quinzième séance de l’académie des vins anciens au restaurant Macéo jeudi, 26 mai 2011

La quinzième séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo où nous avons nos habitudes. Le service est toujours attentionné et efficace. Nous sommes 42 annoncés le matin-même et 38 présents. Les jeunes sont nombreux, car des places ont été réservées à des élèves de l’école supérieure du marketing du luxe de la Fondation Cartier. Il y a au programme 50 vins (en comptant les magnums pour deux bouteilles) dont 25 vins de ma cave ce qui est une proportion inhabituelle. La qualité des apports est variée, mais comme on en jugera en lisant les listes dans l’ordre de service, il y a de vraies pépites.

A 16h30, je déballe les caisses de vins pour prendre les photos de groupe et je commence à ouvrir les bouteilles. Deux amis devaient venir m’aider mais chacun des deux m’appela pour me dire que des choses absolument urgentes l’empêchait de venir. C’est donc en solo que j’ai ouvert les vins, au rythme d’environ trois minutes par bouchon, sans chômer, avec relativement peu de batailles homériques contre des bouchons pervers. Après plus de deux heures, j’étais exténué. Une petite promenade dans les jardins du Palais Royal m’a fait du bien.

Les vins sont répartis en trois groupes ce qui permettra à chacun de goûter 16 à 18 vins et plus du fait des échanges entre les groupes :

GROUPE 1 : champagne Henriot rosé magnum 1988 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1953 – Champagne Moët & Chandon magnum 1962 – Champagne Dom Pérignon 1978 – Chablis Blanchot Grand Cru domaine Vocoret 1988 – Clos Zisser Klipfel Gewurztraminer 1974 – Corton Charlemagne Rapet P&F 1950 (bas) – Côtes du Jura blanc Jean Bury # 1964 – Château Corbin Michotte 1966 – Château Gruaud Larose 1964 – Château Canon 1959 – Château Malescot Saint-Exupéry 1934 – Chambolle Musigny Joseph Drouhin 1967 – Vouvray moelleux 1959 domaine Clovis Lefèvre – Château Maÿne-Bert Haut-Barsac 1939 – Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929 – Château Caillou Haut-Barsac 1921.

GROUPE 2 : champagne Henriot rosé magnum 1988 – Champagne François Giraux Brut ss A élaboré par Charles Heisdsieck – Champagne Bollinger Brut Spécial Cuvée des années 70/80 – Mesnil Nature – Blanc de blancs -vers 1935 – Vouvray sec 1961 domaine Clovis Lefèvre – Meursault Patriarche 1943 – Pouilly-Fuissé 1938 – Ph.Bouchard – Côtes du Jura blanc La Cocarde 1958 – Château Ducru Beaucaillou 1973 – Château Le Bon Pasteur 1973 POMEROL – Château Canon 1966 – Château des Jaubertes 1964-Marquis de Pontac-Graves – Château Saint-Julien Saint-Emilion 1945 – Chambolle Musigny Joseph Drouhin 1967 – Gevrey-Chambertin Faiveley 1938 – Vinadort Rioja Bodegas Artacho 1975 – Soleil de France – Seignouret Frères – Sauternes années 1930 origine Ch.Coutet – Rivesaltes Dom Brial 1969.

GROUPE 3 : Champagne François Giraux Brut ss A élaboré par Charles Heisdsieck – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1953 – Champagne Moët & Chandon magnum 1962 – Mesnil Nature – Blanc de blancs -vers 1935 – Chablis Blanchot Grand Cru domaine Vocoret 1988 – Vouvray sec 1962 domaine Clovis Lefèvre – Côtes du Jura blanc « Fleur de Marne » La Bardette Chardonnay 1964 – Pauillac Baron de Rothschild # 1980 – Chateau de Sales 1970 – Chateau Pichon Longueville Comtesse de Lalande Pauillac 1966 – Château Gruaud Larose 1964 – Château Respide 1956 – Gevrey-Chambertin Duroché 1957 (bas) – Vosne Romanée J. Thorin 1949 – Mercurey 1936 – Ph.Bouchard – Monbazillac 1945 château de la Fonvieille réserve du Theulet – Rivesaltes Dom Brial 1959.

Nous commençons l’apéritif debout avec le Champagne François Giraux Brut élaboré par Charles Heisdsieck sans année. C’est une belle surprise, car je ne l’attendais pas aussi serein, équilibré, carré et facile à boire. Nous enchaînons avec le Champagne Henriot rosé magnum 1988 qui frappe par sa précision et son délié. C’est un champagne élégant mais aussi agréablement rafraîchissant, lui aussi serein et facile à comprendre.

Le menu est bien adapté à la variété extrême des vins : Petits pois en velouté glacé, voile de jambon noir de Bigorre / ‘Gambas’ juste cuites & marinées, petit confit printanier / Suprême de Saint- Pierre, carottes boulgour ‘cumin coriandre’/ Noisette d’agneau aux herbes sèches, croustilles & céleri & pousses aromatiques / Fin sablé de fruits exotiques aux épices / Chocolat ‘croque’ & sirop Arabica.

Nous passons à table et le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1953 qui nous est servi me saisit par la richesse du fruit, dans la première gorgée que je bois. Il est riche, complexe et coloré, mais faute de nourriture car le service n’a pas démarré, la vieillesse du champagne va dominer. C’est dommage. On m’a dit que l’autre 1953 que j’avais apporté est encore plus marqué par l’âge. Alors que l’entrée n’arrive pas, nous allons aborder un monument, le Champagne Moët & Chandon magnum 1962 qui vient directement des caves de la maison de champagne et a été dégorgé il y a trois ans. Jamais un champagne de ma cave de cette année ne pourrait avoir la fraîcheur, la vivacité et la tension de celui que nous buvons, d’une vie joyeuse, avec un fruit plein et une mâche saisissante. Il est d’une année de grande qualité et subjugue par sa jeunesse extrême. Il est extrêmement intéressant qu’il soit suivi par le Champagne Dom Pérignon 1978, qui n’est pas d’une année classée dans les meilleures, mais qui m’a toujours surpris de ce fait. Car le saut qualitatif est réel. Nous buvons un magnifique champagne, d’une belle élégance, qui est rehaussé par le très grand Moët. Ce champagne ravit notre table. Nous succombons à son charme.

L’amuse-bouche ayant accompagné le 1962 et le 1978, c’est entre deux plats que nous goûtons le Chablis Blanchot Grand Cru domaine Vocoret 1988. Son nez est superbe et riche, sa couleur est d’une rare jeunesse et ce Chablis plein et riche en saveurs multiples est un grand Chablis. Quel dommage qu’il fût bu sans poisson.

J’attendais beaucoup du Clos Zisser Klipfel Gewurztraminer 1974 d’un ami et à ma grande surprise, si le nez est rayonnant, le goût en bouche démarre bien, puis s’arrête quasi instantanément pour finir sur une petite amertume. C’est dommage. Dans les 25 vins que j’ai apportés, j’ai inclus deux vins en vidange. Et la démonstration qu’un vin en vidange est un vin mort est éclatante, car malgré l’oxygène de longues heures, le Corton Charlemagne Rapet P&F 1950 a rendu l’âme. Certains comme moi ont pu vérifier par leur palais que le certificat de décès est authentique.

Le Côtes du Jura blanc Jean Bury vers 1964 d’un ami jurassien est un immense bonheur. Un tel vin au goût énigmatique, qui fait voyager sur un tapis volant me transporte d’aise. Je suis heureux avec ces vins qui dérangent, qui questionnent mais donnent les bonnes réponses. Un ami m’apporte un verre du Meursault Patriarche 1943 prévu pour un autre groupe, petite merveille de bonheur avec sa couleur d’une belle jeunesse et une vivacité surprenante pour cet âge.

J’ai demandé que nous portions un toast à la Poste car c’est grâce à elle que nous buvons le Château Corbin Michotte 1966. Un de mes dîners comportait quatre vins successifs de 1966, par un pur hasard et Emmanuel Boidron m’avait expédié ce vin pour qu’il soit inclus dans ce dîner. La Poste en ayant décidé autrement, j’ai demandé à Emmanuel s’il m’autorisait à mettre son vin à l’académie. Le velours de ce vin est spectaculaire. C’est un vin de belle puissance, qui s’accompagne d’un grand raffinement. On retient surtout le velours. En revanche, le Château Gruaud Larose 1964 s’impose par sa force et sa carrure. C’est du Guesclin en armure. Ce vin d’une belle année est un grand bordeaux.

Et l’addition des expériences est intéressante, car après le velours et la puissance, c’est la noblesse que signe le Château Canon 1959 d’une magnifique prestance. Le mot « noble » est vraiment ce qui convient le mieux à ce vin d’un grand équilibre et d’une belle longueur.

Le Château Malescot Saint-Exupéry 1934 sur lequel je comptais beaucoup est moins bon que de précédentes expériences. Il est encore jeune, mais un peu timide et coincé. Il manque d’épanouissement, même si son expression est agréable pour un presque octogénaire. La grande surprise pour moi vient du Chambolle Musigny Joseph Drouhin 1967 merveilleusement bourguignon, d’une sensualité extrême. Je dis à ma voisine : « c’est Marilyn Monroe dont la robe est soufflée par l’air chaud du métro ». Ce vin est très au dessus de mon attente.

Le Vouvray moelleux 1959 domaine Clovis Lefèvre est dans une phase intéressante entre le Yin et le Yang, car il a mangé son sucre et hésite entre des saveurs de vins secs et de vins doux. C’est une énigme à chaque gorgée, qui donne une sensation palpitante. Le Château Maÿne-Bert Haut-Barsac 1939 est une bouteille que j’ai rajoutée ce matin, comme ça, par plaisir, car elle me faisait de l’œil dans ma cave. Et elle a eu raison, car ce vin est l’exemple même du beau sauternes. Et le Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929 va lui donner une petite leçon, car l’année 1929 dope le vin d’une dose de puissance et de richesse. Mais les deux ne se détruisent pas. Ils apportent la démonstration de l’absolue pertinence des sauternes anciens.

Comme il fallait un 51ème vin pour en avoir plus que d’états aux Etats Unis, j’ai apporté le reste du Château Caillou Haut-Barsac 1921 ouvert hier avec mon frère et ma sœur. Le vin a gardé toute sa fraîcheur et sa précision inégalable le porte en tête de ces trois magiques sauternes que j’ai voulu partager avec mon groupe.

Quel sera le classement final ? Pour mon goût ce sera : 1 – Château Caillou Haut-Barsac 1921, 2 – Chambolle-Musigny Joseph Drouhin 1967, 3 – Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929, 4 – Champagne Dom Pérignon 1978, 5 – Château Canon 1959, 6 – Côtes du Jura blanc Jean Bury vers 1964.

Notre groupe a eu de très belles bouteilles, originales et parfois surprenantes. Dans d’autres groupes, des bouteilles un peu plus faibles ont existé, mais globalement le bilan est positif pour chacun, car les merveilles apportent le bonheur d’entrer dans le monde des vins anciens.

Cette séance de l’académie des vins anciens est très conforme à son objectif de partage et d’ouverture sur un monde souvent méconnu, celui des vins anciens. Comme je l’ai dit aux participants, la qualité d’une réunion dépend de la qualité des apports. Il faut encore travailler sur la qualité des apports pour que l’académie des vins anciens devienne le rendez-vous pédagogique incontournable permettant de vivre la vie des vins anciens. Nous sommes sur le bon chemin !

Académie des Vins Anciens (AVA) – 15ème séance du 26 mai 2011 jeudi, 26 mai 2011

Académie des Vins Anciens (AVA) – 15ème séance du 26 mai 2011

Règles et informations mises à jour au 14/05/11

(à lire avec attention)

Date et heure : 26 mai 2011 à 19h00

Lieu : restaurant Macéo 15 rue des Petits Champs à Paris

Nombre de participants et formation des groupes :

Si nous sommes une trentaine, il y aura deux groupes de dégustation, se répartissant une quinzaine de vins chacun

Si nous sommes plus de quarante, il y aura trois groupes de dégustation, se répartissant une quinzaine de vins chacun

Participation financière :

120 € par personne si l’inscrit apporte une bouteille de vin ancien (1) agréée par François Audouze

240 € par personne si l’inscrit vient sans bouteille

(1) si l’inscrit n’a pas de vin assez ancien, un « troc » est possible avec François Audouze, qui mettra au programme un vin ancien, contre une (ou plusieurs) bouteille de vin jeune qui présente un intérêt pour lui

Paiement :

Aucun chèque ne sera remis en banque avant le 21 mai 2011. Il n’y a donc aucune raison de retarder l’envoi du chèque de paiement.

Le chèque doit être remis avant le 29 avril à François Audouze. Tout chèque tardif sera refusé et l’inscription ne sera pas confirmée.

L’ordre du chèque est : « François Audouze AVA »

Chèque à envoyer à François Audouze 18 rue de Paris 93130 NOISY LE SEC

Livraison des vins :

Les vins doivent être proposés et agréés par François Audouze. Les bouteilles sont à déposer chez Henriot 5 rue la Boétie 75008 Paris – 2ème étage – 01.47.42.18.06. Notre contact sur place est Martine Finat : mfinat@champagne-henriot.com . Aucune bouteille ne pourra être livrée après le 29 avril.

Une variante est de m’envoyer par la poste la bouteille à l’adresse : François Audouze 18 rue de Paris 93130 NOISY LE SEC

Toute personne qui n’aurait pas effectué son paiement et livré son vin le 29 avril perdrait son inscription. Le chèque arrivé tardivement lui serait rendu et la bouteille arrivée tardivement aussi.

Remarque sur le caractère strict de cette mesure : la dernière réunion a démongtré qu’il est possible de tout régler un mois à l’avance. Le respect de la règle de l’engagement définitif et complet avant le 29 avril est le moyen d’assurer une réunion sans imprévu.

Au cas où un trop grand nombre d’académiciens n’auraient pas réglé leur participation et livré leur vin au 29 avril, j’envisage de supprimer la réunion, du fait de l’absence de rigueur constaté lors de la réunion de juin 2010. Je suis persuadé que je peux compter sur la compréhension de chacun, pour une règle facile à appliquer : on dispose aujourd’hui de deux mois pour l’envoi d’un chèque et d’une bouteille, ce qui est une tâche dont la réussite de la réalisation n’est pas irréaliste.

Au plaisir de vous accueillir pour une réunion aussi brillante que les précédentes, et encore plus rigoureuse, car c’est possible.

Chez mon frère, avec un gros Caillou ! mercredi, 25 mai 2011

Trois fois par an avec mon frère et ma sœur et leurs conjoints, nous nous invitons à tour de rôle. Aujourd’hui, c’est chez mon frère. J’aurais pu ne rien apporter, mais l’envie est trop forte. Mon frère, grand intellectuel, grand scientifique et homme de culture, n’est pas tombé dans la marmite de l’amour du vin. C’est un champagne Fauchon rosé brut qui nous accueille, qui a le mérite d’être pétillant Sur une brouillade aux truffes et un ragoût d’asperges, nous buvons un Clos Vougeot élaboré par Albert Bichot 2007 gentil, fort agréable et sans histoire. Sur une fourme, j’ouvre une bouteille d’une rare beauté. La capsule dorée dit Barsac. L’étiquette encore bien lisible dit Château Caillou Haut-Barsac 1921.Le niveau est dans le goulot ce qui est rare. La couleur est d’un acajou d’une grande noblesse. Le bouchon indique 1921, Château Caillou et Haut-Barsac. Le parfum est à se damner, car il y a de la mangue et du coing mais aussi de merveilleuses épices dont du poivre. Il y a même des traces fraîches de menthe dans ce parfum.

En bouche, le vin est tout simplement prodigieux. Il a atteint un équilibre qui en fait la synthèse de ce que le sauternes a de plus beau. J’ai toujours adoré Caillou et là, c’est merveilleux de facilité, d’équilibre et d’élégance. Je suis sûr que j’en goûterais la bouteille entière si le partage n’était pas le motif de son ouverture, tant la fraîcheur du vin coule de source. C’est un divin Barsac dont j’ai encore la mémoire raffinée en écrivant ces lignes. Au-delà du plaisir familial, il y a un goût de première grandeur.

déjeuner au restaurant Laurent lundi, 23 mai 2011

Ma femme dit toujours que je ne sais pas dire non. Un canadien avec lequel j’ai conversé sur le web me dit qu’il aimerait déjeuner avec moi. Je ne sais rien de lui, mais je dis oui. Pourquoi, nul ne saura. Peu de temps après, je lui demande quels vins il apporte et la réponse est : un blanc de l’Ontario 2005 et un Kracher 1998. Il est avec son père aussi nous serons trois. Je me propose d’apporter trois vins et de choisir deux sur place.

La table est réservée au restaurant Laurent. Nous déjeunons dans le jardin, le plus agréable de Paris. Arrivé en avance, j’ouvre la plus basse des trois car elle va déterminer le choix de l’autre. Le Pommard Naigeon Chauveau 1961 a un niveau assez bas. Le bouchon vient en plusieurs morceaux. Le nez est étonnamment agréable. C’est une bonne nouvelle. J’attends l’arrivée de Mike et son père Gerald pour décider du choix du deuxième vin à ouvrir. Mike aime les bourgognes aussi le bordeaux restera à quai et l’autre 1961 sera ouvert, il s’agit d’un Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961 d’un niveau parfait, à un centimètre sous le bouchon.

Le menu que nous prenons tous ensemble est composé d’un saumon sauvage aux asperges, d’un pigeon et d’un soufflé à la menthe fraîche.

Le Clos Jordanne, le Grand Clos, chardonnay du Niagara 2005 est d’un joli or jeune. Le liquide est épais lorsqu’il glisse sur le verre. Le nez est plaisant, assez neutre. L’attaque en bouche est très crémeuse, le milieu de bouche est joyeux et frais. Le final est fumé. Les premières salves de ce vin font très américaines. Puis le vin s’affine et devient plus meursault. Avec la chair du saumon, il devient un très joli vin.

Le Pommard Naigeon Chauveau 1961 a une couleur claire un peu tuilée. Le nez est magnifique de richesse et d’opulence. En bouche, l’acidité est présente et le vin, sous une fatigue indéniable, montre beaucoup de qualités. Il se boit agréablement mais le niveau bas dans la bouteille trahit son âge.

A l’inverse, le Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961 plus sombre, sans trace de tuilé, est tout en charme, en séduction, en équilibre et finesse. On mesure l’incidence du niveau dans la bouteille, car le Volnay fait jeune et charmeur et le pommard fait plus vieux malgré ses qualités. Car le pommard est intrinsèquement plus précis que le Volnay, plus noble. Mais le charme est du côté du Volnay. Sur le délicieux pigeon, le Volnay est merveilleux. Sur un chèvre Valençay, le pommard retrouve une belle jeunesse.

Le Kracher Welschriesling Trockenbeeren Auslese Nummer 11 de 1998 qui titre 7,5° est d’un or radieux. Il sent le sucre ou plutôt une eau sucrée avec un peu d’alcool. En bouche, si on accepte le côté doucereux, c’est un vin capiteux, sensuel, sur des notes de confiture de coing et de mangue. C’est très plaisant, et si le sucre domine fortement, il y a une jolie fraîcheur qui rend le vin plaisant. Le soufflé à la menthe fraîche joue un rôle phénoménal pour propulser le vin à des hauteurs inouïes, car il gomme le sucre et il ne reste que la trame grandiose d’un grand vin. Si ce vin autrichien se comporte comme les sélections de grains nobles de Hugel qui « mangent » leur sucre, les vins anciens de Kracher sont ou seront redoutables.

Mike avait dans sa musette un Scotch whisky single malt the Octave cask from Duncan Taylor 1969 superbe et d’un équilibre rare. Sous un soleil de plomb dans le plus beau jardin de Paris, j’ai fait la rencontre d’un passionné du vin, mélomane et pianiste avec lequel j’ai passé un agréable déjeuner.

déjeuner au Laurent – photos lundi, 23 mai 2011

Clos Jordanne, le Grand Clos, chardonnay du Niagara 2005

Pommard Naigeon Chauveau 1961

Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961

Kracher Welschriesling Trockenbeeren Auslese Nummer 11 de 1998

Scotch whisky single malt the Octave cask from Duncan Taylor 1969

un seul plat photographié !

j’ai bu des vins de cinq siècles ! samedi, 21 mai 2011

Ce matin, en demi-sommeil, j’ai constaté que je viens de boire un vin qui fait que je couvre cinq siècles : 17è, 18è, 19è, 20è et 21è siècle.

Comment est-ce possible si le vin que je vin de boire n’a « que » 320 ans.

A peine réveillé, j’ai trouvé l’explication : il y a trois siècles pleins, le 18è, 19è et 20è et j’écorne 10 ans de chacun des deux autres, le 17è et le 21è.

Mais se dire que je « couvre » (si l’on peut dire) cinq siècles de vin, c’est quand même un peu fou !

J’ai bu un vin du 17ème siècle ! vendredi, 20 mai 2011

Ce matin, je me suis réveillé d’humeur extrêmement fébrile. En préparant mon petit déjeuner, mes mains tremblent et le souvenir qui me vient immédiatement, c’est celui de mes examens et concours, du temps de mes études. L’excitation des concours est particulière, car il faut être le meilleur. Comme pour les sportifs, ce sont des années d’ascèse et de sacrifice pour un seul but, gagner le jour J. Cette journée qui commence est de même nature. Car j’ai rendez-vous avec une bouteille qui pourrait représenter un des sommets importants de ma passion du vin.

Alors, comme on dit que le moment le plus important en amour, c’est quand on monte les escaliers, j’ai envie de profiter de mon excitation. Que vais-je penser lorsque je vais ouvrir cette bouteille, puisque son propriétaire m’a autorisé à l’ouvrir et à la partager avec lui ?

Un flash back s’impose sur la genèse de ce grand jour. Joël, appelons-le ainsi, est passionné de vieilleries de tous horizons, mais surtout de ce que l’on remonte des épaves. Il achète, je ne sais pas s’il revend de façon sporadique ou systématique, mais je lui ai acheté une bouteille provenant d’un bateau coulé en 1739. La bouteille est pleine mais Joël m’avait prévenu : le contenu n’est plus du vin. C’est donc un symbole que j’ai acheté, bouteille du vivant de Louis XV.

Récemment Joël m’écrit : « je viens d’acheter une bouteille du 17ème siècle, très probablement en provenance d’un bateau coulé, mais qui a séjourné dans une cave londonienne pendant un temps indéterminé. Elle est au trois quarts pleine. Je vous dirai le goût qu’elle a lorsque je l’aurai goûtée ».

Mon sang ne fait qu’un tour et je le supplie de m’associer à cette découverte et de me laisser ouvrir la bouteille avec mes outils. Je ne sais pas comment Joël peut certifier que la bouteille est du 17ème siècle, mais le lien avec le catalogue de la vente aux enchères indique que la bouteille est présentée comme étant du 17ème siècle. Alors rêvons un peu. Nous sommes sous Louis XIV, dans une France qui n’a pas l’ombre d’un point commun avec celle d’aujourd’hui. Peut-on comparer des humains aux espérances de vie qui ont plus que doublé, une royauté et une religion omniprésentes, des castes sociales figées par la naissance, mais aussi Molière, Corneille et Racine qui m’ont appris la grandeur de la pensée française. S’imaginer la France du 17ème siècle, c’est voyager sur une autre planète quand on pense à la stature du Roi-Soleil et le « casse-toi pauv’con » de notre époque malgré quatre siècles de progrès inimaginables et inenvisageables pour les vivants de cette époque.

Ce qui me fascine dans cette plongée dans les abysses de l’histoire, c’est qu’il y a à peu près autant de distance temporelle entre la bouteille qui sera ouverte ce jour et mes vins de Chypre de 1845 qu’il n’y en a entre ces Chypre et aujourd’hui. A l’échelle du temps, c’est complètement fou. Les plus vieux vins et alcools que j’ai bus sont un cognac de 1769, un xérès 1769, un Lacrima Christi colline de Naples 1780, un malaga de 1780 mais qui est une solera et un vin de Constantia Afrique du Sud 1791 cadeau posthume de Jean Hugel. Le curseur des plus vieux breuvages va reculer de l’ordre de 80 ans, ce qui, pour imager, est la distance entre 2011 et 1931. Un monde !

Alors, on pense au goût. Que sera-t-il ? Joël a reçu la bouteille à Rennes où il habite, peu de temps après nos échanges. Il me signale que le transport a fait perler une goutte. Il m’écrit : « Je l’ai examinée de plus près. Elle est pleine d’un bon deux-tiers, presque les trois-quarts, le verre est clair mais le vin est impénétrable à la lumière, dans le transport, elle a fui un peu car il y avait une tache a l’intérieur du paquet, j’ai sentit la tache, aucune odeur, sans doute plus d’alcool. J’ai appuyé légèrement sur le bouchon, une goutte marron a perlé, aucune odeur non plus, je l’ai sucée, il m’a semblé ressentir un gout de vieille écorce d’orange salée . Le certificat stipule qu’elle a été trouvée dans une vielle cave mais qu’on ignore son histoire exacte. Il y a une cire synthétique qui recouvre le bouchon, elle-même sans doute vieille de plusieurs décennies (en me basant sur le goût de la goutte, mon avis personnel est qu’à la base elle provient d’une épave et qu’elle a séjourné des décennies dans cette cave où son niveau a dû baisser). Suite à ces informations je comprendrais très bien si vous vous décommandiez, vous seriez néanmoins le bienvenu pour ouvrir le flacon. A vous de voir ».

Je suis donc prévenu et il est inutile de fantasmer. Je boirai plus de l’histoire que du vin. Mais j’estime que c’est suffisant pour entretenir mon envie et mon excitation. Il était exclu que j’annule mon voyage. Je suis parti.

Etant en avance, je prends un café dans les alentours, et ma tasse tremble, parce que l’excitation atteint des sommets.

J’arrive dans un quartier plutôt populaire et propre de Rennes. Joël habite au onzième étage d’un immeuble où les portes coupe-feu sont innombrables. Il vit dans un appartement aux pièces exiguës mais à la vue infinie. Joël m’explique qu’il travaillait dans le bâtiment et qu’il s’est tourné maintenant vers le monde hospitalier où il est infirmier. Il est rejoint par Benjamin, son ami de toujours, qui fait une formation de comptabilité. Ce que m’avait proposé Joël, c’est que nous buvions quelques gouttes du vin et qu’il le rebouche d’une cire hermétique pour revendre ensuite la bouteille. Comme tous les gens gourmands et mauvais joueurs de poker, j’expose mes projets. Je lui dis que j’ai l’intention de lui acheter la bouteille et de l’apporter en Bourgogne, pour qu’elle soit analysée et bue en même temps que la bouteille bourguignonne trouvée dans la cavité d’un mur et que j’ai vue dans la cave de la Romanée Conti.

Je n’ai toujours pas vu la bouteille. Joël va la prendre dans son carton et c’est un magnifique oignon qui est devant moi, rempli aux deux tiers, et avec une cire très proche de celle de mes Chypre 1845. Il m’explique qu’il a interrogé l’expert de la vente qui affirme catégoriquement que jamais la bouteille n’a été dans l’eau. Elle provient d’une cave ancestrale anglaise et, bien qu’il n’y ait aucune traçabilité possible, il affirme que la bouteille est du 17ème siècle. Joël me confirme que cette forme d’oignon n’a été utilisée qu’entre 1650 et 1720.

La charge de l’ouvrir m’incombe. Avant de l’ouvrir, je propose de régler l’achat de sa bouteille. Joël me propose un prix et je l’accepte. J’ouvre donc la bouteille d’un vin devenu mien. Tous mes outils sont posés sur la table comme pour une chirurgie. Je prends un Laguiole pour exciser la cire et à peine ai-je amorcé ce geste que l’ensemble, cire plus bouchon sortent ensemble. Le bouchon est tout ratatiné, et, chose horrible, il est recouvert d’une moisissure verte. Il sent la moisissure, et le goulot sent affreusement le moisi.

Ma première pensée est de me traiter d’imbécile, car si je n’avais pas voulu jouer les généreux, je n’aurais pas stupidement acheté une bouteille qui ne vaut rien. Que faire ? J’ai quand même le souvenir d’un Haut-Brion blanc 1936 putride bu il y a deux jours qui s’est révélé plus que buvable. Mais de la moisissure verte, c’est la première fois que j’en rencontre.

J’avais apporté avec moi mon verre à boire, du 18ème siècle, qui me semblait indispensable pour cette occasion et je verse deux verres. Deux choses fondamentales nous frappent. La première, c’est que la couleur est jolie. C’est celle d’un vin blanc un peu âgé et clairet. Le vin n’est pas trouble, ce qui est remarquable. Le seconde, c’est que le vin ne sent absolument pas la moisissure. Et il y a une raison à cela : une bouteille oignon est toujours stockée debout. La moisissure du bouchon n’a pas contaminé le liquide. Elle n’a pu toucher le vin que pendant quelques secondes lors du transport.

Venons-en aux odeurs. C’est dans le verre INAO de Joël qu’on les sent le mieux. Joël voit de l’absinthe là où je vois plutôt de la Chartreuse. Car il y a des odeurs végétales et certaines herbes fortes que l’on retrouve dans la Chartreuse. Il y a même du mentholé. Et en humant de nombreuses fois, on sent un parfum sympathique, qui n’est atteint par aucune moisissure.

Mon verre est le plus sale, car le premier vin versé a léché le goulot, sale des poussières accumulées. Aussi je me verse un verre INAO de ce vin. Vient l’instant de boire et je laisse Joël boire en premier puisqu’il est l’inventeur de ce trésor. Joël aime bien. Ce qu’il aime c’est que ce vin est authentique et n’a jamais donné lieu à la moindre addition. Il boit du 100% 17ème siècle. Je bois un peu et même si rien n’est désagréable, je préfère cracher les deux premières gorgées. J’ai bu toutes celles qui ont suivi.

Que dire ? La première impression est assez désagréable, comme de l’eau mélangée à du plâtre car le goût est très calcaire. Puis, le milieu de bouche est tout-à-fait étonnant, car c’est du vin, équilibré, faiblement alcoolisé – pas plus qu’une bière – et ce qui frappe, c’est l’équilibre. Et enfin le final est un vrai final, étonnamment précis, c’est-à-dire qu’au contraire du Haut-Brion 1936 dont les blessures apparaissaient dans le final, il y a ici un final précis sans blessure, qui signe un vin atténué, mais qui est du vin.

Jamais un vin qui aurait séjourné dans l’eau n’aurait pu avoir cette pureté. Alors, dans mon cerveau, c’est la chamade, car je ne regrette plus du tout d’avoir parlé trop vite. C’est fou de se dire que je bois un vin de – disons – 1690, et de constater que c’est encore un vin, un vrai vin, sans trace de vinaigre ni d’acidité, moche à l’attaque mais serein et pur en milieu de bouche et au final. Quelle sensation !

Pourrait-on imaginer une région ? C’est purement utopique, aussi, par boutade, nous avons dit que comme je voudrais présenter ce vin en Bourgogne, c’est « forcément » un blanc de Bourgogne, disons un Montrachet. Au-delà de la boutade, c’est une hypothèse possible. La vérité ne pourrait venir que d’une analyse chimique, si elle est réalisable.

En tout cas, si on demande à Joël et à moi : « avez-vous bu du vrai vin ? », la réponse est sans ambiguïté : « oui ».

Joël m’avait dit qu’il voulait ouvrir quelque chose pour ma venue, mais comme il n’a rien qui pourrait satisfaire un palais comme le mien (c’est lui qui parle) il a décidé de me faire goûter quatre gueuses, sur des pâtisseries bretonnes. L’idée me plait, d’autant plus que les bières vont aider à revenir sur le 1690. Lecteur, imaginez cette phrase : « ensuite, on revient au 1690 ». Complètement fou. Les gueuses ont des noms qui sont de vraies professions de foi : « Mort Subite, la Foudroyante, Faro et Kriek ». J’adore la Foudroyante et tout en grignotant les lourds gâteaux, je me dis que c’est quand même un peu fou de juxtaposer quatre gueuses et un vin aussi ancien. Le vin oscille entre éveil et possibilité de mort subite (c’est le cas de le dire) aussi est-ce prudent de reboucher la bouteille que je vais emporter chez moi.

Il est temps que j’ouvre la bouteille que j’ai apportée. C’est la plus vieille des bouteilles de madères que j’ai dans ma cave et je la date entre 1780 et 1840, car elle a la même bouteille que le Lacrima Christi 1780 que j’ai déjà bu. Joël, passionné de vins ultra vieux, confirme la probabilité du 18ème siècle. En fait la passion de Joël pour le vieux ne concerne que le vin et pas les pièces d’épaves comme je le pensais, et son autre passion est de piloter des avions de chasse et des jets pour simuler des combats. J’adore ces passions atypiques.

Le bouchon se brise en morceaux quand je le lève et le parfum est diabolique de perfection. La couleur est d’un or magnifique, comme l’armure d’un empereur romain, et le vin est inouï. Il est encore meilleur que le madère 1850 bu il y a deux jours. Sa force alcoolique est ahurissante, et en bouche comme avec le 1850 récent, c’est la danse des sept voiles, car le goût oscille en permanence entre le citron, l’alcool, les fruits confits et des traces légères de pâtisserie. Le final est dans la catégorie « no limit » et personne ne pourrait donner un âge à ce vin qui est éternel, c’est-à-dire que je suis sûr qu’il serait strictement le même dans quatre cents ans. Il est extrêmement sec et l’hypothèse xérès me semble possible, puisque ces vins que j’ai achetés n’ont pas d’étiquette.

En jetant un œil sur la table, le mot qui vient à l’esprit est folie. J’adore ce happening. Car il y a mes outils qui n’ont pas servi, quatre ou cinq tartes et des gâteaux bretons, quatre bières belges délicieuses, un bouchon mangé par la moisissure, un bouchon totalement en miettes, une bouteille de la fin du 18ème siècle au parfum qui envahit la pièce et une bouteille oignon du 17ème siècle qui a libéré un vrai vin. Et ce petit casse-croûte improvisé où la carpe côtoie le lapin, j’adore.

Je remballe mes affaires, je serre la main de Joël et Benjamin. Et quand je les ai quittés j’ai le sourire benêt de Lou Ravi, car je viens de vivre un des moments les plus uniques de ma vie. Pour se rendre compte du côté ahurissant de la chose, je me vois disant : « j’ai bu un excellent 90 ». Et si on me pose la question : « 1990 ou 1890 ? », je répondrai : « ce n’est ni 1990, ni 1890, ni 1790, mais 1690 ». Il n’y a qu’un mot : fou !

147ème dîner de wine-dinners au restaurant Arpège jeudi, 19 mai 2011

Le 147ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Arpège. Les vins sont arrivés dans la cave du restaurant il y a une semaine, sauf un, que j’apporte ce jour même, transporté sur mes genoux pour éviter les à-coups. C’est l’Yquem 1890 dont le bouchon est d’origine, mais tellement rétréci que j’ai eu peur qu’il tombe pendant le court voyage entre ma cave et le restaurant, ce qui, une semaine avant le dîner lui eût été fatal. Il a résisté. Le niveau est haute épaule et la couleur acajou est superbe.

Lorsque je me présente à 17 heures, l’aspirateur vrombit. Il est omniprésent dans le petit espace du restaurant. Gaylord remonte la caisse et j’ouvre les vins. Le Montrachet a un nez un peu fermé. Les deux Latour sont très prometteurs. Le Cros Parantoux Henri Jayer est serein et va s’ouvrir. Le Vosne de 1959 est incertain mais je crois en lui. Le Filhot 1935 est impérial. Lorsque je décapsule l’Yquem 1890, j’ai peur que le bouchon tombe, mais il reste en place. Il est donc bien arrimé, même si c’est sur quelques millimètres. Il me suffit de pointer le tirebouchon et de tourner à peine pour que le bouchon vienne d’une seule pièce. Le parfum du vin est un miracle de subtilité. Toute la beauté d’un grand sauternes est contenue dans ce parfum. Je pousse un « ouf » de satisfaction, car le risque existait que la capsule ait eu un contact avec le vin, gâchant sa pureté. Je vais voir à la lumière du soleil ce qui est écrit sur le bouchon. On lit distinctement « YQ », puis « LUR » et plus loin « CES ». Et le « 90 » est parfaitement lisible. La grande déception, c’est le Haut-brion blanc 1936 qui dégage une puanteur quasi insoutenable. Je crois n’avoir que rarement rencontré quelque chose d’aussi intense dans le camphré, le chimique, le médicamenteux. Le bouchon est imprégné de cette odeur et sent tellement mauvais que je prends la petite assiette où je l’ai posé et voyant qu’en cuisine la porte sur la rue est ouverte, je pose l’assiette en plein soleil pour que le bouchon exsude ses mauvaises odeurs. Je dis à l’un des commis qui officie en cuisine que l’assiette est posée pour s’aérer. Quand je suis revenu un peu plus tard, je ne vois plus l’assiette et le commis explique dans un français difficile qu’il a lavé l’assiette et jeté les déchets. C’est en plongeant dans le vide-ordures que nous avons récupéré le bouchon, la jolie capsule étant passée en profits et pertes.

Tout le monde est à l’heure ce qui est remarquable et notre table est composée de deux canadiens, père et fils, qui sont les seuls nouveaux. Les autres convives, trois femmes et quatre hommes, sont des habitués.

Le menu, conçu avec Gaylord par Alain Passard est : Cueillette éphémère, petits pois et rhubarbe / Œuf à la coque, quatre épices et sirop d’érable / Ravioles printanières, consommé végétal / Turbot de la pointe de Bretagne, Côtes du Jura et pommes de terre fumées / Agneau de lait de Lozère, grands crus du potager / Poularde du Haut-Maine grande tradition à la casserole et foin du Bois Giroult / Fromages : saint nectaire et salers / Tarte aux pommes « Bouquet de rose » © caramel au lait / Fruit du soleil : mangue / Mignardises

Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 1960 est d’un bel or clair avec des traces de citron dans sa couleur. La bulle est active, et le champagne est d’une folle jeunesse. On croirait un champagne du début des années 80. L’indice de l’âge, c’est le miel assez fort et l’extrême rondeur du champagne. Il réagit très bien sur les petits pois.

Le Champagne Dom Pérignon 1969 fait vraiment son âge, avec une teinte plus pâle, une bulle active mais discrète, et une subtilité à nulle autre pareille. L’œuf était forcément un choix osé. Il rétrécit le champ d’expression du champagne, et dès que l’on a fini l’œuf, un petit morceau de pain fait déployer le charme de ce champagne de très grande qualité. C’est un grand Dom Pérignon, floral, frêle, romantique.

Quasiment assuré que le Château Haut-Brion blanc 1936 sera imbuvable, je commence à parler du vin que j’ouvrirais pour le remplacer, un Yquem 1918, pour lequel j’avais fait modifier la présentation des ravioles. Aussi quand Gaylord me sert le vin, une stupéfaction se lit sur mon visage. Comment ce vin que j’avais définitivement condamné peut-il avoir totalement effacé ses mauvaises odeurs ? Et ce qui est étonnant, c’est que le bouchon a gardé ces senteurs affreuses, que le vin a su gommer. C’est un miracle de plus qui montre l’extrême capacité des vins à ressusciter. Le vin est agréable à boire, son parfum est magique et le restera longtemps dans le verre vide, mais c’est sur le final que l’on sent que toutes les blessures n’ont pas été guéries. Avec les ravioles et surtout le bouillon, ce vin crée le plus bel accord du dîner. C’est pour cela qu’il recueillera des votes, ce qui me semble inouï.

On nous montre un gigantesque turbot, dont hélas la cuisson ne nous a pas convaincus. Le Montrachet Bouchard Père et Fils 1989 joue un peu en dedans. Une des convives nous dit : « on le sent plus Chevalier que Montrachet ». Elle a raison. Ce vin est agréable, bien fait, mais trop prévisible et timide. Il est plaisant mais n’est que plaisant.

Nous devions avoir un agneau des prés salés, mais pour une raison qu’Alain Passard ne s’explique pas, le fournisseur a fait faux bond. Mais l’agneau de Lozère qui le remplace est tout simplement merveilleux. Et le Château Latour 1er GCC Pauillac 1989 crée avec lui un accord naturel confondant de pertinence. Le 1989 est d’une couleur foncée, d’un nez profond, et en bouche, ce qui surprend, c’est que ce vin est beaucoup trop jeune ! A vingt-deux ans, il encore pré-pubère. On sait que Latour est le plus lent des vins de Bordeaux à s’épanouir et nous en constatons l’évidence. Mais même aussi jeune, il est palpitant. Et ce qui est intéressant, c’est que le Château Latour 1er GCC Pauillac 1949 servi sur le même plat montre à quel point le 1989 deviendra grand un jour. Car c’est à cet âge là qu’il faut boire les Latour. Ce 1949 est sublime. Il a tout pour lui, l’équilibre, le velouté, la profondeur, et un final inextinguible. C’est un grand vin et l’on sent que tout le monde communie.

Sur la poularde, nous buvons les deux bourguignons. Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988 ouvre la porte du plaisir. Un sourire barre mon visage. Ce vin est une leçon de choses, car il n’y a pas de bourgogne plus élégant. J’ai bu plusieurs Cros Parantoux de ce vinificateur de génie, et je n’ai pas toujours eu la réponse à mes attentes. Mais ici, c’est la perfection faite vin, avec la simplicité de son auteur. La lisibilité de ce vin est extrême. On le boit de façon gourmande.

Le Vosne Romanée Gros Renaudot 1959 n’est hélas pas au rendez-vous. Malgré une année exceptionnelle, il est pataud, rustaud, avec des notes de torréfaction qui trahissent un accident de stockage dans une des caves où il a vécu. C’est sur les fromages excellents qu’il s’exprime le mieux.

Le Château Filhot Sauternes 1935 est l’étalon de mon amour pour les vieux sauternes. Je dis souvent à titre de boutade que si l’on n’a pas bu de sauternes de 1935 ou avant, on n’a rien bu. C’est ce vin qui sert de référence, car il pourrait être inscrit au Bureau international des poids et mesures. Sa couleur est d’un or clair, son nez est une bombe d’agrumes, et en bouche c’est tout l’équilibre que peut atteindre un sauternes qui crée le ravissement, tout en ayant la retenue naturelle de Filhot.

Quand arrive le Château d’Yquem 1890, c’est « respect », comme on dit dans le 9 – 3. La couleur est acajou foncé et d’un or intense plus clair dans le verre. Le nez est délicat, subtil, raffiné. Le goût est quasiment indescriptible car si l’on cherche du caramel, on pourrait en trouver, si l’on cherche des mangues et des agrumes on pourrait en trouver, comme de la pomme cuite. Mais ce qui compte c’est cet équilibre diabolique et cette longueur impérissable. Ce 1890 au bouchon d’origine est nettement meilleur que le 1890 que nous avons bu ensemble avec deux des convives. C’est un vin immense et un témoignage unique, du fait de ce bouchon d’origine.

Ayant décidé de ne pas ouvrir l’Yquem 1918, j’ouvre devant les convives un Madère vers 1850 à la bouteille opaque d’une rare beauté, que j’avais aussi en « secours ». Sous la cire, le bouchon que je pique commence à tourner dans le goulot. Il sort aisément et entier. Le verre que je me sers révèle une merveille, comme on le verra dans mon vote. Ce vin à forte charge alcoolique est un Fregoli d’expression. Il oscille entre l’alcool et la fraîcheur. Et ça change tout le temps en bouche. Sur des petites madeleines que j’avais demandée à Nadia, ce vin crée un orgasme gustatif de la plus haute magnitude. Nous sommes aux anges.

Le classement est assez intéressant. Un seul vin, le Vosne 1959, n’a pas eu de vote, chacun votant pour cinq vins sur onze. Un vin est dans les dix feuilles de vote, c’est le Latour 1949. Quatre vins ont eu des votes de premier, le Latour 1949 quatre fois, l’Yquem 1890 trois fois, le madère du 19ème siècle deux fois et le Cros Parantoux une fois. Il est assez surréaliste que le Haut-Brion blanc 1936 qui serait allé à l’évier s’il avait été ouvert pour une consommation immédiate, ait reçu des votes de la part de quatre des dix votants.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1949, 2 – Château d’Yquem 1890, 3 – Madère vers 1850, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988, 5 – Champagne Dom Pérignon 1969.

J’aurais logiquement dû mettre l’Yquem en premier, mais j’ai voulu couronner la jouissance et mon classement est : 1 – Madère vers 1850, 2 – Château d’Yquem 1890, 3 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1949, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988, 5 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1989.

Malgré une table étirée en longueur, notre assemblée fut enjouée et taquine. Nous sommes tous conscients d’avoir approché des raretés absolues comme le Latour 1949, le Cros Parantoux 1988, l’Yquem 1890 et le madère du milieu du 19ème siècle.

Le talent du chef s’est exprimé sur presque tous les plats et deux accords ont été remarquables, celui des ravioles et celui de l’agneau. Mais incontestablement la vedette ce soir est sans conteste aux vins exceptionnels, quasiment irremplaçables aujourd’hui.

147ème dîner Arpège – les vins mercredi, 18 mai 2011

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 1960

Champagne Dom Pérignon 1969

Château Haut-Brion blanc 1936

Montrachet Bouchard Père et Fils 1989

Château Latour 1er GCC Pauillac 1989

Château Latour 1er GCC Pauillac 1949

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988

Vosne Romanée Gros Renaudot 1959

Château Filhot Sauternes 1935 (magnifique capsule)

Château d’Yquem 1890

Madère vers 1850