repas chez un ami avec la cuisine sublime de Jean-Philippe samedi, 19 juin 2010

Jonathan ayant quitté sa nouvelle Australie pour un court séjour parisien, il enchaîne à un rythme endiablé les grands repas. Ce soir, il nous reçoit au domicile parisien de son père, et confie la cuisine à Jean-Philippe. La salle de la cuisine est immense, toute en longueur, très haute de plafond, et équipée comme la force de frappe nucléaire française. Au moment où nous arrivons, ma femme et moi, une gentille brigade commandée par Jean-Philippe s’affaire autour de produits merveilleux.

Lorsque j’avais annoncé les deux vins que j’apporterais, Jean-Philippe, suivi par Jonathan, a fait la moue soit du snob, soit de l’enfant gâté (vous cochez la case qui vous paraît la plus appropriée). Vexé comme un pou, caractéristique caractérielle de cet insecte un peu tirée par les cheveux, je viens avec cinq bouteilles dans ma besace, en tonitruant : « à vous d’en choisir deux, puisque vous n’aimez pas mes vins ». Mais à force de vanter les mérites de chacun pour convaincre de leur pertinence, j’ai fini par ouvrir les cinq, doublant presque le nombre de vins de cette olympiade gastronomique.

Jonathan a invité deux de ses amis dont j’avais fait la connaissance chez Yvan Roux, Jean-Philippe a invité deux de ses amis que j’ai connus en diverses circonstances, et mon épouse qui redoutait un dîner où l’on parle de vins a été servie !

Pensant que démarrer par un champagne sublime est un départ trop rapide, j’ai insisté pour que l’on boive « mon » Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998 pour se faire le palais. J’y étais conduit par la présence de copeaux de saucisse de Morteau que Jean-Philippe agrémenta de mizuna. Le rose du champagne est joli, frais, alors que le champagne ne l’est pas, puisqu’il a été mis au froid tardivement. La bulle est belle et je suis agréablement surpris de voir que c’est un bon rosé. Il a de la consistance, et il manque un peu de folie. C’est un exercice de style très appréciable, mais qui ne crée pas une grande émotion. L’accord avec la saucisse est très pertinent.

Dès qu’est servi le Champagne Krug Vintage 1990, nous montons quatre à quatre les marches de l’ascenseur gustatif, et cette phrase me plaît tant elle est dans la ligne des légendaires discours du maire de Champignac. Ce champagne est d’une classe extrême, délivrant un flot de complexité dont on saisit des bribes sans jamais embrasser la totalité des messages. Le foie gras poêlé, fève Tonka et fleur de coriandre est parfait, goûteux, d’une extrême qualité. Mais ce qui est curieux, c’est que si la logique de l’accord est respectée, il n’y a aucune valeur ajoutée pour l’un comme pour l’autre. Pas de changement de niveau.

Lorsque j’avais fouiné dans la cuisine, au moment des préparatifs, j’ai mis mon nez dans une casserole pleine de coques. Et une réminiscence à l’évidence criante m’est venue : il faut Yquem pour ces coques. Jean-Philippe les avait prévues en accompagnement du cabillaud. Il fut d’accord de scinder son plat. Aussi le dos de cabillaud est-il accompagné d’épinards à la poire, sur le merveilleux Meursault 1er Cru Perrières – Domaine Coche-Dury 1997. C’est divin. Le cabillaud est un millimètre trop cuit pour mon goût, mais il est goûteux et délicieux. Le meursault a un nez de gaz paralysant. Il nettoie les narines comme on nettoie les banlieues. Et en bouche, il montre une fois de plus le talent extrême de Jean-François Coche-Dury. Ce vin est une bombe gustative, qui trouve dans le cabillaud le répondant parfait. Ce meursault aux variations nacrées, irisées, infinies est un bonheur.

Le homard, céleri, sauce à l’anis et à la réglisse est prévu pour mon chouchou, le Vin de l’Etoile, Château L’Etoile, Vandelle 1959. La chair du homard est parfaite, mais de Jean-Philippe, on s’attend à ce que l’idéal soit standard. Le trait de génie, c’est le céleri, qui apporte au vin du Jura une dimension galactique. Le plat est un rêve avec un céleri diabolique, le vin est un rêve, car il emmène dans des saveurs intouchables et le tout est un rêve.

On s’en souviendra de l’accord entre les coques au bouillon iodé et le Château d’Yquem 1986. Car la correspondance est parfaite. La coque, mais encore plus le bouillon, arrive à accrocher l’iode d’un Yquem puissant, impérieux, presque insolent de charme assumé. Je suis particulièrement heureux d’avoir suggéré cette entorse au programme, qui se justifie pleinement et donne un rare plaisir.

Le lard de Colonnata est présenté sur un pain grillé et c’est l’occasion de servir le Vin de Mascara, vin d’Algérie de Herber-Préau à Oran et à Sète, des années 40. La datation n’est pas évidente, mais le vin est sûrement entre 1930 et 1950. Son nez est impérieux, riche, costaud. En bouche, ce vin annoncé à 13° est d’une puissance certaine, d’une couleur noire, et d’une conviction indestructible. Par son côté légèrement torréfié, café et chocolat, il me fait penser au Vega Sicilia Unico. C’est un vin simple, mais d’une richesse souriante et l’accord avec la Rolls du lard est joyeux.

Tout le monde se recueille quand il nous est donné de goûter une viande transcendantale, un Wagyu, sauce au boudin noir, poêlée de girolles. Ce bœuf venu dans les bagages de Jonathan est d’une qualité qui est introuvable en Europe. On le mange comme une hostie, tant on veut communier avec ce privilège. Et, comme la chance sourit à ceux qui la méritent, nous buvons un Château Cheval Blanc 1983 qui est exceptionnel. Carafé depuis longtemps, ce vin est aérien, gracieux mais aussi noble et racé. Il emporte nos papilles en des cieux inaccessibles. Ce vin sera unanimement couronné comme le plus grand de cette soirée. La sauce crée un pont merveilleux avec le vin. Nous sommes dans l’exception gastronomique.

Lorsque nous sommes servis du Château Haut Brion 1975 le vin fait pataud, collant à la glaise alors que le précédent était sur un petit nuage. Et par la magie de l’accord avec le ris de veau à la cubaine, le vin gagne en hauteur de façon spectaculaire. Cette transformation est inouïe. Le ris est d’une qualité extrême et l’accord crée de la valeur ajoutée.

Le quasi de veau basse température, est accompagnée d’une sauce que Jean-philippe aime à appeler Grand Cru, alors qu’il n’y a pas une goutte de vin. Cette sauce est rose, et la petite pointe de framboise rappelle l’odeur des bondes de fûts en Bourgogne. Ce plat est le velours qui convient au Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1973. Tout en ce vin est subtil, mais un peu timide. On sent qu’il a des choses à dire, mais qu’il reste sur le pas de la porte pour ne pas déranger. C’est un grand vin mais qui joue un peu discrètement malgré la sauce divine qui lui va comme un gant.

Le suprême de pigeon à la goutte de sang, poêlée de févettes est une merveille de la cuisine de Jean-Philippe. En lui associant un Ermitage "Le Pavillon" M. Chapoutier 1991, on sait qu’on a acheté un ticket gagnant. Le vin est sûr de lui, lisible comme une évidence, plein, équilibré, parfait. Et le plat n’a pas besoin de faire d’effort pour coller à lui comme tenon et mortaise. C’est de la gastronomie pullman, fondée sur une dextérité du cuisinier et du vigneron.

Le Stilton est goûteux. Peut-être un peu trop fort et trop salé, mais goûteux. Il en faudrait plus pour faire vaciller le Château d’Yquem 1986 qui est toujours un roc, dans la définition d’un Yquem puissant, archétypal.

Et ce qui est intéressant, c’est que l’Yquem ne porte pas du tout ombrage au Château Filhot 1972 dont le nez était renversant à l’ouverture, avec des notes de poivre et de menthol. La raviole de mangue au pamplemousse rose est née pour Filhot. Dès que je goûte, je demande à Jean-Philippe d’ajouter une jetée de poivre sur la mangue, car le Filhot appelle ce poivre. Et l’accord est merveilleux, confondant, au point que l’on ne sait pas si le goût vient du mets ou du vin. Le Filhot 1972, ayant mangé une partie de son sucre, donne une image du sauternes frais et délicat qui est aussi merveilleuse que celle de l’Yquem, plus guerrier et conquérant.

La tarte Tatin du pâtissier fétiche de Jean-Philippe est bonne, mais elle n’ajoute rien au sauternes. J’aurais aimé qu’on double la portion de mangue plutôt que ce très bon dessert.

L’ennui, quand on « fait du social » en invitant le cuisinier à table, c’est que quand il est à table, il n’est pas en cuisine. Aussi est-ce vers trois heures du matin que nous avons fini un repas qui restera dans nos mémoires comme un moment de justesse culinaire extrême et de choix de vins variés faisant voyager nos papilles dans des jungles inviolées. Quand on y rajoute la mayonnaise de l’amitié souriante et joyeuse, on est très proche du bonheur parfait.

dîner chez un ami – les plats samedi, 19 juin 2010

Cette photo rend bien l’atmosphère de laboratoire qui règne dans la cuisine

Saucisse de Morteau et mizuna – Foie gras poêlé, fève Tonka et fleur de coriandre – Dos de cabillaud, épinards à la poire

Homard, céleri, sauce à l’anis et la réglisse – Coques, bouillon iodé – Lard de Colonnata et pain grillé (deux plats sans photo hélas)

Wagyu, sauce au boudin noir, poêlée de girolles – Ris de veau à la cubaine (pas de photo) – Quasi de veau basse température, sauce Grand Cru (photo à la dernière bouchée, mais au moins, on voit la sauce grand cru)

Suprême de pigeon à la goutte de sang, poêlée de févettes – Stilton – Ravioles de mangue au pamplemousse rose – Tarte tatin

tranche de vie ….. samedi, 19 juin 2010

Je vais chercher les journaux du matin.

De retour à la maison, je constate que j’ai oublié le quotidien de ma femme !

Drame !

"va te faire en.uler, fils de but" me lâche ma femme aussi sec, avec un à propos qui colle à l’actualité.

Mais quand j’ai vu que l’Equipe met en gros titre cette phrase d’Anelka à Domenech, je pense que c’est extrêmement déplacé. Cette surenchère dans la vulgarité n’est pas digne. Voilà une phrase que les jeunes gamins vont reprendre dans les cours de récréation. Pourquoi lui donner tant d’importance à la une du journal sportif le plus lu ?

Après les magouilles de Tapie, le coup de boule de Zidane, la main innocente d’Henry, on ajoute la vulgarité d’Anelka. Le foot, quel exemple pour les jeunes !

136ème dîner de wine-dinners – les photos jeudi, 17 juin 2010

la "photo de famille"

photos de groupes partiels de vins

les bouchons

Le rétrécissement du haut du bouchon du Romanée Saint Vivant, Domaine de la Romanée Conti 1982 est très étrange

bouchon de Château Margaux 1934 et Rosé des Vignobles de Cogolin, Laurens 1936 (deux magnifiques capsules)

Echézeaux Joseph Drouhin 1947 et Romanée Saint Vivant, Domaine de la Romanée Conti 1982

Château Latour 1933 : bouchon en charpie !

Château Cantegril, Sauternes Barsac 1922 et Coteaux du Layon, Vins fins Brouard 1945

Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974 et Château d’Yquem 1969

Le menu :

Maquereau aux citrons / Homard au naturel, Jus de carapace au Végétal / Printanière d’Asperges et Langoustines marinées à cru

Viennoise de sole aux girolles / Le Cochon épicé en différents morceaux

Filet d’agneau à la broche croustillant, fine semoule acidulée / Salers et Stilton / Ananas Victoria et mangue rôtis ensemble (pas de photos hélas)

La forêt de verres

136ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 17 juin 2010

Le 136ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. J’arrive à 17 heures pour ouvrir les vins. Le vin que j’attends d’ouvrir avec curiosité et impatience, c’est le rosé de Cogolin 1936, car je n’ai jamais bu un rosé de Provence de cet âge. Hélas, le vin est bouchonné. Il reste l’espoir d’un miracle, mais au vu de la trace en bouche, ça me paraît mal parti. Les odeurs les plus extraordinaires sont celles du Cantegril 1922 qui respire le citron vert gentiment mentholé, et le Château Margaux 1934, cocktail de fruits rouges et noirs délicats. Les bourgognes ont des senteurs profondément bourguignonnes. Les bouchons se sont battus, mais je les ai tous vaincus. Tout semble prometteur à l’exception – qui m’attriste – de ce curieux rosé de Cogolin.

Les convives arrivent tous à l’heure. Ce sont quatre couples d’amis regroupés par Eric. Celui-ci, en avance, commande un champagne à Patrick Simiand. Il se trouve que nous boirons douze vins à neuf, ce qui est plus que d’habitude, aussi Patrick fait de la résistance. Mais Eric est un roc et se rafraîchit avec un Champagne Besserat de Bellefon brut sans année, qui est une bonne idée pour mettre en jambe le palais, si l’on admet cette métaphore à l’anatomie douteuse. Les petits amuse-bouches sont délicieux et fleurent bon la mer bretonne. Je délivre les consignes d’usage dans un petit salon que nous avons squatté.

Nous passons à table. Le menu créé par Christian Le Squer est ainsi rédigé : Maquereau aux citrons / Homard au naturel, Jus de carapace au Végétal / Printanière d’Asperges et Langoustines marinées à cru / Viennoise de sole aux girolles / Le Cochon épicé en différents morceaux / Filet d’agneau à la broche croustillant, fine semoule acidulée / Salers et Stilton / Ananas Victoria et mangue rôtis ensemble.

Le Champagne Richeroy des années 50 est non pas une entrée, mais un plongeon dans le monde des vins anciens. La couleur est d’un bel or ambré, la bulle est faible mais existe, et l’impression de pétillant est très nette. Le champagne est très doucereux, comme si un sauternes avait été champagnisé. L’un des convives, qui n’aime pas le champagne en général, dit : « des champagnes comme cela, on les jette », ce qui me conduit à mieux expliquer l’intérêt de ces champagnes évolués. Et je suis aidé par le plat, car dès que le maquereau est servi, il diminue l’impression doucereuse, donne de la structure au champagne et c’est une résurrection. On comprend par cet exemple l’intérêt de l’association mets et vins. Le champagne a donc réussi la plongée dans le monde des vins anciens, au point qu’il recueillera deux votes de premier en fin de repas.

La cause est entendue pour le Rosé des Vignobles de Cogolin, Laurens 1936 : le nez de bouchon s’est amplifié. Il est moins présent en bouche, mais l’expérience n’a aucun intérêt. La couleur du vin est d’une rose profond et intense. Je suis triste quand des raretés comme celle-là ne peuvent donner leur témoignage qui eût été d’un grand intérêt.

Quand le Champagne Dom Ruinart 1993 est servi, on revient dans un monde connu de tous. La couleur est d’un jaune pâle, la bulle est lourde et le goût est attendu. C’est un champagne riche, équilibré, sans inconnue. Et le Dom Ruinart sert, a posteriori, à confirmer l’intérêt du Richeroy, qui a beaucoup plus de complexité et excite l’envie de le découvrir. Le homard a une chair divine qui répond bien au champagne sans toutefois créer une osmose, et les accompagnements latéraux troublent l’attention. Il n’y a eu aucune valeur ajoutée de cette association.

Le Champagne Salon "S" 1982 est un petit miracle. Il est déjà un peu ambré, et comme à chaque fois, il marie puissance et romantisme. C’est un champagne envahissant, complexe, dont il est impossible de saisir toutes les subtilités. La printanière est un peu trop intellectuelle et laisse le champagne vivre seul sa vie. C’est un très grand champagne, plutôt difficile à comprendre tant il est complexe.

Les deux bordeaux sont servis ensemble. Ils proviennent tous deux de bouteilles magnifiques, aux niveaux quasiment dans le goulot, ce qui est rare. Le Château Latour 1933 est d’une structure très forte, surprenante pour une année qui n’est pas de première grandeur. Il est un peu strict, surtout si on le compare au Château Margaux 1934 qui est l’exemple même de la féminité d’un vin. Avec Eric, nous sommes d’avis que le Margaux est nettement plus séduisant que le Latour, mais cet avis, qui nous paraît évident, n’est pas partagé par la moitié de la table, dont une majorité féminine. Les femmes auraient-elle une prescience ? Car le Latour connaît une évolution assez spectaculaire dans le verre, prenant de la densité et de la profondeur, devenant un grand Latour, tandis que le Margaux reste un grand Margaux, et c’est vrai que le Latour, malgré le handicap du millésime, est plus grand. La sole est goûteuse, et l’on revient à un véritable accord, fondé sur la lisibilité d’un goût.

Avec la Romanée Saint Vivant, Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1982, on entre de belle façon dans le monde raffiné des vins du domaine emblématique de la Bourgogne. Et ce vin est délicieusement bourguignon, avec un charme redoutable. Il est subtil, délicat, avec la grâce propre au Saint-Vivant. J’adore ce vin pour sa salinité, une trace fumée comme au feu de bois. Il est associé au Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974, dont j’attendais qu’il puisse rivaliser avec le Marey-Monge, car à chaque apparition, ce vin se montre brillant. Lui aussi est très bourguignon, avec beaucoup de classe. Mais cette Romanée Saint Vivant est trop aboutie pour que la rivalité existe.

Pendant que nous dînons, deux convives qui consultent leurs téléphones, nous annoncent les buts de la déroute française face au Mexique. Et c’est le troisième bourgogne qui va marquer le but de la victoire, car il est d’un niveau de perfection qui transcende tout ce que mes convives ont pu approcher dans le monde du vin. L’Echézeaux Joseph Drouhin 1947 est difficile à définir, car il est parfait. Il a tout ce qu’un bourgogne peut donner. Sa couleur est assez claire, son nez est intense, et son goût marie l’amertume, le charme, le salin, le fruit rouge au sirop, mais tout ceci n’est rien à côté de l’impression d’équilibre indestructible. Eric est tellement surpris de sa vivacité qu’il va regarder sur la collerette le millésime, très peu visible, mais que je connais par le lot que j’ai acheté.

Le Coteaux du Layon, Vins fins Brouard 1945 a une belle couleur mêlant l’ambre et le jaune clair. Le nez est fin et en bouche, la simplicité ne limite pas le plaisir. Les deux fromages lui conviennent bien. C’est un vin naturellement plaisant.

Le dessert est parfait pour les deux sauternes. Le Château d’Yquem 1969 a une couleur magnifique de jeunesse, d’un acajou léger. Le Château Cantegril, Haut-Barsac Sauternes 1922 est d’un ambre plus foncé. Si l’Yquem est dans la grâce de sa jeune maturité, avec le charme affirmé d’Yquem, le dessert se précipite sous les jupes du Cantegril pour une fusion totale. Ce vin est éblouissant, avec la précision de ses agrumes, un poivre affirmé renforcé par l’ananas, et un final frais et mentholé exceptionnel. Au moment des votes, le jugement sera sans appel.

C’est d’ailleurs le moment des votes, car nous n’inclurons pas le Champagne Bollinger R.D. 1995 et le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 qu’Eric dans sa générosité a offerts, pour honorer son fils non présent dont c’est l’anniversaire. Sur les quinze vins dont les trois champagnes offerts par Eric ne sont pas inclus, il faut enlever le rosé, ce qui fait onze vins. Trois n’ont pas eu de vote, ce qui montre la sélectivité des convives, puisque ce sont le Dom Ruinart, le Coteaux du layon et l’Yquem qui n’ont aucun vote. A côté de l’Yquem, le Cantegril 1922 a eu sept votes dont un de premier. C’est dire ! L’Echézeaux Joseph Drouhin 1947 a eu huit votes dont cinq de premier, le champagne Richeroy années 50 deux votes de premier et la Romanée Saint Vivant, DRC 1982 a eu comme le Cantegril un vote de premier.

Le vote du consensus est le même que le mien : 1 – Echézeaux Joseph Drouhin 1947, 2 – Château Cantegril, Haut-Barsac Sauternes 1922, 3 – Romanée Saint Vivant, Domaine de la Romanée Conti 1982, 4 – Château Latour 1933 qui bat d’un cheveu le Champagne Salon "S" 1982.

L’ambiance amicale de ce dîner a été assez exceptionnelle, les rires fusant encore longtemps après le départ de la dernière table du restaurant. Vincent, qui avait suivi avec intérêt l’ouverture des vins il y a un nombre d’heures que je n’ose plus compter, a fait un travail de sommellerie parfait,. Trois accords ont été pertinents, celui du maquereau, de la sole et du dessert. Pour les autres plats, il faudra que Christian le Squer, dont j’apprécie beaucoup le talent, revienne aux accords fondés sur le goût le plus pur du produit, que nous avons déjà pratiqués dans de mémorables dîners.

Je peux subodorer qu’avec ces nouveaux amis, nous sommes appelés à nous revoir !

136ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 17 juin 2010

Champagne Richeroy années 50

Rosé des Vignobles de Cogolin, Laurens 1936

magnifique capsule qui dit : "Ouetaou de San-Maur"

Champagne Dom Ruinart 1993

Champagne Salon "S" 1982

Château Latour 1er GCC Pauillac 1933 (quelle fraîcheur de capsule et d’étiquette)

Château Margaux 1er GCC Margaux 1934 (la capsule paraît irréellement jeune)

Romanée Saint Vivant Marey-Monge, Domaine de la Romanée Conti 1982

Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974

Echézeaux Joseph Drouhin 1947

Coteaux du Layon, Vins fins Brouard 1945

Château Cantegril Haut-Barsac Sauternes 1922

Château d’Yquem Sauternes 1969

Astrance – les photos mardi, 15 juin 2010

Brioche tiède, beurre romarin et citron

Palet amande et pomme verte au praliné

Velouté de petits pois, yaourt au gingembre, mousse curcuma et cardamome

Foie gras mariné au verjus, galette de champignon de Paris, pâte de citron confit

Nage de légumes de Printemps, homard poché, herbes et fleurs sauvages

Asperges blanches, coulis de citron, amandes caramélisées, orange amer, cumin

Turbot vapeur, girolles aux amandes et abricot, arroche

Travers de cochon fermier laqué, petits pois cuisinés au Chorizo

Selle d’agneau grillée, chou pointu au soja noir, condiment curry noir et ail noir

Piment et citronnelle en sorbet

Cappuccino amande, feuille de riz grillé, cerises au Kirsh

Sorbet au sureau et gelée de sureau

Tartelette framboise, crème au thé vert

Lait de poule au jasmin

Fruits frais

Madeleines au miel de châtaignier

Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1997

Corton-Charlemagne Coche-Dury 2003

Chateau de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin Chateauneuf-du-Pape 2000

Paris sera toujours Paris !

dîner d’amis à l’Astrance mardi, 15 juin 2010

Jonathan était parti en Australie il y a neuf mois. Il revient à Paris, avide de sensations de bonne chère et de beaux vins. Nous nous retrouvons à trois avec Jean-Philippe au restaurant Astrance. Jean-Philippe nous a prévenus de son arrivée tardive, aussi, quand il se présente, le choix des vins est fait depuis longtemps.

La carte des vins composée par Alexandre, le sommelier, est intelligente, et il y a de belles pépites qui ne demandent qu’un orpailleur. Le champagne Philipponnat Clos des Goisses 1997 est vraiment très jeune. Il a des esquisses de pommes, aussi quand il est associé avec le palet amande et pomme verte au praliné, ça ne va pas du tout, comme dans un accord ton sur ton trop frigide. A l’inverse, sur la miraculeuse brioche tiède, beurre romarin et citron, le champagne trouve une assise plaisante. Mais globalement, il manque d’équilibre et de coffre. Sur le velouté de petits pois, yaourt au gingembre, mousse curcuma et cardamome, plat que je trouve d’une délicatesse majeure, le champagne fait bonne figure. Le plat suivant est le foie gras mariné au verjus, galette de champignon de Paris, pâte de citron confit. Il a un goût de « déjà vu » (en anglais dans le texte). Pascal Barbot qui déborde de créativité pourrait réinventer ce plat, sauf s’il tient à attacher un pilier symbolique à son restaurant. Le champagne suit poliment.

Sur la nage de légumes de printemps, homard poché, herbes et fleurs sauvages, Alexandre pense que le champagne se justifie, mais nous avons soif du Corton-Charlemagne Coche Dury 2003. Alexandre a raison sur certaines composantes du plat, dont le bouillon qui magnifie le champagne que je trouve un peu faible alors que je suis un fan de Clos des Goisses. Mais sur la chair du homard, c’est le Corton-Charlemagne qu’il nous faut ! Le nez de ce vin est terrifiant de suprématie. On le sent comme un Attila prêt à kärcheriser toutes les plaines de France. Ce qui me fascine, c’est qu’au-delà du poivre, on sent de la menthe dans ce vin à la folle fraîcheur. Le plat est bon, mais le vin capture notre attention. Chaque gorgée est une découverte nouvelle. Jamais nous ne pourrons saisir toutes ses facettes. Il y a du fort citron, sur des épices rares, et une longueur inespérée. C’est un cadeau du ciel qui repousse dans les 18 mètres tout autre vin blanc.

Les asperges blanches, coulis de citron, amandes caramélisées, orange amère, cumin sont magnifiquement faites, et ce sont les amandes qui captent l’attention du vin.

C’est avec le turbot vapeur, girolles aux amandes, abricot et arroche que le Corton-Charlemagne prend sa véritable dimension. Le vin est irréellement bon. Et le plat ne lui rend aucun point. Un turbot comme celui-ci est à se damner, car s’il a la texture d’un turbot, il n’en a pas la pesanteur. C’est un exercice de style d’une rare délicatesse.

Alors qu’il eût fallu continuer avec le blanc sur le travers de cochon fermier laqué, petits pois cuisinés au chorizo, c’est sur le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 2000 que nous prenons de plein fouet le gras délicieux du porc et la force pénétrante du chorizo. Le nez du vin rouge est d’une richesse joyeuse. C’est une affirmation en coup de poing. En bouche, ce vin délicieux est quand même désavantagé par la mémoire du vin de Coche Dury.

Heureusement, la selle d’agneau grillée, chou pointu au soja noir, condiment curry noir et ail noir, le plus beau plat à mon goût, surtout à cause du chou fumé comme au feu de bois, permet au Châteauneuf de trouver son assise, riche, simple, lisible et de briller. C’est un vin riche, doucereux dans son expression, assez simplifié, de grand plaisir. Il met encore plus en valeur la brillante complexité du Coche-Dury.

Nous attendions une suite pour finir le vin rouge, mais la messe était dite, avec des délicatesses de fin de repas : piment et citronnelle en sorbet / Cappuccino amande, feuille de riz grillé, cerises au Kirsch / Sorbet au sureau et gelée de sureau / Tartelette framboise, crème au thé vert / Lait de poule au jasmin / Fruits frais / Madeleines au miel de châtaignier.

Pascal Barbot a fait une fois de plus la démonstration de son immense talent, surtout avec deux plats, le turbot et l’agneau. Des trois vins, c’est de loin le Corton-Charlemagne qui a démontré qu’il est capable de rivaliser avec la dextérité de Pascal Barbot. Lequel des deux est le plus complexe ? En une période où la France débute par des matchs nuls, nous les mettrons ex aequo, Pascal et Jean-François Coche-Dury.

Nous avons passé un moment de rêve, avec des accords chair et vin ou sauce et vin délicats à merveille. J’ai eu ce soir, au-delà du plaisir de l’amitié, de grands moments de jouissance, quand plat et vin se complètent en une harmonie subtile, où chaque saveur ajoute une strophe au poème gastronomique. Turbot et Corton Charlemagne, puis chou fumé et Hommage à Jacques Perrin, ce sont deux mariages de la plus haute gastronomie.

Rayas à la Grande Cascade lundi, 14 juin 2010

Déjeuner au restaurant de la Grande Cascade à mi-juin, c’est l’espoir d’être en terrasse, face aux arbres centenaires. Raté ! Il y a trop de nuages lourds. Mais la salle est si belle que la souffrance n’est pas vive. L’atmosphère de ce restaurant est toujours agréable, dépaysante, hors du temps.

Le vin choisi pour ce repas est un Château Rayas, Châteauneuf-du-Pape 2001. Sur un amuse bouche où des asperges sont plongées dans une émulsion crémeuse, le Rayas cohabite bien. Car rien dans le plat ne crée en lui une répulsion.

Sur une entrée aux morilles, sot-l’y-laisse et ris de veau, avec une sauce crémée tendue par un léger vin jaune, le Rayas, au nez follement bourguignon mais à la bouche rhodanienne gagne une opulence, une assise et une maîtrise spectaculaires.

Sur un pigeon à la chair douce et intense, le Rayas expose noblesse et raffinement. Il est immense. Les quelques gouttes restantes ne gagnent rien à être associées à un saint-nectaire qui laisse le vin indifférent.

Ce vin me plait énormément car il est insaisissable. Chaque gorgée est une nouveauté. Bien sûr, il y a un squelette de vin structuré sur l’élégance, avec une légère amertume. Mais le vin est capable de changer. Opulent sur la morille, raffiné sur la chair du pigeon, ce vin qui ne cesse de surprendre plait à mon cœur.