Voyage au Japon jeudi, 18 novembre 2010

Voyage au Japon avec Tomo et Akiko

14/11/2010 – le départ

Nous partons ma femme et moi pour un séjour au Japon. Prendre en voiture l’autoroute du nord vers Roissy, c’est emprunter une voie d’une saleté indigne. Est-ce que les princes qui nous gouvernent savent que cette voie que les visiteurs étrangers voient de leurs taxis ou bus donne une image de la France qui est dévalorisante. Le terminal 2E de Roissy est une fourmilière qui bourdonne. Et l’on remarque qu’il y a une recherche de la réduction des coûts afin de contenir les charges de ces organisations gigantesques. Et la variable d’ajustement, c’est le client. Il n’y a pas la recherche de la satisfaction du client mais la recherche de la productivité. On fait la queue partout. Aussi, quand une employée qui scanne les bagages à main a envie de s’octroyer un petit arrêt, les voyageurs qui ont leurs effets et bagages dans le tunnel de contrôle se regardent avec un sourire entendu qui signifie : "c’est ça la France", cette France des grèves et de l’attente d’une retraite précoce. Lorsque nous donnons nos bagages, ma femme surprend une phrase de notre hôtesse à sa voisine disant qu’elle se sent mal. Ma femme lui dit : "au moins, enregistrez tous nos bagages". Et l’hôtesse lui répond : "ma santé d’abord". La France, grande destination touristique, devrait penser que le souci de la satisfaction du client s’impose comme une grande cause nationale, dans un pays pour lequel le tourisme a tant d’importance.

Nous entrons pour la première fois dans l’Airbus A 380. En classe affaires, l’espace est vraiment bien distribué, ce qui est fort agréable. Le service des hôtesses tout au long du voyage a été de qualité ce qui doit être signalé. La nourriture est bonne, astucieuse, et mérite des compliments. Et le champagne Duval-Leroy est très agréable. Aucune critique ne peut être faite et au contraire, ce sont des encouragements qui sont justifiés.

15/11/2010 – Liliane, ma valise !

Nous arrivons à l’heure dite et les bagages se présentent sur le tourniquet. Cela fait dix bonnes minutes que nous avons reçu nos trois premières valises, et la quatrième n’arrive toujours pas. Lorsque plus rien ne tourne, force est de constater qu’il manque une valise. C’est celle dans laquelle se trouvent tous mes vêtements. Le service des bagages perdus est fort aimable, et nous voyons qu’une valise qui n’a pas été emportée par un voyageur ressemble vaguement à la mienne. Comme il est avéré que ma valise a embarqué avec nous, quelqu’un a commis une méprise. Il faudra bien quatre heures pour que j’apprenne que c’est un français en voyage au Japon qui a fait la confusion.

Nos amis japonais, qui ont partagé plusieurs repas de grands vins avec nous, nous attendaient à l’aéroport. Ils nous ont fourni une aide précieuse. Nous nous rendons à l’hôtel Park Hyatt en traversant Tokyo. Cette ville est gigantesque. Ce qui frappe, c’est son caractère industrieux. Elle fourmille.

Ma valise arrive enfin, six heures après notre arrivée. Des choses simples peuvent représenter des bonheurs importants, comme de prendre une douche en sachant que je me vêtirai de frais. Nous allons prendre le thé dans un salon de thé au sein de l’hôtel. Nous chancelons en rentrant dans notre chambre, assommés par le décalage horaire.

15/11/2010 – sushis puis bar pour les hommes

A 18h30, nous sommes prêts à partir pour un restaurant de sushis, le Ginza Kyubei. Tomo et Akiko ont une grande voiture noire de six à sept places, confortable comme une limousine. Les chromes abondent et le design est résolument moderne. Le chauffeur nous conduit à travers Tokyo illuminé. Tout est gigantesque. Lorsque nous quittons les grands axes pour entrer dans un quartier animé, tout redevient à taille humaine. Le petit immeuble porte une enseigne en japonais qui n’indique en rien qu’il s’agit d’un restaurant. Nous empruntons un couloir étroit et nous constatons sur un tableau que le restaurant est installé sur six étages. Notre table est au dernier étage. Des cloisons séparent des espaces où un large comptoir en forme de U entoure la table de travail d’un chef. Il y a une bonne dizaine de places et nous avons la chance qu’un groupe complet quitte la table au moment où nous arrivons. Nous serons seuls face au cuisinier pendant plus de la moitié du repas. Il n’aura donc que nous comme spectateurs de son talent.

Nous commençons par des œufs de saumon crus de gros calibre. Le dépaysement commence. Ensuite, ce sont des poissons crus comme le turbot et la daurade, puis du hareng, une arête d’anguille, puis une brochette de foies de congres. Des crevettes grillées viennent ensuite, annonçant l’entrée de deux thons rouges dont l’un très persillé. Nous avons ensuite des oursins jaunes et un tartare de petit maquereau. Les clams sont délicieux. Après ces hors-d’œuvre vient le moment du riz. Dans un restaurant japonais à New York, un cuisinier m’avait impressionné par son art de manier les couteaux, à la façon d’un lanceur de poignards, car les couteaux lancés en l’air atterrissaient dans sa toque. Là, pas de ces shows ostentatoires. Le cuisinier discret a une habileté manuelle proche de celle d’un prestidigitateur. Il sort de ses mains des sushis qui sont de pures merveilles. Tout est bon. Nous mangeons des ormeaux délicieux. Une redite des oursins nous enchante et le festin se termine par des papayes tout simplement.

Pour accompagner ce repas quoi de mieux que le champagne Dom Pérignon 2000. C’est un Dom Pérignon léger, gracile, mais qui convient exactement à ce type de mets. Tomo a une belle descente, et je ne veux pas le laisser seul, aussi la bouteille est vite finie. Nous résistons à l’idée d’en prendre une deuxième, car notre séjour sera long. Aussi poursuivons-nous au saké puis avec un verre de Pouilly-Fuissé sans grande inspiration.

Pendant notre dîner, une jeune femme quasiment invisible, suivant nos progrès derrière nous se précipite telle la mouette avide pour enlever avec une immédiateté confondante chaque plat, coupelle et même chaque miette qui gâcherait l’équilibre d’ensemble. Et presque à chaque plat une nouvelle serviette chaude permet de se rafraîchir et nettoyer les doigts. Le propriétaire du lieu, qui est chef mais aussi professeur de cuisine auteur de quelques traités de cuisine est venu nous saluer; Nous avons bavardé de sujets de cuisine avec une grande compréhension mutuelle. Cet homme est passionnant.

Lorsque l’on sort du restaurant, les rues sont actives comme en plein jour, beaucoup de personnes sortant à peine de leurs bureaux. De retour à l’hôtel, Akiko reste près de mon épouse qui veut fumer et Tomo m’entraîne dans un bar au 52ème étage. Là, un petit groupe de musiciens joue pour accompagner une chanteuse qui interprète des standards avec une voix agréable. Le bar est bondé. Tomo me suggère un whisky japonais de 1982 Suntori Vintage Malt Single Malt qui est très bon, avec une douceur proche des whiskeys. Tomo apprécie ce bar et cet échange de boissons en fin de soirée est très amical.

16/11/2010 – Fuji Yama, Tokyo et Robuchon

Un sommeil réparateur est le bienvenu. En tirant le rideau, que vois-je ? Le Fuji Yama. Wow ! Quelle impression. La majesté de cette montagne est impressionnante, même de loin. Un nouveau jour se lève. Cette vision promet du bonheur.

Nous partons visiter la ville et nous nous arrêtons dans le quartier d’un temple bouddhiste où des échoppes proposent des articles pour touristes qui ressemblent à toutes les échoppes du monde entier où l’on pratique l’art des vases communicants : à côté de l’excellence et de l’art, le mauvais goût pousse comme du chiendent. Nous allons ensuite prendre un petit encas dans le "salon de café" de Shiseido Parlour, destiné aux clients de cette société de luxe. Nous allons ensuite au Kiddy Land shop pour acheter les cadeaux indispensables pour les petits enfants.

Une sieste réparatrice et nous nous habillons de frais pour aller au restaurant Joël Robuchon in Tokyo. L’avenue qui est en enfilade du château "à la française" où nous allons dîner est bordée d’arbres illuminés de myriades de petites lumières, car la parade de Noël est déjà commencée à Tokyo. Au centre de l’allée, dans une partie couverte, un imposant lustre de Baccarat scintille de tous ses cristaux.

Nous arrivons dans ce petit château classique très "Moulinsart style", et au premier étage, la salle très élégante est habillée de noir et d’or, couleurs que l’on retrouve dans la salle à manger de Joël Robuchon à Las Vegas. Nous sommes assis à une table confortable et un chariot de champagnes se présente immédiatement pour nous tenter. On distingue plantés dans la glace les plus beaux fleurons du vignoble champenois. Nous préférons boire une bouteille à consommer au verre. Nous demandons la carte des vins, et avec Tomo il nous faut au moins dix minutes pour faire notre choix, car les prix jouent un rôle dissuasif. Tomo me propose un champagne très apprécié des japonais que je ne connais pas et la jeune sommelière approuve son choix, aussi dis-je oui. C’est un Champagne Alain Robert Tradition, Mesnil "non pareil" 1990. Tomo en dit du bien. Allons-y.

La jeune sommelière me fait goûter et le nez indique une amertume acide durable. Que faire ? J’opte pour le silence. Je goûte et le champagne me semble déstructuré, amer, mais buvable. Tomo confirme le manque de final et d’équilibre. Ces critiques portent sur un champagne qui a de l’intérêt, mais pas ce que nous attendons.

Nous avons le choix entre trois menus. Un très long menu dégustation de douze produits traités par les deux chefs du lieu, un menu d’automne et un autre menu plus court sans titre. Après mûre réflexion, nous choisissons le menu d’automne qui est ainsi présenté : le caviar, dans une délicate gelée recouverte d’une onctueuse crème de chou-fleur / le duo de foie gras et d’artichaut violet en salade mêlée aux copeaux de parmigiano reggiano et "tartufi di Alba" / la langoustine cuite en ravioli au chou vert avec une râpée de truffe blanche / le turbot meunière au céleri d’automne avec son jus aromatique / le poulet fermier ivre de Château Chalon mitonné doucement en cocotte, fricassée de craterelles, de girolles et ce cèpes au jus / le sucre soufflé avec une crème brûlée au caramel et glace à la vanille.

Il nous faut choisir un deuxième vin et nous hésitons longtemps, car le facteur prix n’est pas négligeable. Après avoir suggéré chacun deux ou trois hypothèses, Tomo et moi tombons d’accord sur un Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1990. L’idée de boire les deux champagnes ensemble et de voir le Dom Pérignon servir de béquille au Alain Robert nous tente.

Le champagne Alain Robert, en s’ouvrant dans la coupe, va montrer ici et là des saveurs pleines de grâce. Il y a eu quelques inspirations sur un fond qui n’est pas très équilibré. L’avantage, c’est qu’il a mis en valeur un Dom Pérignon glorieux. Sa bulle est envahissante et possessive, du fait de son dégorgement récent. Le nez est aussi conquérant que la bulle, capturant nos narines conquises par ses accents de pêches et de fruits blancs. En bouche, c’est la fanfare, la joie que Jésus a laissé demeurer, et c’est, par le contraste que crée la comparaison, une longueur débordante. Ce champagne est glorieux et montre la qualité extrême des vins qui le composent.

Lorsque nous sommes servis du premier champagne, aucun petit amuse-bouche ne vient titiller notre palais. Vient ensuite une assiette à pain où une cavité abrite de l’huile d’olive. Un pain blanc arrive ensuite mais plus tard. Lorsque mon pain est fini, j’attends une réaction qui ne vient pas. Un maître d’hôtel vient nous expliquer tous les pains possibles et nous demande d’en choisir. Malgré des allusions d’une netteté sans ambiguïté sur le fait que j’aimerais bien du pain, il me faut encore attendre avant que mon premier pain ne soit remplacé.

La coupe de caviar arrive sur un plateau où un petit carton indique, afin que nul ne l’oublie : "Le Caviar par Joël Robuchon". Il y a un peu du Paul Bocuse dans cette présentation. Ce plat emblématique de Joël Robuchon est délicieux, et nous fait entrer dans le monde que je révère du talent de ce grand chef. La langoustine est précise et élégante. Le troisième plat nous fait reculer de trois cases, car la multiplication des saveurs n’apporte rien à l’équilibre du plat. Le parmesan est un peu facile, voire inutile, et l’accord le plus pur est entre le foie gras délicieux et la truffe blanche. Sur cet accord merveilleux, les deux champagnes tirent le meilleur d’eux-mêmes.

Le turbot est grand, et c’est surtout sa sauce, dans le style Robuchon que j’adore, qui fait briller sa chair. Le moment d’extase, puisqu’avec Joël Robuchon il en faut toujours un, c’est le poulet. Ce plat est merveilleux et explique une fois de plus pourquoi je déifie ce grand chef. Les champignons sont croquants à souhait et l’ail se déguste comme un bonbon. Le plat appelle un rouge aussi, vite, vite, un verre de Morey-Saint-Denis premier cru Clos Sorbé Frédéric Magnien 2005 arrive pour le soutenir. Quel bonheur que ce joli pinot noir frais, authentique, direct, qui ne cherche en rien à surjouer, mais s’adapte à notre envie.

Les deux desserts sont délicats. Une infusion servie "à la Ducasse", en cueillant les feuilles odorantes dans leurs pots permet d’être gourmand avec le chariot de mignardises tentateur.

Nous allons saluer le chef en cuisine et le féliciter. Dîner dans ce palais à la décoration chaleureuse et même audacieuse puisque les lambris sont cloutés de cent mille diamants Zwarowski, est un privilège. Nous avons goûté des plats merveilleux. Le service est attentionné, mais pourrait mieux faire. Je n’ai pas eu une émotion aussi intense qu’à Joël Robuchon Las Vegas, mais nous sommes dans l’excellence. La chose la plus importante, c’est que retrouver le talent d’un grand chef avec nos amis japonais renforce encore un peu plus cette amitié.

17/11/2010 – train à grande vitesse pour Kyoto – hôtel

Le ciel est opaque lorsque nous nous réveillons. Pas de Fuji Yama. Nous faisons nos valises en séparant nos affaires en deux : pour chacun de nous, une valise restera sur place car nous reviendrons à Tokyo, et l’autre nous accompagne à Kyoto puis Fukuoka. Le chauffeur nous conduit à la gare du train à grande vitesse. La gare est d’une propreté saisissante. Il y a un grand centre commercial en son sein, bien achalandé, lui aussi d’une propreté à signaler. Cela me conduit à réfléchir à ce que je retiens de cette ville. Elle est immense, quasi infinie. Il y a des chantiers partout où l’on travaille jour et nuit, comme à New York. Dans les rues, tout le monde est actif. On ne voit aucun oisif ou très peu. Les gens sont correctement habillés, chacun avec son style propre. Cette ville vit et donne l’impression de s’assumer, et c’est ce qui me paraît la plus grande différence avec Paris et alentours, où l’on accepte l’oisiveté, les quartiers incontrôlables et la saleté, comme si notre pays s’abandonnait.

Avant le départ du train une équipe de nettoyage s’agite avec efficacité. Nous entrons et partons à l’heure. Les contrôleurs se courbent devant chacun avec un sourire. On nous propose des serviettes rafraîchissantes. L’urbanité des rapports entre personnes est très agréable. Nous arrivons à Kyoto dans une gare d’une propreté remarquable. Une jeune femme nous attend avec une pancarte au nom de nos amis. Son taxi est très spacieux. Nous traversons Kyoto, ville dont les immeubles sont beaucoup plus bas qu’à Tokyo. Dans de petites rues, des commerces de proximité sont d’une grande diversité et contrastent avec l’idée qu’on se fait d’un Japon moderne. Les rues se rétrécissent et le long d’un cours d’eau, une foule immense se promène. L’automne donnant aux feuilles des arbres des couleurs irréelles, de rouges et jaunes vifs que l’on ne rencontre qu’ici, des nuées de touristes viennent contempler le spectacle coloré.

Notre jeune taxi woman emprunte un chemin sur les rives qui devient de plus en plus étroit. Devant un petit pont infranchissable, elle recule et nous constatons sur la signalétique que le chemin est interdit aux voitures. Elle recule encore et nous dépose devant un débarcadère. Nous allons rejoindre notre hôtel sur un petit bateau plat au moteur silencieux qui croise des barques où des japonais rament en promenant leur belle comme on le fait au Bois de Boulogne. Après quelques minutes de trajet paisible, nous accostons à notre hôtel, le Hoshinoya Ryokan Kyoto. Un ensemble de maisons traditionnelles japonaises est implanté à flanc de coteau le long de la rivière, resserrée à cet endroit. Les chambres ne sont pas encore prêtes, aussi prenons-nous un café à la bibliothèque qui fait office de réception. Nous passons ensuite devant l’entrée d’une pièce commune où une jeune fille interprète en percussion des musiques de bienvenue.

Notre chambre est la plus belle de l’hôtel, une chambre traditionnelle japonaise, ou plutôt un appartement, où l’on doit se déchausser à l’entrée. Du salon comme de la chambre, nous avons une vue saisissante sur la rivière en contrebas, au travers de branches dont les feuilles ont des couleurs d’un rouge carmin ou d’un jaune doré. C’est saisissant. Hélas il nous faudra la rendre demain, car la chambre la plus prisée de l’hôtel est réservée depuis longtemps. Profitons-en pour quelques moments de pur bonheur.

17/11/2010 – restaurant spécialisé dans le wagyu Kobe beef

A 18 heures, le bateau nous attend, puis un taxi, pour nous conduire à un restaurant spécialisé dans le bœuf Wagyu. Nous traversons la ville au nombre de piétons assez invraisemblable. Toutes les rues sont abondamment illuminées et tout à coup, nous entrons dans une rue sombre aux éclairages chiches. Le taxi s’arrête. Imaginer qu’ici il y ait un restaurant est quasi impossible, surtout quand on ne sait pas lire le japonais. Le restaurant Isshin est tout petit, tout au plus 25 places, mais il est couronné de deux étoiles Michelin. Au fond de la salle, que nous ne pouvons pas voir, il y a deux tables où l’on se rend après avoir enlevé ses chaussures. L’espace à l’entrée ne compte que huit places assises, alignées le long d’un comptoir, en prise directe avec la cuisine que le chef réalise devant nous. Alors qu’au restaurant de sushis un contact s’était immédiatement créé avec le cuisinier, le chef, caché derrière ses lunettes américaines de grand prix, est d’un mutisme total, ne portant pas un œil vers ce qui se passe de l’autre côté du comptoir.

Nous commençons par du bœuf mariné avec des pommes de terre et de minuscules lentilles. La chair du bœuf Wagyu est d’une tendreté admirable. Je suis fou de cette viande. Le plat suivant est en trois parties. Dans une coupelle, un champignon et des tripes de bœuf. Dans une deuxième, la chair du bœuf cuite sous vide, et dans la troisième la chair cuite à basse température et poivrée. La cuisson sous vide donne une chair fondante délicieuse que je préfère alors qu’Akiko opte pour le bœuf au poivre. Nous avons ensuite un potage de queue de bœuf avec des morceaux de queue dans un tufu. Dans la soupe trempe un champignon délicieux dont Tomo me dit qu’il est aussi rare que la truffe. Le carpaccio de bœuf Wagyu au poivre rose est une merveille. Une saveur comme celle-là est unique au monde. Dans la carte des vins bien chiche, après une bière Yebisu pure malt très légère, nous avons choisi un Cloudy Bay Pinot Noir Nouvelle Zélande 2008, vin simple sans prétention qui suit bien la saveur du bœuf.

Le plat suivant est une langue de bœuf crue traitée en tartare que chacun prépare lui-même. Le chef, qui s’est soudain déridé dès que Tomo a dit que nous étions hier chez Joël Robuchon, nous dit que Joël Robuchon est venu dîner chez lui et qu’il considère que le plat de langue de bœuf ne marcherait jamais en France. Or nous l’aimons. Ce n’est pas extraordinaire, mais c’est une expérience qu’il faut avoir tentée. Ce plat est suivi par une queue de bœuf en sauce avec une pomme de terre. La chair grasse est délicieuse. Le plat suivant est composé de trois préparations : à nouveau du bœuf mariné mais d’une autre façon, un sushi de chair de Wagyu et un autre sushi de la même viande préparée autrement. C’est bon, mais cela fait plus sushi que Wagyu. Vient ensuite une composition originale de chair très marinée avec des pommes de terre, des oignons, et un jus de bonite séchée. Mais le bonheur extrême, c’est quand un steak de Wagyu est juste grillé sur une plaque et proposé tel quel. Il y a des à-côtés bien sûr, mais c’est cette chair là que je souhaitais. Elle est là. Quel bonheur. Le chef, de plus en plus sociable, rit de mon enthousiasme. Aussi, sur ma demande, un steak entier de cette viande rare m’est proposé. Je m’en délecte avec gourmandise.

Le chef nous explique que si son restaurant est aussi petit, c’est parce que l’offre d’une viande de qualité absolue représente une quantité tellement faible qu’il a calibré le restaurant sur ses possibilités d’approvisionnement. Nous sommes ici au niveau du sommet d’un Fuji Yama de la viande de bœuf. Mes amis prennent ensuite un bouillon traditionnel que je ne goûte pas tant je veux garder en bouche la mémoire de cette viande divine. Nous finissons sur une crème brûlée et un sorbet au kaki exceptionnel.

Je suis photographié avec le chef et son épouse dans son restaurant et devant son enseigne à l’extérieur. Nous échangeons nos cartes. Ce repas est un des plus émouvants et dépaysant de ma vie.

Un taxi nous attend et nous conduit à l’embarcadère d’où nous avions rejoint l’hôtel en bateau. Comme la nuit est noire le bateau est exclu aussi une jeune et jolie conductrice nous emmène sur une voiture plus étroite que notre précédent taxi au dessus du petit pont qui paraissait infranchissable. Nous frôlons les rives et à tout moment un pneu pourrait quitter l’étroit chemin. On nous dit que l’on croise parfois des daims et des singes sur cette route confidentielle. Nous arrivons à notre hôtel avec l’envie que notre nuit soit bercée du souvenir d’un repas féerique, l’un des plus étonnants que nous ayons vécus.

18/11/2010 – visite de Kyoto

A 8 heures, une jeune femme portant un lourd sac noir s’installe dans le salon qui jouxte notre chambre pour préparer le petit déjeuner. Ma femme a pris un petit déjeuner continental et j’ai pris un petit déjeuner japonais. La serveuse est rejointe par un jeune homme qui l’aide à tout disposer. Après quelques minutes le jeune homme s’efface et la jeune fille nous appelle pour nous indiquer le mode d’emploi. Je peux goûter un saumon cuit accompagné de riz et de petits légumes, et dans une grande coupelle une soupe mijote, avec de nombreux légumes régionaux. Je pourrai si j’en ai l’envie y casser un œuf et ajouter du riz. C’est un petit déjeuner délicieux et léger, pris au niveau d’une table très basse. Le dépaysement, si nous n’en avions pas encore conscience, s’épaissit pour notre plaisir. Pendant le petit déjeuner nous nous complaisons de regarder les feuilles des arbres et le cours d’eau aux couleurs de pastels japonais. Il est inutile de dire que nous sommes heureux.

A dix heures, nous prenons le petit bateau qui nous emmène en dix minutes à l’embarcadère où un chauffeur de taxi en gants blancs nous attend, avec une grande limousine impeccable. Chose absolument incroyable, il a dessiné lui-même et daté de ce jour deux plans. Un plan de Kyoto dans sa région, allant jusqu’à la baie d’Osaka, et un plan détaillé du centre de Kyoto indiquant tous les spots présentant de l’intérêt. Contrairement à tous les chauffeurs jusqu’à maintenant, celui-ci fait plus guide que chauffeur. Il est d’une rare érudition et en fait parfois un peu trop.

Nous visitons le Ryoanji Temple qui contient le fameux jardin des quinze rochers. Au niveau du jardin, l’homme ne peut jamais contempler les quinze pierres. Il peut en voir au maximum treize, ce qui montre bien que l’homme ne peut pas avoir la connaissance complète des choses. La vision globale n’est possible que du ciel, siège des dieux. Les jardins japonais sont des bijoux de construction et les couleurs d’automne transcendent leur charme. Nous allons ensuite au Kinkakuji Temple dont le jardin est encore plus beau. Comme par enchantement, devant le temple doré de deux cent mille feuilles d’or, sur un petit rocher au milieu de l’étang, un héron regarde les milliers de visiteurs qui le photographient en premier plan du palais doré. Et, tel l’acteur qui cabotine, le héron pêche un poisson comme pour remercier la foule qui l’admire.

La promenade dans ce jardin est propice à la méditation. Notre chauffeur guide nous explique que les pierres d’un petit ruisseau ont été placées de telle façon que le ru chante une musique, la mélodie de l’eau. Tout est raffiné. Chaque plante a sa place, chaque taille de feuille, voire même chaque couleur d’automne ont leur place et leur justification. L’élégance japonaise s’exprime de la plus belle des façons. Comme il se doit nous avons frappé un gong puis fait une prière, nous avons jeté des pièces de monnaie là où cela porte bonheur.

Après un bref déjeuner sans histoire les femmes ont fait du shopping et les hommes ont rejoint l’hôtel. J’ai pris un bain dans une baignoire en bois avec des sels qui purifient mon corps. Il faut être frais et beau, car ce soir, ce sera mon premier trois étoiles japonais.

18/11/2010 – Arashiyama Kitcho Kyoto

A 18h30 le bateau nous emmène à l’embarcadère mais avec une nouveauté : on nous propose sur le bateau un apéritif qui est offert, non pas par l’hôtel mais par le restaurant où nous allons. Il s’agit d’un cocktail maison où je peux imaginer qu’une grappa aurait fauté avec un jus de citron et un sirop de fruits rouges. Un taxi nous attend pour nous conduire au restaurant Arashiyama Kitcho, dont le chef est Kunio Tukuoka, situé de l’autre côté de la rivière, à faible distance.

Le taxi se gare dans une minuscule cour entourée de bambous. Nous laissons nos chaussures au seuil et sur le chemin vers la salle, une femme assise sur ses talons se courbe jusqu’au sol en signe de bienvenue. Nous entrons dans une immense pièce de plus de cent mètre carrés, vide de toute décoration aux murs comme au sol à l’exception d’un panneau de tissu mural sur lequel est inscrit "l’automne", près duquel une composition florale Ikebana suggère l’automne.

Dans cette pièce quasiment vide, une table basse noire laquée est placée au centre avec quatre sièges bas. Nous dinerons seuls dans un espace immense. De jeunes serveuses nous invitent à nous asseoir. Avec Tomo, nous avions déjà choisi sur le site internet les vins de ce dîner. La carte des vins est très maigrelette pour un trois étoiles, et les prix interdisent de prendre ce que l’on aimerait. Nous nous étions orientés vers les champagnes au sein desquels le plus grand de tous est à un prix qui nous dissuade tous les deux. Nous avions pensé commencer par un champagne que nous connaissons or dans la carte des vins, un petit encart Dom Pérignon propose le 2002 avec les étiquettes Andy Warhol. Je suis ‘vexé’ que Richard Geoffroy ne m’ait pas invité aux cérémonies du lancement de ce nouveau millésime, aussi mon amicale revanche sera de découvrir son nouvel enfant au Japon dans l’un des plus fameux restaurants du pays du Soleil Levant. L’autre champagne sera Salon 1996. On nous demande quelle couleur nous aimerions avoir de Warhol. Pour créer un lien avec le Salon dont l’étiquette est verte, nous choisissons le Champagne Dom Pérignon étiquette verte 2002. On nous propose des verres Baccarat spécialement dessinés pour ce restaurant qui sont d’une grande beauté. Une femme que nous supposons être l’épouse du restaurateur, habillée dans un kimono élégant, aux cheveux impeccablement rangés selon une coiffure traditionnelle, à la peau du visage blanche et lisse et au regard impénétrable s’assied sur ses talons à côté de nous et fait ouvrir les bouteilles des deux champagnes que nous boirons simultanément.

Le menu va nous entraîner dans un voyage irréel où les présentations des plats sont des œuvres d’art, servis dans des pots de terre, des faïences et des porcelaines qui sont des antiquités. Tomo me prévient de ne casser aucun objet car certains valent des fortunes. Voici le menu dans son intitulé en anglais :

The Starter : Japanese persimmon salad with several vegetables dresses with vinegared jelly Botargo with Japanese turnip / The soup : crab’s brown cream flavored soup with snow crab and slightly grilled bean curd / The first sashimi : Japanese blowfish with soy sauce and liver sauce / The second sashimi : Japanese lobster with soy sauce, sesame and ginger flatty flesh of tuna fish with soy sauce / The side dish : snow crab / The appetizer : abalone with vinegar sauce, pickled salmon roe and vegetables with soy sauce, vegetable caviar with chicken, shrimp, ox tongue, seabram roll, barracuda fish’s sushi / The grilled food : grilled butterfish with soy sauce flavored Japanese lemon, chestnut and ginkgo nut and Shiitake mushroom / The seasonal food : fried and steamed To-fu products, potato, pumpkin and spinach / The rice : cooked rice with shimezi mushroom and grilled beef / The pickled : salt pickled Japanese turnip, salt-pickled Japanese special turnip, salt-pickled Japanese spinach / The dessert : melon, pear, raspberry, grape and persimmon / The sweet : Japanese sweet confection made of chestnut.

Il est difficile de décrire tous ces plats qui sont un festival de beauté et de saveurs. C’est un voyage dans la beauté, dans la subtilité de la création japonaise. Les serveuses si on peut appeler ainsi ces femmes qui sont plutôt des accompagnatrices de notre périple, ont dû rire sous cape en m’entendant glousser de plaisir tant chaque nouveau plat révèle une imagination culinaire de très haut niveau. Il y a ainsi quelques chefs qui entraînent dans des voyages uniques : Ferran Adria, Marc Veyrat et Kunio Tokuoka.

Avec Tomo, nous nous sommes amusés à deviner lequel des deux champagnes convenait le mieux à une saveur donnée. Notre intuition a bien fonctionné, trouvant presque chaque fois la bonne réponse. Ce qui est étrange, c’est que lorsque l’un des champagnes colle parfaitement à un plat, l’autre ne cherche pas à rivaliser. Nous avons ainsi profité des deux, sans qu’ils n’entrent en compétition. Le Champagne Dom Pérignon 2002 va s’étoffer, mais il est déjà brillant, jouant sur son charme délicat qui convient à merveille aux saveurs japonaises. Le Champagne Salon 1996 impressionne par la finesse de sa trame, par sa définition et sa longueur. Comme il est conquérant, ce sont les saveurs plus douces qui lui conviennent le mieux. La flexibilité dans l’adaptation est plutôt du côté du Dom Pérignon, et la précision est du coté du Salon 1996. Les plats sont tellement bons, notre joie est telle que nous asséchons les deux champagnes qui n’ont plus rien à offrir vers la moitié du repas. L’heure est à la liesse aussi les limites que nous nous étions imposées tombent et nous commandons le Champagne Krug Clos du Mesnil 1996. C’est la splendide madame Tukuoka ou supposée telle qui nous sert le champagne et nous lui offrons un verre. Elle s’assied sur ses talons d’un mouvement d’une folle distinction et partage avec nous ce champagne splendide. Quel champagne ! Il transcende les deux précédents, car il a tout. Sa fraîcheur est citronnée, son parfum est d’une richesse extrême, sa bulle est un feu d’artifices, et sa longueur est infinie, perpétuant des complexités uniques. C’est un monument que ce champagne que l’on boit plus pour lui-même qu’en accompagnement, car ce seigneur ne partage pas la vedette.

L’accompagnatrice principale qui s’asseyait auprès de chacun de nous pour préparer nos assiettes est tellement gentille que je lui demande de se servir du Clos du mesnil et de manger avec lui un peu de châtaigne comme elle nous est présentée. L’accord est tellement saisissant qu’elle a presque des larmes aux yeux. Notre hôtesse reste à nos côtés pendant le dernier quart de la soirée et nous discutons avec elle de la cuisine de son mari. Elle nous offrira au moment du départ un gros livre dont il est l’auteur.

Nous ne savons pas si nous reviendrons un jour dans ce restaurant à l’originalité bouleversante. Aussi était-il important que nous associions à une cuisine parfaite trois champagnes que nous adorons : Dom Pérignon, Salon et Krug Clos du Mesnil. Etre installés dans une immense salle où nous sommes seuls, accompagnés par des hôtesses dont tous les gestes correspondent à une chorégraphie raffinée, avoir la chance que la prêtresse des lieux nous considère comme des hôtes importants et converse avec grâce avec nous, profiter de mets inconnus, aux saveurs dépaysantes et raffinées, tout cela crée un moment unique dont nous garderons un souvenir éternel.

Je dois dire cependant qu’entre ce restaurant à la perfection feutrée et le petit "bistrot" (si l’on peut dire pour un deux étoiles Michelin) de Wagyu, mon cœur penche vers le restaurant de viande. Mais la somme des deux sur deux jours est une expérience unique, inoubliable.

Lorsque nous rentrons à l’hôtel par le petit pont étroit, il nous faut faire demi-tour car une voiture vient en face. Il faudra plusieurs essais pour passer ce pont en marche arrière. Sur la route enfin libre des biches se promènent calmement. Les aplombs au dessus de la rivière font peur. Une nuit réparatrice sera la bienvenue.

19/11/2010 – visites et dîner à notre hôtel Hoshinoya Ryokan Kyoto

La nuit fut rude, car la consommation d’alcool fut élevée. Le petit-déjeuner japonais est infiniment plus sain que tout autre, consistant principalement en une soupe aux légumes et du riz. La jeune fille qui installe tous les composants du petit-déjeuner a un sourire qui barre presque tout son visage. Les femmes, qui n’ont pas bu de vin hier, sont parties de bon matin pour aller visiter des ateliers d’artistes en dehors de la ville. Le nombre élevé de paquets qu’il me faudra ranger ce soir dans notre chambre montre que l’intérêt de cette visite fut certain.

Lorsque nous allons partir en bateau, Tomo et moi, un grand singe curieux nous scrute du haut d’un arbre à l’intérieur de l’hôtel, pendant que deux ou trois autres singes restent à distance. Longtemps après que nous avons quitté l’embarcadère, une jeune hôtesse de l’hôtel continue d’agiter sa main levée avec un large sourire. Ces attentions ont quelque chose d’extrêmement chaleureux, voire touchant. Nous avons le même chauffeur guide qu’hier et j’avoue que l’étalage permanent de sa science sur tous les sujets et dans toutes les cultures me donne des envies de le dézinguer comme Raoul dans les Tontons Flingueurs. Mais il veut être aimé, car il m’a préparé un dessin vraiment artistique des temples et palais que nous pourrions visiter, ainsi qu’une carte de tous les sites qui élèvent des bœufs Wagyu. C’est une attention charmante.

Nous visitons le Palais Nijo, du nom d’un Shogun qui voulait être empereur à la place de l’empereur. Dans ce palais fortifié entouré de douves créé en 1603, des salles comportent 98 panneaux muraux peints de scènes d’une rare élégance. Des tigres stylisés sur fond de feuilles d’or, des branches de pins harmonieuses, des dragons, tout cela rappelle les estampes traditionnelles. Dans certaines salles des mannequins de plâtre en costumes d’époque imagent la vie des shoguns, lorsqu’ils reçoivent leurs vassaux ou lorsqu’ils vont dans le gynécée. Le jardin qui entoure le palais est d’une rare beauté, la position des pierres – cadeaux de vassaux de toutes les province – au milieu de la végétation créant des perspectives d’une ingéniosité confondante.

Un petit casse-croûte dans la Trattoria de l’hôtel Park Hyatt de Kyoto nous permet de faire la jonction avec nos épouses. Nous allons ensemble visiter le Sanjusangendo Temple qui possède la plus grande construction en bois du monde, de 130 mètres de long, réalisée dans les années 700 avec des techniques antisismiques d’une rare ingéniosité. Dans cet immense hall, 1001 personnages divins, des Kannon, dotés de quarante bras et mains tous différents sont alignés et gardés par 28 dieux provenant des mythologies de plusieurs pays, dont les sculptures sont saisissantes. Cette visite est d’une rare émotion.

Nous rentrons nous reposer à l’hôtel Hoshinoya Ryokan Kyoto et par chance, notre dîner se tiendra au restaurant de l’hôtel. Pas de bateau à prendre, et pas de retour angoissant sur la route escarpée. Il nous est demandé de revêtir un kimono fourni à tous les résidents de l’hôtel, ainsi qu’un manteau court, et de chausser des sortes de tongs japonaises, avec des socquettes dont le gros orteil est séparé des autres. Je fais des essais de toilette, et j’ai l’impression d’être aussi à l’aise qu’un garde de Buckingham Palace qui revêtirait la tenue des Evzones.

Nous sommes tous les quatre habillés de la même façon, avec un kimono gris clair et un court manteau noir. Tomo a réservé une jolie salle privée où une table de quatre est dressée. Le sol est chauffé pour réchauffer nos petits petons. Nous choisissons à la carte et mon menu est : crab vinegar salad / charcoal grilles beef / Hoshinoya special handmade buckwheat noodle / green tea and chestnut ice cream with fruits.

Tomo fait ajouter des tranches de viande de bœuf très persillé que l’on trempe en "tourne et retourne" ou "schabu-schabu" dans une soupe de légumes qui cuit sur des braises. C’est absolument excellent. Résistant à toute tentation je ne bois que de l’eau. C’est donc avec l’esprit clair que je m’endors pour la suite de nos aventures qui nous mènera demain à Fukuoka.

La suite du voyage au Japon se lit ici

141ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 11 novembre 2010

ajouté : Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998, en mémoire de Bernard de Nonancourt, récemment décédé

Champagne Charles Heidsieck 1955 (prévu, mais enlevé du fait de défections d’inscrits)

Champagne Krug 1988 (prévu, mais enlevé du fait de défections d’inscrits)

"Y" d’Yquem 1988

Chevalier-Montrachet Antonin Rodet 1987

Château Cheval Blanc 1955

Château Palmer 1959

Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982

Château Guiraud Sauternes 1971 (prévu, mais enlevé du fait de défections d’inscrits)

Château Filhot 1935

141ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 11 novembre 2010

Photos de groupe (trois vins ne seront pas inclus dans ce dîner, car nous ne sommes que six au lieu de 10 pour lesquels ce dîner était prévu)

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les bouchons

Emusion d’oursins / un autre amuse-bouche / Crevettes poêlées minute

Moules et girolles de Sologne / Encornets farcis et senteurs de Speck / Foie Gras poêlé

Perdreau rôti en cocotte / Fromages / Clémentines rôties.

141ème dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mercredi, 10 novembre 2010

Le 141ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Patrick Pignol. Nicolas, le fidèle sommelier qui a déjà servi le vin de neuf de mes dîners faits en ce lieu, observe une fois de plus cette opération et vient sentir les vins. Les parfums des deux bordeaux rouges sont capiteux et profonds, celui du Palmer 1959 étant plus riche que celui du Cheval Blanc 1955. Le souci vient de La Tâche 1982. Quand j’ai fait les photos des vins en cave, le vin me paraissait clairet. Je me suis demandé s’il y avait un début de dépigmentation mais il n’en était rien. La bouteille me paraissant convenable, elle avait été conservée au sein du groupe de vins. Lorsque je la prends en mains sous la lumière beaucoup plus crue que celle d’une cave, le liquide ressemble plus à un jus de grenadine qu’à un vin. J’ouvre le bouchon, plus fatigué qu’il ne le devrait dans sa partie haute, mais très convenable dans sa partie basse. Le nez du vin n’est pas très expressif mais pas désagréable. Je verse un peu dans un verre et la couleur est manifestement trop claire. Au goût, le vin n’est pas à rejeter, mais il n’exprime rien. Pour moi la cause est entendue, le vin est mort. Le Filhot 1935 a un parfum miraculeux.

La liste des vins a été prévue pour une table de dix personnes, comme à l’accoutumée. La date ayant été mal choisie puis que nous sommes la veille d’un jour férié, nous ne serons que huit. Parmi les inscrits il y a un couple d’amis marocains dont la femme a demandé que mon épouse assiste au dîner pour qu’elles puissent deviser sur des sujets dont le vin n’est pas l’épicentre. Or ma femme ne boit pas. Nous ne serons que sept buveurs. Bernard de Nonancourt étant décédé une semaine avant ce repas, j’avais jugé opportun que nous rendions un hommage à sa mémoire en début de repas, aussi ai-je ajouté un champagne Laurent Perrier au programme. Sept buveurs et onze vins, c’est un peu trop. Je décide donc de ne pas ouvrir le Guiraud 1971. Dix vins pour sept, c’est encore beaucoup. Mais nous avons un jour férié à suivre pour nous reposer.

Toutes les bouteilles sont ouvertes, sauf les champagnes, et c’est alors que je reçois un appel téléphonique. L’amie marocaine est bloquée à l’aéroport car dans la zone internationale elle s’est fait voler son passeport. Par ailleurs son mari qui est à Paris s’est alité car il ne se sent pas bien. Les coups de fil s’échangent, la volonté de venir est là, mais au fil des heures une évidence s’imposera : ils ne viendront pas.

Reprenons donc notre équation : huit personnes dont sept buveurs moins deux, cela fait une table de six dont cinq buveurs. Dix vins pour cinq, cela commence à ressembler à un combat inégal. Un ami français vivant en Australie, fidèle de mes dîners, étant venu me rendre visite au restaurant de Patrick Pignol, je lui demande s’il peut se libérer pour participer au dîner. Il a réservé dans un autre restaurant pour retrouver deux amis. Il semble difficile de modifier son programme.

La variable d’ajustement, ce sont les champagnes qui ne sont pas ouverts. N’ayant aucune envie de supprimer l’hommage que je veux rendre à Bernard de Nonancourt, ce sont les deux autres champagnes qui seront sur la touche. Nous sommes donc dans la formation suivante : cinq buveurs et huit vins. Courage !

Sur les six présents il y a trois nouveaux. Quand j’annonce la très certaine mort de la Tâche 1982, la tristesse se lit sur les visages. Nous sommes prêts à passer à table. Nous prenons l’apéritif sur le Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998, dont le prénom est celui d’une des filles du regretté président de Laurent Perrier. Le champagne lui-même rend hommage à ce grand personnage du monde du vin, car c’est certainement le meilleur que je n’aie jamais bu de cette cuvée. Bernard aurait été heureux de savoir que nous l’avons adoré, avec sa magnifique couleur d’un rose pur, sa bulle active et élégante et un goût de plus en plus cohérent, riche et profond. Patrick Pignol qui a bu une coupe avec nous décide de nous préparer, après avoir recueilli notre avis, une émulsion d’oursins dans une coquille d’œuf. Le mariage est pertinent et nous ravit.

Patrick Pignol prépare toujours ses menus au dernier moment, en fonction des achats qu’il fait à Rungis, à une heure où tout le monde dort. Voici le menu qu’il a composé : Crevettes poêlées minute / Moules et girolles de Sologne / Encornets farcis et senteurs de Speck / Foie Gras poêlé / Perdreau rôti en cocotte / Fromages / Clémentines rôties.

Le "Y" d’Yquem 1988 a une couleur de belle jeunesse, sans le moindre signe d’un début de brunissement. Le nez est très riche, évoquant les grains de raisin d’Yquem que l’on presse. En bouche le vin est plein, opulent, joyeux, avec une légère sucrosité malgré sa belle rigueur. Son final est très prononcé. Le deuxième amuse-bouche, dans lequel j’ai le souvenir d’une purée de céleri, ne vibre pas avec le vin, alors que l’accord avec les crevettes est saisissant. Ce sera le plus bel accord du repas. Il montre à quel point une cuisine exacte amplifie le message d’un vin. Cet "Y" d’une belle année est porté, par cet accord, à son plus haut niveau.

Le Chevalier-Montrachet Antonin Rodet 1987 a un nez d’une minéralité impressionnante. Il sent la pierre à fusil à cinq pas. Alors que le "Y" avait des rondeurs appétissantes, le Chevalier Montrachet, d’une puissance étonnante pour son année, est d’une rigueur d’ascète. C’est la droiture sans fioritures ! Le plat de moules est délicieux mais le mariage mets et vin ne crée aucune vibration. Les très bons encornets s’accordent mieux au vin, sans toutefois le dérider. Si sa puissance m’a étonné, sa sévérité l’a laissé "droit dans ses bottes", peu accueillant aux plats proposés.

Sur le foie gras poêlé aux haricots blancs, nous allons boire deux icônes du vin bordelais. Les couleurs sont belles, celle du Château Cheval Blanc 1955 étant la plus foncée. Le nez du Château Palmer 1959 est le plus charmeur. En bouche, la séduction du Palmer entraîne l’adhésion des convives, alors que je suis absolument enthousiasmé par la profondeur de trame du Cheval Blanc. Elle est même particulièrement impressionnante. Il est assez probable que ma jubilation à boire le 1955 aura influencé les votes en fin de repas, alors que tout le monde a apprécié le Palmer 1959 pour sa vivacité charmeuse, vin épanoui à la jeunesse folle. J’ai tellement insisté sur la richesse profonde de la trame du Cheval Blanc 1955, vin d’une richesse incroyable devenu intemporel tant il est parfait, que ma préférence est devenue contagieuse. Le foie gras n’ajoute rien à la performance des bordeaux. Les deux vins très différents ont une caractéristique commune, c’est d’avoir atteint un niveau d’équilibre indestructible qui rend impossible de leur donner un âge. Le 1955 confirme son statut au plus haut niveau de la hiérarchie des Saint-Emilion. Le Palmer, par son charme et son élégance, a tout d’un grand margaux, l’un des Palmer les plus réussis.

Nombreux sont ceux qui pensent que les bourgognes n’auront pas la partie belle après ce feu d’artifice de saveurs inégalables. Mais je connais par cœur le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 qui n’a jamais failli à sa mission de conquérir les cœurs. Son nez est déjà un brevet de perfection. Son charme est redoutable et la bouche le confirme. C’est un bourgogne serein, équilibré, tranquille, très sûr de son effet. J’adore ce vin. Le perdreau est brutal tant il est faisandé. Il pourrait se concevoir, mais il est trop violent pour ce vin. Un rejet se produit entre le vin et lui. Nicolas nous sert maintenant La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982. Qui pourrait croire qu’il s’agit du vin que j’ai annoncé mort ? Sa couleur s’est foncée. Son nez a gagné en pureté, même s’il est très discret et en bouche, on retrouve des caractéristiques habituelles des vins de la Romanée Conti, la rose et le sel. Un convive, tellement heureux que le vin ne soit pas ce que j’avais dit, le classera premier de son vote, ce qui est manifestement excessif, mais nous sommes loin du désastre annoncé. Le vin peut se boire mais ne peut pas cacher qu’il n’est pas ce qu’il devrait être. C’est le soldat marathonien épuisé qui peu avant de s’évanouir a la force de réciter des bribes du message pour lequel il avait couru.

Une tomme, un reblochon et un saint-nectaire sont de bons compagnons des dernières gouttes des deux bourgognes.

Le Château Filhot 1935 est d’une couleur particulièrement jeune. Le nez est généreux, puissant, de fruits jaunes plus que d’agrumes. En bouche, c’est la solidité absolue du beau sauternes. Là aussi, voici un vin dont l’accomplissement et l’équilibre signifient qu’il n’a pas d’âge, devenu intemporel comme les beaux vins qui l’ont précédé. L’accord se trouve plus sur le soufflé que sur la clémentine un peu sucrée.

Il est temps de passer aux votes et nous ne sommes que cinq à voter. Deux vins figurent dans les votes de tous les votants, le Cheval Blanc 1955 et le Chambertin 1961. Trois ont eu des votes de premier, les deux qui viennent d’être cités et La Tâche 1982 (eh oui !). Tous les vins et le champagne figurent dans au moins un vote, sauf le Chevalier Montrachet 1987.

Le vote du consensus est : 1 – Château Cheval Blanc 1955, 2 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 – "Y" d’Yquem 1988, 4 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982, presque à égalité avec Château Filhot 1935.

Mon vote est : 1 – Château Cheval Blanc 1955, 2 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 – Château Filhot 1935, 4 – "Y" d’Yquem 1988.

L’un des participants venant de Marseille a rencontré sur place un ami qu’il n’avait pas vu depuis dix ans. Il s’est déplacé en fin de repas à sa table où l’on m’a fait boire un vin blanc jeune à la simplicité déroutante après ces grands vins.

J’ai préféré la première partie du repas à la seconde qui a apporté peu de vibrations aux vins. Dans une ambiance familiale toujours aussi chaleureuse et attentionnée, malgré les changements de casting, nous avons passé une excellente soirée marquée par quelques vins quasi "éternels".

casual Friday – photos samedi, 6 novembre 2010

Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995

Champagne Alfred Gratien 1964

Château Carbonnieux blanc 1937

Pavillon blanc de Château Margaux 1929

Montrachet Diard et Girard 1949

Château Gruaud-Larose 1926

Château Haut Brion 1926

(le nom d’André Gibert est peu souvent cité. C’est étonnant que l’on parle d’une mise en bouteille "intégrale" au chateau)

Les couleurs des deux 1926 sont résolument différentes (Haut-Brion à droite) :

Corton Grancey Louis Latour 1959

Chateauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1945

Marestel Robson-Missol 1934

Champagne Moët et Chandon Rosé 1975

Champagne Dom Ruinart 1996

Les plats

Cette signature raffinée sur les plats de service, j’espère que nous pourrons continuer de la voir, en souvenir d’un chef, Gérard Besson, meilleur ouvrier de France, de grand talent.

Casual Friday chez Gérard Besson vendredi, 5 novembre 2010

Il y avait longtemps que nous n’avions pas fait de Casual Friday, moment fou où entre amis, offre du vin qui veut. Comme au poker, il y a toujours un joueur qui mise fort, décourageant la contradiction. Ce coup-ci, c’est Florent qui a asphyxié la concurrence. Il arrive de Lyon de bon matin au restaurant Gérard Besson, et, par un réflexe d’amitié, je viens le rejoindre pour qu’il ne se sente pas seul. Nous savons que Lionel, professionnel des arrivées tardives, sera en retard comme d’habitude. Aussi, nous bavardons de choses et d’autres, et à midi, il fait soif. Nous choisissons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995. Ce champagne est d’une tension assez extrême. Lorsqu’il s’oxygène, il se domestique, et nous jouissons d’un champagne goûteux. Notre petit groupe se constitue. J’ai oublié mon portable, ce qui me paralyse, aussi est-ce bien tard que je rappelle à l’ordre Cédric qui pensait qu’un Casual Friday était un dîner. Il nous a rejoints rapidement.

Le Champagne Alfred Gratien 1964 est une pure merveille. Il a une couleur abricot, un pétillant actif et son goût est extrême. Je vois des fruits jaunes, des fruits confits, du citron vert et de l’écorce d’agrume. Sur les amuse-bouche, brioche de homard, gougère et tête de veau, c’est cette dernière qui fait vibrer le champagne grâce à son poivre bien dosé. On se sent "confortable" en buvant un champagne "plein", joyeux, riche comme des rêves de mille et une nuits.

Le Château Carbonnieux blanc 1937 est d’un bel ambre et son nez est superbe. Il y a de la poire, du coing, et une élégance rare. Ce vin est dans une forme parfaite. Florent l’avait acheté sur la foi de mes commentaires. Tout se confirme. Denis est un bizut de notre groupe, dont le "passeport" est un Pavillon blanc de Château Margaux 1929. Il est des tickets d’entrée de moindre prestige. Hélas, le "ticket" a un nez un peu incertain. La bouche est un peu déviée, délavée, tendance serpillière. Par comparaison, le Carbonnieux brille d’autant plus. Le 1929 est buvable et Denis le défend, ce qui est légitime. Mais c’est une version faible de ce vin. Le pâté de turbot est un plat de la cuisine de nos enfances, perpétuation des recettes d’antan. Et c’est un vrai bonheur. Le Carbonnieux est magique sur ce plat.

Le Montrachet Diard et Girard 1949 a une sale couleur grise. Il sent le gibier, et n’est pas engageant. Je n’insiste pas même si je sens que quelques heures de plus pourraient réveiller ce moribond. Pour l’instant il est mort. C’est dommage pour le bar qui est superbe.

Pour accompagner la grouse fort typée, le Château Gruaud-Larose 1926 à la couleur d’un rouge de belle jeunesse est idéal. Ce qui me frappe dans ce vin, c’est qu’il est impossible de lui trouver le moindre défaut. Il est parfait, dans une forme absolument accomplie d’un vin intemporel. En bouche, c’est un plaisir parfait. A côté de lui, le Château Haut Brion 1926 qui est ma contribution est d’une couleur noire, indiquant une densité extrême. Quand le Gruaud Larose joue sur le charme, le Haut-Brion joue sur la profondeur. J’ai toujours considéré que 1926 est la plus grande année de Haut-Brion. Celui-ci nous entraîne dans l’extrême. Il n’est pas facile à comprendre pour beaucoup de mes amis, mais je le trouve absolument grand, dans une forme d’une intensité rare. Evidemment mes amis se moquent de moi car je succombe à la densité de ce vin et j’en vante les qualités.

Nous passons maintenant au lièvre à la royale qui est magnifiquement réalisé, tout en finesse, ce qui ne caractérise normalement pas un tel plat. C’est ce qu’il faut pour le Corton Grancey Louis Latour 1959 au nez d’une sensualité bourguignonne. Le vin est "frais", magique, délicat. Il a toute la richesse de la Bourgogne. Des amis pensent que le Corton Grancey est un peu faible à côté du lièvre, et c’est ce que je croyais "sur le papier". Mais en fait l’accord se fait. C’est le Haut-brion 1926 qui crée le plus bel accord avec le lièvre.

Le Chateauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1945 me frappe par sa jeunesse. Je lui trouve des aspects mentholés. Il a de la fraîcheur et un léger manque d’homogénéité. Gérard Besson a ajouté à son menu une assiette de champignons et des pains grillés aux abats qui s’accordent très bien au vin du Rhône.

J’ai choisi, parmi les apports prestigieux proposés, que nous goûtions un Marestel Robson-Missol 1934 proposé par la seule femme de notre déjeuner. L’étiquette indique "Marétel". Le vin à la couleur claire a un goût très pur. Je l’avais aimé à l’ouverture et il va bien sur une tomme de Marie Quatrehomme. Mais il ne peut pas cacher certaines limites de goût, car il est plutôt monolithique et simplifié. Mais je suis ravi de cet essai.

Sur le dessert, chocolat-framboise, le Champagne Moët et Chandon Rosé 1975 à la vilaine couleur est mort, définitivement mort. Aussi l’un d’entre nous commande-t-il un Champagne Dom Ruinart 1996 qui signe un brutal retour sur terre. Nous étions dans un monde de saveurs équilibrées, intégrées et délicates. Ce champagne qui serait bon dans un autre contexte marque un retour brutal au monde des vins d’aujourd’hui.

Gérard Besson va quitter son restaurant fin décembre. Il nous a offert un déjeuner d’une très grande qualité. Nous avons donc pris date pour un nouveau repas, d’adieu cette fois, où l’oreiller de la Belle Aurore, plat emblématique du chef, sera au rendez-vous.

Le vote du consensus de notre groupe de huit est : 1 – Château Gruaud-Larose 1926, 2 – Corton Grancey Latour 1959, 3 – Château Haut Brion 1926, 4 – Champagne Alfred Gratien 1964.

Mon vote est : 1 – Château Gruaud-Larose 1926, 2 – Château Carbonnieux blanc 1937, 3 – Château Haut Brion 1926, 4 – Corton Grancey Latour 1959.

Ce fut un Casual Friday de grande qualité.

Sup de Goût mercredi, 3 novembre 2010

L’Ecole Supérieure du Marketing du Goût remet les diplômes de fin d’étude à des élèves dont les mémoires sur des projets ambitieux ont retenu l’attention de la direction.

Dans ce foisonnement inventif, on note l’intérêt pour le "snacking", pour le bio et pour la Chine.

Ce sont des professionnels de la restauration, du vin ou de la communication qui remettent les diplômes. J’ai l’honneur de remettre un diplôme à un jeune ambitieux qui veut participer à diffuser la connaissance du vin.

La réunion se passe dans l’un des salons prestigieux du Cercle Interallié, suivi d’un buffet qui permet de discuter avec les élèves et avec de grands professionnels qui apportent leur soutien à cette école.

Je retrouve des élèves passionnés que j’avais initiés aux vins anciens lors d’une conférence et ensuite à l’académie des vins anciens.

Il est rafraîchissant de voir des jeunes qui prennent bien en main leur avenir.

repas gastronomique chez des amis du sud lundi, 1 novembre 2010

Des amis de notre villégiature du sud nous invitent à dîner. L’apéritif se grignote sur un Champagne Bollinger 2000 qui est très agréable. Il n’est pas aussi typé que les champagnes de la veille, mais il tient très agréablement son rang de champagne. Il y a un fruité et un fumé qui sont délicatement dosés.

Notre hôtesse a réalisé des recettes complexes puisées dans la mouvance bio, et nous sommes admiratifs de sa dextérité. Un rouleau de poivron rouge bio au potimarron, chèvre frais et aneth, tuiles aux graines de lin, gomasio et paillettes d’algues, crème de spiruline au sésame colle avec une adéquation saisissante au Château de la Nerthe Chateauneuf-du-Pape blanc 2008 qui épouse le poivron miraculeusement. Le vin est profond tout en n’en faisant pas trop, et l’accord est élégant. Je n m’attendais pas à un équilibre aussi délicat de la part de ce jeune Châteauneuf. Voilà un vin blanc de grande tenue.

J’ai apporté deux vins sans connaître le menu. Le plat suivant est une papillote translucide de saumon fondant, girolles, confit d’oignons au miel et vin rouge. Le vin est un Château Canon Saint-Emilion 1971 dont le niveau était dans le goulot. La couleur est belle, intense, d’un rouge joliment noir. Le nez est incisif, et ce qui me marquera tout au long du voyage de ce vin, c’est la profondeur de la trame de ce vin riche. On pense aux tapis les plus nobles dont le nombre de points est quasi infini. On a cette impression avec ce saint-émilion profond aux tannins présents. L’accord avec le saumon se trouve mieux qu’avec les girolles trop imprégnés du jus fort. Ce Château Canon est une petite merveille.

Le plateau de fromage avec un Saint-Félicien bio, avec un époisses et un Livarot n’est peut-être pas le partenaire idéal pour le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Armand Rousseau 2001, mais tout le monde est prêt à se conformer à ce casting. Car le vin de Rousseau est un plaisir majeur, au fruit rose et rouge, à la mâche délicate, et au parcours en bouche charmant. C’est un vin que l’on déguste, essayant de lire tous les sourires qu’il nous propose comme le fait un jeune enfant. Ce vin bien fait, riche, plein et équilibré joue sur un registre de distinction calme. J’adore cette expression tranquille assumée.

Nous finissons sur une crème brûlée recouverte d’une fine couche de chocolat qui réclame de l’eau pour en suivre les subtilités.

Nous avons refait le monde, car la période s’y prête, en ponctuant ce beau repas d’une cuisinière qui a réussi à jouer la complexité avec succès, par des vins de grands niveaux.

Vive le sud !

champagne, suite dans le sud samedi, 30 octobre 2010

Le lendemain, le ciel est à la pluie. Le temps fraîchit, et vers 19 heures, au bord de la mer, le marin a soif.

J’ouvre un Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999. C’est la première fois que la vibration de ce champagne m’atteint avec cette intensité. Ce champagne est foncièrement dense. Je le considérais comme un champagne intellectuel et voici qu’il est capable d’émotion. Il prend des intensités de fleurs et fruits roses et blancs, sur une profondeur rare. C’est un vrai plaisir.

Il paraît alors intéressant de voir ce que donne le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en 2007. Et la complémentarité est évidente. Le champagne de Selosse est plus typé, plus fumé, plus concentré sur des fruits bruns. Mais la densité aromatique est de la même lignée. Voilà deux champagnes qui se caractérisent par leurs densités, et se différencient par des couleurs blanches pour le Bollinger, et brunes pour le Selosse.

Deux grands champagnes assurément, aux longueurs infinies.