon est fort utile.

dîner d’amis avec un Doisy Daëne 1969 samedi, 26 novembre 2005

Nous sommes périodiquement invités à retrouver à dîner des anciens partenaires de squash. Quand j’avais vu arriver au club où je jouais ces jeunes gamins, je me disais qu’il y aurait quelque chose de pourri au royaume du Danemark s’ils arrivaient à me battre. Le Danemark fut rapidement déclaré sinistré.
Un champagne Deutz Brut Classic en magnum est un agréable champagne de soif, ça coule tout seul. Le Talbot 1995 ne me plait pas. Je n’accroche pas à ce vin là, alors que par contraste le château La Lagune 1995 parait charmant, agréable, bon à boire, sans histoire. Avec du goût. J’avais apporté un Doisy-Daëne 1969 pour voir comment évolue dans le temps ce vin que Denis Dubourdieu, professeur d’œnologie et propriétaire, nous avait savamment expliqué au Sénat (bulletin 159). Le 1969 met bien en perspective ce château. Le 2002 avait la pétulance de la jeunesse et une fraîcheur en bouche remarquable. Le 1990 est plus assis, mais n’a pas encore la rondeur des vins plus anciens. Là, ce 1969 à la jolie couleur d’un or jaune mais vert encore, a le nez discret d’un sauternes léger. En bouche, c’est son accomplissement qui éclate. Le vin est devenu rond, intégré, beau comme une boule de neige que l’on façonne avec des envies de bataille. C’est un liquoreux plutôt aérien et sans grande longueur. Mais j’aime cette expression. Et sur une originale pâtisserie au thé vert, le mariage était parfait. Incontestablement l’âge donne du charme à ce vin qu’il ne faudrait pas boire en comparaison ou en compétition, comme on ne lancerait pas Sylvie Guillem lutter avec David Douillet. Ces Barsac légers ont un sens.

mon amour des vieux Sauternes jeudi, 24 novembre 2005



Dans cette cave qui n’existe plus (les bouteilles ont été transférées ailleurs) j’aimais contempler les couleurs ambrées de très vieux Sauternes

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galerie 1921 – Yquem jeudi, 24 novembre 2005

Malgré cette forme particulièrement évoluée, le bouchon d’origine a joué son rôle. Le niveau a baissé bien sûr. Mais le vin est resté conforme au goût que l’on pouvait espérer.

 

 détail de l’étiquette :