Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992 à la Grande Cascade mardi, 30 septembre 2008

J’avais apprécié la cuisine de Frédéric Robert du temps où il officiait aux côtés d’un des grands maîtres de la cuisine française, Alain Senderens, lorsqu’il y avait trois étoiles au restaurant Lucas Carton. Son écoute, sa sensibilité, son sens des situations m’avaient impressionné. J’apprécie le restaurant de la Grande Cascade depuis plus de trente ans, la famille Menut gérant cette perle, ce bijou du Bois de Boulogne avec un sens du service consommé.

Devant organiser un dîner en ce lieu, je programme une visite pour mettre au point le menu qui accompagnera mes vins. Une table est réservée pour que je puisse déjeuner et échanger quelques mots avec le chef. On m’apprend qu’il n’est pas là aujourd’hui. La visite est sans objet, mais je décide de ne pas annuler. Déjeuner seul sans but précis, cela risque de me déplaire. Nicolas de Rabaudy est libre. Je l’invite.

Les plats à la carte sont tarifés dans des zones de prix dissuasives. Un menu fort bien structuré nous tend les bras. Nous le prenons. La carte des vins est multiforme. Elle comprend des vins attractifs, achetés dans de bonnes conditions. A côté de cela, des vins de grand prestige sont proposés à des prix que seuls quelques amateurs russes peuvent affronter sans sourciller. Quand une carte est intelligente, il faut lui faire honneur, aussi mon choix se porte-t-il sur un champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992, vin rare s’il en est.

Pierre, sommelier que je connais et apprécie depuis de longues années nous propose de le carafer. Il me paraît opportun d’affronter la puissance de la bulle pour profiter du message de ce grand champagne. Nous goûtons le premier verre à température de cave avant que le champagne ne soit frappé. Dès la première gorgée, c’est un enchantement. Le miel paralyse nos papilles de sa trace insistante. Ce qui nous frappe le plus, c’est la longueur extrême de ce champagne qui déploie un éventail complexe de saveurs avec une insistance hors du commun.

Lorsque l’on cherche des repères dans ce foisonnement, on oscille entre le fruité et le vineux. Les fruits sont ceux d’une nature morte de Frans Snyders, distingués, rares, raffinés, jouant sur la noblesse, avec un aspect léger de tapisserie cloutée de poivre et d’anis étoilé. Le caractère vineux est noble, précis, rehaussé par l’interminable parcours en bouche. Ce blanc de noirs est une réussite.

Disons le tout net, la cuisine de ce lieu, ainsi que le service, sont d’un niveau de deux étoiles sans la moindre discussion.

La galette de champignons s’est vue complétée d’un cèpe qui donnerait des pâleurs à nombre de baobabs de Madagascar. L’association du Bollinger avec le cèpe est un nirvana, le miel envoûtant la chair souple du cèpe.

Le cabillaud est goûteux, sur un lit de haricots, avec une crème d’ail qui fait vibrer le VVF (vieilles vignes françaises). Les portions sont plus que copieuses, aussi, lorsque je prends une fine tranche de Brie du plateau de fromages tentant, c’est pour essayer l’accord. Mais le Brie est trop affiné pour que la vibration soit parfaite.

Le dessert avec des tranches de pamplemousse imitant la sanguine fait joliment réagir le champagne qui nous captive toujours.

Il restait suffisamment de liquide dans la bouteille aussi ai-je l’idée d’en faire profiter mon fils. Hélas, je ne le croisai pas dans la suite de la journée. Revenu chez moi, c’est sur un poulet froid que je finis la bouteille. La neutralité de la chair met encore plus en lumière le caractère miraculeux de ce champagne. Par une chance qui n’existe que dans les contes de fée, un camembert à peine fait se trouve sur la table. L’accord avec les dernières gorgées du Bollinger Vieilles Vignes est purement irréel. Le vin qui a perdu un peu de bulle mais dont le miel chante plus que jamais offre maintenant des fleurs et des fruits blancs. Malgré l’année qui n’est pas la plus vantée, je crois n’avoir que très rarement bu un champagne de ce niveau.

Livres en vignes – jour 3 – restaurant Chez Guy, signatures et conférences dimanche, 28 septembre 2008

Le lendemain, studieusement, nous revenons à nos pupitres pour signer les livres dont une foule importante attend les dédicaces. Les auteurs connus sont les plus recherchés.

Mon livre est placé sous cette impressionnante cheminée :

La salle à manger dans laquelle des auteurs sont installées comportent des sculptures où l’on pourrait reconnaître sans doute des personnages de l’époque et du lieu.

une construction rappelle les ouvrages de compagnonnage

Par la fenêtre, je peux voir les vignes et les vendangeurs :

Le déjeuner se tient au restaurant Chez Guy à Gevrey-Chambertin où je m’étais déjà rendu lors de mon voyage en Bourgogne du mois de février. L’accueil est chaleureux, plus concerné que celui du château de Gilly. J’ai préféré ce déjeuner à celui de la veille.

Le menu : mises en bouche / marbré de lapin au foie de canard, mesclun à l’huile de noix / noix de joues de bœuf cuites 12 heures à basse température au pinot noir, carottes confites à la cardamome / pot de crème chocolat, chocolat chaud à boire et sorbet chocolat / mignardises.

Le marbré est idéal pour mettre en valeur un Bourgogne Hautes Côtes de Nuits Naudin Ferrand blanc 2006, assez simple mais avenant. La joue de bœuf est boucanée mais tendre et le Fixin Pierre Gelin 2003 est, après les vins de la maison Bouchard, le vin que je préfère de ceux bus pendant notre séjour. Car ce qui frappe instantanément, c’est son authenticité. Naturel, simple, direct, il me convainc par sa franchise. 

Nous retournons à nos tables. Est-ce dû à ma bonne humeur, est-ce le temps merveilleux qui rend les vendanges joyeuses, les demandes de signature de mon livre se multiplient, sans pour autant que je risque la crampe des écrivains.

Au fil de ces rencontres des relations se sont créées. Des promesses de se revoir s’échangent. La première édition de « Livres en Vignes » fut un grand succès.

Livres en vignes – jour 2 – Chateau de Gilly et chapitre du Tastevin samedi, 27 septembre 2008

Nous arrivons le lendemain matin au château de Clos de Vougeot par un soleil radieux, au milieu des vignes dont les feuilles ont les merveilleuses couleurs de l’automne, du vert encore vivace au rouge sang et pourpre. Les vendangeurs arpentent les travées avec leurs paniers. La vendange bat son plein.

La salle des pressoirs :

discours de bienvenue à Livres en Vignes

Nous allons déjeuner au château de Gilly, dans une vénérable salle gothique aux piliers élancés et aux voûtes graciles.

La cuisine servie pour un groupe nombreux est acceptable : tourte de caille à la Nuitonne / suprême de volaille cuit à l’os, aux champignons et au vin Jaune, petit riz Basmati / petite salade et fromage de Cîteaux / soupe de fruits rouges au cassis, glace au Gilly frais.

La tourte :

Les vins ne furent pas beaucoup plus inspirés que la cuisine : Savigny-lès-Beaune blanc domaine Pierre André 2006 aimable et direct, et Mercurey premier cru Pierre André 2005 sans véritable imagination. Il se peut que la fatigue de la veille explique mon manque d’enthousiasme. Je ne serai donc pas définitif.

Un énorme Tastevin qui pourrait servir de baignoire !

Il faut se faire beau, smokings et robes longues, pour le Chapitre de la confrérie des Chevaliers du Tastevin, intitulé chapitre de l’équinoxe, de la plume et du vin. Pendant près d’une heure et demie nous entendons que l’on intronise des chevaliers provenant du vaste monde, y compris les antipodes. Les mots d’accueil personnalisés sont spirituels et charmants. Nous quittons la salle des pressoirs pour prendre un verre de Crémant blanc ou rosé. Je m’empresse de reposer le mien car ce n’est pas mon goût. Les grands champagnes m’ont trop déformé. Nous pouvons entrer dans l’immense salle du chapitre qui accueille six cents personnes. 

Le menu est traditionnel : le persillé de sandre et saumon sauvage / les fines quenelles de perche excellence / les œufs en meurette vigneronne / les mignons de veau fermier au jus de truffe / les bons fromages de Bourgogne et d’ailleurs / l’escargot en glace / la tarte Tatin glacée aux pêches de vigne / les petits fours. Servir des œufs en meurette pour autant de personnes est un exploit, comme celui d’assurer tout au long de la soirée un service d’une précision d’horlogerie.

La jolie décoration des assiettes et le persillé :

Les cadets de Bourgogne, sur scène et entre deux chants :

Les officiels :

Les vins qui sont indiqués sur le menu ne précisent jamais le propriétaire, car les donateurs agissent bénévolement en mettant leurs vins à disposition de la confrérie. Il n’est donc pas question de juger des vins autrement qu’au niveau de leurs appellations. Le Bouzeron 2004, dans sa simplicité franche, me plait beaucoup. A l’inverse, le Meursault 1er Cru les Genévrières 2001 qui joue dans une catégorie supérieure, n’exprime pas tout ce qu’il pourrait. Autour de moi, il est très apprécié. Le Saint-Romain 2005 est un peu simplifié, et la complexité commence à s’afficher avec le Beaune 1er Cru Hospices de Beaune, Cuvée Dames Hospitalières 2004.

A ce stade de la soirée, la chaleur dans la salle est devenue étouffante. Une romancière à succès, ma voisine, veut quitter les lieux. Cherchant à lui rendre service, je sors de la pièce pour trouver un véhicule. Quand je veux revenir, le choc thermique est tellement fort qu’il ne m’est plus possible de suivre le cours du repas. Je bois quelques gorgées du Grands Echézeaux Grand Cru Tasteviné 2000 absolument charmant et intense. J’échapperai sans l’avoir voulu au Crémant de Bourgogne brut rosé.

Je suis toujours impressionné que le public cosmopolite s’émerveille de jeux de mots, astuces et plaisanteries qui sont incompréhensibles pour un étranger. C’est une des magies de ce lieu que de dégager un enthousiasme chaleureux dépassant les stade de la compréhension mot à mot. Les cadets de Bourgogne chantent particulièrement bien, dans un style qui rappelle les Compagnons de la Chanson. Ma femme et moi quittons la salle en catimini, dans le sillage de la romancière. Plaisanteries et forts discours se poursuivront tard dans la nuit.

Livres en vignes – jour 1 – Bouchard vendredi, 26 septembre 2008

La première fête du livre organisée au cœur du vignoble bourguignon s’appelle « Livres en Vignes ». Elle se tient au Château du Clos de Vougeot. Elle rassemble de nombreux écrivains répartis en deux groupes, ceux qui ont écrit ou écrivent sur le vin, et des auteurs célèbres, romanciers, historiens, écrivains généralistes, qui viennent signer leurs livres.

La veille de « Livres en Vignes », nous sommes invités par Michel Crestanello, directeur des ventes de la maison Bouchard Père & Fils, à visiter la cave qui est la plus belle cave au monde de vieux vins de Bourgogne.

Malgré la photo trouble, on peut imaginer la beauté de ce vin du 19ème siècle :

L’apéritif est pris au salon du Château de Beaune. Il s’agit d’un champagne Henriot blanc souverain sans année d’une très belle présence. Les gougères et feuilletés mettent en valeur ce champagne bien sec et typé alors que nous conversons les uns avec les autres. Nous dînons ensuite à l’orangerie du château. Le menu est ainsi composé : bavarois de sandre et tartare de saumon, vinaigrette d’herbes / pintade rôtie au pied de porc, mesclun aux herbes, jus de viande et sa garniture / plateau de fromages / ananas rôti au gingembre, sorbet au fromage blanc. La cuisine a été réalisée par le chef du restaurant « Loiseau des Vignes » à Beaune, succursale de la maison Bernard Loiseau que Dominique Loiseau a récemment créée.

N’ayant pas pris de notes au cours de ces trois jours, les souvenirs seront imprécis. Le Chablis Grand Cru Les Clos William Fèvre 2004 évoque l’eau sauvage qui coule sur de gros galets alors que le Chevalier-Montrachet Bouchard Père et Fils 2003 est une explosion de puissance et de générosité. C’est le chablis qui se marie le mieux au tartare de saumon, alors que la force du Chevalier écrase le plat. Ces deux vins très dissemblables sont aussi intéressants l’un que l’autre. Le chablis m’a conquis par son élégance.

Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard P&F 1999 est splendide. Il impressionne par sa race pugnace. Stéphane Follin-Arbelet, directeur général de la maison Bouchard ne cache pas son grand amour pour ce vin emblématique de la maison. Je relate aux écrivains présents le souvenir de la confrontation de ce Beaune Grèves dans les millésimes 1865 et 1947 qui fut un éblouissement dans ma vie d’amateur de vins anciens.

Le Corton domaine Bouchard P&F en magnum 1976 est un grand vin, mais un peu plus discret du fait de son millésime.

La qualité de l’accueil de la maison Bouchard est légendaire. Cette première soirée fut une réussite.

qu’est-ce que le luxe ? jeudi, 25 septembre 2008

Recette :

Vous prenez un bateau d’une belle taille :

 Vous le lancez sur l’eau :

 On peut même aller un peu plus vite :

 Vous trouvez une crique où la mer est calme. Et là, vous ouvrez Dom Pérignon 1998 :

 

Et vous croyez que c’est ça le luxe ?

Pas du tout !

Pour mon ami, propriétaire de cet invraisemblable joujou, c’est de ne jamais rater un épisode du feuilleton "amour, gloire et beauté", même en mer !!!!

 

Champagnicide mercredi, 24 septembre 2008

Nicolas de Rabaudy me signale que James de Coquet, évoquant Lafite que l’on boit trop jeune, parlait de Lafiticide.

Il me propose un néologisme pour les champagnes Selosse que je bois trop jeunes : "champagnicide", au lieu de l’infanticide que j’ai évoqué.

Je suis donc un champagnicide !

une originalité du Carré des Feuillants mardi, 23 septembre 2008

Lorsque l’on descend aux toilettes (mesdames, ne lisez pas plus loin), il n’existe qu’un urinoir.

Et lorsque l’on est devant la vasque pour satisfaire un besoin traditionnellement qualifié de naturel, une Vénus de Milo nous regarde. Elle semble impressionnée par la vision qu’offre l’entrebaillement de notre pantalon, et son sourire en dit long.

Elle est tellement impressionnée que les bras lui tombent.

On se rebraguette avec une regain de masculinité.

 

jeunes vins des Côtes de Provence pour la fin de l’été samedi, 20 septembre 2008

Nous ne nous résolvons point à quitter l’été. Ma fille aînée vient avec l’homme qui partage sa vie passer le week-end dans le sud. Alors que j’ai beaucoup de vins à boire, je m’arrête chez un caviste et j’achète des Côtes de Provence. Lors d’un déjeuner nous essayons un Clos Cibonne, Côtes de Provence 2004 du Pradet, commune qui jouxte la notre. Le vin est fort agréable,  avec la sensation de râpeux qui me plaît dans ces vins locaux. Le Rimauresq, Côtes de Provence 2005 qui le suit est plus enjoué, plus tonitruant, mais le millésime joue un rôle dans cet écart. Il se confirme que les Côtes de Provence sont délicieux dans leur région.

Nous nous rendons – une fois n’est pas coutume – à la table d’hôte d’Yvan Roux. Il exhibe un nouveau jambon Bellota Bellota à cinq glands Navalcollado, qu’il découpe avec son grand couteau. Dans l’immense cuisine nous sommes comme les mouettes qui accompagnent les bateaux de pêcheurs, prêtes à voler en piqué sur tout déchet lancé à la mer. Au risque de nous faire trancher les doigts, nous happons les copeaux de jambon aussi vite qu’Yvan les découpe. C’est certainement le plus expressif des jambons que nous avons mangés chez Yvan. Le champagne Delamotte sans année, vin du Mesnil-sur-Oger, la Mecque du champagne, est absolument à son aise avec le gras non salé de ce jambon.

Le carpaccio de liche, grand poisson pouvant atteindre une taille d’un mètre, est délicieux. Les seiches à l’encre et au Pata Negra, poivron et piment d’Espelette appellent un Rimauresq 2005 qui vibre merveilleusement sur le plat lourd et goûteux.

Généreux comme d’habitude, Yvan apporte discrètement à notre table les joues d’un gros mérou qu’il servira à une autre table. Cuits à la perfection, ces deux gros morceaux de joue sont d’une chair intense.

De petites langoustes et pommes de terre à l’ail confit, graines d’anis et cébettes sont divinement goûteuses et aussi bien le champagne que le Côtes de Provence peuvent lui répondre, tirant des accents différents. Le fondant au chocolat avec une sauce au caramel et beurre salé et une glace au mascarpone correspondent comme un écho au Rivesaltes d’une coopérative de Rivesaltes 1955 que j’ai apporté, subodorant le dessert d’Yvan. C’est le beurre salé du caramel qui vibre le plus aux accents du vin lourd, riche et profond, aux saveurs multicolores.

Monsieur le bourreau, laissez-nous profiter encore de l’été qui finit officiellement ce soir et que nous ne voulons pas quitter.

dîner chez Yvan Roux – les photos samedi, 20 septembre 2008

Sous la lampe qui sert de chauffe-plat, les couleurs changent. Les carpaccios de liche sont alignés.

Yvan avec son grand couteau va découper des tranches du merveilleux jambon

Voici l’étiquette du jambon

carpaccio de liche

les seiches de l’archiduchesse sont-elles seiches, archi seiches ?

joue de mérou

la langoustine et ses pommes de terre

C’est bon !

de beaux accords sur Rimauresq, Ausone, Daumas Gassac et Filhot vendredi, 12 septembre 2008

Après une journée passée en mer avec des amis, nous nous retrouvons tous à dîner à mon domicile. L’apéritif débute sur un Champagne Charles Heidsick mis en cave en 1997 qui étanche la soif que donne le séjour en mer. De la poutargue, des sablés au parmesan, des dès de fromage de chèvre à la figue, du jambon Pata Negra s’amusent gentiment avec ce beau champagne rond, joyeux, sans souci. Il se boit si bien qu’il faut vite ouvrir un champagne Dom Pérignon 1998 qui impose sa personnalité, de plus en plus marquée par les dix ans qu’il vient de vivre. Le caractère floral, le goût de groseille blanche qui flirte avec un pamplemousse rose et la finesse de la bulle composent en bouche un tableau pastoral. On comprend le charme redoutable de ce champagne.

Nous commençons à table par une terrine de courgettes qu’accompagne fort bien un Mas de Daumas Gassac blanc 2001, au sommet de sa forme, sommet sur lequel il s’installe sans doute pour longtemps. Le fumé, les fruits délicatement confits chantent en bouche.

Mais le plaisir s’accroît quand ma femme nous présente une de ses nouveautés, un maquereau en filets au foie gras dans une robe de chou. Le Daumas Gassac est concerné par chacune des saveurs et leur ajoute une cohérence. L’accord est divinement bon. Le sucré du foie gras, l’amertume du chou et l’intensité du maquereau créent tant de résonnance avec le vin qu’il gagne en coffre, en chair, et délivre un plaisir complet. Son opulence et sa longueur sont à signaler.

Un des amis ayant apporté un fond de bouteille à me faire découvrir à l’aveugle, un chablis 1986 que je n’ai pas reconnu, je décide d’en faire autant pour les rouges. Et quand ce professionnel du vin, qui a bien reconnu la région, me dit du premier vin : « il s’agit là d’une très grande année », je suis particulièrement content. Car il s’agit de Château Ausone 1992, d’une année particulièrement ignorée des amateurs. Le fait qu’Ausone en cette petite année ait réalisé un vin puissant, ayant du corps, de la profondeur, et une longueur que jamais 1992 ne devrait avoir, confirme une fois de plus que l’on extrémise à l’excès les écarts de jugement entre les années. Ce vin est un grand vin, dont on sait qu’il n’a pas tout ce qu’Ausone peut donner, mais qui offre un plaisir sans mélange et sans restriction.

Le vin suivant, bu aussi à l’aveugle, subjugue cet ami professionnel et l’ami propriétaire du bateau sur lequel nous avons fendu l’onde. L’idée qui leur vient est celle du Rhône septentrional. Le vin est un Rimauresq, Côtes de Provence 1983 rouge, d’une plénitude étonnante. Absolument accompli, d’une maturité qui durera encore pendant des décennies, ce vin a toutes les caractéristiques d’un Côtes de Provence, mais sublimée. Je pense qu’à l’aveugle, je n’aurais pas reconnu non plus tant ce vin brillant dépasse les critères normaux des Côtes de Provence. Un grenadin de veau cuit à basse température avec des courges de Nice cuites sur une sauce à l’amande et la noix s’accorde avec les deux rouges brillamment car chaque composante du plat est destinée à mettre en valeur les deux rouges.

Nous essayons un camembert Jort et un camembert d’Isigny. Alors que le Jort, combinant le crémeux et l’amertume ammoniaquée est d’une sensualité rare, l’un d’entre nous, le marin, déclare sa préférence pour celui d’Isigny. Tous les goûts sont dans la nature !

La tarte aux quetsches s’associe au Château Filhot 1990 beaucoup mieux que je ne le pensais. Le sauternes d’un beau jaune commençant à accrocher de filets d’or à sa robe est très élégant et déjà arrondi dans sa jeunesse. On sait que soixante ans de plus le rendront magique, mais tel qu’il est là, à l’état d’adolescent, avec des notes d’un abricot discret, il est chaleureux, plein de joie et ravit le palais. Son adaptabilité à l’acidité de la quetsche est à signaler.

Nous n’avons pas voté mais après coup je voterais pour le Rimauresq 1983, suivi ex aequo par l’Ausone 1992 et le Dom Pérignon 1998. Chaque vin s’est bien comporté malgré l’atmosphère étouffante et orageuse peu propice aux vins. Dans ce dîner dont la cuisine de ma femme fut d’une grande justesse, les accords mets et vins fonctionnèrent tous. Il faut vite recommencer.