Casual Friday au restaurant de Gérard Besson vendredi, 19 mars 2010

Les « Casual Friday » regroupent quelques amis fous de vin pour un déjeuner amical. Nous partîmes onze au fil des inscriptions, et nous finîmes sept en arrivant au porc. Un ami me prévient le matin même qu’il est dans un train pour Londres, un autre qui devait venir avec un ami me dit qu’il est coincé en Suisse car le moteur de son avion a eu quelques faiblesses. J’ai raccroché par les cheveux un ami qui voulait annuler car il se sentait un peu faible pour affronter un tel déjeuner. Il est quand même venu, accueilli par un citron chaud qui l’a requinqué. Et la quatrième défection, partielle celle-ci, se fit au milieu du repas, car l’épouse de l’ami avait des contractions annonciatrices d’un bel événement. L’événement fut remis à plus tard, mais Bruno a raté le beau sauternes qu’il avait apporté.

Dans cette géographie variable l’équipe du restaurant Gérard Besson a su réagir avec efficacité, changeant les plans de table, les services et les plats. Le menu conçu par Gérard Besson est composé avec pour objectif de mettre en valeur les vins : Pomme de terre Pompadour truffes, andouillette varoise / Gâteau de topinambour, ris veau, truffe / Lieu jaune, asperges du Lubéron / Crépinette de cochon de lait / Gigot d’agneau de lait, coco Tarbais, truffe de Bourgogne / Tourte de caneton rouennaise / Long bec / Tarte confite, tarte à l’orange, cédrats et mignardises.

Il faudrait qu’on m’explique comment on peut retirer toute étoile à un MOF (meilleur ouvrier de France), artiste des gibiers, qui est capable de réaliser de tels menus.

Le Casual Friday est, dans sa philosophie, une annexe ou une succursale de l’Académie des Vins Anciens. Car l’esprit est le même. Comme c’est plus informel, apporte du vin qui veut. Aujourd’hui, j’avais envie d’en apporter beaucoup, aussi ai-je fourni six vins sur les neuf du repas. Pour une autre réunion, les apports seront différents.

Le Champagne Dom Ruinart blanc de blancs 1990 est extrêmement charmant. Le mot qui lui convient le mieux est « rond ». Il a de belles qualités exprimées en toute simplicité. C’est un grand champagne, un beau champagne très confortable, jouissant de la puissance d’une grande année, à la longueur prononcée.

Le Champagne Maurice d’Arhanpé à Mareuil sur Ay 1942 est d’un producteur inconnu et sans doute disparu. Dès la première gorgée, je suis conquis. Que ce champagne est beau ! Il est doré aussi bien à l’œil qu’en bouche, plein, précis, sans altération. Il n’a plus de bulle, mais sa riche complexité emporte les suffrages.

Le Champagne Mumm Cordon Rouge 1959 a un défaut. Ce n’est pas métallique, c’est plutôt giboyeux. Le plaisir est moins grand, et par compensation, ce 1959 rend le 1942 encore plus beau, plus précis, plus net. Le Mumm se boit, mais manque d’âme.

J’ai eu peur que le Châteauneuf-du-Pape blanc Chapoutier magnum 1977 ne soit un peu bouchonné. Mais le défaut disparaît, n’altérant pas le goût. Le vin n’est pas désagréable, mais il n’a pas la classe d’un grand Châteauneuf blanc. On le goûte quand même avec gourmandise sur le lieu jaune.

Le Château Gruaud Larose Sarget 1921 a un nez de framboise. En bouche, le vin est d’un charme pur. Fruité, joyeux, il émane de lui une belle plénitude. Il est assez semblable au magnum de Château Léoville Las Cases 1924 qui m’avait tant plu à l’Académie des Vins Anciens. Sa richesse, son équilibre et sa longueur sont très plaisants.

Le Château Mouton Rothschild 1972 est d’une très petite année. Et comme souvent, les plus grands vins réussissent leurs petites années. Le Mouton est vraiment charmant, un peu en demi-teinte, bien sûr, mais il se boit avec un grand plaisir. Il ferait plus que de la figuration dans un grand repas.

Tout le monde a cherché l’énigme de l’étiquette du Château illisible (probable Beychevelle) vers 1900. A la forme, et un peu au goût, l’idée de Beychevelle est assez cohérente. Lorsque nous le goûtons, tous mes amis préfèrent le 1921. Il est vrai que le vin a de légers défauts qui peuvent gêner l’approche. Mais je sens que derrière le voile, il y a un vin d’une rare structure. Et quand le vin s’épanouit, on prend conscience que la charpente de ce vin est plus complexe et attirante que celle du Gruaud-Larose. Plus que d’autres je suis capable de ne pas tenir compte de petits défauts, quand ils ne rendent pas illisible le message général du vin. J’ai pris un très grand plaisir à ce vin qui est un beau témoignage, et qui se boit bien. Pour tous ces bordeaux, c’est le dernier quart de la bouteille, le plus dense, qui révèle la forte personnalité des vins.

Avec le premier bourgogne, nous sentons et goûtons le charme inimitable de cette belle région. Le Beaune rouge Bouchard Père & Fils 1955, vin d’une appellation générique, joue dans la cour des grands. Son plaisir est intense, même si la complexité n’est pas très grande. Mais la longueur en bouche m’impressionne. C’est un témoignage qui étonnerait plus d’un amateur.

Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 est toujours une ravissante surprise chaque fois que je présente ce vin. Il est riche, apparemment simple, mais plein, complet, goûteux et serein. Une discussion s’instaure sur l’éventuelle addition de vins du Rhône dans ce chambertin. Même si ce n’est pas exclu, le vin est d’un grand équilibre, ce qui nous enchante. Il emplit la bouche de fruits noirs généreux. Je l’adore.

Le Château d’Yquem 1969 apporté par le futur père parti depuis quelque temps est d’une couleur plus foncée que ce que j’attendais. En bouche il est très sucré, profond, peut-être un peu doctrinaire. Mais il est très accueillant pour les desserts, avec une présence réconfortante sans faille. Avec les cédrats, c’est un régal, comme avec l’imposante tarte aux poires.

Nous avons voté et six vins sur neuf ont eu des votes. Le vote du consensus serait : 1 – Château Gruaud Larose Sarget 1921, 2 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 – Château illisible (probable Beychevelle) vers 1900, 4 – Beaune rouge Bouchard Père & Fils 1955. Mes joues rosissent quand je constate que ces quatre vins font partie de mes apports. Les autres vins cités dans les votes sont l’Yquem 1969 et le champagne 1942 apportés par des amis.

Mon vote est : 1 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 2 – Château illisible (probable Beychevelle) vers 1900, 3 – Champagne Maurice d’Arhanpé à Mareuil sur Ay 1942, 4 – Château Gruaud Larose Sarget 1921.

Tout le monde a apprécié la qualité des vins ouverts lors de ce déjeuner. La cuisine de Gérard Besson est rassurante, les produits de qualité étant traités selon la tradition de grands cuisiniers légendaires de la précédente génération. L’équipe est soudée pour offrir un service attentif et de qualité. Nos rires, nos blagues et nos discussions sans fin ont dû retentir dans tout le restaurant. Chacun des présents se félicita d’un Casual Friday réussi.

casual Friday 19/03 – les vins vendredi, 19 mars 2010

Champagne Dom Ruinart blanc de blancs 1990

Champagne Maurice d’Arhanpé à Mareuil sur Ay 1942

Champagne Mumm Cordon Rouge 1959

Chateauneuf-du-Pape blanc Chapoutier 1977

Château Mouton-Rothschild 1972

Château Gruaud Larose Sarget 1921

Château illisible (Montrose ou Lynch Bages) vers 1900 (estimé Beychevelle par des décrypteurs habiles)

Beaune rouge Bouchard Père & Fils 1955

Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961

Chateau d’Yquem 1969

déjeuner au restaurant Gérard Besson – photos vendredi, 19 mars 2010

Le menu conçu par Gérard Besson est composé avec pour objectif de mettre en valeur les vins :

Pomme de terre Pompadour truffes, andouillette varoise

Gâteau de topinambour, ris de veau, truffe

Lieu jaune, asperges du Lubéron

Crépinette de cochon de lait

Gigot d’agneau de lait, coco Tarbais, truffe de Bourgogne

Tourte de caneton rouennaise

Long bec

Tarte confite, tarte à l’orange, cédrats et mignardises.

mes verres et l’impression finale de la table (la photo ne montre pas la densité des verres sur table)

brasserie Cantillon – les photos jeudi, 18 mars 2010

la brasserie fait aussi musée et accueille 30.000 visiteurs par an

cuves et canalisations en cuivre de 1900 environ

le bassin de refroidissement en cuivre, de 7.000 litres de capacité

les fûts de vieillissement du lambic

une étrange machine et une pancarte à lire

le lambic de 1983 "grand cru" et le Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1962

bouchons du vin jaune à droite du bouchon de la gueuze d’avant 1980

de gauche à droite : les trois bières de 2006, 1983 et # 1975, puis le Chateau Chalon 1962. Les couleurs sont magnifiques.

Accord fusionnel entre des bières de trente ans et un Château Chalon jeudi, 18 mars 2010

Un journaliste m’avait contacté pour un reportage sur la Percée du Vin Jaune qu’il devait réaliser pour France Culture. Ce reportage passera sur l’antenne en mai 2010. Pour préparer notre rencontre à Poligny, siège de la Percée, nous avions bavardé autour d’un Côtes du Jura 1934. Au hasard des discussions, nous avons évoqué les bières et Olivier m’a demandé si j’ai bu des bières anciennes. J’ai dit non.

Deux mois plus tard, nous nous retrouvons à Anderlecht au siège de la brasserie Cantillon qui est en même temps un musée de la Gueuze. Jean Cantillon, dirigeant de la quatrième génération nous fait visiter la brasserie. Les équipements sont bien ceux d’un musée, car les cuves et les machineries datent de 1900. Jean nous explique les phases du processus de fabrication de ses bières. Le lambic est le produit de base, qui peut vieillir en fût pendant trois ans. Et la gueuze est un assemblage de lambics de trois années différentes. Jean n’utilise jamais de fûts neufs et le goût de ses lambics est influencé par la provenance des fûts. Il a tout essayé, fûts de vins rouges, de vins blancs, de cognacs et de vins espagnols. Son rêve serait d’essayer des fûts de vins jaunes, car le lambic est une bière dont le mode de maturation est oxydatif.

Jean est passionnant à écouter. Je suis impressionné par ce qui s’appelle « la chapelle », un grenier où une cuve, plutôt un bac, en cuivre peut contenir 7.000 litres de jus, pour son refroidissement nocturne et son ensemencement.

Nous commençons à boire un lambic sur fût, qui doit avoir environ un an. C’est une grande surprise, car le nez est expressif, l’acidité est intense, et le goût évoque le foin doré de fin d’été. Nous remontons et Jean nous fait goûter une gueuze d’un an, qui comprend des lambics de deux à quatre ans. Je jubile, car nous mettons un pied dans l’inconnu. Cette bière ne ressemble à rien d’habituel. L’acidité est forte, mais l’étrangeté me ravit. J’adore pénétrer dans des mondes inconnus. Nous goûtons ensuite un lambic de trois ans. Ce qui me frappe, c’est le caractère vineux de cette bière sans bulle. Je m’imagine que si on glissait ce lambic dans une dégustation à l’aveugle de vins à forte tendance acide, j’hésiterais avant de dire que ce n’est pas du vin. Toutes les bières Cantillon titrent 5°, mais elles paraissent en avoir plus. Vient ensuite une gueuze de 1996, qui renferme des jus dont l’année moyenne est 1994. Je lui trouve un petit défaut dont nous discutons avec Jean, qui est impressionné que je puisse mettre le doigt sur un écart dont je ne suis normalement pas spécialiste. Mettons cela sur le compte de la chance du néophyte. Le petit défaut s’estompe au réchauffement du verre et cette bière se révèle très intéressante, avec toujours une grande acidité, et un charme qui naît de saveurs inhabituelles. L’étrangeté me séduit et je pense immanquablement aux champagnes Jacques Selosse qui ont une approche tout aussi originale.

Nous allons déjeuner au restaurant le Bistro de la Poste sur la chaussée Waterloo. Jean nous ouvre trois bières : une gueuze 2006, un lambic 1983, mis en bouteille en 1986, et une gueuze d’avant 1980, qu’il situe entre 1975 et 1978. De mon côté, j’ouvre un Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1962. Le repas est simple : rillettes, velouté de carottes, poulet aux pommes de terre et gruyère. C’est parfait pour ce que nous allons faire. J’avais demandé qu’il y ait une jeune gueuze pour le cas où le pont entre bière et Jura ne se ferait pas avec les anciens. C’est à titre de sécurité. Or en fait, l’intérêt se porte sur les deux bières anciennes qui offrent une continuité spectaculaire avec le vin jaune. Jean est impressionné par le prolongement qui se crée, quel que soit l’ordre dans lequel on boit les deux bières et le Château Chalon. Et Jean me demande : comment saviez-vous que ça marcherait alors que vous ne saviez pas que mes bières sont oxydatives ? J’ai répondu que j’avais l’intuition qu’une bière ancienne et un Château Chalon plutôt calme comme celui-ci s’accorderaient bien.

Les lambics perdent normalement leur sucre après peu d’années, et n’ont plus de bulles. Or le lambic 1983 a pété à l’ouverture, signe d’un sucre résiduel qui a produit une nouvelle fermentation. Dans cet état, le lambic me plait beaucoup, car l’âge assagit l’acidité, et la gueuze des années 70 est délicieuse, explorant des saveurs d’aficionados. Car entrer dans ce monde de goûts en rebuterait plus d’un. Aux côtés des bières, le Château Chalon fait presque doucereux, tant l’acidité des bières est prégnante. Max, l’un des associés du bistrot qui partageait nos boissons, buvait du petit lait en écoutant nos discussions qui montrent combien cette association d’un jour entre bière et vin jaune est un grand moment d’émotion.

Alors que bière et jaune faisaient jeu égal, sur le gruyère la suprématie écrasante du Château Chalon nous offre un accord divin sur un vin calmement joyeux, presque doucereux sur sa pointe de noix. Jean, Olivier et moi, nous nous souviendrons à jamais d’un grand moment de communion. Jean fait une bière atypique, exceptionnelle et passionnante, en parle divinement bien.

J’ai ajouté un pont avec un vin qui exprime une recherche d’excellence identique. Jean va rêver plus que jamais de fûts de vins jaunes pour créer de nouvelles bières !

déjeuner au Yacht Club de France mercredi, 17 mars 2010

C’est un nouveau déjeuner au Yacht Club de France, dans la belle salle de réception. Le directeur est un amoureux de cuisine et de vins, et fait tout pour nous plaire. Le ris de veau n’est pas extraordinaire, mais les filets de sole aux gambas rattrapent largement la mise.

Le Château Talbot 1998 a une belle structure solide. Son nez est profond, typé, de grande expression.

Le Château Rauzan Gassies 1998 est très différent. Il a plus de rondeur, de fruit, de grâce. Il est très Margaux. Le Talbot est plus profond et le Rauzan-Gassies est plus charmeur. Les deux vins sont bons et montrent que 1998, sans exubérance, se boit bien.

Entre les deux rouges, nous avons intercalé un bourgogne blanc, un Vougeot premier cru les Cras domaine Bertagna 2007 qui est une belle surprise, car je ne l’attendais pas si gouleyant.

Comme à chacun de nos repas, les conscrits refont le monde dans l’amitié.

Déjeuner à l’Arpège mardi, 16 mars 2010

Lorsque Cédric est apparu à l’un de mes dîners, son amour du vin, sa compétence, ses envies ont immédiatement enfanté une amitié coup de foudre. Nous avons bâti mille plans pour goûter le plus extrême, le plus subtil et le plus charmant. Un petit pépin de santé a mis un frein à ces projets et Cédric m’a demandé un an de répit. Au terme de sa pause sabbatique, je l’appelle pour des retrouvailles. Il me dit : « rendez-vous chez Alain Passard. Je t’invite et tu apportes le vin ».

Le jour dit, je suis très en avance. J’ai donc le temps de bavarder avec Gaylord, le sommelier qui en d’autres endroits a participé au service du vin lors de certains de mes dîners. Il se souvient que grâce à moi, il a bu Yquem 1907 dont il garde un souvenir impérissable. Cédric arrive et dès les premiers mots, c’est comme si nous nous étions quittés hier. Et avec la même folie et le même enthousiasme, nous bâtissons mille projets, comme s’il fallait absolument rattraper le temps perdu.

Cédric est un habitué du restaurant Arpège, et il a demandé à Alain Passard de mettre les petits plats dans les grands. Le menu impromptu veut voler à Ferran Adria la palme du plus grand nombre de plats. C’est un voyage dans l’univers créatif d’Alain. Sur deux plats je n’ai pas vibré outre mesure : un carpaccio de coquilles Saint-Jacques dont l’acidité de la sauce bride le sucré naturel de la coquille, et une asperge blanche emmitouflée elle aussi dans des saveurs citronnées qui mettent une camisole autour des amertumes naturelles délicieuses de l’asperge. Mais sur tous les autres, ce fut un festival exceptionnel, la palme revenant au pigeon à l’hibiscus et au blini de saumon sauvage.

J’ai apporté deux vins dont Cédric doit choisir un seul. Un Marquès de Riscal Rioja 1992 et un Mission Haut-Brion 1978. Après l’assaut de politesse où chacun dit : « non, c’est toi qui choisis », je fais ouvrir le Mission Haut-Brion 1978. Gaylord n’a pas les outils pour extraire un bouchon qui part en charpie. Je l’aide à finir l’ouverture pour éviter un carafage. Le parfum de ce vin est éblouissant. Au jeu des sept familles, il joue dans la famille Haut-Brion, avec une richesse aromatique rare. En bouche, l’attaque est riche, pleine, solide comme un Graves. Et ce qui est étonnant, c’est que le final au goût précis s’arrête instantanément. Le vin est court tout en étant riche, son temps d’exposition étant réglé sur le minimum.

Selon les plats le vin déploie de nouveaux charmes. Il est impérial sur un plat de foies de poulet. J’aime sa sérénité, son côté très prévisible dans la complexité. Nous parlons, nous parlons, les plats se multiplient, et ce qui devait arriver est arrivé : la marée est devenue basse. Il faut ouvrir le vin espagnol. Alain qui passe à proximité se moque de nous, raillant les simagrées que nous avions faites sur le choix du vin à boire, puisqu’il eût été plus simple d’ouvrir immédiatement les deux. A l’ouverture, nous sommes saisis par le nez du vin espagnol, d’une fraîcheur rare, et par le côté opulent et frais qu’il a en bouche. C’est un vin agréable, qui n’a pas la complexité du bordelais, mais dont la joie de vivre est charmante. Ce que j’aime, c’est que sous la puissance certaine, il y a une expression de fraîcheur et de gracilité.

Cédric est le premier à signaler que le vin se referme. Il aura suffi de moins de dix minutes pour que la fraîcheur aérienne se transforme en rigidité, le vin perdant de son charme, tout en étant un vin qui n’entraînerait que des approbations dans d’autres contextes.

Alain Passard est en pleine forme et sa création s’en ressent. Les plats montrent une belle inventivité sur une structure raisonnée des goûts. Le personnel est joyeux, aimable, créant une atmosphère tonique. C’est un vrai grand restaurant sympathique où l’on mange bien. Les retrouvailles avec un gourmet furent une réussite et appellent des suites.

Déjeuner à l’Arpège – photos mardi, 16 mars 2010

la présentation de la table, et la décoration, que l’on retrouve sur les menus

les vins que j’ai apportés, Maquès de Riscal 1992 et Mission Haut-Brion 1978

l’oeuf traditionnel de l’Arpège et des raviolis

homard et carpaccio de coquilles Saint-Jacques

foies et gésiers

asperge blanche et blini de saumon sauvage

risotto et coquille Saint-Jacques

pigeon à l’hibiscus et Comté de l’année 2006

le millefeuille énorme sur le chariot et énorme sur l’assiette

« Talents du luxe et de la création » à l’hôtel Intercontinental lundi, 15 mars 2010

Richard Geoffroy est l’homme qui crée Dom Pérignon. Nous éprouvons un grand plaisir à goûter ensemble des vins et une amitié particulière est née entre nous. Alors bien sûr, j’aimerais le voir plus souvent. Il est tellement accaparé par sa fonction que les fenêtres de tir pour se rencontrer sont étroites.

Il m’appelle et me dit : « voici une occasion de nous voir. Un dîner de gala est destiné à couronner des créateurs et acteurs des métiers du luxe. J’ai une table avec des gens sympathiques. Veux-tu en être ? ». Je dis oui.

Arrivant en avance, je m’octroie une petite folie, je commande sous la grande verrière de l’hôtel Intercontinental Opéra un whisky Macalan douze ans d’âge. Dix minutes plus tard, je ne vois rien venir. Quand je ne suis pas content, ça se remarque, même dans un espace aussi vaste que le hall de cet hôtel. Il a fallu trois rappels pour que j’obtienne enfin ce délicieux breuvage, au doucereux délicat.

Les participants du dîner arrivent, pour la cérémonie de remise des « Talents du luxe et de la création ». Plus on est créateur, plus il faut le montrer dans sa tenue. Cette extravagance est d’un grand conformisme, comme pour répondre à un code. Pendant le long apéritif je bavarde avec Sandrine Garbay, l’homologue pour la création d’Yquem de Richard Geoffroy qui crée Dom Pérignon.

Nous sommes très serrés dans la salle Opéra construite par Garnier. Je ne me suis jamais senti bien dans cette salle dont la hauteur sous plafond est de plus de dix mètres, aux colonnades chargées entourant de larges miroirs disposés en demi-cercle qui faussent la perspective de la salle à l’acoustique déplaisante.

Les tables sont à touche-touche, les coudes sont serrés contre ceux des voisins. Les remises de prix sont interminables, et l’ambiance ressemble à celle des cérémonies des Molière, des victoires de la Musique ou des Césars, car c’est la loi du genre. Une chose est amusante, c’est qu’à de rares exceptions près, les créateurs primés, étonnés de leur victoire, ne savent dire qu’un mot : « merci », ce qui nous a épargné les listes de gens remerciés, aussi longues que des génériques de films. Alors que pour chacun des treize prix il y avait quatre nominés, un prix particulier est remis sans concurrence : un prix spécial de la continuité historique est remis à Richard Geoffroy porteur de la continuité historique de Dom Pérignon.

Etant assis à côté de Jean-François Piège, je me suis amusé à voir s’il éprouvait la même tristesse que moi devant la qualité des plats. On ne peut pas dire que c’est mauvais, mais on doit dire que ce n’est pas bon. Jean-François s’est lâché au moment du dessert dont le goût évoquait trop ces liquides de lave-vaisselle bon marché. Et le vin dans tout ça ? Vincent, l’adjoint de Richard constate avec amusement que notre dîner est sobre, car les bouteilles d’eau se succèdent à notre table à un rythme soutenu, les vins dissuadant de tout effort de les comprendre. C’est pourquoi je ne les nomme pas.

Si le luxe nous environnait de toute part tant les créateurs de bijoux, de montres, d’objets de décoration, de robes et de chemise étaient nombreux, il avait complètement abandonné la partie culinaire. C’est bien dommage au pays de la gastronomie. Une grande marque d’épicerie de luxe a posé sur la table pour chaque invité des petits sacs à son logo contenant deux mignonnettes à capsules à vis, l’une de sauvignon, l’autre de syrah. France, ton luxe fout le camp !

Des discussions passionnantes ont sauvé la mise. Et j’ai partagé quelques heures avec Richard Geoffroy, toujours riche de mille projets.