Sigalas-Rabaud mercredi, 14 janvier 2009

Voici deux capsules

à gauche celle du 1896 bu le 31 décembre 2008, à droite celle du 1959 qui sera bu le 22 janvier 2009. On voit la continuité absolue du design de la capsule, avec les mêmes inscriptions et le même écusson coiffé d’une couronne. On voit aussi l’effet du temps en 63 ans.

les « anti-voeux » de François Simon dimanche, 11 janvier 2009

François Simon,  dans le Figaro du 10/01/09 présente ses vœux sous le titre « Nos antivoeux les plus sincères ».

Ce papier plein d’esprit m’a donné l’idée d’ajouter mes propres idées.

1 – Le choix des pains. François s’insurge contre cette manie de proposer huit pains différents, alors qu’un seul bon pain ferait l’affaire. Je suis de son avis, d’autant que la cérémonie du pain prend un temps considérable quand on voudrait parler avec ses convives. J’ajouterai à cela la même manie pour les beurres. Et, ce qui m’importune le plus, de loin, c’est le choix des cafés. Lorsque l’on discute avec ses amis, devoir lire une carte des cafés avec des explications sur les vertus de chaque haut-plateau inaccessible, c’est franchement insupportable.

2 – La gastronomie à quatre chiffres. François est dans son rôle quand il fustige les additions stratosphériques. Le passage à l’euro a désinhibé les restaurants. Qui aurait pu mettre des plats à plus de 1000 F sur une carte ?

3 – Les billes de betterave. François fustige les légumes à la mode. Il n’aime pas la betterave. Personnellement, ça ne me gêne pas tant que cela. La betterave est un légume au goût très fort, dont il ne faut pas abuser, car il n’est  pas l’ami des vins.

4 – Les desserts d’artistes. C’est vrai que les desserts qui se veulent visuels avant d’être goûteux, ça m’énerve aussi, car le palais est chaviré. Il m’est très difficile de faire passer l’idée que pour les vins, il ne faut pas un dessert d’artiste, mais un goût. La volonté de montrer le talent du pâtissier est trop forte.

5 – Les rythmes de grand-messe. François aimerait moins de chichi. J’avoue que le chichi ne me déplait pas. Ce qui m’agace, c’est de devoir attendre quand ce n’est pas nécessaire.

6 – Les amuse-bouche. François serait pour leur suppression totale. Je ne suis pas d’accord. Mais j’aimerais que l’on introduise une nouveauté. Il faudrait que lorsque l’on s’assoit à table, quelqu’un vienne demander : « seriez-vous sensible au fait de commander votre vin dès maintenant, pour que le vin ait le temps de s’oxygéner ? ».

Dans ce cas, selon le choix du vin du client, un amuse-bouche simple, adapté au type de vin permettrait de bien commencer le repas. L’amuse-bouche est souvent considéré comme la carte de visite du chef. Il annonce son niveau de dextérité. Alors qu’un amuse-bouche considéré comme un prélude au goût du vin serait nettement mieux.

De plus, contrairement à François Simon, je ne tiendrais pas longtemps sans amuse-bouche. Je préfèrerais qu’on enlève le « pré-dessert ».

7 – Le plat star, le client en otage. Ce qui est effectivement agaçant, c’est d’entendre un jeune serveur qui vient expliquer la composition du plat. Il annone un texte appris par cœur, qu’il récite en mangeant ses syllabes. Il ne faut surtout pas lui demander de répéter, car il s’embrouille.

8 – Les vins sans esprit. L’observation de François Simon rejoint la mienne. L’explosion des prix a conduit les sommeliers à rechercher des vins moins chers. Mais dans leur recherche, je trouve qu’ils sont allés vers « ce qui peut plaire », plus souvent que vers « ce qui représente l’appellation ». Et leurs découvertes ne m’excitent pas tant que cela, car il y a trop souvent la recherche de l’originalité plus que de l’authenticité.

9 -Le Michelin va-t-il se réveiller ? C’est là où je diffère le plus de François Simon. Il considère le Michelin comme ringard et convenu. Si l’on cherche un scoop, il y a mille revues qui véhiculent l’information de la découverte des talents. Ce que j’attends du Michelin, c’est la solidité intemporelle du jugement. Que François réclame plus d’objectivité, je le comprends. Mais il faut que le guide Michelin reste une institution et ne devienne pas une girouette.   

A la liste de critiques de François Simon, j’aimerais ajouter les miennes :

10 – les mignardises. Pour diverses raisons, on peut refuser le dessert et demander un café. Pour certains, les mignardises à profusion seront un bonheur. Mais pour d’autres, ce sera le péché de gourmandise que l’on voulait éviter.

11 – le moment de la commande des vins. J’ai abordé ce sujet ci-dessus. Il faut que le choix soit offert le plus tôt possible.

12 – les bavardages excessifs. Pourquoi ne pas donner, pour les plats les plus complexes, des petits cartons explicatifs, que l’on lit si on en a envie, plutôt que d’écouter un énoncé qui tombe toujours au plus mauvais moment.

Mais j’aimerais ajouter une remarque fondamentale. Nous avons actuellement une richesse de chefs de talents, véritables artistes, qui créent des recettes ou interprètent des recettes classiques de la plus belle façon. Et la variété des tendances est spectaculaire. Je suis prêt à payer leur talent, à accepter un certain décorum, même si parfois, c’est vrai, c’est un peu suranné. Ce que je ne supporte pas, c’est de donner des marges sur les vins qui ne devraient jamais exister à ce niveau si les restaurants avaient une gestion de cave à long terme.

Le bilan de tout cela est quand même largement positif, car les grands restaurants, visés particulièrement dans ce billet par François Simon, nous offrent des plaisirs rares. Des petits ajustements sont souhaitables, mais le plaisir est là.

repas d’amis dans le sud vendredi, 9 janvier 2009

Nous invitons des amis dans notre maison du sud. Sur de fines tranches de poutargue, des gougères et un gouda au cumin, le Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 est particulièrement joyeux et accueillant. Il ne cherche aucune complexité, il parle juste. On se sent bien avec ce champagne rassurant, d’une belle jeunesse, dont le plaisir vaut bien celui qu’offrent des champagnes plus sophistiqués.

Le premier plat est une soupe aux fèves et au foie gras. Le goût est parfait pour accueillir un vin rouge. Lorsque j’avais ouvert les deux vins rouges quelques heures auparavant, l’odeur du sommet des deux bouchons non encore extirpés apparut particulièrement forte, évoquant un chai humide. L’odeur de ces deux bouchons est tellement forte que ma femme me demandera de les jeter quelques minutes plus tard, tant ils envahissaient la pièce. Sentant les deux vins au goulot, je notai comme ils sont dissemblables, le Brane-Cantenac très serein et le Monbousquet très fruité. A aucun moment je n’avais imaginé l’horrible goût de bouchon du Château Monbousquet Saint-Emilion 1982 qui apparaît quand il est servi. Ce goût ne disparaîtra pas. Les vins bouchonnés que j’ouvre sont si rares que j’en suis tout étonné.

Le Château Brane-Cantenac 1978 qui était normalement prévu pour la suite, s’harmonise bien avec le plat. Il est extrêmement serein. En le buvant, on ressent le même confort qu’avec le champagne, comme si les deux s’étaient donné le mot pour nous rassurer. Plein, riche, d’une belle jeunesse que trente ans n’ont pas entamée, ce premier bordeaux que nous buvons depuis notre arrivée dans le sud est un essai concluant. Le mot d’ordre de ce vin est au plaisir. On remarque sur la bouteille que le vin a été importé par un négociant de Buenos-Aires. Il a donc fait sa propre Vendée Globe, compétition que je suis jour après jour tant cette aventure humaine est captivante, sans que ce long voyage n’ait altéré son goût. C’est objectivement un grand vin riche, charnu, gouleyant.

Le plat principal est un gigot d’agneau de Sisteron accompagné d’une purée « à la » Robuchon. Le bordeaux s’accorde magnifiquement à la viande goûteuse. J’ouvre alors un Rimauresq Côtes de Provence rouge 1983. Sentant le haut du bouchon encore présent dans la bouteille, je constate une similitude avec les odeurs des deux autres bouchons. Ces bouteilles proviennent d’une même cave que je viens de créer dans le sud. Aurait-elle une influence ? Mes amis qui vivent dans cette belle région apprécient que cette rareté soit ouverte, car il est quasi impossible de trouver des Côtes de Provence de 25 ans. Dès la première gorgée, le vin nous donne le sourire aux lèvres. C’est un grand vin. Je préfèrerais sans doute un millésime plus jeune, car le vin s’est assagi. Mais le vin est grand, ayant perdu un peu de son fruit. Ce qu’il me plait de constater, c’est que les deux vins rouges ne se condamnent pas l’un l’autre, et aucune envie ne vient de les hiérarchiser.

Deux camemberts et une tarte Tatin permettent de finir les rouges. De longues discussions amicales parachèvent notre joie d’être ensemble.

Château Monbousquet Saint-Emilion 1982 malheureusement bouchonné

Chateau Brane-Cantenac 1978

Les voyages forment la jeunesse pour ce vin. Comment a-t-il pu revenir de Buenos-Aires pour atterrir dans ma cave ?

La délicieuse soupe de fèves au foie gras

Rimauresq 1983

déjeuner chez Yvan Roux mardi, 6 janvier 2009

Nous sommes quatre à déjeuner au restaurant d’Yvan Roux. Avant cela, nous avons trinqué dans notre maison du sud sur un Champagne Dom Pérignon 1999. Le champagne évoque instantanément de jolis et frêles fruits blancs. Des petits biscuits épicés le neutralisent, alors que la poutargue crée l’étrange sensation que l’on vient de manger une huître. La salinité combinée au doucereux, portée par la bulle fine, conduit progressivement au retour des fruits blancs.

Lorsque nous arrivons au restaurant d’Yvan Roux, le beau panorama a adopté des tons de gris. La cuisine grouille de crevettes et de cigalons vivants qui tressautent. Yvan tranche généreusement le jambon Pata Negra de Séville qui met en valeur un agréable Champagne Delamotte 1997. Même s’il n’a pas la longueur du Dom Pérignon, le Delamotte a la sérénité des blancs de blancs de Mesnil-sur-Oger. Sur une assiette arrivent des crevettes roses qui, vivantes, étaient d’un vert brun, un petit crabe que l’on croque comme des chips, un bébé calamar qui appellerait du vin rouge, tentation à laquelle nous succombons dès qu’il s’agit de sucer l’ail confit.

La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1995 est d’un parfum plus lourd que les plus lourdes créations de Guerlain ou Chanel. Envoûtant, entêtant, il annonce le plaisir buccal. L’association du vin et de l’ail est magique, car le doucereux de l’ail enveloppe la virilité du jeune vin du Rhône.

Yvan a touillé pendant de longues minutes un sabayon à l’oursin délicieux. J’avais apporté le reste du Château Sigalas-Rabaud 1896 du réveillon, car je sais qu’Yvan aime les vins doux. L’association du salé et iodé de l’oursin et du sucré du sauternes est d’une rare délicatesse.

Le plat suivant est une belle assiette de cigalons rôtis en cocotte avec de l’ail confit. La chair des cigalons a un goût de noisette. Elle est d’un grand raffinement. La puissance de la Côte Rôtie et sa capacité de persuasion sont énorme. Yvan nous a concocté une bisque au cigalon avec une crème fouettée au sel de Guérande et poivre blanc. Cette saveur est extraterrestre et l’accord avec le vin est diaboliquement déroutant. C’est une pure folie. Le vin est dense, évoquant les fruits noirs avec une longueur rare. Le jeune fils de mon ami est aux anges.

Le thon est mi-cuit, à l’huile de sésame et grains de sésame, échalotes confites au champagne et galette de pommes de terre. Le vin se l’approprie, sa présence forte acceptant la chair délicate comme un bonbon.

Yvan connaît mes péchés, aussi aura-je deux portions de la glace vanille dont il a le secret. Peut-on rêver d’un tel paradis ? Non.

repas chez Yvan Roux – les photos mardi, 6 janvier 2009

Yvan Roux découpe le Pata Negra. On voit les crevettes qui sautent hors de l’assiette, et les beaux filets de thon.

On voit bien pourquoi Yvan appelle ces crevettes des crevettes "vertes". Dans la cuisine d’Yvan, je me demande bien ce que je fais là !

On reconnaît le bébé calamar, le petit crabe à croquer et l’ail magnifique. A droite, le carpaccio de loup aux reflets roses

le sabayon d’oursins et les cigalons

le thon aux grains de sésame.

mariage réussi de champagne et belote… samedi, 3 janvier 2009

Peu de jours après, une partie de belote acharnée confirme que la supériorité physique des mâles, pour de nombreuses espèces, s’applique aussi au jeu de la carte, jusqu’à ce qu’une enchère inconsidérée mais brillante fasse connaître à l’espèce féminine un saut darwinien déterminant. Pendant ces soubresauts de l’histoire de l’évolution des scores, un Champagne Dom Ruinart rosé 1986 est diablement convaincant, suivi d’un champagne Ruinart brut sans année plaisant mais qui montre les limites des champagnes non millésimés, agréables à boire mais sans la profondeur de l’élite du champagne.

L’appel des cigales jeudi, 1 janvier 2009

Le pied à peine posé sur mes terres du sud, le téléphone sonne pour un message de plus en plus itératif et impératif : "François, il y a deux cigales qui t’attendent". Avec ma femme, nous obtempérons.

Ce soir, chez Yvan Roux, ce sera à l’eau, car il me faut prendre de bonnes résolutions. Le jambon Pata Negra, proche de l’os, devient gras et lourd. Seul un champagne charpenté remettrait de l’ordre dans la sensation de pesanteur extrême. Mais ce jambon boucané est d’un grand charme. Sur chaque assiette, une moitié de cigale mâle et une moitié de cigale femelle. Les chairs sont belles, puissantes, au goût de noisette et une mâche dure, autoritaire. Pour apaiser cela, le dessert est léger, à base de pêche blanche et de sorbet à l’abricot. Même sans vin, il est possible de passer une merveilleuse soirée.

Voeux jeudi, 1 janvier 2009

Vœux

Le blog n’est pas ouvert à la discussion, car je n’aurais jamais le temps de répondre aux commentaires qui seraient faits.

Mais on peut me contacter en utilisant « contacter François Audouze » en haut de la page à droite.

Malgré cette absence de dialogue, je voudrais remercier tous ceux qui lisent ce blog, et leur souhaiter une bonne et heureuse année.

Beaucoup de bonheur et de bons vins.

L’histoire d’un Sigalas-Rabaud 1896 – réveillon 2008/2009 mercredi, 31 décembre 2008

Je croyais apporter dans le sud pour le réveillon un Chateau Guiraud 1904.

Indications données par la bouteille

A gauche, on peut imaginer : "grand vin de Sauternes" et à droite le G de Grand

En bas, on lit "Premier".

Je n’arrive pas à lire le nom de la maison de négoce qui a embouteillé ce vin. On lit Bordeaux en dessous, et on imagine un "G" au début et deux "L".

Toute information m’intéresserait.

Et voilà que le Guiraud 1904 devient Sigalas Rabaud avec une certitude absolue, car le bouchon d’origine est particulièrement lisible

La vivacité du vin nous a comblés de joie.

Mais cette histoire étonnante a une suite. Voici le message que j’ai reçu :

"Bonjour,

Quel bonheur de voir qu’un Sigalas Rabaud de 112 ans peut encore contenter une femme et quelques dégustateurs. Je vous envie beaucoup d’avoir bu du  1896.

Je suis l’une des filles de l’un des propriétaires et je m’occupe de la propriété depuis peu. Je me plais à imaginer qu’on dégustera en 2120  un 2008 fait par mes soins avec autant de plaisir.

Merci pour cette belle histoire"

Cela me rappelle la visite que j’avais faite au Chateau d’Yquem en 2000, un jour de vendange, où j’avais bu Yquem 1900. J’avais dit aux vendangeuses : imaginez que peut-être en 2100 quelqu’un boira le vin fait des grappes que vous cueillez !

La confrontation à l’histoire, comme nous avec cette bouteille de 112 ans, est toujours fascinante.