déjeuner au restaurant chez Fréd, avenue Péreire mardi, 11 janvier 2011

Un ami sommelier, fidèle de l’académie des vins anciens, m’avait fait connaître Aurore Monot-Devillard, dont la famille est propriétaire de deux vignobles en Bourgogne. L’idée d’un déjeuner avait germé et Aurore ayant le choix des armes nous convie au restaurant chez Fred. Ayant fixé rendez-vous à un marchand de vins pour prendre possession d’une antique bouteille, je suis présent sur place alors même que le personnel n’a pas encore déjeuné avant le service. Le propriétaire des lieux, Alain Piazza est un ours dont j’apprendrai au fil du temps qu’il est bien léché.

Poliment je demande si je peux ouvrir le vin que j’ai apporté. Il s’agit d’un Château Canon La Gaffelière 1955 dont le niveau est dans le goulot et dont le bouchon, curieusement, sort sans aucun effort, alors que le niveau n’a pas été affecté par une éventuelle diminution de l’adhérence. Le bouchon est beau, le parfum est d’une rare délicatesse. Je propose à Alain de le goûter mais je ne suis pas encore d’un miel que goûterait notre ours.

Je m’installe à la table, me faisant le plus discret possible, et la quiétude du lieu est troublée par l’ami marchand qui me fait mirer et miroiter la rareté que j’achète. C’est alors qu’arrive Denis, l’ami sommelier, les bras remplis de vins et de victuailles, en une apparition qui tranche avec le calme du lieu. Etant venu de bon matin, il a fait carafer un vin que nous boirons à l’aveugle. Il apporte un petit cadeau pour moi, dette qui n’est pas de jeu, et il couve une cassolette dont il me dévoile le contenu : il y a trois oiseaux aux becs longs, dont le nom évoque habituellement une bonne bretonne de bandes dessinées. Denis demande qu’on réchauffe un peu les volatiles sur canapés qui serviront d’amuse-bouche à notre repas.

Les oiseaux sont servis dans nos assiettes sur leurs canapés et Denis nous sert un vin carafé sans nous dire de quoi il s’agit. Le nez est joyeux et évoque le fruit, et la bouche met en avant le fruit. Denis nous demande l’année. Je pense 2007 mais c’est 2008. Aurore pense que le vin est bourguignon alors que j’ai pensé, à quelque petites lumières qui se sont allumées dans mon cerveau, que ce vin n’est pas français. C’est un Marlborough pinot noir Framingham de Nouvelle-Zélande 2008 charmant, qui pousse son fruit jusqu’à son paroxysme.

Denis nous demande de saisir le long bec et de manger toute la tête. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est viril. Aurore grimace et je ne suis pas loin d’en faire autant. Les suprêmes sur les toasts aux foies gras sont sublimes. Ce volatile est une délicatesse. Pendant que nous croquons et grignotons, Aurore nous sert un Nuits-Saint-Georges Premier Cru Aux Perdrix Domaine des Perdrix 2003. Ce qui caractérise ce vin, c’est le fruit. Comme il est froid, juste ouvert, je suis un peu gêné par l’absence de longueur. Mais fort heureusement il s’agit d’un état précaire, car la longueur va se révéler dès que le vin s’assied dans le verre.

Sur des coquilles Saint Jacques juste poêlées, le gagnant est le vin de Nouvelle Zélande, suivi du Canon La Gaffelière 1955 qui a encore besoin de s’ébrouer. Le Nuits est trop puissant pour la coquille. Aurore est étonnée de l’ampleur du 1955 et Alain Piazza qui commence à sentir notre miel, fait encore la moue devant le 1955, mais sa citadelle tombera.

Le plat de résistance est une poularde goûteuse et moelleuse à souhait accompagnée d’une sorte de taboulé à gros grains à la truffe et à la moutarde discrète. C’est cette diabolique préparation qui propulse le Nuits Saint Georges 2003 qui s’est épanoui à des hauteurs incommensurables. Mes réserves sur la longueur du vin tombent et je ne retiens que la richesse fruitée.

Avec nos verres étalés sur la table, nous sommes un objet de curiosité pour les serveurs, et je menace des morts les plus cruelles les serveurs qui veulent nous enlever des verres. Une serveuse a la naïveté de l’innocence, car goûtant le 2003 d’Aurore et mon 1955, elle lance toute bravache : "ah, moi, je préfère le 1955". Or les trois vins ont leur importance : le 2008 dans l’innocence de son fruit, le 2003 dans une générosité joyeuse frondée aussi sur le fruit, ainsi qu’une belle mâche, et le 1955 dans l’opulence, la complexité et l’intelligence d’un vin racé. Alain Piazza, qui a pour Aurore les yeux de Chimène, prend tout prétexte pour goûter le Saint-Emilion qu’il trouve de plus en plus à son goût.

La galette des rois est copieuse et goûteuse, mais il n’y a pas de fèves, ce qui nous privera de royauté. Un Champagne Gosset Brut Grande Réserve sans année très dosé picote bien la langue, sans véritable discours après ce que nous avons bu.

Générosité, échanges, lieu charmant, tout appelle une revanche.

Il ya quelque chose de pourri au royaume du Danemark (Hamlet) lundi, 10 janvier 2011

Il y a quelque chose de pourri au royaume d’Audouze. Notre fils ayant émigré vers les Amériques a passé les fêtes de fin d’année loin de nous. Il passe quelques jours en France et c’est l’occasion d’embrassades et de vœux. Le dîner à trois, ma femme, mon fils et moi se termine par une galette des rois. Il est assez évident que si l’un des mâles est roi, le choix de la reine est tout trouvé.

Alors que je découvre la fève dans ma part de galette, ma femme s’empare de la couronne, sans que j’aie eue le temps ni de prononcer mon discours de couronnement, ni de désigner ma reine.

Il n’y a pas à dire, tout fout le camp mon pauvre monsieur.

Pendant ce temps là, nous buvons un champagne Dom Pérignon 1988. C’est un champagne en pleine sérénité et en pleine possession de ses moyens. Mais le bouchon trop chevillé était venu trop rapidement. Qu’on le veuille ou non, le goût s’en souvient, même de façon infime. La conservation des champagnes dans une atmosphère humide est une nécessité.

Il va sans dire que nous nous sommes régalés de ce beau champagne à la maturité joyeuse. Il fut suivi d’une demi-bouteille de champagne Billecart-Salmon rosé non millésimé. Après le Dom Pérignon, il était difficile à ce champagne de capter notre attention.

quelques vins bus en 2010 vendredi, 7 janvier 2011

L’année 2010 a sans doute été la plus extraordinaire de ma vie d’amoureux des vins.

Je n’ai pas encore fait le bilan de cette année, mais voici quelques vins qui ont jalonné cette année hors norme, dans l’ordre des années :

Tokay 1819
Vin de Chypre 1841
Château Lafite Rothschild 1844
Château Lafite Rothschild 1858
Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1865
Château la Tour Blanche 1869
Château d’Yquem 1874
Château d’Yquem 1890
Château d’Yquem 1899
Musigny Coron Père & Fils 1899
Château Lafite 1900
Blanc Vieux d’Arlay Caves Jean Bourdy 1911
Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1913
Richebourg Morin Père & Fils 1923
Château Haut Brion 1926
Château d’Yquem 1928
Château Lafite-Rothschild 1928
Château Palmer 1928
Château La Mission Haut-Brion 1929
Château Margaux 1929
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943
Château Haut-Brion blanc 1945
Château Latour 1945
Champagne Bollinger 1945
Champagne Veuve Clicquot rosé 1947
La Romanée C. Marey & Comte Liger-Belair 1949
Château d’Yquem 1949
Champagne Heidsieck Monopole Magnum 1952
Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1959
Château Ausone 1959
Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1961
Champagne Salon 1961
Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1962
Champagne Dom Pérignon Oenothèque magnum 1966
La Romanée Liger Belair 1966
Champagne Dom Pérignon Rosé Œnothèque 1966
Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1970
Champagne Comtes de Champagne Taittinger magnum 1971
Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972
Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981
Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1986
Champagne Krug Clos du Mesnil 1988
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990
Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1996
Richebourg Anne Gros 1996
Château d’Yquem 2009
La Romanée Conti DRC 2009
La Romanée Grand Cru Domaine Liger-Belair 2009

J’ai mis des 2009, bus au pied des fûts, parce que cette année promet d’être une très grande année, comme souvent les vins en "9".

Les autres sont toutes des bouteilles qui m’ont ému.

Jamais, dans mes rêves les plus fous d’il y a dix ans, je n’aurais imaginé pouvoir boire de tels trésors. J’essaie d’en être un modeste et fidèle témoin, pour que leur mémoire ne disparaisse pas.

Liliane mes valises ! jeudi, 6 janvier 2011

Encore un petit billet d’humeur en ce début d’année, que l’on pourrait ranger dans la rubrique : les voeux pour mon pays.

Les lecteurs de ce blog savent peut-être que je n’ai pas de chance avec mes valises. De retour de Las Vegas en passant par Los Angeles, ma valise est allée se balader en Asie et n’a rejoint Paris que cinq jours plus tard.

Allant en Corse avec ma femme via Marseille, c’est la valise de ma femme qui a décidé d’explorer d’autres destinations et n’est revenue qu’un jour plus tard. Quand je suis allé à Pékin, pourtant par un vol direct, il a fallu un jour de plus à ma valise pour me rejoindre.

Et tout récemment, allant à Tokyo, la valise avec tous mes vêtements n’a pas connu un défaut d’aéroport mais la confusion d’un passager. Il a fallu sept heures pour que je la retrouve.

Lorsque l’on sait les problèmes que posent ces retards, tels que l’impossibilité de revêtir du linge propre, on imagine les souffrances qu’ont dû connaître des voyageurs, lorsqu’ils ont su que 28.000 valises ont été bloquées à Roissy entre Noël et le jour de l’An, avec impossibilité de les repérer pendant une semaine. Passer les réveillons dans un aéroport n’est pas le "must" des ambitions.

Si l’on ajoute à cela les vols annulés parce qu’il manque du glycol, les trains qui mettent une journée pour un trajet de quatre heures et les avions qui mettent dix heures pour un trajet d’une heure, on se dit qu’il est indispensable de revoir l’ensemble de la filière du tourisme ou de l’accueil des hommes d’affaires en France.

Du fait de l’écart des revenus entre l’Europe et l’Asie, l’industrie abandonne notre pays. Le tourisme va se révéler plus que jamais notre or noir. L’ensemble de notre pays devrait être mobilisé pour une cause cruciale pour notre avenir : "l’accueil irréprochable du touriste en vue de sa satisfaction".

Il est indispensable de revoir de A à Z la politique de service :

– un aéroport n’est pas un endroit où l’on gère des flux à coûts faibles mais un endroit où chaque touriste reçoit le service qu’il attend, quel qu’il soit.

– les RTT des personnels passent après la satisfaction du client et pas avant

– le service des valises est un service crucial qui ne supporte pas le moindre défaut. La lenteur et l’approximation actuelles ne sont plus de mise

– aux files d’attente, ce n’est pas du bétail que l’on parque, mais des clients à satisfaire

– les toilettes ne sont pas un endroit où l’on doit démontrer la saleté, mais un endroit où l’on doit démontrer la propreté. Et ceci ne vaut pas que pour les aéroports mais aussi pour les gares, les cafés et brasseries, les trains et tous les lieux publics

– l’autoroute du Nord qui rejoint Paris de Roissy ne doit pas être une décharge publique

– on doit pouvoir trouver des taxis rapidement et partout

– les cafetiers doivent parler un minimum d’anglais et être aimables. Le touriste n’est pas un c..nard d’américain mais une personne qui fait vivre notre pays.

– le touriste n’est pas une personne à qui l’on doit arracher du fric en trichant sur le montant à payer mais quelqu’un que l’on doit servir honnêtement.

On pourrait continuer cette liste à l’infini.

La France doit devenir un pays qui accueille les touristes, les respecte, leur offre du service, de la propreté, de l’amabilité, voire même du respect.

Ça peut paraître futile ! Il serait temps que l’on comprenne que c’est une impérieuse nécessité. Le nombre de touristes étrangers qui disent : "je ne vais plus en France, car on ne sait jamais quand on en repartira" est beaucoup plus grand qu’on ne l’imagine.

Une mobilisation du pays sur ce sujet est une priorité nationale. Ce n’est pas demain la veille que l’accueil à la française sera inscrit au patrimoine de l’UNESCO. Et pourtant, c’est le voeu que je forme.

le repas du 2 janvier dimanche, 2 janvier 2011

Le filet de chevreuil apporté par Jean-Philippe et ce que nous consommerons

le champagne Krug rosé daté autour de 1980. A noter le prix de 520 F qui est resté collé à la bouteille

la couleur du rosé, plus sombre qu’hier, est à rapprocher de celle du Salon 1997

Côte Rôtie la Turque guigal 1995

ris de veau et truffe

panais, topinambour et foie gras

filet de biche en fine tranche pour le krug rosé et en tranche plus épaisse pour la Côte Rôtie

tout finit par des madeleines, mais nous ne pleurons pas !

Millefeuille de brie à la truffe dimanche, 2 janvier 2011

Vous prenez un brie bien coulant

Vous prenez des tranches de truffe

Mais attention ! vous vérifiez que les tranches font bien 1,2 millimètre (consultez la liste des experts assermentés de votre commune)

Première étape :

Deuxième étape

Troisème étape (bon, je sais, ce n’est pas facile à suivre, mais essayez)

Quatrième étape

Maintenant mangez !

Et surtout, gardez le sens de l’humour et de la bonne chère !

L’apothéose est le deux janvier dimanche, 2 janvier 2011

L’ennui, quand on a invité quelqu’un qui cuisine comme un Dieu, c’est qu’il aime cuisiner (bis, comique de répétition). L’apothéose est le deux janvier pourrait être le titre de ce déjeuner. Jean-Philippe était venu chez nous avec diverses victuailles dont un filet de biche et un cuissot de chevreuil. Le filet était prévu pour le dîner du 1er janvier, mais nous avons tous décidé de supprimer ce dîner. La biche sera donc jouée au déjeuner du deux. Le Champagne Krug rosé vers 1980 ayant été ouvert hier sera le compagnon de ris de veau au léger parfum d’andouille, couverts de tranches de truffes. Si la truffe est bonne, elle n’est pas vraiment nécessaire à l’accord naturel qui se trouve entre ris de veau et le champagne rosé. Disons-le tout net, ce champagne est totalement transcendant. Dans un monde de notation on sait dès la première gorgée que l’on est en face d’un 100/100 Parker, comme on dit. L’acidité de ce champagne est d’un équilibre saisissant. Et c’est la longueur du Krug qui nous porte vers l’infini. Jamais je crois un champagne rosé ne m’a entraîné à un tel niveau. On jouit de chaque gorgée comme s’il s’agissait d’un diamant rare.

Jean-Philippe a cuit des topinambours et des panais. Il est inéluctable que les topinambours rencontrent le foie gras. Et topinambour plus foie gras multiplié par le Krug donne le nombre d’or, la clef du paradis.

Il était entendu comme une évidence que nous tenterions la biche en fines tranches sur le Krug rosé. Et l’accord, dans sa pureté, avec une mâche de viande qui combine fermeté et douceur, est un pur moment de bonheur. A cet instant, nous savons que nous explorons les étages ultimes de l’Himalaya de la gastronomie.

Des tranches plus épaisses du filet arrivent sur nos assiettes, avec un joli coulis de cassis, et c’est le moment où le jeune premier du théâtre de boulevard joué par la biche arrive sur scène. C’est la Côte Rôtie La Turque Guigal 1995. L’image qui me vient instantanément est celle du patinage artistique. Lorsque l’on compare les programmes des candidats, celui du champion du monde ne comprend que des sauts d’une fluidité invraisemblable. Tout dans ses triples Lutz, quadruples Axel et boucles piquées respire la facilité. Et cette Turque, c’est cela. Une invraisemblable facilité synonyme de perfection. L’autre image qui me vient est celle de Fred Astaire, ce danseur prodige dont chaque mouvement, fruit d’un travail intense, paraît d’une insolente fluidité.

Le coulis est évidemment indispensable à l’accord, et je mords moins à celui que suggère Jean-Philippe avec une tranche de lard qui donne un peu de fumé, car le vin perd de sa joie de vivre pour plus de rigueur. Tout dans le plat est éblouissant et le coulis est indispensable au plaisir, et la Côte Rôtie, impériale de sérénité et de jeunesse, s’installe elle aussi sur les coussins du 100/100, synonyme d’ultime perfection. Les approvisionnements ayant été calibrés sur l’opulence, il reste beaucoup de fromages et beaucoup de truffes. C’est donc l’occasion de jouer les petits fous. Jean-Philippe tranche des lamelles de truffes et nous vérifions qu’elles font bien 1,2 millimètre. Quatre tranches de truffe et du coulant de brie entre elles, et voilà un millefeuille de truffe et brie qui accompagne les dernières gouttes du champagne Krug rosé. Un fromage de chèvre porte une brindille de romarin. Avec la Côte Rôtie, c’est d’une délicatesse achevée. Quelques madeleines marquent la fin d’un rêve éveillé, parcours invraisemblable de mets subtils fondés sur des produits de grande qualité et des vins émouvants, qui comptent dans le Panthéon du patrimoine viticole français.

En raccompagnant Jean-Philippe à l’aéroport, notre poignée de mains amicale était comme la conclusion d’un accord : nous savions que nous avons tutoyé le nirvana gastronomique.

le déjeuner du 1er – photos samedi, 1 janvier 2011

Voilà une petite table bien simple. Des couverts ordinaires, une bouteille d’eau et une bouteille de vin

en cuisine, des rougets et des filets de turbot

dans un coin, un peu de fromage

et puis, c’est l’illumination d’un champagne Salon 1979 à l’étiquette transparente

et le vieux rose d’un champagne Krug rosé des années proches de 1980 (j’ai voulu sur la photo que le vieux rose soit rapproché de l’or des madeleines au miel)

les rougets s’animent pour le reste du Pétrus 1988

ils se parent même de lard

Pétrus est suivi du Salon 1979 et du Salon 1997, le plus jeune étant le plus clair

turbot et petits légumes, puis ris de veau diaboliques de gourmandise

essai improbable mais réussi d’un camembert à la truffe qui excite le Salon

le Krug rosé est ouvert et sa couleur se confond avec celle des madeleines au miel

déjeuner du 1er de l’an samedi, 1 janvier 2011

L’ennui, quand on a invité quelqu’un qui cuisine comme un Dieu, c’est qu’il aime cuisiner. Tard dans la matinée, le réveil est un peu rude. Nous allons chez nos voisins et amis les admirer prenant le bain du 1er janvier dans une eau à 13°. Je n’ose pas les imiter, car mon corps n’a pas encore absorbé tous les vins d’hier. Au retour, nous voyons Jean-Philippe qui a investi la cuisine, avec la ferme intention de nous faire à déjeuner. Je sauterais volontiers ce repas, mais l’appétit, c’est comme la tentation, car rien n’est plus beau que de fauter.

L’histoire commence avec quelques filets de rougets rescapés d’hier, que Jean-Philippe cuit avec des tranches de lard. Il reste de quoi faire deux verres du Pétrus 1988 à la couleur noire tant on est près de la lie. Le vin est magnifiquement velouté, avec une mâche extrême et des tannins puissants. Tout aujourd’hui est meilleur : le rouget est plus plein, le lard plus expressif et le Pétrus encore plus ample. C’est du bonheur.

Après un adieu au Pétrus, c’est un autre adieu au Salon 1979. Quelques heures de plus apportent la preuve que le 1979 est trop évolué. Il n’a pas la grâce qu’il pourrait avoir. C’est la moins belle performance des vins de ce réveillon, même si on peut l’aimer – un peu seulement.

Jean-philippe nous cuit des filets de turbot avec du lard très blanc. L’astuce, c’est d’ajouter des têtes de pissenlits blancs à l’huile d’amande dont l’acidité naturelle excite le Salon 1997 impérial maintenant, dans sa grâce florale et son extrême distinction. Jean-Philippe réalise alors un plat d’anthologie. Quand je dis que c’est le plus grand plat de cette année, tout le monde sourit puisque l’année n’a pas un jour, mais on pourrait étendre mon propos à l’année 2010. Car le ris de veau, les lamelles de truffe et l’hélianthis plus croquant que la veille composent un plat gourmand comme je n’en ai que rarement rencontrés. La mâche du ris est suave et jouissive. Je suis sur un petit nuage d’une épaisseur extrême. Le Salon va bien mais je suis sûr qu’un Château Margaux procurerait un accord émouvant.

C’est maintenant l’heure des fromages que nous avions écartés hier, et alors que nous n’avons pas faim, l’enchaînement des plaisirs va nous conduire à la folie. C’est d’abord le coulant d’un brie que l’on cache par une tranche de truffe. Ce sandwich improvisé excite le Salon. La tranche étant trop fine, nous étudions ce qui ferait vibrer le champagne. Soyons fous, c’est lorsque la tranche atteint 1,2 millimètre que le plaisir est à son comble. Cela me rappelle les ateliers du goût d’Alain Senderens, qui nous disait que l’épaisseur d’un toast doit être de 1,3 centimètre. Nous sommes dans la même recherche studieuse. La truffe avantage aussi le camembert, le Saint-Félicien est trop fort pour susciter un accord, et le Salers se mange pour lui-même. Le Salon est un accompagnateur fidèle de nos folies.

Ma femme a fait un tombereau de madeleines au miel. Ma pulsion est d’ouvrir un Champagne Krug rosé qui est probablement du début des années 80, avec une petite étiquette collée par un caviste de 520 F.

L’étiquette est tellement abîmée par le temps, avec des couleurs passées, et le bouchon est si chevillé que les années 70 ne sont pas exclues. La couleur d’un champagne est d’un rose saumoné qui évolue gentiment vers le jaune, comme s’il voulait se confondre avec les madeleines. Disons-le tout net, c’est pour moi de loin le plus grand vin de ces deux jours, même si les Pétrus furent grands. Tout en ce champagne respire l’étrangeté. Il m’emmène sur une planète de félicité. Je ne peux pas me lasser d’en jouir et les madeleines s’égrènent sans fin.

Ce déjeuner impromptu vaut tous les réveillons du monde.