dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen avec Pétrus 1934 jeudi, 18 janvier 2007

Deux jours après ma répétition de plats,  j’arrive pour ouvrir les bouteilles du 81ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen. Le lieu bruisse d’événements dont le vin sera le thème. Il y a au rez-de-chaussée le wine & business club d’Alain Marty qui organise des conférences et un dîner pour un très grand nombre de personnes avec notamment Pichon Lalande, ce qui est impressionnant. Il y a à l’étage, dans un salon, Angélique de Lencquesaing, gérante d’idealwine, avec le talentueux Georges Lepré, sommelier de grande expérience , qui préparent la réception d’une société qui va faire goûter à ses clients des premiers grands crus classés de Bordeaux de 1998. On m’offre généreusement de goûter quelques vins et je classerai Margaux 1998 au charme affirmé devant Mouton-Rothschild 1998 de belle complexité séductrice, puis Lafite-Rothschild 1998,  plutôt fermé mais de belle race et Latour 1998, sans doute le plus grand, mais totalement fermé à ce stade de sa croissance. Le microcosme du vin est fraternel.

L’ouverture des vins se fait avec une facilité rare, en moins de trois quarts d’heure. Les odeurs sont belles, et celle du Pétrus 1934 me plait et ravit Georges Lepré à qui je le fais sentir. Il est admiratif des niveaux des deux vins de 1934. Le bouchon le plus impressionnant est celui de Margaux 1934, sain, jeune et beau, qui a permis au vin de rester à un niveau remarquable, ce qui est une performance pour un bouchon d’origine. Le Loubens 1940 est le seul vin bouché récemment quand je l’ai acheté à Arnaud de Sèzes, vigneron propriétaire de ce Sainte-Croix du Mont. Les odeurs étant saines, j’estime avoir le temps d’aller féliciter les nouveaux trois étoiles de l’Astrance, mais je trouve porte close. C’est en effet le jour des fuites, avec ses drames pour les maisons qui perdent une étoile, et ses liesses pour les promus.

J’avais tellement insisté sur la nécessité d’être ponctuel que tout le monde est là à 20h. Enfin presque, car contrairement aux votes dans les républiques bananières, l’unanimité n’est pas de ce monde. Après les consignes d’usage, nous passons à table.

Il y a autour de la table un ami qui a réalisé le bulletin 200 venu avec un autre de mes amis, un des valeureux participants du fabuleux dîner à l’Astrance avec Cheval Blanc 1947, un ami de bord de mer et autres espaces venu avec sa compagne et l’un de ses amis, le patron d’une grande organisation de vente de vins venu avec un avocat de ses amis, et un académicien de l’académie des vins anciens, breton comme Christian Le Squer, qui ouvrira bientôt une boutique de vins. Les rires ont fusé car l’atmosphère était à la joie.

Le menu créé par Christian Le Squer avec Géraud Tournier est d’une grande sensibilité, au point que le projet que j’avais élaboré en m’inspirant de la carte était resté dans mes cartons. Ce programe est d’un équilibre rare : Saveurs" terre et rivière" / Noix de Saint-Jacques à l’écume de mer / Truffe en croque au sel, onctueuse quenelle de foie gras / Blanc de turbot de ligne juste braisé,  pommes rattes truffées  / Feuilleté brioché de truffes noires en gros morceaux / Noisettes de chevreuil, fruits et légumes d’hiver / Stilton / Brochette Mangue et Ananas.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60 est une inconnue puisqu’il n’est ouvert que lorsqu’on est à table. J’avais supposé qu’il s’agirait d’un champagne assez évolué, car la couleur estimée à travers le verre est un peu ambrée. Surprise quand on remplit mon verre : la couleur est rose. Je goûte, et sans aucune confusion possible le champagne est rosé. Aucun champagne évolué ou madérisé ne peut donner ni cette couleur ni ce goût. Comment peut-on supposer une erreur d’étiquetage ? Voilà une énigme. La rétractation du bouchon et le muselet confirment un champagne de plus de 50 ans. La bulle est encore présente, et tout le monde est surpris par l’immense longueur de ce champagne expressif et séduisant.

Je me demande toujours si je n’ai pas la main verte, tant mes vins sont toujours au rendez-vous. Mais à ce point, c’est surnaturel, car l’accord couleur sur couleur est magique. La betterave réagit au quart de tour sur ce rosé, l’harmonie des couleurs influençant l’accord des goûts et l’anguille au dos rose prune catapulte le champagne à des hauteurs extrêmes de raffinement. Cette combinaison est d’une précision parfaite. Quand le plat est enlevé, nous avons tous en bouche la trace intense de ce champagne qui ne veut pas nous quitter.

Des coquilles Saint-jacques crues légèrement citronnées (j’aurais mis un soupçon de moins d’acidité), sont entourées d’une émulsion aérienne d’une iode magique.  Le vent fort de la Pointe du Raz submerge nos narines. Nous sommes le gardien de phare de l’île de Sein. Et cette tempête atlantique est exactement nécessaire pour le Champagne Krug 1988 qui se complait de ces saveurs marines. Rien ne serait plus adapté pour mettre en valeur ce grand champagne typé qui est évidemment plus compréhensible que le Veuve Clicquot au rose camouflé.

Le nez du Meursault Jean François Coche-Dury 1990 devrait être archivé à la Bibliothèque Nationale, sous deux rubriques, Meursault d’une part, car c’est la plus belle pierre à fusil qui soit, et Coche-Dury d’autre part, car sa signature est là. Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 a des parfums plus exotiques où le litchi n’est pas absent. Le Meursault et la truffe, ça cause ! Notre table se divisera pour préférer l’un ou l’autre vin. Mon cœur balance vers le Meursault, même si le Corton-Charlemagne est d’une extraction plus noble, car le plus jeune fait vraiment très jeune, quand le 1990, d’un âge de gamin, fait déjà vin évolué, avec ce que cela implique de plénitude.

Nous avons décidé de mettre le Château Rayas Chateauneuf du Pape rouge 1992 à ce moment du repas, pour éviter une confrontation avec le Musigny qui ferait un vaincu. Et nous avons bien fait. Car sur la chair du turbot, ce Rayas se montre sous son plus beau jour. Voilà un vin sur lequel le caviste de notre table n’aurait pas beaucoup parié du fait du millésime. Mais il faut savoir qu’il y a une différence fondamentale entre un vin placé dans une comparaison verticale et un vin placé en situation de gastronomie. Ici, ce Rayas, très fidèlement respectueux de sa définition historique s’est comporté comme un seigneur. Il a joué son rôle, même si Rayas peut jouer plus fort.

La scène que nous allons vivre pourrait être une définition du luxe. Avoir dans le verre de droite Pétrus 1934, dans le verre de gauche Château Margaux 1934 et devant soi une truffe entière sous une croûte qu’un maître d’hôtel vient découper pour laisser échapper des arômes diaboliques, c’est assez décadent, comme le suggère l’homonyme anglais qui indique une insolente expression de rareté. Et les trois acteurs jouent juste. Le Pétrus 1934 est un vrai Pétrus, dans sa ligne historique, dense, intense, d’une trame précise, et profond comme la truffe. Le Margaux 1934 joue sur son charme débordant. C’est curieux comme Pétrus joue Pétrus et Margaux joue Margaux. Et l’on est bien en peine de dire lequel l’on préfère, même si les votes iront vers Pétrus du fait de sa rareté. Le plus truffier des deux est le Pétrus et je suis assez fier, car avant le repas et avant le service du plat, j’avais annoncé que Pétrus capterait la personnalité de la truffe et deviendrait truffe. C’est ce qu’il a fait. On aimerait que de tels moments irréels ne s’arrêtent jamais. Le parfum de la truffe en croûte est dix fois plus imprégnant que celui de la truffe précédente goûtée sur les blancs. Il fallait qu’il y eût ces deux acceptions.

On me sert toujours en premier un demi verre, car lors de l’ouverture quelques heures avant, je ne bois jamais les vins, pour affiner mon jugement en me servant de mon seul nez. Il me suffit d’un quart de seconde, encore une fois au nez, pour me rendre compte que le Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951 est un pur amour. Tout en lui est extraordinaire. Messieurs les écrivains du vin, il va falloir mettre une parenthèse sur l’année 1951, qui n’a pas laissé une trace dans l’histoire, pour encadrer ce Musigny, qui forme avec la chair tendre du chevreuil un couple qui gagnerait les Oscars des meilleurs acteurs, du meilleur scénario, et du plus bel érotisme, si cette catégorie existait. La chair est délicatement traitée, toute en subtilité, et le Musigny a cet habit bourguignon du plus bel apparat. Longueur immense, distinction, subtilité, charme, élocution. Il a tout, car son année a calmé toute velléité de rustrerie. Noble, brillant, je l’adore.

Le Château Loubens 1940 est une leçon d’agrumes. Un peu salin, il joue bien avec le Stilton. Le Château Climens 1943 fait partie de ces sauternes qui ont laissé leur sucre en route. Alors, il faut accepter cette évolution. C’est mon cas, et je suis bien conscient que c’est plus difficile pour mes convives.

Le vote des dix participants qui doivent désigner les quatre vins préférés sur dix auront concerné neuf vins sur dix, ce qui est absolument excellent. Trois vins seulement auront eu droit à un vote de premier : Petrus 1934 avec cinq votes de premier, soit la moitié de la table, ce qui est rare. Le Musigny 1951 a eu trois votes de premier et le Margaux 1934 a eu deux votes de premier. Le vote du consensus serait : Pétrus 1934, Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Château Margaux 1934, ce qui semble un choix très logique.

Mon vote a été : Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Pétrus 1934 et Château Climens 1943.

Les accords ont été tellement éblouissants qu’il serait difficile de nommer un seul gagnant. La truffe avec Pétrus 1934 est immensément académique, le chevreuil avec le Musigny est d’une sensualité forestière, l’écume de mer avec le Krug est bretonnément iodique. Mon cœur irait sans doute à la façon dont la betterave a caressé le Veuve Clicquot. C’est d’une finesse sensible romantiquement agreste.

La table a une belle forme permettant aux conversations de se développer, le service est attentif, la cuisine est ciselée avec art. Ce dîner rempli de rires et de joie fut d’un raffinement gastronomique inégalable.

dîner du 18 janvier 2007 – les vins jeudi, 18 janvier 2007

le demi-sec de Veuve Clicquot, et l’esquisse du Krug 1988. Rien n’indique que leplus âgé est un rosé : énigme.

 A noter le muselet qui indique un âge certain !

Coche-Dury et Bouchard

Margaux 1934

 Je préfère une étiquette comme celle-là pour Pétrus 1934, car les chances d’un faux sont nettement plus faibles.

 Loubens 1940 et Climens 1943

dîner wine-dinners du 18/01/2007 – le menu jeudi, 18 janvier 2007

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60

                            Saveurs" terre et rivière"

Champagne Krug 1988

                            Noix de saint-Jacques à l’écume de mer

 Meursault Jean François Coche-Dury 1990

Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997

                            Truffe en croque au sel, onctueuse quenelle de foie gras

Château Rayas Chateauneuf du Pape 1992

                            Blanc de turbot de ligne juste braisé,  pommes rattes truffées 

Pétrus 1934

Château Margaux 1934

                           Feuilleté brioché de truffes noires en gros morceaux

Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951

                           Noisettes de chevreuil, fruits et légumes d’hiver

Château Loubens 1940

                           Stilton

Château Climens 1943

                           Brochette Mangue/Ananas

dîner wine-dinners du 18/01/07 – liste des vins jeudi, 18 janvier 2007

dîner du 18 janvier 2007

1. Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec vers années 60

2. Champagne Krug 1988

3. Meursault Jean François Coche-Dury 1990

4. Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997

5. Pétrus 1934

6. Château Margaux 1934

7. Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951

8. Château Rayas Chateauneuf du Pape 1992

9. Château Loubens 1940

10. Château Climens 1943

information sur des blogs mercredi, 17 janvier 2007

Un ami, Alain Bringol, gère un site qui s’appelle winemega.com.

Sur ce site, il y a une section qui s’appelle "l’actualité des blogs".

Si vous voulez connaître les récents messages de blogs sur le vin ou la gastronomie, notez cette adresse sur vos tablettes, car ça permet bien de sélectionner ce qui vient de se dire récemment sur plusieurs blogs intéressants.

https://www.winemega.com/fr/art_blogs.php

Un champagne Salon 1982 absolument fantastique mardi, 16 janvier 2007

De plus en plus, je considère le restaurant Ledoyen, le trois étoiles de Christian Le Squer comme l’une des grandes tables de Paris. Devant organiser le 81ème dîner de wine-dinners à cet endroit pour la deuxième fois, j’ai trouvé de mon devoir, suivant mon esprit de sacrifice, d’aller goûter quelques plats pour vérifier l’adéquation avec les vins prévus. Et, considérant que mon sens du devoir nécessitait une abnégation totale, je choisis dans la carte des vins : champagne Salon 1982, l’une des plus grandes réussites de Salon.

Les petits amuse-bouche plantent le décor du talent du lieu. Ici l’on est marin, breton et raffiné. Cela permet à un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 offert par Géraud au verre de briller et de s’exciter de ces saveurs marines et terriennes. Les plats que mon épouse et moi avons pris ce jour là ne furent pas choisis pour les vins du dîner prochain, mais me remirent en mémoire le talent du chef. Sa langoustine en deux préparations est exceptionnellement bien cuite, ni trop ni trop peu, et son anguille est chaque fois pour moi un vrai bonheur. Les oursins que je goûtai dans l’assiette de ma femme sont éblouissants sur le Salon 1982, qui est un champagne d’une formidable personnalité. Il se présente poliment, et m’annonce comme dans le film « les visiteurs du soir », qu’il s’invite dans mon palais qu’il va investir et dominer. Le message est réellement envahisseur. Il sait accepter un plat ou le combattre, coupe la parole à toutes mes sensations. C’est à peu près Georges Marchais acceptant de participer à un dialogue à la condition d’être le seul à parler. Conquis, j’ai cédé à son invasion et à son incursion dans mon subconscient. Il m’a totalement dominé.

réception privée à Dom Pérignon – compte-rendu complet vendredi, 12 janvier 2007

Une amitié est née avec Richard Geoffroy, l’homme qui « fait » Dom Pérignon, le premier jour où nous nous sommes rencontrés. J’assistais à une dégustation de son champagne aux caves Legrand, et je l’entendis parler des trois pics de perfection de Dom Pérignon, à 7, 14 et 28 ans. C’est la première fois que j’entendais un vigneron apporter du crédit à ma vision du vin dont la vie est cyclique, avec des périodes fortes et d’autres de relatif engourdissement. Le schéma que j’ai conçu est une sinusoïde à pas variable, qui permet d’expliquer que des vins de la moitié du 19ème siècle sont encore vaillants aujourd’hui, alors que la théorie du plateau de maturité est incapable de le faire.

Nous en avons parlé, et une envie de nous revoir est née. Ce fut fait lors du dîner des amis de Bipin Desai en décembre, où je l’avais convié, et se continue lors de la visite de ce jour, à l’abbaye d’Hautvillers. Au premier étage de cette superbe bâtisse où le religieux n’a pas complètement cédé la place au bachique, une table immense attend trois personnes : Richard Geoffroy, le « patron » de Dom Pérignon, qui m’exposera ses stratégies, Vincent Chaperon, œnologue en charge de Dom Pérignon et d’autres vins du groupe, et moi-même. Ce qui occupe l’esprit de Richard est très symptomatique. C’est le millésime 1999, qui fait son apparition sur la scène mondiale, et l’année 2007, car dans un groupe de l’importance de LVMH, c’est la performance de l’année qui commence qui focalise les esprits. Cette concentration sur ses objectifs ne le quittera jamais vraiment pendant cette journée amicale.

J’avais indiqué à Richard que j’avais apporté quelque chose dans ma musette, et que je guetterais le moment opportun pour qu’il entre en scène.

Une première série met en présence : Dom Pérignon : 1999, 1998, 1996, 1995, que nous boirons un par un, en prenant le temps de commenter.

Le 1999 qui fait son entrée dans le monde depuis peu, a une bulle de belle force. Le nez est très pur. En bouche, la bulle titille la langue. Je pense immédiatement au pain d’épices. Richard le résume en disant : « c’est brun ». L’alcool est fort. C’est musclé, viril, très différent de l’image que j’ai en tête du 1998.

Le 1998 est d’un jaune plus doré. Le nez est expressif. Il y a aussi un peu de pain d’épices, mais le vin est plus féminin. J’aime beaucoup sa grâce.

Le 1996 a un nez parfait. C’est son élégance qui me frappe. Il est impressionnant. Je note des fruits roses.

Le 1995 a un nez un peu moins joyeux que le 1996. Impression de beurre. Il a une attaque stricte et un final éblouissant où se dissèquent les fruits confits et le menthol.

Le 1996 est charmeur, à la finale épicée, le 1998 fait plus gentil, et le 1999 sera très viril. Cela correspond à la stratégie de Richard qui consiste à rechercher la cohérence du style Dom Pérignon, vin qui doit être de garde, tout en jouant à fond l’effet millésime. Chaque millésime doit avoir sa personnalité, qui ne sera jamais normalisée, mais au contraire révélée. 

Tous les vins qui vont suivre sont des Dom Pérignon Oenothèque, c’est-à-dire du conservatoire de Dom Pérignon, où l’on dégorge à des dates différentes de la commercialisation classique.

Le 1993 dégorgé en 2006 a un nez charmant aux fortes épices. L’attaque est belle et chaleureuse où l’on sent l’épice forte, le maïs, le confituré. Le final est salin, coquille d’huître.

Le 1992 dégorgé en 2005 a aussi un nez d’épices. L’attaque est élégante, subtile, douce. En bouche, il est fruité, rond. Le final a un côté « barbe d’artichaut ». Ces deux vins sont intéressants, et se trouvent bien d’avoir un peu d’âge. Quand on boit le 1992 puis le 1996, il est certain que l’écart de qualité saute au palais. Mais si le 1992 est suivi du 1993, on voit bien que ces Dom Pérignon d’années de transition sont fort agréables si on ne les met pas en comparaison. Ces deux vins féminins sont élégants.

Le 1973 dégorgé en 1999 a un nez expressif et intense. Son attaque est élégante. Beurré puis fortement épicé, il n’a pas une longueur énorme, mais il laisse une très belle impression où le beurré et le minéral côtoient un aspect gâteau doré.

Le 1976 dégorgé en 2003 a un nez magique. C’est le nez parfait. La bulle est hyper fine comme celle du 1973. Très ensoleillé, il est paradoxalement plus astringent que le 1973. Je ressens le 1976 plus austère mais d’une construction plus complète que le 1973. Ces deux vins sont très opposés. Richard dit que le 1973 est plus dans la définition de Dom Pérignon, quand le 1976 profite de l’effet millésime. Le 1976 est un champagne de gastronomie. Son final est immense, conduisant vers des complexités orientales. Le 1973 est chaleureux et doux à l’attaque pour finir dans la salinité. Ce sont deux immenses champagnes.

Le 1966 dégorgé en 2004 a un nez évolué, toasté. Ce nez est séduisant. En bouche, c’est du bonheur. Tout est tellement bien intégré. Il est rond, doux, calme, puis l’épice se déclare. Un final de galette bretonne. C’est beau, car tout cela cohabite avec du salin, de la sève. Richard parle de « galet roulé » ce qui rejoint les images que j’utilise pour décrire les vins anciens : le silex qui devient galet. C’est ce que nous constatons avec les mêmes mots. Richard voit des plantes vertes que je ne vois pas.

Le 1962 dégorgé en 2002 est d’une couleur délicieusement orangée. Le nez est plus discret. En bouche, c’est très intéressant, car c’est l’énigme pure. Il est extrêmement difficile à définir. Gaufre, mais avec de l’amertume, litchi, fruits blancs. Chaque fois qu’on croit le comprendre, il pirouette. Et cette énigme le rend envoûtant. Il est inclassable. Je rêve d’un poisson avec une sauce blanche.

Le 1966 est rond quand le 1962 est amer. Et je pense à la Bourgogne. J’aime les bourgognes qui me déroutent. Le 1962 a ce charme là.

Le premier 1959 qui est ouvert a un défaut. Le second 1959 dégorgé en 1999 a une robe d’un or pur. Le nez a un petit côté médicamenteux de potion amère. C’est sa minéralité exacerbée. En bouche, c’est glorieux, papal. Il représente une synthèse assez passionnante, car il manque de tout, mais il a tout. On le sent manquant de quelque chose, mais plein de tout. Magique expression de charme. Vincent parle de noix, alors que je pense à l’orange.

Et c’est à cet instant que de la magie va apparaître. Arrive un moment qui va graver une empreinte dans nos mémoires pour la vie. Je sens que mon vin doit entrer en scène. Je fais chercher le cadeau dans ma voiture, et le sympathique sommelier qui nous verse les champagnes remonte avec un carton de Dom Pérignon. Richard scrute sur la boîte l’année (1976) en se demandant pourquoi j’apporterais un Dom Pérignon au seul endroit au monde où c’est totalement inutile, et il découvre la bouteille que j’avais apportée dans cette boîte facétieuse : Chateau Chalon Jean Bourdy 1947.

Le choc gustatif de la juxtaposition des deux est tellement grandiose que s’impose le poème de Charles Baudelaire : "Correspondances", qui définit exactement ce moment magique qui a pétrifié de bonheur Richard Geoffroy, Vincent Chaperon et moi.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

 Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Par une de ces chances que l’on ne pourrait pas imaginer, le Château Chalon 1947 est étonnamment discret, comme s’il avait compris ce que je lui demandais, et c’est ce qu’il fallait pour que les deux vins se complètent. Le vin jaune fait franchir au champagne des étapes immenses. Les deux se marient. Le mimétisme se crée. Vincent parle de « doigt de gant », tant l’imbrication de l’un dans l’autre se fait parfaitement. Nous nageons sur un petit nuage, car nous sommes sans voix devant la scène qui se joue, comme lorsque des marionnettes dirigent leurs maîtres. Ces vins jouent une symphonie gustative irréelle. Le 1959 gagne une dimension irréelle. Nous savons que ce moment nous marquera à vie.

Richard est complètement estomaqué que dans une présentation de prestigieux champagnes, la vedette soit cet accord improbable d’un jurassien et d’un champenois glorieux. Cela lui rappelle un accord exactement semblable qu’un sommelier renommé du Japon lui a fait connaître entre Dom Pérignon 1959 (quelle coïncidence), et de vieux sakés.

Nous partons déjeuner, pleins d’une folle joie, au « Trianon », le lieu de réception du groupe Moët & Chandon. Richard est tout surpris que je connaisse Yves, le maître d’hôtel, que j’ai maintes fois apprécié en d’autres lieux. On sent que le menu est mesuré au plus précis des trébuchets, pour servir de démonstration au dernier né de la lignée. Ainsi, sur le Dom Pérignon 1999 ce sont quatre entrées qui ont pour objectif de faire apparaître la flexibilité, l’adaptabilité, la faculté gastronomique du 1999.

Le caviar et la crème d’avocat, à la première bouchée, ne me convainquent pas. Richard est aussi rebuté, alors qu’il a mis au point cet accord. Cela est dû à la rémanence du goût du Château Chalon, dont nous boirons encore quelques gouttes en fin de repas. Lorsque la bouche est prête, l’accord s’installe. Je suis convaincu de l’apport définitif de l’avocat au caviar d’Aquitaine.

La petite huître au jus de gingembre est merveilleuse pour faire apparaître le caractère iodé du 1999, quand le risotto à l’encre de seiche révèle sa salinité.

C’est la langoustine au Molé noir qui est le feu d’artifice final pour ce nouveau champagne, car c’est toute la palette aromatique du 1999 qui fait fanfare.

Le Magnum de Dom Pérignon rosé 1990 accompagne un saumon et truffe noire en cuisson lente, petite salade Tetsuya. De toute façon, tout irait avait ce champagne éblouissant qui n’a besoin d’aucun qualificatif, sauf un : parfait. On ne se lasserait pas de ce charme redoutable, dans l’axe de la campagne de communication du groupe, fondée sur l’érotisme mondain.

Le Dom Pérignon Oenothèque 1992 se boit sur des figues rôties, glace au lait de coco, virgule pâte sésame Néri-Goma et sésame toasté. C’est un retour ouaté au monde des réalités.

Un classement des champagnes serait réducteur, mais pourquoi ne pas le faire. Voici ma préférence : 1959, rosé 1990, 1966, 1973, 1996, 1962, 1976, 1995, 1998, 1993-1992, et je ne classerai pas le 1999, car il est trop tôt pour le faire.

Richard retourne à ses occupations en emportant le Château Chalon. Je bois seul un café et un Hennessy Paradis. Le prénom de mon hôte obligeait que je finisse par Hennessy Richard une journée inoubliable.

galerie 1780 lundi, 8 janvier 2007

Il s’agit de deux bouteilles de Lacrima Christi, vin de Naples. A gauche 1805 et à droite 1780. Il faut évidemment que je fasse confiance à l’expert qui a désigné ces deux bouteilles. le 1780 était beaucoup plus frais et vivant que le 1805, deux vins extraordinaires.

galerie 1781 dimanche, 7 janvier 2007

Contrairement à ce qui constitue la galerie de photos, cette bouteille ne fait pas partie des bouteilles de ma cave ou des bouteilles que j’ai bues. Elle est mise ici compte tenu de son intérêt.

 

C’est la plus ancienne bouteille de la cave Jean Bourdy. Jean-François Bourdy en a goûté une. Il dit que c’est la plus grandiose de toutes celles qu’il a bues. Je veux bien le croire.