restaurant « Le Bec Fin » à Dôle : y courir ! vendredi, 2 février 2007

Départ à la Percée du Vin Jaune où, pour une fois, ma femme et moi serons rejoints par notre fille cadette et son mari. L’hôtel où nous avons nos habitudes, le Château de Germigney à Port-Lesney a pris l’habitude fâcheuse de n’ouvrir que le soir de la Percée. Il nous faut donc nous loger la veille. L’internet nous suggère un hôtel à Dôle. Je réserve près du centre ville. La description parait convenable. La réalité est toute autre. Dans cette jolie ville touristique, j’imagine ce que des touristes étrangers peuvent penser de l’état de sous-développement de notre hôtellerie. Car pour ouvrir et fermer la porte des toilettes de ma chambre, je ne vois que des trapézistes du cirque Bouglione. Si l’on décide de rester debout, c’est le couvercle métallique du distributeur à papier qui vous sectionne les jambes quand on veut sortir. Si on décide de monter sur la lunette pour ouvrir la porte, à quel étage va-t-on tomber ? Et si l’équipement doit s’appeler décoration, il faut mettre au musée du Louvre les calendriers des pompiers et des postes, car ce sont des œuvres d’art. J’avoue avoir une certaine tendresse pour les paravents de douche qui transforment la salle de bain en une annexe des Niagara Falls.

La ville est sauvée par un restaurant où je vous conseille de courir au plus vite : Le Bec Fin, où Romuald Fassenet, meilleur ouvrier de France, a obtenu une étoile largement méritée, et où Catherine Fassenet, accueillante, a concocté une carte des vins intelligente.  Dans une rue piétonne où Pasteur a vu le jour, c’est une maison ancienne qui nous offre une salle agréable. Je commande un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988, champagne de grande qualité que je connais déjà. Je lui associe une noix de Saint-Jacques en croûte de noisette et curry, émincé fin de betterave rouge, vinaigrette au jambon cru du Doubs. L’association terre et mer est aussi un sujet pour Christian Le Squer de Ledoyen, et le champagne s’y complait. Il a une plénitude rassurante, une race évidente. Il fait partie des très grands champagnes de 1988, avec un charme envoûtant, ensoleillé.

L’heure étant de partager avec mon gendre quelques moments de folie, c’est sur un lièvre cuisiné à la royale, pulpe de châtaignes et mousseline de topinambours que nous voulons profiter de l’explosion de joie de la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1999. Quel immense vin. C’est Roger Federer en bouteille. Montée au filet, passing-shot, on a tout cela en bouche. La plénitude gustative sur un fond de simplicité du discours est totale.

Sur un moelleux noisette de ma maman (c’est le titre), crème glacée vin jaune curry, un Marc du Chapitre  des Caves des Echansons offert par le chef est fort agréable, avec ce râpeux propre aux marcs virils. Romuald est venu bavarder avec nous. Il a les pieds sur terre, sait ce qu’il veut. Ce sera l’un des grands chefs de demain. Courez-y. Mais volez une tente Delanoë à un SDF. C’est plus sûr.

 

dégustation de Châteauneuf-du-Pape à Mechelen (Belgique) mardi, 30 janvier 2007

Voici les photos de l’un des participants de ce dîner :

https://www.pixagogo.be/7870934100

Voici mon compte rendu :

Un habitué du forum de Robert Parker lance l’idée d’un dîner avec de vieux Châteauneuf-du-Pape. L’idée m’excite. Nous échangeons des mails. Je sais que je vais rencontrer deux ou trois personnes qui assistaient au très agréable dîner organisé à Anvers où j’avais apporté un Chypre 1845. Les mails s’échangent. Je ne lis pas beaucoup toutes ces mises au point. Je capte au passage un mail où l’un des participants annonce un vin du 19ème siècle dont il ne veut pas dévoiler le nom. Tout cela sent bon.

En fait, la notion de « vieux » n’est pas la même pour tout le monde, et celui qui avait proposé une bouteille du 19ème siècle ne vint pas. La définition n’était plus la même. Ce qui n’empêcha pas que je passe une bien agréable soirée avec des passionnés.

Arrivant en avance, j’ouvre les vins dans le restaurant Folliez à Mechelen au nord de Bruxelles, restaurant à la délicieuse décoration comme seuls les belges savent le faire, et doté d’une étoile Michelin qui sera confirmée dans l’assiette intelligente.

Nous démarrons par le champagne Dom Pérignon 1998 qui est parfait, fait de fleurs et fruits frais. Le Condrieu La Bonnette Rostaing 2005 est fait d’épices, de bacon, de litchi et de légume vert sec comme l’artichaut. Le Condrieu Les Terrasses de l’Empire de Georges Vernay 2005 est plus souple, doté d’une fin poivrée. Il est très différent, et sent la fleur d’oranger. Le Rostaing est plus brutal, le Vernay plus fluide. Je préfère le plus brutal mais le fluide est joli. Le Vernay s’ouvre sur le thon presque cru, s’épanouit. Ce sont deux grands vins à qui un peu d’âge ira bien.

Nous avons ensuite des rouges par séries de trois. Un Châteauneuf-du-Pape Arthur Barolet négociant à Beaune 1979, un Châteauneuf-du-Pape Raymond Usseglio 1986 et un Châteauneuf-du-Pape Château de la Gardine 1973. Le 1986 a un nez de pétrole. Le 1979 fait bourguignon ancien, avec des pruneaux, des fruits rouges brûlés. Son alcool est fort. Le 1973 que j’ai apporté est déjà un vin ancien. Je l’aime beaucoup sur le flétan. Je classe en tête le 1979, puis le 1973 et enfin le 1986 dans cette série peu convaincante.

Viennent ensuite un Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier vers 1960 (année illisible), le Châteauneuf-du-Pape J. Mommessin 1933 que j’ai apporté (il s’agit de la maison bourguignonne fondée en 1865, célèbre pour son Clos de Tart) et un Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaucastel rouge 1954 dont la bouteille soufflée à la main et lourde est très ancienne. Le Chapoutier est très beau. Toute cette série est vraiment très belle. On attend très longtemps que le plat arrive, et le 1933 est éblouissant, nettement plus jeune que le 1954. Son niveau parfait et son bouchon remarquablement intact impressionnent mes convives.

Nous avons ensuite trois Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes, le 1988, le 1983 et le 1985. Le 1988 est un peu strict, limité, sévère. Le 1983 est brillant. Le 1985 est entre les deux, puis me plait plus. Les trois sont assez âpres, au goût de poivre et de tabac. Ils représentent le Châteauneuf-du-Pape dans sa maturité.

Nous suivons avec trois Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau Cuvée Laurence, le 1983, le 1995 et le 2001. Ce Châteauneuf-du-Pape est extrêmement célèbre et à la mode sur tous les forums. J’avais eu extrêmement de mal avec son da Capo 2003, vraiment loin de tout vin habituel. La densité du 1983 est superbe. C’est beau, dense, franc, fait de poivre, de cassis, de tabac et de bois. Le 1995 est strictement identique avec simplement un peu plus de fruit rouge. Le 2001 est une promesse de grand vin, mais pour mon palais, c’est encore trop jeune. Le 1983 est éblouissant sur la viande de veau.

La dernière série est : Châteauneuf-du-Pape Bonneau 1996, Châteauneuf-du-Pape Beaucastel 1989 et Châteauneuf-du-Pape Clos du Caillou 1998. Le 1996 est un peu coincé, le 1989 n’est pas encore ouvert et le 1998 est magnifique, d’une structure précise. C’est un beau vin. Quand le 1989 s’ouvre, il prend le pas sur les deux autres. Je fais mon classement et l’un des convives demande qu’on fasse notre tiercé.

Le 1933 Mommessin obtient 3 places de premier, 2 places de second et 2 places de troisième. Le 2001 Pegau emporte 3 places de premier et 1 place de troisième. Le 1983 Pégau reçoit 1 place de premier, 2 places de second et 2 places de troisième. Le 1989 Beaucastel gagne 1 place de premier, 1 place de second et 1 place de troisième. Le classement final des huit convives dont deux britanniques, cinq belges et un français est : Mommessin 1933, 2001 Pégau et 1983 Pégau. Je suis assez content que mon vin, le plus ancien de la soirée, ait été apprécié par des palais plus enclins à boire des vins jeunes, et placé en vainqueur. Le plus ancien et le plus jeune ont été couronnés. Une belle prestation de vins de Châteauneuf-du-Pape de grand talent qui démentrent qu’ils savent braver le temps. On était loinde ma définition des vins « vieux ». L’ambiance fut amicale, décontractée, sans étalage d’érudition. Une soirée épuisante, car il me fallait rentrer à Paris, mais réussie, dans un restaurant qui mérite le détour.

J’ajouterai deux remarques : le Mommessin 1933 plaisait tellement à tous que nous avons dit, à titre de plaisanterie : "il doit y avoir du bourgogne dans ce Chateauneuf pour qu’il soit si bon !", ce qui est amusant, car à l’époque, les baptêmes se faisaient plutôt dans l’autre sens. Et la deuxième est que je pensais que dans l’engouement pour Pégau, il y avait un peu un effet de mode ou un effet Parker. Or, si un 1983 est aussi bon, c’est la preuve irréfutable que ce domaine a une grande valeur, au delà des effets de mode. Et ça m’a plu.

de beaux vins en famille samedi, 27 janvier 2007

Nous allons déjeuner chez ma fille cadette. Le niveau des vins est sérieux. Un Château Laville Haut-Brion 1979 est absolument serein. L’image qui me vient en goûtant ce plaisir si naturel, c’est l’échauffement de champions de tennis. Sans le moindre mouvement apparent ils sont sur la balle, la propulsent avec force sans avoir l’air d’y toucher, et elle arrive là où il faut pour que le futur adversaire enchaîne dans une belle fluidité. Le Laville c’est ça. Il a du citronné, il a du miel et du beurré, et ça s’emboîte comme par magie. Qu’on lui présente du parmesan, du jambon espagnol ou du céleri, il est là, et renvoie des goûts qui font mouche. Le Château Léoville Poyferré 1967 est beaucoup moins détendu. Il arrive assez froid, tendu, et il faut la belle chair de la lotte aux morilles pour qu’il prenne des couleurs et devienne sociable. Il devient confortable, plaisant, sans grande complexité. Le Château Gilette crème de tête 1982 est le croupier du casino : tout passe par lui et il ramasse la mise. Malgré sa jeunesse il a une belle assise, et comble joyeusement nos papilles. Le lendemain mon fils vient déjeuner. Nous descendons en cave pour dénicher des vins qu’il faudrait boire. Un Corton Charlemagne Paul Bouchard 1971 a mauvaise mine. Malheur, le bouchon est tombé dans le vin. Anormal pour un 1971. Notre esprit de sacrifice cesse en voyant une bouteille de Vega Sicilia Unico 1991 que j’avais oublié de ranger. Elle n’était pas en casier. Elle n’ira pas.

Nous goûtons le Corton Charlemagne très foncé, et pendant quatre à cinq secondes, c’est assez plaisant. Puis c’est horrible. Nous n’irons pas plus loin que deux gorgées, la deuxième pour vérifier. C’est trop tard. Sur un filet de biche, le vin espagnol est éblouissant. De belles évocations nous viennent. Mon fils pense à la violette. Je vois des fruits rouges pâles comme la framboise ou la groseille. Ce vin est naturel, franc, simple dans l’expression, étonnamment porteur de bonheur. Il a la finesse des grands vins de Bordeaux et le sourire ensoleillé des grands vins du Rhône. C’est peut-être une synthèse parfaite des vins de plaisir. L’accord avec la biche est extraordinaire, car le vin s’amuse à imiter les petites baies de montagne qu’on ajoute parfois à cette chair. Nous nous regardions, mon fils et moi, conscients de la grandeur de ce vin quasiment idéal.

dîner du 25/01/2007 au restaurant Le Divellec jeudi, 25 janvier 2007

1.         Champagne Laurent Perrier Grand Siècle probablement de 1960 ~~ en vidange, mis pour voir

                                      crevettes grises et brochettes de saumon

2.         Champagne Pierre Gerbais Brut à Celles sur Ource

3.         Champagne Krug 1981

                                      oeufs brouillés crémeux à l’oursin

4.         Puligny-Montrachet les Pucelles Veuve Génin 1959

                                     belon (pied de cheval) frémie au champagne

5.         Château Margaux, Margaux 1952                  

                                    Saint-jacques au foie de canard poêlé

6.         Château Galan « Land limited by Saint-Julien” Vve Bordessoulles 1929

7.         Château Latour 1916

                                   bar sur peau braisé au Médoc

8.         Richebourg, Domaine de la Romanée Conti 1942

                                  bu seul, en intermède

9.         Savigny la Dominode Roger Poirier 1953

10.       Corton Cuvée Charlotte Dumay Hospices de Beaune Vanier 1945

                                  pigeon au long bec sur canapé, coulis de truffe

11.        Château Salins Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941

                                  Stilton

12.       Château Suduiraut 1928

                                  émincé d’agrumes, mangue et pamplemousse rose

 

dîner wine-dinners au restaurant Le Divellec jeudi, 25 janvier 2007

Le 82ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Le Divellec. J’ai pour Jacques Le Divellec une affection particulière, car il est toujours enthousiaste et en recherche de la qualité totale. Combien de chefs seraient restés comme lui jusqu’à 1 h 30 du matin pour savoir comment cela s’était passé ?

J’arrive à 16h45 pour ouvrir les bouteilles et tout a été mis en place pour que j’officie. Olivier, sommelier attentif et compétent, est lui aussi motivé par l’atteinte de la perfection. Il est rare que j’aie autant de mal à ouvrir les bouchons, ce qui fait un grand contraste avec le récent dîner au restaurant Ledoyen, car aujourd’hui presque tous les bouchons sont venus en lambeaux. Une surprise de taille m’attend, car lorsque je vois la capsule de Margaux 1952, capsule que j’avais photographiée lorsque j’ai pris le vin en cave, je constate qu’elle est en creux, ce qui n’était pas le cas avant. J’ouvre, et j’éprouve un choc : le bouchon est tombé dans la bouteille. Je sens immédiatement le goulot, et je pousse un « ouf » de soulagement : l’odeur n’est pas affectée par cet incident. La chute s’est produite pendant le transport ou lors d’une manipulation. Le vin est carafé, le bouchon est difficilement extrait de la bouteille par les efforts appliqués d’Olivier, et le liquide revient dans son écrin originel. L’odeur la plus extraordinaire est celle de Latour 1916 : une plénitude absolue. Celle du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942 est aussi rassurante à souhait. Le seul vin qui m’inquiète est un vin que j’ai rajouté : Savigny la Dominode Roger Poirier 1953.

Les convives ne sont pas ponctuels car Paris est une capitale où l’on reçoit des chefs d’Etat étrangers. Le menu composé par Jacques Le Divellec, après que nous en avons longuement discuté, pour l’esthétisme de la démarche, est le suivant : Œufs brouillés crémeux à l’oursin / Belons frémies au champagne / Saint jacques au foie gras de canard poêlé / Bar  sur peau braisé au saint-émilion / Bécasse sur canapé, coulis de truffes / Stilton / Emincé d’agrumes, mangue et pamplemousses. Bel exercice sur des produits rares au service des vins.

Ayant visité ma cave pour préparer de futurs dîners, j’avais repéré il y a deux jours une bouteille de champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers 1960 en vidange. Elle avait perdu un quart de son contenu. L’occasion se présentait de commencer par ce vin que j’ajoutai au programme, pour en faire un sujet didactique. Le champagne est ouvert par Olivier au moment où nous passons à table, et je le découvre comme mes convives. La couleur est ambrée, la bulle est symbolique, mais en bouche, c’est extrêmement plaisant. J’avais pris soin de prévenir de ne pas s’arrêter au constat : « c’est madérisé », qui sonne comme une condamnation et empêche d’en profiter avec un esprit ouvert. Un des convives fit cette remarque : « vous en parlez avec des mots positifs, et nous vous suivons. Mais chacun de nous, chez soi, se ferait dire par ses amis : ton vin est mort ». J’acquiesce, je conviens du fait que ce serait la réaction normale, mais je fais analyser le goût, pour ce qu’il est. Force est de constater que ce vin n’a pas de défaut, si on admet qu’il s’agit d’un vin totalement différent. Sur des crevettes grises et des brochettes de saumon, c’est délicieux. Ce serait le compagnon idéal d’un foie gras.

Nous avons attendu longtemps que le dîner démarre, car on s’agitait fort en cuisine, ce qui nous rendit encore plus heureux de déguster la brouillade d’oursins. Le Champagne Pierre Gerbais Brut à Celles sur Ource non millésimé, de probablement dix ans, est assez agréable, sans personnalité affirmée, et sert surtout de tremplin au Champagne Krug 1981 qui a plus d’émotion que celui bu avec Rémi Krug, car il est ici sur son territoire de prédilection : la gastronomie. Et l’oursin lui va bien, qui lui permet de décliner des fruits roses frais, au-delà de son iode exacerbé.

Les assiettes qui arrivent sur notre table sont particulièrement impressionnantes, car les « pieds de cheval » sont des huîtres pour géant. Avec les doigts de deux mains mis en cercle, on ne pourrait pas en faire le tour. Le Puligny-Montrachet les Pucelles Veuve Génin 1959 a une magnifique couleur dorée. Il est, comme le Laurent-Perrier, dans une phase évoluée de sa vie. Mais cela convient parfaitement à la délicate crème qui enrobe l’énorme huître dont il faut manger le pied doucereux.

Je ne pensais pas que la sauce de la coquille Saint-jacques conviendrait au Château Margaux, Margaux 1952. J’eus peur en la voyant et je m’en ouvris à Olivier, mais je reconnus rapidement que Jacques Le Divellec avait vu juste. L’accord de la coquille, du foie gras avec le grand bordeaux est excitant. J’avais préféré mettre en garde les convives du risque d’un petit défaut du vin. Mais c’est un grand Margaux qui s’épanouit dans nos verres, dense et velouté. Sa trame douce est un plaisir raffiné. Je m’en veux en faisant ce compte-rendu de ne pas l’avoir inclus dans mon vote final, car il s’est révélé un très grand Margaux.

La portion de bar est aussi gargantuesque que les pieds de cheval. C’est sur la chair du poisson plus que sur la sauce très typée que deux vins grandioses vont briller. Ce qui étonne immédiatement du Château Galan « Land limited by Saint-Julien” Vve Bordessoulles 1929, c’est la jeunesse de sa couleur. Et tout est à l’avenant. Mes convives sont surpris de cette jeunesse et de la solidité gustative de ce vin à la longueur rare. Bien sûr, c’est seulement un cru bourgeois supérieur, et c’est pour cela que j’ai rappelé la mention naïve qui aimerait faire croire que c’est un Saint-Julien. Mais ce vin à l’acidité bien contrôlée a gagné en intelligence, et ravit le palais par sa maturité. Mon intérêt est évidemment porté vers le Château Latour 1916 qui est absolument époustouflant. Il est d’une perfection totale. Le nez m’avait ravi à l’ouverture. Un niveau dans le goulot pour une bouteille au bouchon d’origine est un événement à signaler. La robe est belle et jeune, le nez est d’un parfum envoûtant. Et en bouche, c’est l’idéal de ce que Latour peut devenir avec l’âge. Tout est équilibré et intégré. C’est un moment de bonheur intense. Je sens que mes convives me regardent autrement, même si la majorité de la table a déjà partagé l’un de mes dîners. Car un champagne avancé, un Puligny évolué, c’est bien gentil, mais où est le vrai charme des vins anciens ? Il est là, devant nous, avec deux vins exceptionnels.

Ayant ajouté deux vins au programme, il m’est apparu que nous devrions goûter le Richebourg, Domaine de la Romanée Conti 1942 seul, sans plat. Quel vin ! Notre groupe étant constitué d’une majorité d’amateurs de Bordeaux, il fallait guider le passage aux bourgognes. Mais ce vin intelligent sait s’adapter. Des senteurs envoûtantes, une onctuosité jointe à une légère salinité confèrent à ce vin délicat un charme certain. C’est une des très belles expressions du domaine de la Romanée Conti dans une année calme mais subtile, où la légèreté ne nuit pas à la longueur. Nous avons tous apprécié, comme le montreront les votes. Deux années de milieu de guerre s’étaient suivies.

L’oiseau à long bec est goûteux, viril. Le Savigny la Dominode Roger Poirier 1953 que j’avais ajouté n’aurait pas dû l’être. Je soupçonne un accident thermique qui l’a probablement torréfié. Manifestement consommable, il n’a pas de grandeur. En revanche, le Corton Cuvée Charlotte Dumay Hospices de Beaune Vanier 1945 est une belle réussite de l’année 1945 en Bourgogne. Joyeux, ce vin charnu et puissant sourit et chante dans nos palais. Il parait si facile à boire, vin de pur plaisir.

Le stilton est faire-valoir idéal pour un Château Salins Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941 élégant, simple, équilibré, délicat. Ces vins gagnent manifestement beaucoup avec l’âge. Nous étions encore en une année de guerre, sans qu’il s’agisse de ma part d’un choix délibéré. Un peu court, il ne renie pas son origine de « petit » vin, mais est sans doute nettement plus élégant que des versions plus jeunes.

L’adjoint de Jacques Le Divellec était venu me voir avant le repas pour parler du dessert. Il a réussi dans la simplicité, à créer un accord parfait. Alors que je sens par avance les accords qui vont briller, là où j’attendais la mangue sur le Château Suduiraut 1928, c’est en fait le pamplemousse rose qui a déployé tout le talent de ce sauternes que j’adore, l’un des plus grands que j’aie jamais bus. J’ai déjà mis trois fois cet immense vin dans des dîners. Celui-ci est l’un des plus discrets, ce qui justifie qu’au lieu d’être toujours n°1 dans mes votes, il ne le fut pas cette fois-ci, même si ce sauternes est éblouissant.

Le cérémonial des votes est assez intéressant. Huit vins figurent dans les quartés, ce qui est, une fois de plus, l’une de mes satisfactions. Quatre vins ont été couronnés d’une première place : Latour 1916 cinq fois, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942 quatre fois Château Galan 1929 et Suduiraut 1928 chacun une fois.  Le Richebourg figure dans tous les votes, ce qui n’est pas fréquent. Le vote du consensus serait : Latour 1916, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942, Suduiraut 1928 et Corton 1945.

Mon vote a été partagé dans l’ordre avec un convive et dans le désordre avec un autre : Château Latour 1916, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942, Corton 1945 et Suduiraut 1928.  

Le restaurant Le Divellec est une maison familiale. Toute l’équipe vibre à l’unisson. On guette nos réactions, on souffre si un détail ne va pas, on sourit et l’on souffle quand tout se passe bien. J’aime cette atmosphère concernée, amicale. Et Jacques est un exemple. Son implication exemplaire, alors qu’il a tout vu et tout vécu est particulièrement réjouissante. Il a créé, ce soir, un bel événement, car les vins, dont ce spectaculaire Latour 1916 ont dû partager la vedette. Et c’est bien.

dîner wine-dinners du 25/01/2007 – les vins jeudi, 25 janvier 2007

les deux champagnes

Puligny-Montrachet "les Pucelles" Veuve Genin 1959 à la très belle couleur

Château Margaux 1952 mis en bouteille au château, et venant de la cave Nicolas.

Cette bouteille de Latour 1916 n’a pas d’étiquette, mais l’année est très lisible sur la capsule, d’origine. Le niveau dans la bouteille est excellent (base goulot, dans le goulot).

Mention amusante sur l’étiquette de ce Chateau Galan 1929 : "land limited by Saint-Julien".

 Richebourg DRC 1942 à la bouteille de guerre, bleue du fait de l’absence de plomb. Mention "interdit d’exporter aux USA" pour protéger les agents locaux.

 Corton "Cuvée Charlotte Dumay", Hospices de Beaune Vanier 1945 (je sens que ce sera grand !)

 Chateau Salins, Rions 1941, un premières Côtes de Bordeaux comme je les aime, à la douceur subtile.

 Chateau Suduiraut 1928, un des plus immenses Sauternes de ma vie.

évolution des prix mardi, 23 janvier 2007

C’est toujours intéressant de regarder dans le rétroviseur. Voici des achats que j’ai faits en 1989 en salle de vente :

 

Chacun pourra mesurer l’évolution des prix.

Certains vins n’ont pas tellement augmenté (tout est relatif).

Mais pour les vins du 19ème siècle, il faudrait non seulement considérer que ce ne sont pas des francs mais des euros, et en plus, il faudrait prendre le prix pour une seule bouteille au lieu de deux !

Et ce n’est pas fini.

My friend Steve makes a great dinner lundi, 22 janvier 2007

My friend Steve will come to meet me in Paris for a great dinner.

We met last year once in Paris and once in San Francisco. See reports by clicking on :

dîner Paris

dîner San Francisco

Another friend sent me an email about one fabulous dinner that Steve organised on Januray 20th. I do not resist to the pleasure of letting you know how it was :

Last night four people joined Steve Wolking for a dinner he hosted in San Francisco. The five of us met at the same hotel, where we dined with you last May (2006). Your name was mentioned, many times throughout the evening, François. This evening was so full of surprises we all told Steve that we are expecting François to appear to us as the crescendo of all crescendos. As you know, you did not appear to us, yesterday evening, in human form, but the mysteries of life were so revealed that we believe that the angel Gabriel might have presented himself to us and given the message, from the One above. I say this remark as by the end of the evening we were kneeling reverently with the utmost of humility.
 
Your friend, Steve Wolking, present one bottle at a time and did not tell us (not producer, region, vintage, grape varietal) what it was until after we enjoyed the wine with a coarse of very fine cuisine. The chef, for the evening, was from Hamburg and understood what was necessary in his role. He understood what great chefs rarely realize and I can say that not a single dish interfered with the wines we enjoyed, double blind. Yes double blind throughout the meal. Steve compelled us to sip and enjoy each wine. We could make guesses for the wine after enjoing them for awhile. So four out of five could first sip, think and enjoy the experience. No comments about the wine were made aloud. The music played for each wine and its course and toward the end of each course our thoughts were requested as to what we thought was in the glass. This method was torturous, in a way, but the wines were so magnificent it was an unusual thrill. 
 
There were ten bottles (750 ml) in total. Normally, this would be too much wine. Three smaller glasses where also shared with our private sommelier (the Chinese-American gentleman sommelier you met in May) and the chef and in-house sommelier.
 
The cuisine: hors d’ouerves — Cavier, smoked salmon, oysters; With the courses: hokaido scallop crudo with white asparagus and blood orange salad; pan-seared foie gras with cippolino onions and cherry confit; veal loin with sweetbread croquette and a natural veal reduction; roasted rack of venison with beet spaetzle; stuffed lamb saddle with Israeli couscous; beef zauton and braised kobe beef shortribs with smoked potato puree and daikon redish jus. Blue d’auvergine for the cheese course.
 
The wines:
 
1979 Krug then 1959 Krug
1959 Ygrec
1924 Vouvray Gaston Huet Le Haut-Lieu
1974 Chateau Lafite Rothschild
1949 Chateau Lafite Rothschild
1924 Chateau Lafite Rothschild
1899 Chateau Lafite Rothschild
1874 Chateau Lafite Rothschild
1924 Yquem
 
The Krugs were as you would know them to be. I guessed the first champagne correctly and correctly guess the year of the 1959 Krug, given its color and weightiness. I do not believe in the quick guesses as the wines take time to show themselves as they are from the terroir. A great start as I love Krug with great intimacy.
 
The Ygrec 1959 was an enigma. It was flora and petrolly on the nose. It was sweet, no wait, it is dry. It was complex with all sorts of nuances that would not end. It was elegant and balanced and galloped with perfection with a multitudes of fruitiness. What a lovely wine. It was magic itself and I could have gone home, at this point, "happy as a clam". We had scallops, so maybe I should say happy as a scallop. When it was time to say what this wine was we thought about German riesling, but said, "no". Alsatian…not from Steve. Dry Sauternes we guessed, but went no further.
 
Steve Started with the 1974 Lafite because this wine was produced during the "low-point" in Bordeaux. We had this wine alone. What we found was a well balanced, nicely fruited wine. It was not dry-out, but offered a nice pleasure. A great luncheon claret that did not show its age of 33 years. It would be great with a cold lamb sandwich with grilled onions and grilled red bell peppers. This wine was used as a launching pad into a realm of Lafite none of us expected as our group shuns these verticals. From this point, Steve goes back every 25 years to reveal Lafite over a 100 year period. It was an highly intellectual, highly hedonistic as the wines were superb, every last one.
 
The 1949 and 1924 Lafites showed very well. These wines were regal and very complete — the 24 was concentrated and dense, the 49 a little lighter in taste and a little sweeter than the 24. I am sure you have enjoyed both these wines. What made the experience so nice the match with the cuisine.
 
When the 1899 was enjoyed, and the next wine was to follow. We did not imagine Steve would pull out another, older wine. By the time this unkonown wine was poured in each person’s glass we were exhausted playing Steve’s adventuresome game. We were overwhelmed with the shear pleasure of these wines and could not imagine where he would go from an 1899 Lafite. Would he pull out another Lafite? It must be a younger wine or a fragile vintage not an older wine.
 
The 1899 and 1874 Lafites were unreal and unbelievably fresh. As great as the 1949 and 1924 were the last two wines towered over them.  The 1899 and 1874 was simply more of everything, compared to the two younger Lafites. They had an unimaginable vibrancy and were both plush and precise, with great minerality. In the mouth these wines were like liquid cashmere. Even still, the 1874 was denser, sweeter, rounder and more fragrant. Could this be due to it was a pre-phylloxera vintage? I do not know.
 
All I could do was enjoy the experience and stop thinking — I was simply experiencing a remarkable moment amongst friends.
 
The Yquem 1924 was marvelous. This was a rather sweet wine with great fruit and complexity. It was glorious.
 
What a great Saturday evening.
 
I hope you are well François!
 
James

People live well on the Pacific Coast !

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge 1972 dimanche, 21 janvier 2007

Voici l’étiquette et la contre étiquette de cette Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972.

D’abord, c’est la première fois que je fais attention à cette mention « Marey-Monge », dont une description est donnée ci-après.

Ce qu’on remarque sur l’étiquette, c’est que la signature est de Lalou Leroy Bize et de Aubert de Villaine. Sur la contre étiquette, c’est H. de Villaine qui signe, de la même écriture, et le H et le A ne peuvent être confondus. Henri certifie 20.772 bouteilles, comme Aubert signe qu’il y en a eu 20.772. Celle que nous buvons ce soir a le n° 07896.

Plusieurs choses sont étranges. D’abord la bouteille est bleue comme les bouteilles de guerre. C’est probablement une bouteille récupérée. Ensuite, l’étiquette au dos est en anglais, et dit : « I certify that the vineyards and the wine cellars of the Domaine Marey-Monge have operated under my control in the 1972 vintage and produced 20.772 bottles Romanée-St-Vivant Grand Cru red wine bottles at the Domaine ». Et c’est signé H. de Villaine avec strictement le même graphisme que pour Aubert (qui n’a pris les rênes après son père qu’en 1974).

Pour rendre les choses encore plus simples, voici une autre étiquette du même vin : étiquette

Le niveau de la bouteille est bas. Quand j’ouvre la capsule, le haut du bouchon a une odeur épouvantable. Le bouchon a baissé dans le goulot, et je suis obligé de piquer doucement pour qu’il ne tombe pas. Il tourne dans le goulot sous mes efforts. Je retire un bouchon en lambeaux comme s’il s’agissait d’un vin des années 30. Ce vieillissement tout à fait anormal est-il dû au fait que la bouteille serait allée à l’étranger, y aurait subi des traumatismes thermiques, et serait revenue en France pour y trouver un client naïf ?

Le premier contact est intéressant, car c’est une bouteille que tout le monde refuserait. Mais mon fils et moi, nous avons l’habitude. Et sous le voile de défauts, nous savons lire. Et l’on peut deviner que ce vin a un fort potentiel. Nous sommes dans la même situation que le touriste qui voit le viaduc de Millau dans sa voiture sous la pluie. On sait que c’est beau, mais le pare-brise est mouillé. Alors, on imagine. Et ce qu’on imagine est grand. J’ai eu peur d’un début d’évanouissement du vin (ouvert depuis trop peu de temps) aux deux tiers de la bouteille. Tout est reparti dans l’ordre et le fond de bouteille m’a donné le plaisir d’un grand vin virtuel, puisque seule l’imagination permettait d’en jouir.

Voici le texte que j’ai trouvé sur « Marey-Monge ».

Le monastère de Saint Vivant occupe une place importante dans l’histoire de la vigne et du vin. Il en est de même du chapitre collégial de Saint-Denis, à quelques centaines de mètres du monastère sur la colline de Vergy : il est notamment à l’origine du Clos Saint-Denis à Morey Saint-Denis.

Saint Vivant reçoit du duc de Bourgogne Hugues 11, le 13 novembre 1131, les biens qu’il possédait dans toute la terre inculte de Flagey et de Vosne, en bois et en champs. S’agit-il de la confirmation des donations antérieures de Manassès et d’Ermengeard ? Peut-être. Ce finage semble être resté auparavant dans un état d’abandon. Au nord, l’expansion des communautés religieuses ne dépasse guère Gevrey-Chambertin. L’abbaye de Cîteaux est fondée en 1098 et elle prend pied aussitôt dans la Côte (le futur Clos de Vougeot en particulier). Il est probable que Cluny souhaite affirmer sa présence face à cette vague conquérante.

L’histoire de Saint Vivant sera liée pendant quelque 650 ans à celle du vignoble de Vosne-Romanée, à celle de ses terroirs et de ses crus, à celle du pinot noir. Ce domaine demeure assez stable en superficie au fil du temps et les acquisitions ou échanges seront peu nombreux après 1131. Il existe ici la maison du prieur, des installations viti-vinicoles-cuverie et caves, le vendangeoir qui subsiste aujourd’hui encore rue du Temps perdu – auprès des " Cloux de Saint Vivant " (Cloux signifiant Clos, mais ce concept signifie en Bourgogne et au Moyen Age une entité foncière qui n’est pas nécessairement ceinte de murs).

On sait qu’au début du XVI’ siècle Saint Vivant possède ici, outre quelques pièces de vigne éparses sur Vosne et Flagey, le Clos des Neuf Journaux, le Clos du Moytan (cinq journaux), le Clos des Quatre journaux et le Clos des Cinq journaux. Le journal est une unité de superficie (34 ares environ). Le Clos des Cinq journaux, cédé en 1584, deviendra La Romanée-Conti.

La Romanée de Saint Vivant (ce nom apparaît pour la première fois en 1765, mais était d’usage sans doute courant depuis longtemps) forme une seule pièce de dix-huit journaux (les anciens Clos du Moytan, des Neuf Journaux et des Quatre journaux) vendue par la Nation (les " Biens nationaux ") le 22 janvier 1791 à Nicolas Joseph Marey, conventionnel nuiton et gendre de Gaspard Monge. Le Clos des Quatre journaux sera acquis en 1898 par la famille Latour. D’autres divisions ont lieu mais La Romanée Saint Vivant conserve son unité de grand cru. Monopole Marey-Monge jusqu’en 1898, elle appartient de nos jours à une douzaine de domaines bourguignons, sur 9 ha 43 a 74 ca, dont 5 ha 28 a 58 ca ainsi que le vendangeoir appartiennent au Domaine de la Romanée-Conti, pour une production totale de 35.000 à 40.000 bouteilles par an.

Le monastère de Saint Vivant valorisait sa Romanée que l’on trouve citée aux côtés des Chambertin, Richebourg et Clos de Vougeot sur le livre de cave de Louis XVI à la fin du XVIlI° siècle. En revanche, l’anecdote de ce vin prescrit par Fagon à Louis XIV est dépourvue de fondement historique. Saint Vivant possédait d’autres vignes, notamment dans les Hautes Côtes, les vinifiant au monastère qui disposait d’un pressoir et de vastes caves. Ces caves du monastère à Vergy ont encore servi au XII siècle, malgré l’abandon des bâtiments. La Maison Liger-Belair y élevait ses vins, estimant qu’ils vieillissaient en paix sur la colline plutôt qu’à Nuits-Saint-Georges dans le bruit incessant des… voitures tirées alors par des chevaux, On a recueilli les souvenirs d’un vieux vigneron de Bévy, Emile Devedeux né en 1888. Mon grand-père, disait-il, était le jardinier des moines de Saint Vivant.

Quand ils sont partis, à la Révolution, ils lui ont dit Tiens, si on ne revient pas, tout cela est à toi. Mais d’autres sont venus et on a tout vendu..

jolie histoire de ce « Marey-Monge » vinifié et vieilli à la Romanée Conti

dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen avec Pétrus 1934 jeudi, 18 janvier 2007

Deux jours après ma répétition de plats,  j’arrive pour ouvrir les bouteilles du 81ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen. Le lieu bruisse d’événements dont le vin sera le thème. Il y a au rez-de-chaussée le wine & business club d’Alain Marty qui organise des conférences et un dîner pour un très grand nombre de personnes avec notamment Pichon Lalande, ce qui est impressionnant. Il y a à l’étage, dans un salon, Angélique de Lencquesaing, gérante d’idealwine, avec le talentueux Georges Lepré, sommelier de grande expérience , qui préparent la réception d’une société qui va faire goûter à ses clients des premiers grands crus classés de Bordeaux de 1998. On m’offre généreusement de goûter quelques vins et je classerai Margaux 1998 au charme affirmé devant Mouton-Rothschild 1998 de belle complexité séductrice, puis Lafite-Rothschild 1998,  plutôt fermé mais de belle race et Latour 1998, sans doute le plus grand, mais totalement fermé à ce stade de sa croissance. Le microcosme du vin est fraternel.

L’ouverture des vins se fait avec une facilité rare, en moins de trois quarts d’heure. Les odeurs sont belles, et celle du Pétrus 1934 me plait et ravit Georges Lepré à qui je le fais sentir. Il est admiratif des niveaux des deux vins de 1934. Le bouchon le plus impressionnant est celui de Margaux 1934, sain, jeune et beau, qui a permis au vin de rester à un niveau remarquable, ce qui est une performance pour un bouchon d’origine. Le Loubens 1940 est le seul vin bouché récemment quand je l’ai acheté à Arnaud de Sèzes, vigneron propriétaire de ce Sainte-Croix du Mont. Les odeurs étant saines, j’estime avoir le temps d’aller féliciter les nouveaux trois étoiles de l’Astrance, mais je trouve porte close. C’est en effet le jour des fuites, avec ses drames pour les maisons qui perdent une étoile, et ses liesses pour les promus.

J’avais tellement insisté sur la nécessité d’être ponctuel que tout le monde est là à 20h. Enfin presque, car contrairement aux votes dans les républiques bananières, l’unanimité n’est pas de ce monde. Après les consignes d’usage, nous passons à table.

Il y a autour de la table un ami qui a réalisé le bulletin 200 venu avec un autre de mes amis, un des valeureux participants du fabuleux dîner à l’Astrance avec Cheval Blanc 1947, un ami de bord de mer et autres espaces venu avec sa compagne et l’un de ses amis, le patron d’une grande organisation de vente de vins venu avec un avocat de ses amis, et un académicien de l’académie des vins anciens, breton comme Christian Le Squer, qui ouvrira bientôt une boutique de vins. Les rires ont fusé car l’atmosphère était à la joie.

Le menu créé par Christian Le Squer avec Géraud Tournier est d’une grande sensibilité, au point que le projet que j’avais élaboré en m’inspirant de la carte était resté dans mes cartons. Ce programe est d’un équilibre rare : Saveurs" terre et rivière" / Noix de Saint-Jacques à l’écume de mer / Truffe en croque au sel, onctueuse quenelle de foie gras / Blanc de turbot de ligne juste braisé,  pommes rattes truffées  / Feuilleté brioché de truffes noires en gros morceaux / Noisettes de chevreuil, fruits et légumes d’hiver / Stilton / Brochette Mangue et Ananas.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60 est une inconnue puisqu’il n’est ouvert que lorsqu’on est à table. J’avais supposé qu’il s’agirait d’un champagne assez évolué, car la couleur estimée à travers le verre est un peu ambrée. Surprise quand on remplit mon verre : la couleur est rose. Je goûte, et sans aucune confusion possible le champagne est rosé. Aucun champagne évolué ou madérisé ne peut donner ni cette couleur ni ce goût. Comment peut-on supposer une erreur d’étiquetage ? Voilà une énigme. La rétractation du bouchon et le muselet confirment un champagne de plus de 50 ans. La bulle est encore présente, et tout le monde est surpris par l’immense longueur de ce champagne expressif et séduisant.

Je me demande toujours si je n’ai pas la main verte, tant mes vins sont toujours au rendez-vous. Mais à ce point, c’est surnaturel, car l’accord couleur sur couleur est magique. La betterave réagit au quart de tour sur ce rosé, l’harmonie des couleurs influençant l’accord des goûts et l’anguille au dos rose prune catapulte le champagne à des hauteurs extrêmes de raffinement. Cette combinaison est d’une précision parfaite. Quand le plat est enlevé, nous avons tous en bouche la trace intense de ce champagne qui ne veut pas nous quitter.

Des coquilles Saint-jacques crues légèrement citronnées (j’aurais mis un soupçon de moins d’acidité), sont entourées d’une émulsion aérienne d’une iode magique.  Le vent fort de la Pointe du Raz submerge nos narines. Nous sommes le gardien de phare de l’île de Sein. Et cette tempête atlantique est exactement nécessaire pour le Champagne Krug 1988 qui se complait de ces saveurs marines. Rien ne serait plus adapté pour mettre en valeur ce grand champagne typé qui est évidemment plus compréhensible que le Veuve Clicquot au rose camouflé.

Le nez du Meursault Jean François Coche-Dury 1990 devrait être archivé à la Bibliothèque Nationale, sous deux rubriques, Meursault d’une part, car c’est la plus belle pierre à fusil qui soit, et Coche-Dury d’autre part, car sa signature est là. Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 a des parfums plus exotiques où le litchi n’est pas absent. Le Meursault et la truffe, ça cause ! Notre table se divisera pour préférer l’un ou l’autre vin. Mon cœur balance vers le Meursault, même si le Corton-Charlemagne est d’une extraction plus noble, car le plus jeune fait vraiment très jeune, quand le 1990, d’un âge de gamin, fait déjà vin évolué, avec ce que cela implique de plénitude.

Nous avons décidé de mettre le Château Rayas Chateauneuf du Pape rouge 1992 à ce moment du repas, pour éviter une confrontation avec le Musigny qui ferait un vaincu. Et nous avons bien fait. Car sur la chair du turbot, ce Rayas se montre sous son plus beau jour. Voilà un vin sur lequel le caviste de notre table n’aurait pas beaucoup parié du fait du millésime. Mais il faut savoir qu’il y a une différence fondamentale entre un vin placé dans une comparaison verticale et un vin placé en situation de gastronomie. Ici, ce Rayas, très fidèlement respectueux de sa définition historique s’est comporté comme un seigneur. Il a joué son rôle, même si Rayas peut jouer plus fort.

La scène que nous allons vivre pourrait être une définition du luxe. Avoir dans le verre de droite Pétrus 1934, dans le verre de gauche Château Margaux 1934 et devant soi une truffe entière sous une croûte qu’un maître d’hôtel vient découper pour laisser échapper des arômes diaboliques, c’est assez décadent, comme le suggère l’homonyme anglais qui indique une insolente expression de rareté. Et les trois acteurs jouent juste. Le Pétrus 1934 est un vrai Pétrus, dans sa ligne historique, dense, intense, d’une trame précise, et profond comme la truffe. Le Margaux 1934 joue sur son charme débordant. C’est curieux comme Pétrus joue Pétrus et Margaux joue Margaux. Et l’on est bien en peine de dire lequel l’on préfère, même si les votes iront vers Pétrus du fait de sa rareté. Le plus truffier des deux est le Pétrus et je suis assez fier, car avant le repas et avant le service du plat, j’avais annoncé que Pétrus capterait la personnalité de la truffe et deviendrait truffe. C’est ce qu’il a fait. On aimerait que de tels moments irréels ne s’arrêtent jamais. Le parfum de la truffe en croûte est dix fois plus imprégnant que celui de la truffe précédente goûtée sur les blancs. Il fallait qu’il y eût ces deux acceptions.

On me sert toujours en premier un demi verre, car lors de l’ouverture quelques heures avant, je ne bois jamais les vins, pour affiner mon jugement en me servant de mon seul nez. Il me suffit d’un quart de seconde, encore une fois au nez, pour me rendre compte que le Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951 est un pur amour. Tout en lui est extraordinaire. Messieurs les écrivains du vin, il va falloir mettre une parenthèse sur l’année 1951, qui n’a pas laissé une trace dans l’histoire, pour encadrer ce Musigny, qui forme avec la chair tendre du chevreuil un couple qui gagnerait les Oscars des meilleurs acteurs, du meilleur scénario, et du plus bel érotisme, si cette catégorie existait. La chair est délicatement traitée, toute en subtilité, et le Musigny a cet habit bourguignon du plus bel apparat. Longueur immense, distinction, subtilité, charme, élocution. Il a tout, car son année a calmé toute velléité de rustrerie. Noble, brillant, je l’adore.

Le Château Loubens 1940 est une leçon d’agrumes. Un peu salin, il joue bien avec le Stilton. Le Château Climens 1943 fait partie de ces sauternes qui ont laissé leur sucre en route. Alors, il faut accepter cette évolution. C’est mon cas, et je suis bien conscient que c’est plus difficile pour mes convives.

Le vote des dix participants qui doivent désigner les quatre vins préférés sur dix auront concerné neuf vins sur dix, ce qui est absolument excellent. Trois vins seulement auront eu droit à un vote de premier : Petrus 1934 avec cinq votes de premier, soit la moitié de la table, ce qui est rare. Le Musigny 1951 a eu trois votes de premier et le Margaux 1934 a eu deux votes de premier. Le vote du consensus serait : Pétrus 1934, Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Château Margaux 1934, ce qui semble un choix très logique.

Mon vote a été : Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Pétrus 1934 et Château Climens 1943.

Les accords ont été tellement éblouissants qu’il serait difficile de nommer un seul gagnant. La truffe avec Pétrus 1934 est immensément académique, le chevreuil avec le Musigny est d’une sensualité forestière, l’écume de mer avec le Krug est bretonnément iodique. Mon cœur irait sans doute à la façon dont la betterave a caressé le Veuve Clicquot. C’est d’une finesse sensible romantiquement agreste.

La table a une belle forme permettant aux conversations de se développer, le service est attentif, la cuisine est ciselée avec art. Ce dîner rempli de rires et de joie fut d’un raffinement gastronomique inégalable.