Mon frère est commandeur samedi, 1 avril 2017

Mon frère Jean vient d’être nommé commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur. C’est le Premier Ministre lui-même qui a fait son éloge et l’a cravaté et bisé et de plus, cette cérémonie à l’Hôtel Matignon n’était que pour lui.

Lorsque nous étions gamins, il y avait une saine émulation pour savoir qui serait le meilleur. Mais là, mon frère a mis la barre si haut qu’aucune émulation n’est dorénavant possible. C’est comme si aujourd’hui on me demandait de sauter à la perche au-dessus de six mètres ou de courir le cent mètres en moins de dix secondes.

Il n’y a plus de challenge possible mais du respect surtout quand on entend de la bouche d’un Premier Ministre que la France est reconnaissante pour l’œuvre qu’il a accomplie. On pense alors aux parents et grands-parents qui auraient la larme à l’œil d’avoir un de leurs descendants couronné par la République.

Bravo Jean et respect.

Déjeuner au Yacht Club de France mercredi, 29 mars 2017

La vie est un éternel recommencement. Notre club de conscrits se réunit à nouveau au Yacht Club de France et de nouveau Thierry Le Luc n’en finit pas de nous éblouir. Une habitude vient de se créer de faire de l’apéritif que nous prenons dans la bibliothèque une gargantuesque débauche. Si c’est agréable sur le moment, la balance à l’aurore suivant nous dit « j’accuse ».

Aujourd’hui de délicieuses cochonnailles typées, des huîtres, des bulots et des praires, quatre sortes de saumons fumés sur blinis, d’Ecosse, d’Alaska et de mer Baltique sont autant de tentations et de plaisirs. Le Champagne Delamotte Brut est toujours aussi agréable et vif, l’archétype du champagne direct et franc, de bonne soif.

A sa suite, un Champagne Besserat de Bellefond Brut Réserve, s’il se boit aisément, n’a pas la tension et la salinité du Delamotte sur les fruits de mer. Delamotte et huître, c’est un pur bonheur.

Le menu composé par Thierry Le Luc et le chef Benoît Fleury est : petit couscous de langoustines / filet de bœuf Wellington, pommes château, jus de viande / fromages d’Éric Lefebvre MOF / éclair à l’orange et mini-meringue.

Pour la première fois, Thierry, stimulé par le représentant en vins qui le livre, veut nous faire essayer un Riesling dont je n’ai mémorisé le nom. Quelle déception. Ce vin très jeune n’a pas la moindre évocation de riesling et l’un de nous dit même que cela lui fait penser à du cidre plus qu’à du vin.

Thierry va donc lui substituer un Clos Poggiale Jean-François Renucci Vin Corse 2016 de cépage Vermentino. Ce doit être le premier 2016 que je bois. Il est vif, précis et charmeur. C’est un vin jeune bien sûr mais qui a du caractère et qui se boira bien quand il fera chaud sur les côtes de la Méditerranée. Avec le couscous, il est idéal.

Evidemment, quand on sert le Meursault Domaine du Château de Meursault 2013, le fruit du bourgogne emporte la mise tant il est gourmand. C’est un vin qui n’est pas très complexe, mais qui est joyeux et bien large en bouche.

Les choses deviennent plus sérieuses sur la délicieuse viande servie avec une farce fourrée dans la croûte de cuisson. C’est la préparation en croûte et farce qui justifie l’appellation de la recette et non la victoire de Waterloo. Sur le plat, nous goûtons deux vins de 1989.

Le Château Figeac Saint-Emilion 1989 est d’une richesse de truffe. En le buvant on croit croquer une truffe noire bien parfumée. Le vin est solide, riche, charpenté. C’est un fonceur.

Le Château Beychevelle Saint-Julien 1989 est très séducteur. Sa palette de saveurs est plus large. Il est moins incisif que le Figeac mais il est d’une grande séduction par sa longueur et sa joie de vivre. Je préfère le Beychevelle mais les deux vins sont au sommet de leur art, provenant d’une très grande année. Les temps ont bien changé sur l’appréciation de la vie des vins, car ces vins ont 27 ans et il paraît tout à fait normal aujourd’hui de les trouver jeunes. Que de chemin parcouru !

Les deux rouges accompagnent les délicieux fromages et le champagne Besserat de Bellefond échange sa fraîcheur avec le délicat dessert. La charmante Marie- Chrisline qui a fait un service de qualité nous tente avec un Rhum Vieux Agricole Clément relativement jeune mais qui a déjà une belle profondeur de joli caramel. Voilà un alcool bien sensuel.

L’ambiance au Yacht Club de France, grâce à une équipe motivée et des produits splendides fait de ces repas pantagruéliques des rites que nous ne manquerions pour rien au monde.

Déjeuner au restaurant de Guy Savoy mercredi, 22 mars 2017

Des amis du sud ont envie de découvrir le restaurant de Guy Savoy à l’hôtel de la Monnaie. Nous sommes quatre à déjeuner. Devant organiser un dîner dans une dizaine de jours en ce même lieu, j’arrive avec ma femme un peu plus tôt pour discuter du menu avec Guy Savoy. Il a déjà réfléchi au menu avec Sylvain le très compétent sommelier et nous discutons de façon très ouverte, les propositions de changer l’ordre des vins donnant lieu à des échanges passionnants. Guy suggère que nous goûtions à midi des plats prévus pour le prochain dîner.

Etant en avance je discute avec Sylvain des vins de ce déjeuner et nous tombons facilement d’accord. Les amis arrivent alors que tout est déjà en route mais ils me font confiance.

Le menu sera : surprise de homard / un morceau d’énorme turbot cuisiné tout simplement / soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée champignons et truffes / pigeon grillé au barbecue, les petits pois, jus aux abats, à la manière de Léonie / saint-nectaire, la croûte et le champagne en gelée / miel d’ici.

En attendant les amis, je bois un Champagne Jacquesson Cuvée 740 extra-brut qui est d’une belle tension, vif, un peu acide mais très agréable à boire dans sa vivacité. Les toasts au foie gras, que les serveurs piquent avant de les donner, pour les présenter sur des sticks, sont d’un confort extrême et idéaux pour le champagne.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2006 a un parfum d’une intensité rare. En bouche il est d’un charme incroyable. Il combine une puissance extrême avec un romantisme délicat. Cette juxtaposition de force et de grâce est passionnante. Il est d’une longueur racée et d’une présence imposante. C’est un très grand champagne pour lequel la question ne se pose pas de savoir comment il vieillira. Il est parfait maintenant, tant mieux.

Le Meursault Luchets Domaine Roulot 2009 se présente de façon assez timide. On sent la pureté et la précision, mais il manque de présence. Il fallait tout simplement attendre le turbot pour que ce vin devienne extrêmement joyeux, plein, riant, avec une précision qui vaut celle des rieslings. Quel beau vin ! Le homard est d’une grande délicatesse, avec des évocations raffinées. Le turbot est un bonheur. L’oignon qui l’accompagne est un bijou. Ce plat révèle le vin blanc comme aucun autre plat ne le ferait.

La soupe aux truffes et artichaut fait partie de ces plats emblématiques où tout est dosé au milliardième de millimètre. On ne conçoit pas ce plat autrement. La brioche est un péché mortel.

La Côte Rôtie Stéphane Ogier 2007 est exemplaire car le vin est d’un velours rare et son finale exprime de la menthe lui donnant une fraîcheur qui est parfaite pour aller avec le pigeon. Le saint-nectaire tel qu’il est traité se marie merveilleusement avec le champagne Taittinger.

Le mangue au miel provenant des ruches posées sur le toit de l’hôtel de la Monnaie accompagne avec une pertinence totale le Château Coutet Barsac 2007. Ce dessert est prévu aussi pour le prochain dîner et je me demande s’il sera aussi pertinent sur un sauternes vieux d’un siècle. Sylvain a noté les deux ou trois remarques d’ajustements à faire pour le prochain dîner.

Il règne en ce lieu, à la décoration moderne superbe, une atmosphère de bonheur. On se sent chez soi. L’accueil est souriant et attentif et Guy Savoy est l’hôte le plus agréable que l’on puisse imaginer. A l’écoute de nos désirs, prévenant, son empathie rejaillit sur toute son équipe. Sylvain nous a conseillé des vins judicieux. Le fait d’être avec des amis qui sont des esthètes a enrichi un peu plus ce repas. En sortant du restaurant on se dit qu’il existe peu de restaurants dans le monde dont on repart avec le sentiment d’avoir passé un moment exceptionnel. Il y a Anne-Sophie Pic à Valence et Guy Savoy à Paris.

Ce repas est un moment de grâce sur un beau nuage gastronomique.

David Rockefeller vient de s’éteindre mardi, 21 mars 2017

David Rockefeller vient de s’éteindre à l’âge de 101 ans. Je suis personnellement touché car je l’ai rencontré en 1962 et ce fut l’une des rencontres qui ont marqué ma vie.

Je faisais un stage d’été à la fin de la première année de l’Ecole Polytechnique à la Chase Manhattan Bank à New York.

J’étais au département de l’international, qui est chargé de la surveillance comptable des filiales à travers le monde. On m’avait donné à convertir les bilans présentés en devises locales en bilans exprimés en dollar. A l’époque il n’y avait pas de calculettes électroniques et on faisait les calculs dont les divisions, soit avec une calculatrice électrique qui mettait une demi-minute pour faire une division soit une table de logarithmes qui prenait aussi beaucoup de temps à la main.

 

Au vu de la pile de bilans qu’on m’avait confiés, j’en avais pour plus de trois semaines pour effectuer ce travail. Je me suis donc dit qu’il fallait que je fabrique des abaques suffisamment précises pour atteindre la précision demandée.

Je fabrique mes abaques, je me lance dans les calculs et en moins d’une semaine j’ai accompli le travail qui devait m’occuper près d’un mois.

Le chef de service se demande comment j’ai fait et vérifie au hasard les calculs pour voir si je ne m’étais pas trompé. Il ne trouve aucune erreur.

 

On me donne un autre travail et quelques jours plus tard dans l’immense bureau du service qui compte bien une centaine d’employés, je sens que l’on chuchote. La rumeur prend de l’ampleur : « François Audouze va être reçu par David Rockefeller ».

Dans l’immeuble de la Chase qui comptait plusieurs milliers d’employés, David Rockefeller occupait à lui tout seul un étage. Pour accéder à son bureau il fallait passer le barrage d’une bonne dizaine de collaborateurs ou secrétaires. Dans les couloirs, des tableaux de maîtres dignes de figurer dans des musées.

Entrant dans son bureau dont la taille me paraissait immense, je vois david Rockefeller qui vient m’accueillir, me serre la main et dans un français impeccable il me dit : « vous ne savez pas la chance que vous avez de faire l’Ecole Polytechnique ». A 19 ans on est encore un peu benêt. Je lui réponds : « pour vous, apparemment, ce n’est pas mal non plus ». Il sourit, m’invite à m’asseoir devant lui et nous bavardons de choses et d’autres, de politique et d’avenir.

 

A un moment il me demande comment se passe mon stage. Je lui réponds que toutes les personnes sont d’une extrême gentillesse à mon égard mais qu’à mon sens, ce stage manque de rythme et de sujets d’intérêt.

David Rockefeller prend son téléphone, parle une minute et me dit : « demain, vous allez travailler à notre succursale dans l’immeuble de l’O.N.U. ».

J’ai effectivement continué mon stage dans cet environnement cosmopolite. Parrainé par le grand patron, cela me valait une certaine considération des cadres de la succursale. On m’a confié une étude sur le swap des euro-dollars dont j’avoue que ma formation mathématique ne me prédisposait pas pour faire un mémoire de portée définitive.

 

La rencontre avec cet homme puissant alors que j’avais passé toute mon existence d’étudiant dans les livres m’a donné l’envie d’avoir de l’ambition.

Merci David Rockefeller pour votre écoute à mon égard.

Par la suite, dans le groupe que j’ai dirigé, je me suis astreint à recevoir des stagiaires d’été, espérant que cela leur donne aussi la motivation que ce grand patron m’avait donnée.

R.I.P. David, que Dieu vous accueille auprès de lui.

Académie des Vins Anciens (AVA) – 27ème séance du 30 mars 2017 samedi, 18 mars 2017

Comme d’habitude il faut lire très attentivement le texte ci-dessous qui contient des nouveautés.

La 27ème séance de l’académie des vins anciens se tiendra au RESTAURANT MACEO 15 r Petits Champs 75001 PARIS (téléphone : 01 42 97 53 85)

La réunion débutera à 19h30.

Cette réunion aura une forme très particulière, pour changer et permettre des inscriptions d’amateurs qui n’ont pas de vins anciens en cave.

Tous les vins proviendront de ma cave. Il ne sera donc pas nécessaire d’en proposer (sauf dérogation).

De ce fait il y aura un prix unique pour cette séance de 210 € à payer à l’ordre de « François Audouze AVA ». Le paiement devra me parvenir avant le 1er mars 2017, date à laquelle la liste d’inscription sera close. Aucune inscription ne sera admise si le paiement n’est pas reçu à bonne date. Pour les retardataires, envoyer les chèques à mon domicile (me demander l’adresse) ou payer par virement (me demander le RIB).

L’adresse d’envoi du chèque est : François Audouze chez société ACIPAR 44 rue Andrei Sakharov 93140 BONDY.

La forme de cette réunion n’a pas vocation à devenir définitive, car l’un des objets de l’académie est le partage. Elle a pour objet de donner un nouvel élan devant conduire à un renforcement de l’académie.

Au plaisir de vous accueillie le 30 mars au restaurant Macéo.

Dîner dominical dimanche, 12 mars 2017

Un dimanche soir, ma fille cadette vient dîner avec ses enfants. Le Champagne Delamotte Blanc de Blancs 2004 de la veille a pris de l’ampleur en vingt-quatre heures et expose encore plus son fruit agréable. J’ouvre ensuite un Champagne Egérie de Pannier Extra-Brut 2006. Le repas sera de coquilles Saint-Jacques juste poêlées avec du riz noir. Le champagne agréable et de belle composition m’inspire une impression de « déjà-vu ». Il a tout pour lui mais il manque la petite étincelle qui va créer l’émotion. Il faudrait sans doute que je le revisite dans un autre contexte, mais après une semaine de champagnes au fort caractère, ce champagne trop consensuel n’a pas su me toucher.

Trois repas au champagne samedi, 11 mars 2017

C’est le dernier dîner en commun du court séjour de mon fils. J’ouvre un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996. Ce champagne est d’un confort spectaculaire. On se sent bien avec lui. Il est mesuré, a un fruit rassurant. Ce n’est que du plaisir à boire avec de jolis fruits bruns. On grignote encore du jambon et des fromages et il se révèle que le camembert Lepetit est meilleur que le Cœur de Lion car il est plus typé et plus vif.

J’ouvre ensuite un Champagne Salon 1988. Quand je dis « j’ouvre », c’est un bien grand mot. Car je n’arrive pas à faire remonter le bouchon. Mon fils s’en saisit et n’arrive pas non plus, même avec un casse-noix qui sert de clé anglaise. Je reprends sa suite et au bout de longues minutes le bouchon vient, plus long d’au moins un centimètre que celui du Henriot. Le Salon est très différent du Henriot. Il y a une noblesse dans le Salon qui est difficile à appréhender. Il est comme un message à tiroirs. Le Henriot est la joie de vivre et la simplicité. Le Salon nous emmène en montgolfière sur des altitudes parnassiennes qui exigent écoute et attention. Il y a des subtilités extrêmes qu’il faut savoir lire. On n’est pas dans la spontanéité mais dans le recueillement. C’est un très grand Salon qui est entre jeunesse et maturité, dans une phase mystique. Le plaisir est grand pour celui qui sait l’écouter. Je quitte mon fils qui va partir aux aurores sur la mémoire de ce grand champagne.

Le lendemain, il reste l’équivalent de deux verres du Salon 1988 que je vais partager avec une de mes nièces venue séjourner chez nous. Le Champagne Salon 1988 a considérablement évolué. Il s’est élargi, émancipé et son fruit a pris une puissance évidente. Il est devenu beaucoup plus charmeur et reste à un niveau olympien. En fait, il faudrait boire les Salon le lendemain ! Au programme il y a un poulet avec une purée à la truffe, et à la suite des fromages.

J’ouvre un Champagne Selosse Substance dégorgé le 20 mars 2007 comme par hasard un jour d’équinoxe. Ce n’est pas la première fois que je bois des vins de Selosse dégorgés des jours d’équinoxe. Il a un charme immédiat, avec un beau fruit souriant et une belle complexité. Il est vif, de forte personnalité et de belle persistance en bouche. Mais si l’on fait la comparaison en prenant l’image des tapis, le nombre de points du Salon est plus important que celui du Selosse. Malgré cela on se régale avec ce champagne typé. Il est très gastronomique, dans un registre très différent du Salon. C’est un bonheur de boire ces grands champagnes avec tant de caractère.

Le jour suivant, le repas n’est pas prévu pour du vin car il y a une soupe aux herbes vertes. Mais après, un saumon fumé me donne envie d’ouvrir un Champagne Delamotte Blanc de Blancs 2004. Le bouchon ne vient pas facilement, décidément et dès qu’il sort du goulot, il prend un ventre d’une taille au moins égale à celle du chapeau du bouchon. La bulle est active et grosse, la couleur est très claire et immédiatement, on se sent bien avec ce champagne comme avec l’Henriot Enchanteleur récent. Ce que donnait l’Enchanteleur, c’était plénitude et joie de vivre. Le Delamotte s’inscrit dans vivacité et fluidité. Il est vif, claque sur la langue mais donne aussi beaucoup de plaisir. C’est un champagne qui s’ouvre en toute occasion.

la différence de longueur explique sans doute la difficulté pour ouvrir le Salon 1988

déjeuner au restaurant Akrame jeudi, 9 mars 2017

Un ami de longue date puisque son père est un de mes amis d’enfance a participé à plusieurs de mes dîners. Il souhaite s’inscrire à un prochain dîner avec plusieurs personnes. Je lui demande s’il a une préférence de lieu et comme je lui laisse le choix, il me suggère d’essayer de faire le dîner avec Akrame, le bouillonnant chef qui a obtenu deux étoiles et qui est en train de créer un groupe à la manière de Daniel Boulud.

Rendez-vous est pris et je me présente à déjeuner au restaurant Akrame qui est maintenant rue Tronchet et que j’avais connu rue Lauriston. On passe un porche, on arrive sur une petite cour où il sera agréable de déjeuner aux beaux jours et on entre dans le restaurant assez sombre. Akrame Benallal vient bavarder avec moi des vins du dîner et me propose de suivre son inspiration.

Le menu est rédigé avec des affirmations pour chaque étape, que je reproduirai ici entre guillemets : « Picorer » ananas fumé / crackers poire, betterave / feuille végétale et anguille. « Démarrage » topinambour, café truffe. « Iodé » Saint-Jacques, caviar, consommé de homard. « Force » homard, coques, carotte, algie nori. « Le marin » sole, beurre noir, citron, chou-fleur. « Terre » bœuf cru et cuit, beurre de cacao, betterave. « Fraîcheur » ice citron. « Jouissance » chocolat, praliné, truffes, glace patate douce, dulce de leche truffe.

Il y a dans sa cuisine une inventivité et une recherche qui font plaisir à explorer. Bien sûr je ne suis pas là pour jouir seulement de sa cuisine mais plutôt pour voir la compatibilité de sa cuisine avec les besoins des vins anciens. Mon analyse sera donc orientée. Les amuse-bouche du chapitre « picorer » sont extrêmement lisibles. Il n’y a aucun problème. Le petit côté fumé de l’ananas est exquis. Le « démarrage » est un plat superbe et goûteux, mais pour les vins anciens, la force du café est irrémédiable sauf si l’on sert des vins aux traces de café comme les Royal Kébir 1945 ou de vieux Vega Sicilia Unico. Le « iodé » est parfait et c’est pour moi le plus beau plat du repas qui expose pleinement le talent du chef. Le homard est cuit dans un pot en verre avec un bouillon et se révèle délicieux mais pour les vins anciens il faudrait ignorer les carottes et les algues. Le bœuf est gourmand et mérite lui aussi, puisque l’on parle de vins anciens, qu’on simplifie ce qui l’accompagne. Les desserts sont parfaits parce qu’ils ont des goûts très homogènes.

Au final, s’il n’y avait pas en perspective l’un de mes dîners, on serait heureux de ce festin. Pour un de mes dîners, il faut élaguer certaines présentations sur assiette, sans changer la recette de base. Ce qui veut dire que les adaptations se feront sans aucune difficulté.

Je déjeune avec une journaliste qui avait déjà fait un reportage sur le chef Akrame et le connaît et qui a fait un reportage sur un de mes dîners et sur ma cave. Nous avons été accueillis par un Champagne Joseph Perrier Cuvée Royale Brut Blanc de Blancs sans année qui est fort agréable, champagne de soif. Je commande un Champagne Blanc des Millénaires Charles Heidsieck 1995 qui marque un saut qualitatif certain, car il y a un fruité avec la surprise de petits fruits roses comme la groseille et un finale généreux qui en fait un champagne de grand plaisir et de gastronomie. Bien sûr, il faudrait attendre dix ans pour que ce champagne atteigne le caractère glorieux de son aîné de 1985, champagne éblouissant, mais il faut être réaliste car ce champagne se trouvera rarement sur la carte des restaurants.

Akrame avait dû couper court à nos discussions car il se rendait à son nouveau restaurant Shirvan Café Métisse où je vais le rejoindre après le départ de mon invitée. On me fait placer à une table où se trouve un ami d’Akrame qui le conseille pour ses implantations en Asie. Nous discutons de vins et de gastronomie et nous nous trouvons des intérêts communs pendant que l’on me sert de nombreux desserts plus gourmands les uns que les autres dont un millefeuille tout oriental de grand charme. Akrame va me proposer un menu pour le futur dîner. Tout laisse à croire que ce sera un succès.

Dîner avec mon fils et avec Winston Churchill … enfin … le champagne ! jeudi, 9 mars 2017

Lorsque nous retournons à Paris, notre fils venu de Miami était déjà là depuis deux jours. Il organise le dîner selon la tradition : cœur de filet de saumon fumé, tarama, jambon Pata Negra et un grand nombre de fromages dont deux camemberts à comparer. A cela s’ajoute la rituelle meringue sphérique aux pépites de chocolat dont le nom n’a pas eu son permis de séjour. Le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 2002 a un bouchon qui résiste et qui va fortement s’élargir lorsqu’il sera extirpé devenant bedonnant et bombé puisque la lunule de bas de bouchon ne s’étend pas comme le ventre du bouchon. La bulle est très active et grosse. La couleur du vin est très claire. Le vin est noble, fluide, de belle construction. On sent que l’on est en présence d’un champagne aristocratique. Mais ce qui lui manque, c’est une petite pointe d’émotion. On sait qu’il est grand, mais il n’émeut pas. Ce qui est probable, c’est qu’il lui manque une bonne dizaine d’années pour être en possession de ses moyens. Il aura alors un charme qui n’est que trop discret aujourd’hui. Il a le potentiel, mais il nous a laissé un peu sur notre faim, même s’il a brillamment réagi sur le jambon, le saumon et les deux camemberts.

Il faut vite le laisser reposer comme une belle au bois dormant.