297ème dîner au restaurant Maison Rostang mercredi, 28 mai 2025

Un ami qui a participé à plusieurs repas et m’a demandé d’en organiser soit pour des amis soit pour des relations professionnelles me demande d’organiser un dîner pour des amis proches qui partagent le même loisir, la chasse. Nous serons onze au restaurant Maison Rostang Nicolas Beaumann.

J’arrive à 15h30 au restaurant pour ouvrir mes bouteilles et je suis accueilli par Frédéric Rouen le directeur et par Jérémie le sympathique sommelier sans qui je ne serais peut-être jamais arrivé au bout de cette opération. Les premières bouteilles s’ouvrent assez facilement et quand j’ouvre le Haut-Bailly 1964, je ressens une odeur de bouchon. Elle est moins forte que celle du Y d’Yquem 1985 ouvert au dernier repas, mais elle est là. Alors nous allons utiliser la même méthode en créant un rouleau de cellophane que l’on trempe dans la bouteille. Au bout d’une heure, le nez de bouchon a un peu diminué et nous choisissons de garder le bâton de cellophane dans la bouteille une heure de plus.

Passant maintenant à l’ouverture de l’Ausone 1978, à peine ai-je piqué le tirebouchon que le bouchon glisse vers le bas, et malgré mes précautions il reste dans le bas du goulot. Il faut donc carafer le vin, extraire le bouchon, laver la bouteille vide et la sécher, puis remettre le vin dans la bouteille. On est très loin de l’oxygénation lente, mais on ne peut faire autrement.

Les ouvertures continuent avec des parfums très engageants, et je croyais être tranquille pour finir avec la Malvoisie 1828 car elle a un tout petit bouchon sous un chapeau de cire, mais une nouvelle fois le bouchon est tombé dans le liquide. Nous avons dû à nouveau utiliser une ficelle de cuisine pour enlever le bouchon lorsque le vin est carafé. La patience de Jérémie a été une aide précieuse.

Pour le 297ème dîner de wine-dinners, nous sommes onze dont dix chasseurs et moi non chasseur. Il y a deux femmes et neuf hommes. Huit ou neuf des convives sont des nouveaux participants à mes dîners. La joie d’être ensemble de ce groupe d’amis est un plaisir à voir et à partager. Ils ont tant à se dire que j’ai eu peur d’être isolé mais pas du tout, nous avons pu bavarder et vivre ensemble la belle aventure de ce repas.

Le menu préparé par le chef Nicolas Beaumann est : amuse-bouches / tourteau de casier décortiqué en fine gelée / homard bleu cuit au barbecue, les premières girolles, jus de la presse / rouget maturé, courgette, sauce des arêtes au vin rouge / volaille de Bresse, le suprême mariné à l’eau de noix, salsifis à la reine-des-prés et jus au vin jaune / asperge blanche des Landes sauce hollandaise / stilton / tarte tatin de mangue / financier.

Le Magnum Champagne Laurent Perrier Grand Siècle base 1996 1997 1999 avait fait un joli pschitt à l’ouverture. La couleur est claire et la fine bulle est abondante. C’est un champagne très confortable et engageant. Les amuse-bouches ont des goûts très forts et épicés et le champagne s’y adapte bien.

L’Y d’Yquem 1988 a une couleur très claire pour son âge et montre un joli botrytis qui lui donne des muscles. Sur le tourteau, c’est un vrai bonheur.

Les deux bourgognes blancs cohabitent avec le délicieux homard et sont radicalement différents. Le Bâtard-Montrachet Etienne Sauzet 1990 est très foncé et d’une grande richesse qui crée un accord avec la sauce du plat.

Le Chassagne-Montrachet Les Caillerets Ramonet 1988 est beaucoup plus clair et beaucoup plus délicat. Sa finesse est rare. Il est idéal avec la chair du homard.

Le rouget a été préparé pour s’accoupler aux deux Bordeaux. Le Château Haut-Bailly 1964 a quasi totalement perdu son parfum de bouchon et ce qui reste ne gêne pas le goût, au point qu’un des convives le mettra premier dans son vote. Le vin est lourd, truffé, très racé.

Le Château Ausone 1978 a été doublement carafé mais cela n’a pas altéré sa noblesse. C’est un grand vin au goût de truffe, idéal pour le rouget. L’accord a été parfait avec ces vins dissemblables.

Nous allons entrer sans le savoir sur le chemin du sommet du repas avec deux bourgognes éblouissants. Le Château Corton Grancey Louis Latour 1959 est un vin élégant, subtil, plein de charme.

Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 est un vin puissant, cohérent, parfaitement accompli. Je l’avais déjà choisi dans 14 de mes dîners et il avait été premier 7 fois, second 3 fois et quatrième une fois. Il va être premier pour sa quinzième apparition. Il fait donc partie comme le Nuits Cailles 1915 de Morin Père & Fils des vins qui sont des valeurs sûres à chaque fois qu’ils sont servis.

Quand mes convives ont été servis des deux vins, ils ont compris qu’ils étaient en face d’une forme de perfection absolue des vins de Bourgogne. J’ai ressenti qu’ils étaient émerveillés, car ces goûts sont extrêmement rares.

Lorsque j’avais mis au point le programme des vins avec l’organisateur de ce repas, il m’avait dit : j’aimerais bien remplacer le Corton Grancey par un vin de la Romanée Conti et j’avais répondu que ce n’était pas possible, pour la cohérence du repas. Et j’ai fait imprimer les menus qui ne mentionnent aucun vin de la Romanée Conti.

C’est donc une surprise quand l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2014 est servi, accompagné d’un saint-nectaire. Ce vin tout en douceur, délicat est une belle promesse de grand vin mais on voit bien qu’après les deux autres bourgognes, il manque de corps et de largeur. Mais il est adorable quand même.

Le Château Grillet 1986 est un extraterrestre, un OVNI, car son goût ne correspond à rien d’autre. Déjà, au nez, on aurait peine à dire si c’est un vin blanc ou un vin rouge. En bouche, il est d’une solidité extrême et d’une personnalité unique, sans repère. Avec l’asperge blanche, l’accord est magique. Beaucoup sont surpris de l’audace de mettre l’asperge à ce moment du repas mais ils conviennent que cela est pertinent.

Le Château d’Yquem 1956 avait un bouchon d’origine. Sa couleur est extrêmement foncée, presque noire et son parfum est intense. Il a bénéficié d’un fort botrytis. Il est rond et joyeux, porteur de bonheur. L’accord avec le stilton est parfait et l’accord avec la Tatin de mangue est sensuel. C’est un grand Yquem à la longueur infinie, suave et séducteur.

La Malvoisie Canaries 1828 est aussi un OVNI car au-delà de son goût riche et dense de vin liquoreux muté, il offre la fraîcheur d’un vin mentholé, frais comme un Xérès. Là aussi on est en face d’un vin à la longueur infinie. Le financier crée un équilibre parfait avec ce vin de 197 ans du 297ème dîner. La magie des chiffres.

Il est temps de voter. Je sens que ce groupe si sympathique a été surpris par la qualité des vins.

Les deux bourgognes de 1959 et 1961 cannibalisent les votes. Ils ont chacun quatre votes de premier. La Malvoisie 1828 comme le Château Grillet 1986 et le Haut-Bailly ont chacun un vote de premier.

Le vote de la table est : 1 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 2 – Château Corton Grancey Louis Latour 1959, 3 – Château d’Yquem 1956, 4 – Château Grillet 1986, 5 – Malvoisie Canaries 1828, 6 – Château Haut Bailly 1964.

Mon vote est : 1 – Malvoisie Canaries 1828, 2 – Château d’Yquem 1956, 3 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 4 – Château Grillet 1986, 5 – Château Corton Grancey Louis Latour 1959.

Les accords ont été pertinents. Les plus beaux sont ceux avec le homard, le rouget et la volaille. Le plus original est celui de l’asperge avec le Château Grillet vin le plus énigmatique et passionnant de ce fait.

Nicolas Beaumann a fait une cuisine idéale pour les vins et Jérémie a géré le service des vins avec une attention qui mérite des compliments.

La complicité joyeuse de ce groupe d’amis a créé une ambiance chaleureuse. Ce dîner fut porteur de bonheur.

Compétition de dégustation à l’aveugle chez Bollinger mardi, 27 mai 2025

Deux jours après le déjeuner à Plénitude avec tous les premiers grands crus de Bordeaux, je pars de bon matin vers le pressoir de la maison Bollinger à Mareuil-sur-Aÿ, car je serai membre du jury de la quinzième édition de la compétition de dégustation à l’aveugle créée par Sciences Po Paris et réservée à 14 grandes écoles françaises, mais aussi à une fidèle école, celle d’Oxford.

Chaque école est représentée par trois élèves. Il y a deux écoles par table. Les épreuves comportent quatre séries de quatre vins. Pour chaque série les élèves disposent d’un temps limité. Ils doivent donner pour chaque vin le cépage, l’année, la région, l’appellation et le viticulteur. Inutile de dire que jamais je ne serais admis à concourir pour de tels exercices.

Les copies sont traitées par des experts qui ne sont pas le jury dont je fais partie. On détermine les cinq meilleures écoles qui vont avoir à passer de nouvelles épreuves de dégustation puis un questionnaire de culture générale sur le vin. C’est beaucoup plus difficile.

Les correcteurs classent les cinq premières équipes qui font la deuxième partie des épreuves et après correction donnent le résultat : les deux premiers sont HEC et Normale Sup.

Ces deux équipes candidates à la victoire dégustent des vins et répondent aux questions générales et c’est maintenant au jury de jouer son rôle en jugeant l’épreuve orale. Chaque élève d’une équipe va décrire un des vins, donner ses caractéristiques et l’identifier. Il doit aussi, au moins pour un vin, proposer un accord mets et vins.

Nous allons juger ces prestations comme le font les jurys des concours de sommellerie et je suis impressionné par les connaissances et l’aisance de ces jeunes élèves.

Après la prestation des six élèves nous nous réunissons en petit comité avec les membres du jury dont le directeur de Bollinger, le secrétaire général et l’œnologue, un expert de Bettane & Desseauve et moi. Un détail mérite d’être signalé. Pour le jury, l’un des vins est un bordeaux. La seule femme des six élèves, de l’équipe HEC, dit aussi bordeaux et sa présentation est une des plus réussies. Mais manque de chance, il s’agit d’une Côte Rôtie La Landonne de Guigal. Il est assez difficile d’en vouloir à la jeune élève quand le jury a fait la même erreur.

Après de longues délibérations car les deux équipes d’étudiants ont été brillantes, nous avons déclaré vainqueur le groupe d’élèves d’HEC.

J’ai demandé aux organisateurs de Science Po que les deux équipes gagnantes soient à la même table avec moi et avec les organisateurs de Science Po, afin qu’ils puissent goûter les vins du déjeuner à Plénitude d’il y a deux jours, dont j’avais gardé les fonds de bouteilles. Les seuls vins qui avaient été bus entièrement étaient l’Yquem 1935, le Lafite 1955 et le champagne Heidsieck 1955.

Les élèves ont été émerveillés de goûter ces vins qui sont d’un monde qui leur est inconnu. Les voir aussi joyeux est un immense plaisir pour moi. Ils ont été impressionnés par la jeunesse de ces grands vins qui ne montrent aucun signe de faiblesse, sauf le Château Margaux 1905 qui a quasiment rendu l’âme. La plus belle surprise pour eux est la Malvoisie 1875 tellement puissante et expressive, avec une longueur infinie.

Je me suis rendu compte que je serais incapable de faire ces concours. Ma consolation est d’avoir émerveillé ces jeunes amateurs de vin si sympathiques.

Merci à la maison Bollinger qui a permis que se tienne cette belle compétition et merci aux organisateurs de Science Po qui m’ont fait l’honneur de m’inviter au jury.

Des témoignages chaleureux – 296ème repas dimanche, 25 mai 2025

Déjeuner Plénitude du 22 mai 2025 – suite au 7ème étage de l’hôtel Cheval Blanc Paris.

Les deux éditeurs qui vont inclure dans un prochain livre le menu du repas que nous venons de vivre nous rejoignent sur la terrasse pour bavarder avec les participants du repas et expliquer leur projet. Ils auront l’occasion de boire avec nous la Malvoisie 1875 et l’alcool du 18ème siècle.

Ils ont apporté avec eux l’un de leurs beaux livres sur la gastronomie et demandent aux participants d’écrire un mot sur ce repas. Voici les dédicaces que j’ai lues sur ce livre.

De GR : Merci François pour ce déjeuner fantastique accompagné par des vins incroyables. Ou l’inverse : des vins incroyables accompagnés par des mets parfaitement accordés. Au plaisir du prochain déjeuner / dîner.

De NT : Thank you for the memorable experience. To get introduced to the wines and the privilege is a very fortunate event for myself and I will never forget it.

De EF : Merci beaucoup François pour ce déjeuner incroyable. C’était une expérience unique et inoubliable !

De NT : Thank you for the opportunity to participate in the wine tasting of rare and ancient wines. It is truly an extraordinary event. Your hospitality and curated selection of food made the afternoon unforgettable. It was an honor to share such an amazing tasting. Thank you!

De NK (l’un des éditeurs) : François, tu es un génie. Merci de ta confiance et d’avoir relevé le gant.

Vive « 1855 Culte & Culture ». Avec toute mon amitié.

De RB : « le bon vin inspire de la gaieté aux hommes » (Manon Lescaut 1731). François, chaque dîner me remplit de joie. Merci de me faire partager tant de moments magiques.

De PT : Cher François, merci pour cet événement inoubliable. Avec Arnaud vous avez créé quelque chose ‘unique et vous nous avez gâtés. Pour tous les événements auxquels j’ai participé au fil des ans, cette fois, vous vous êtes surpassé et ce fut un honneur d’être parmi vous aujourd’hui pour une occasion aussi spéciale. Pour toutes ces années d’amitié et pour toutes les expériences que vous avez apportées à ma vie, je vous remercie du fond du cœur. A la revoyure comme dit GG (un ami commun).

De GD : un grand vin, comme un grand plat, sont une paire indissociable. Exercice parfaitement réussi. C’est un immense privilège d’y participer.

De DB : François, un moment magique et éternellement gravé dans nos mémoires. Un grand merci pour figer à jamais dans le temps ces moments inoubliables.

De OP : Merci infiniment de ce voyage à travers les décennies et pour votre générosité sans concession. La boule de ma reconnaissance roulera à jamais dans les couloirs de l’éternité.

De JMS (l’un des éditeurs) : quel défi magistral … comme toi.

De PR (non participant, mais intéressé à rencontrer les éditeurs) : Merci de m’avoir accueilli au 7ème étage de l’hôtel pour goûter ce vin du 18ème siècle !

De Arnaud Donckele : pour mon adorable François. Affectueusement pour toi. Ton commis éphémère.

296ème repas de wine-dinners avec tous les premiers grands crus classés de Bordeaux samedi, 24 mai 2025

Des amis sont éditeurs de beaux livres qui présentent des menus historiques. Ils ont l’intention de publier un livre sur les premiers grands crus classés lors de la classification des Bordeaux de 1855. Ils me disent qu’ils aimeraient que je fasse un dîner sur ce thème, dont le menu serait mis en tête de leur livre.

L’idée me séduit, mais je tiens à séparer le dîner du livre pour que l’atmosphère lors de ce repas ne soit pas influencée par ce projet. La première mission est de choisir des vins dans ma cave. C’est assez excitant. J’ai envie que tous les vins aient un millésime qui finit par 5. J’élargis le groupe des premiers grands crus classés de 1855 en choisissant un Mouton-Rothschild qui n’a été premier grand cru classé que lors d’une révision en 1973 et en prenant deux Cheval Blanc, car la classification de 1855 ne portait que sur les vins de la rive gauche de la Garonne.

Pour finir le programme, je choisis deux champagnes de 1955, nés cent ans après 1855, deux vins blancs secs de Bordeaux, un liquoreux de Bordeaux et nous finirons avec une Malvoisie de Madère qui trouve sa place car c’est le seul vin du 19ème siècle.

Nous devrions être treize à table, mais Saint Pierre ne voulait sans doute pas accueillir celui qui se lèverait de table en premier en fin de repas, il a fait en sorte qu’une femme inscrite ne soit pas venue.

Une vigneronne de l’un des premiers grands crus, ayant vu que je mettais un 1965 de son domaine, a décidé de m’adresser un magnum de 1955, d’une année plus prestigieuse. Dans le feu de l’action de l’ouverture des vins j’ai aussi ouvert le 1965. Avec une personne de moins et un vin de plus, les participants sont gâtés.

Lorsque j’ai rencontré Arnaud Donckele avec Clément chef de cuisine, Camille, coordinatrice et Alexandre, directeur du restaurant, pour définir le menu de ce repas, j’ai dit à Arnaud : « tu fais ce que tu veux, tu t’éclates, car le choix des vins permet que tu laisses libre cours à ta création ». On a bien sûr structuré le menu après cette profession de foi, mais j’aime quand Arnaud est libre de créer.

Le résultat est assez spectaculaire : Gambero, tourteau, yuzu POUR vinaigrette « fiolaro » / Lapin, petit pois, romarin POUR éphémère « successif » / Morille, escargot, truite POUR bouillon « comptine » / Bécasse des mers, oursin, laurier POUR double sauce « tanin des failles rocheuses » / Ysia / Ris de veau, girolle, amande POUR fricassée « dévoyée » / Pigeon, blette, abattis POUR salmigondis « âmes fougeuses » / Hure royale à la cuillère / Soufflé Rothschild POUR crème glacée « plombière » / Baba y POUR chantilly « crocus d’orient » / Financier de François.

J’ai mis le mot POUR en majuscule car la philosophie d’Arnaud Donckele est que le plat est fait POUR la sauce. Et cela crée une cuisine magique.

Le 296ème repas de wine-dinners se tient donc au restaurant Plénitude Arnaud Donckele. J’arrive à 8 heures pour l’ouverture des vins. Je suis accueilli par Alexandre Larvoir, le directeur et par Chloé, sommelière, qui m’apportera son aide pendant cette opération qui durera un peu plus de deux heures. Je commence par ouvrir le Château Margaux 1905, le plus vieux des premiers grands crus classés de ce repas. Le niveau est bas et le premier parfum est assez fatigué, mais je pense que le vin pourrait s’épanouir. Le Haut-Brion 1925 est à mi- épaule. Lui aussi a une première senteur poussiéreuse, mais j’ai beaucoup plus confiance.

Je veux passer ensuite à l’Y d’Yquem 1985 qui pour moi est une valeur sûre, mais une affreuse odeur de bouchon attaque mes narines. Je me sens tout penaud. Peu de temps après, j’ai envie d’essayer une méthode dont j’avais entendu parler. Chloé cherche de la cellophane et fabrique une sorte de saucisse fine de cellophane que l’on va laisser tremper dans la bouteille pendant plus d’une heure. Le miracle se produira puisque l’odeur de bouchon aura définitivement disparu.

Les bouchons des vins ont été très souvent coriaces, difficiles à tirer et j’ai vu aussi des bouchons minés par de petits insectes qui avaient transformé le liège en charpie. Ce qui est impressionnant, c’est qu’aucun des 17 vins ouverts ne s’est montré imbuvable, puisque l’Y d’Yquem a ressuscité.

Même avec l’aide de Chloé, j’ai fini épuisé après avoir bataillé avec les bouchons. Emmanuel Cadieu, le responsable de la sommellerie des restaurants de l’immeuble Cheval Blanc a suivi avec soin le service des vins.

Nous sommes donc douze. Un ami allemand fidèle de mes repas est venu avec sa femme, son fils et l’amie de son fils. Deux participants d’un déjeuner récent à l’hôtel du Marc de Veuve Clicquot sont venus avec femme ou amis, une vigneronne bordelaise est venue de Bordeaux et un ami de mon fils a complété la table. Le repas s’est tenu essentiellement en français.

Le Champagne Charles Heidsieck 1955 est le champagne de bienvenue. Sa rondeur joyeuse en fait un champagne gourmand et agréable. Le monde des champagnes anciens est fascinant.

Le Champagne Moët et Chandon 1955 est moins rond mais plus raffiné. Selon son goût chacun peut préférer l’un ou l’autre mais les deux sont très nobles et plaisants. Parmi les délicieuses choses à grignoter, montrant des goûts de complexités extrêmes, l’huître est émouvante.

Y d’Yquem 1985 est vraiment une grande surprise car il n’a pas l’ombre d’un nez ni d’un goût de bouchon. On sent bien le solide botrytis qui lui donne une ampleur appréciable. C’est un grand vin.

A côté de lui le Château Laville Haut-Brion 1975 est plus strict. Je l’attendais plus tonitruant mais il est élégant. Les deux blancs sont associés au Gambero magique dont la chair est sublime et la farce sous la coquille de la tête qu’on croque avec gourmandise. Ça commence bien !

C’est maintenant un long chemin avec onze vins rouges, tous premiers grands crus classés ou assimilés, servis du plus ancien au plus jeune. N’ayant pas pris de notes et accaparé par les vivantes discussions, mes descriptions seront limitées.

Plus que d’autres, j’accueille avec plaisir les vins très anciens. Aussi le Château Margaux 1905 qui a 120 ans et avait un niveau bas m’émeut par ses subtilités discrètes malgré un petit défaut. Il n’a pas eu de votes, mais j’ai aimé son expression.

Au contraire le Château Haut-Brion 1925 qui a cent ans est magique. Il y a plus de vingt ans, j’avais rencontré l’un des plus grands collectionneurs de Pétrus, qui connait bien les vins anciens. Il me dit que son meilleur Haut-Brion est 1926 et cela m’étonna, car le mien est aussi 1926, que peu d’amateurs désigneraient quand il existe tant de grands Haut-Brion tels que 1928 ou 1945. Aussi, trouver un 1925, de l’année voisine, aussi grand est une belle surprise. Arnaud tenait beaucoup aux petits pois avec le lapin. Le plat et l’accord sont osés mais splendides.

Le plat où se côtoient une puissante morille, un escargot et une truite est associé à deux merveilles. Le Château Cheval Blanc 1945 est un vin splendide et sera le vainqueur des votes. Il avait été vainqueur quand je l’avais inclus dans un dîner au château d’Yquem où Pierre Lurton a pu l’apprécier.

Le Château Haut-Brion 1945 est aussi un grand vin solide mais pas au niveau du Cheval Blanc. Il est solide et a les qualités des grands Haut-Brion.

La bécasse des mers accompagne les deux 1955. Le Château Latour 1955 me plait beaucoup et je l’ai mis troisième de mes votes. Le Château Lafite-Rothschild 1955 magnum que m’avait envoyé la vigneronne est extrêmement solide, structuré, conquérant. Arnaud est venu nous saluer et a gentiment dit que l’on appelle le plat de rouget « le rouget de François Audouze » car il a été mis au point lors de discussions que nous avions eues. Mais on sait que le talent est du côté du chef.

Le Château Lafite-Rothschild 1965 qui n’aurait pas dû être servi est beaucoup plus plaisant que ce que son millésime faible laisserait supposer et il en est de même pour le Château Latour 1965, tellement brillant qu’il sera le second dans le classement global de notre table. Le temps révèle les petits millésimes.

Le ris de veau est d’une perfection absolue et le Château Cheval Blanc 1975 est une belle surprise. On dirait que tous les rouges se sont ligués, comme une équipe de rugby, pour être tous brillants.

Le pigeon accompagne les deux plus jeunes, le Château Lafite-Rothschild 1985 et le Château Mouton Rothschild 1995 très original. Le 1985 a un talent naturel qui explose.

Les saveurs du dessert, d’abord du soufflé et ensuite du baba, sont idéales pour un Château d’Yquem 1935 que j’adore. Les sauternes de 1935 ont un botrytis très discret, qui permet de mettre en valeur de subtiles et délicates saveurs. Je m’en régale.

Nous montons au septième étage pour boire la Malvoisie Madère 1875 avec le « financier de François » comme il est intitulé par l’équipe de Plénitude. Nous sommes réunis avec les deux éditeurs. Le madère est très classique et tellement long en bouche, apaisé par le financier. Sa puissance et sa rémanence sont infinies.

La veille j’avais pensé, malgré la pléthore de vins, que j’aimerais bien finir sur une grosse surprise. J’ai en cave un groupe de vins du 18ème siècle très beaux, qui n’ont absolument aucune indication. Par transparence à travers un verre opaque on peut voir que c’est un vin blanc ou un alcool blanc. Je l’ouvrirai sans savoir, au dernier moment. Immédiatement on sait que c’est un alcool, avec un final assez sucré. On dirait un armagnac qui a flirté avec un Bourbon. Ce qui est sûr, c’est que l’alcool est du 18ème siècle, car la comparaison avec la Malvoisie indique un écart d’au moins cent ans. C’est en rentrant chez moi que j’ai eu une piste. J’ai bu un Calvados de 1903 qui a un finale qui apporte la même douceur que ce vin inconnu. L’idée d’un Calvados vers 1760 par exemple est d’une bonne probabilité.

Nous avons fait nos classements au septième étage de l’immeuble de Cheval Blanc Paris. Le document qui permet de voter n’inclut pas le Lafite 1965. On ne vote que sur 16 vins. Un seul vin n’a pas eu de vote, le Margaux 1905 qui n’a pas démérité. Quinze vins ont eu au moins deux votes. Fort curieusement, le Latour 1955 qui est mon troisième n’a reçu aucun autre vote.

Il y a six vins qui ont été premiers dans les votes, ce qui me plait beaucoup. Le Cheval Blanc 1945 a eu quatre votes de premier, Haut-Brion 1925, Haut-Brion 1945 et Lafite 1955 ont eu chacun deux votes de premier. Heidsieck 1955 et Latour 1965 ont eu chacun un vote de premier.

Le vote global est : 1 – Château Cheval Blanc 1945, 2 – Château Latour 1965, 3 – Château Haut-Brion 1925, 4 – Château Haut-Brion 1945, 5 – Château Lafite-Rothschild 1955 magnum, 6 – Château Cheval Blanc 1975.

Mon vote est : 1 – Château Haut-Brion 1925, 2 – Château Cheval Blanc 1945, 3 – Château Latour 1955, 4 – Château Latour 1965, 5 – Champagne Moët et Chandon 1955, 6 – Château Cheval Blanc 1975.

En cours de repas, j’ai demandé que toute l’équipe de cuisine et de service nous rejoigne pour qu’on les applaudisse. Il y a entre autres Camille, Marion et Viola qui ont fait un service exemplaire. J’ai senti que toute l’équipe de 33 personnes avait saisi comme nous qu’il s’agissait d’un repas totalement exceptionnel tant le talent d’Arnaud Donckele avait produit un menu exceptionnel et émotionnel.

Nous avons tous senti qu’il y avait de l’amour dans ce grand repas.

Conférence dégustation pour des étudiants d’HEC dimanche, 18 mai 2025

Un cercle d’élèves d’HEC réunis dans l’Association Grands Crus HEC m’a invité à venir faire une conférence dégustation pour trente élèves.

La réunion se tient dans un hôtel particulier très chic du 8ème arrondissement, où l’étudiant qui m’accueille n’était jamais venu. J’arrive à 16 heures alors que la conférence démarre à 19h30, pour que les vins aient le temps de s’épanouir.

J’ouvre les vins dont les bouchons résistent, surtout ceux des Moulin à Vent dont les goulots n’ont rien de cylindrique. La partie pincée du goulot empêche le bouchon de remonter entier. J’ai donc utilisé le tirebouchon Durand et non mes outils habituels. Les ouvertures se sont bien passées.

Je présente aux élèves ma vision de l’intérêt des vins anciens et je n’avais pas conscience à quel point ils n’avaient jamais approché ce monde. En effet ce club reçoit des vignerons parmi les plus célèbres, mais jamais les vins qu’ils boivent n’ont plus de dix ans. Aussi la dégustation que nous allons faire les entraîne dans un monde inconnu.

Alors que les vignerons commentent les vins qu’ils présentent, je laisse chacun être attentif aux émotions qu’ils ressentent. C’est inhabituel pour eux.

Nous commençons par le Pomerol Bourgneuf-Vayron 1961 qui est d’une grande année et représente un pomerol typique, riche et dense. Il a des accents de truffe et ce qui impressionne, c’est sa densité, son équilibre et sa longueur. Je le trouve particulièrement bon. Je ressens que les élèves sont assez troublés par des goûts inconnus.

J’avais envie d’oser en choisissant un Moulin à Vent Union des Viticulteurs de Romanèche-Thorins et Chénas 1969 dont la couleur est plutôt claire. Je suis moi-même troublé, car il y a des notes sucrées en ce vin complexe et doucereux. S’agit-il vraiment d’un rosé ? Pourquoi pas. Ce qu’on peut noter, c’est le goût cohérent et un aspect gourmand marqué. J’avais choisi un vin inhabituel. J’aurais peut-être dû être plus conventionnel.

Nous allons maintenant comparer deux Vouvray moelleux, un jeune et un ancien. Le Vouvray moelleux Réserve Clos Naudin Philippe Foreau 1997 est beaucoup plus foncé que le Clos Du Bourg Vouvray Moelleux Huet 1959. La démonstration est édifiante, car le 1959 est parfait, charmeur, cohérent et agréable à boire alors que le 1997, plus sombre est plus rigide.

J’avais prévu une surprise pour les élèves qui est de boire un Maury la Coume du Roy domaine de Volontat 1925. Ce vin de grande douceur, au parfum envoûtant et à la longueur infinie est un miracle. Montrer à ces jeunes amateurs qu’un vin de cent ans peut avoir des subtilités et une jeunesse infinie est une surprise très grande. A lui tout seul, ce vin validait mes théories sur le fait que le vin a un appel vers l’éternité.

Je ne m’en suis pas rendu compte mais nous avons bavardé pendant quatre heures avec des amateurs avides de connaissances nouvelles.

Ce fut une très agréable soirée avec ces étudiants sympathiques. J’ai senti qu’ils ont été heureux de cette expérience très différente de celles qu’ils vivent dans le monde du vin.

42ème séance de l’Académie des Vins Anciens dimanche, 18 mai 2025

La 42ème séance de l’Académie des Vins Anciens se tient, comme à l’accoutumée, au restaurant Macéo. Nous faisions d’habitude la première séance de l’année au début juillet, mais la grande salle où nous dînons est très chaude en cette période de l’année. Nous avons donc avancé la séance au 15 mai. Très curieusement les inscriptions ont été divisées par deux, puisque nous ne serons que 23 académiciens.

Une telle participation permet une table de 12 personnes et une de 11, ce qui fait que je n’ai pas cherché à relancer les habitués, puisqu’avec quelques convives de plus on passerait à trois tables et il y aurait moins de participants par table et donc moins de vins pour chacun.

Grâce à la générosité des académiciens et à mes apports, chaque table boira au moins 15 vins, ce qui est beaucoup plus que le format habituel de ces séances.

Arrivant vers 15 heures au restaurant Macéo je commence à ouvrir les vins du dîner. Pendant environ deux heures, je me sens un peu seul, car j’aime quand les aides d’académiciens viennent mettre un peu d’indiscipline dans mon travail. Certains amis tentent de tirer les bouchons et ça se termine mal, mais d’autres ont une belle technique. Et c’est toujours joyeux.

Vers 17 heures arrive un ami hollandais qui est de loin le plus généreux de cette séance au point que je l’ai invité, lui et sa compagne, sans frais d’inscription. Pour la seule ouverture des vins, il a apporté un Champagne Perrier-Jouët sans année, agréable à boire mais simple, un Champagne Perrier-Jouët 1969 puissant et de grande personnalité, et un Coteaux champenois Mailly, probable années 1970 assez étrange donc suscitant l’intérêt, qui se boit comme un vin qu’un déguste.

D’autres amis arrivent longtemps avant l’événement, pour encourager les ouvreurs. L’un d’entre eux a apporté un vin qui sera bu aussi en cours de repas. La seule mauvaise surprise des ouvertures est le Pavillon Blanc du Château Margaux 1978 dont le bouchon moisi donnait au vin un nez de bouchon le rendant imbuvable.

Les vins des deux tables sont les suivants :

Table 1 : Champagne Laurent Perrier sans année double magnum – Champagne Henry de Vaugency à Oger Blanc de Blancs 1986 – Champagne Dom Pérignon 1980 – Champagne Dom Pérignon 1949 – Chablis Grand Cru Les Blanchots Domaine Laroche 1985 – Chablis Roger Cafage 1949 – Corton-Charlemagne Grand Cru Thorin 1966 – Bâtard-Montrachet Bouchard Aîné & Fils 1955 – Montrachet grand cru maison Nicolas 1928 – Rioja Blanco 1933 – Château Grand Mayne jéroboam 1966 – Volnay 1er cru Les Santenots, Camille Giroud 1945 – Royal Kebir Frédéric Lung rosé Algérie 1945 – Muscat domaine Klipfel Alsace 1959 – Château Rayne-Vigneau Crème de tête 1929 – Château Lafaurie Peyraguey 1925.

Table 2 : Champagne Laurent Perrier sans année double magnum – Champagne Henry de Vaugency à Oger Blanc de Blancs 1983 – Champagne Mumm René Lalou 1979 – Château Carbonnieux blanc 1955 – Pavillon Blanc du Château Margaux 1978 – Bâtard Montrachet Charles Laurent 1989 – Château Grand Mayne jéroboam 1966 – Clos Fourtet Saint-Emilion 1947 – Pommard Girodit-Henry 1947 – Aloxe-Corton J. Thorin 1955 – Châteauneuf-du-Pape Jean-Pierre Brotte 1957 – Châteauneuf-du-Pape Bouchard Père et Fils 1964 – Château Grillet Appellation Grillet 1986 – Monbazillac années 30 – Château Lafaurie Peyraguey 1925.

Le Champagne Laurent Perrier sans année double magnum et les deux Champagne Henry de Vaugency à Oger Blanc de Blancs 1986 et 1983 sont bus à l’apéritif, avec des gougères délicieuses. Le Laurent Perrier est simple bien sûr, mais l’âge lui apporte de la complexité et le rend très agréable. L’ami hollandais m’a dit qu’il serait des années 90 mais le bouchon m’indique plutôt les années 80, ce qui explique sa belle maturité.

J’avais acheté une verticale de 13 millésimes du Champagne Henry de Vaugency à Oger Blanc de Blancs. J’ai goûté le 1983 et le 1986 plus vif et c’est une belle surprise car ce vin a la fraîcheur et la vivacité d’un beau blanc de blancs. Puissant, il me plait.

Le menu préparé par Adrian Williamson est ainsi rédigé : maigre rôti sur sa peau, roquette, artichaut et olives noires / asperges blanches, huile d’olive portugaise et crackers de riz soufflé / carré d’agneau rôti, aubergine de deux façons et crème de poivron / fromages Bordier : comté de 20 mois, chevrotin du val d’Aillon, fourme d’Ambert / tarte Tatin et crème pâtissière au caramel.

J’ai apporté une centaine de verres qui s’ajoutent aux verres du restaurant, mais avec une bonne quinzaine de vins, les verres seront utilisés pour plus d’un vin. Avec la profusion de vins et le fait que les vins de la table 1 sont essentiellement des blancs, j’avoue qu’à un moment je me suis senti complètement perdu.

Le Champagne Dom Pérignon 1980 est un Dom Pérignon typique, solide et bien construit. C’est un compagnon de gastronomie.

Le Champagne Dom Pérignon 1949 est un immense Dom Pérignon. Il peut faire partie de l’histoire de ce grand champagne à une place majeure. Tout est émotion, richesse, grandeur. Un moment de bonheur.

Quelle belle surprise que le Chablis Grand Cru Les Blanchots Domaine Laroche 1985, riche, joyeux, large. Un soleil en bouche idéal pour les asperges.

Pour la suite, je vais me faire remplacer dans ce texte par un ami très bon dégustateur, qui a -aujourd’hui – une meilleure mémoire (ses mots sont en italique) : Le Chablis Roger Cafage 1949 est touchant. Il fait un peu le soldat blessé, avec un début de bouche un peu brouillon. Sa finale est très minérale et ne peut qu’être chablisienne.

Le Corton-Charlemagne Grand Cru Thorin 1966 est cohérent et ample. Il est épanoui comme seuls peuvent l’être les vins anciens.

Le Bâtard-Montrachet Bouchard Aîné & Fils 1955 est imposant et massif. Il impressionne lors du service, mais hélas il s’affaiblit dans le verre et perd un peu de sa structure.

Le Montrachet grand cru maison Nicolas 1928, dont j’attendais beaucoup, est un peu décevant. Un léger voile liégeux empêche d’apprécier le vin à sa juste valeur. Après un début de bouche magnifique, le vin retombe et devient plus plat.

Avec l’agneau, nous voudrions boire le Saint-Emilion Château Grand Mayne Jéroboam 1966. Le vin est quasiment mort.

Le Volnay 1er cru Les Santenots, Camille Giroud 1945 est cohérent. Il offre ce qu’on attend d’un grand bourgogne dans cette merveilleuse année.

Le Kebir Rosé Frédéric Lung Algérie 1945 est massif et fruité. On ne pourrait pas lui donner d’âge. J’aime le caractère énigmatique de ce rosé.

Le Rioja blanco 1933 offre un parfum d’épices douces et de bois rares. Son nez est charmeur. Il s’entend avec tous les fromages, notamment le fromage de chèvre.

Le Muscat domaine Klipfel Alsace 1959 est une belle surprise. Il a encore quelques sucres, et son menthol en fait un compagnon pertinent pour le munster puissant et gras.

Le Sauternes Château Rayne-Vigneau Crème de tête 1929 est un ovni. Il est noir dans le verre, épais, sirupeux. Il est d’une complexité merveilleuse et se marie à merveilleuse avec la tarte tatin.

Le Sauternes Château Lafaurie Peyraguey 1925 est plus léger, encore d’un orangé juvénile. Son acidité est merveilleuse, et c’est avec la crème qu’il s’entend à ravir. La table est charmée par ces deux monuments.

Des vins de la table 2 sont venus jusqu’à moi, comme le Château Carbonnieux blanc 1955 magique, d’une couleur très claire et d’une présence intense et le Clos Fourtet Saint-Emilion 1947 l’un des plus grands bordeaux de 1947. Une merveille.

Mon classement des vins serait : 1 – Champagne Dom Pérignon 1949, 2 – Château Lafaurie Peyraguey 1925, 3 – Clos Fourtet Saint-Emilion 1947, 4 – Volnay 1er cru Les Santenots Camille Giroud 1945, 5 – Château Carbonnieux blanc 1955, 6 – Chablis Grand Cru Les Blanchots Domaine Laroche 1985, 7 – Royal Kebir Frédéric Lung rosé Algérie 1945, 8 – Montrachet grand cru maison Nicolas 1928.

L’ambiance de ce repas a été particulièrement amicale et joyeuse. Les vins étaient de grande qualité. J’avais voulu que pour les deux tables on finisse par un sauternes de cent ans, pour bien signifier que notre académie est bien celle des vins anciens. Ce fut parfait.

Déjeuner de conscrits dimanche, 18 mai 2025

Au Yacht Club de France, dans la bibliothèque, la table est dressée pour notre groupe de conscrits. Nos agendas étant difficiles à accorder, nous ne sommes que cinq.

L’apéritif est toujours généreux et copieux : tartare de tomates Chantilly à mozzarella / ceviche de cabillaud, jus de concombre épicé / charcuteries fines. C’est délicatement fait.

Le Champagne Pol Roger sans année magnum est assez dosé, à l’ancienne, fait pour être plaisant et agréable à boire. Il n’est pas très complexe, mais se boit bien.

Le menu composé par Thierry Le Luc et son fils est : risotto safrané aux noix de Saint-Jacques, crème de poivron et chorizo / tournedos façon Rossini, pommes grenailles, carottes de couleur, sauce forestière / fromages d’Éric Lefebvre MOF / tartelette au gel citronné, ganache chocolat blanc et meringue.

Le Chablis Grand Cru les Clos Vocoret magnum 2015 est très expressif et vibrant. C’est un vin vivant, qui dont les subtilités bougent en bouche comme un serpent. J’adore cette vivacité. Comme souvent, je me dis que je devrais boire plus souvent des chablis. C’est avec le riz que l’accord est le plus expressif.

Le Château Léoville-Poyferré Saint-Julien 1992 est d’une année qui a recueilli peu d’intérêt mais que le temps a rendu appréciable. C’est un vin bien structuré avec des intonations légères de truffe et de charbon, mais bien intégrées. Il est agréable à boire et convient bien à la belle chair du tournedos et ensuite aux fromages.

L’ambiance du Yacht Club de France est toujours agréable et nous nous sentons dans une atmosphère d’amitié.

Déjeuner à l’Ecu de France samedi, 10 mai 2025

Il fait beau et l’on annonce une belle chaleur. C’est l’occasion d’aller avec ma femme au restaurant l’Ecu de France où nous pourrons déjeuner sur une magnifique terrasse donnant directement sur la Marne. Des bernaches et des cygnes glissent lentement sur le fleuve. Les bernaches sont bruyantes avec des sons rocailleux assez désagréables.

Le choix des vins est un moment de rêve, tant la carte des vins est aguichante. Je choisis un Substance de Selosse et un Rayas blanc 2010. Je sais que je ne boirai pas tout, mais nous irons le lendemain déjeuner chez ma fille aînée. Nous ferons des heureux.

Mon menu sera : carpaccio de thon / coquilles Saint-Jacques / comté / clafoutis aux pommes.

Le Champagne Substance de Selosse n’a pas comme précédemment la date de dégorgement qui est une donnée précieuse puisque ce champagne est fait selon la méthode de la solera. Il faut maintenant utiliser un code pour avoir les données sur ce vin. Comme je n’aime pas cela, je saurai seulement que ce champagne n’est pas très ancien.

La bulle est belle, la couleur est d’un bel or clair. Le premier contact montre un champagne droit, très cohérent et agréable, mais un peu trop facile à lire. C’est un peu le sous-préfet au champ, qui se laisse vivre. On est loin des saveurs sauvages et d’une vivacité infinie des premiers Substance.

Je l’ai fait goûter à Hervé Brousse, le directeur du restaurant, qui confirme mon analyse. C’est un grand champagne mais un peu trop consensuel.

Le Châteauneuf-du-Pape Château Rayas Blanc 2010 est d’une richesse incroyable. Et il délivre de grandes complexités qui iodlent dans la bouche. C’est un vin parfait, élégant et gourmand. Ma femme avait choisi un ris de veau. C’est sur cette chair que le Rayas est brillant, ainsi qu’avec le comté que d’obscurs fonctionnaires voudraient interdire. Quel crime ce serait.

Le spectacle sur la Marne était intéressant, avec des amateurs de kayaks de toutes formes, des paddles avec ou sans chien, des enfants qui approchaient les bernaches qui s’approchaient elles aussi et une belle péniche privée qui voulait accoster pour déjeuner au restaurant, mais le restaurant était complet.

Nous adorons ce restaurant pour l’atmosphère campagnarde mais aussi « du bon vieux temps ». Un moment de bonheur.

Déjeuner au restaurant Solstice vendredi, 9 mai 2025

Jonathan est un jeune ami qui a participé à plusieurs dîners avant de partir travailler en Australie. Il travaille maintenant en Angleterre ce qui nous a donné quelques occasions de nous revoir. Il m’invite à déjeuner au restaurant Solstice dans le 5ème arrondissement, où nous pourrons apporter nos vins.

Quand il m’annonce qu’il viendra avec un Champagne Krug Collection 1988, c’est une incitation à apporter de grands vins. J’ai pu arriver deux heures avant le déjeuner pour ouvrir mes vins. Guillaume, le propriétaire du restaurant, m’attendait, prévenu par Jonathan. Il a préparé ses outils pour ouvrir les vins mais j’ai voulu lui montrer comment je pratique. Par chance, les beaux bouchons de belle qualité sont sortis entiers et ont libéré de beaux parfums.

Le restaurant ferme normalement le mercredi mais fait aujourd’hui deux exceptions. Un couple d’allemands sont de fidèles clients et n’étaient disponibles qu’aujourd’hui et Jonathan est un ami de Guillaume ce qui a permis notre présence.

Pendant deux heures avant le repas nous avons eu le temps de bavarder. Guillaume connait bien les vins et sa carte des vins, même si elle comporte des vins très jeunes, est intelligente. Il m’a fait goûter d’une petite dame-jeanne un liquoreux très réduit de type Pedro Jimenez, qu’il estime de 50 ans, mais qui, pour moi, est plutôt centenaire.

Le chef Eric, qui est un MOF, est absent pour raison familiale. La cuisine est tenue par un jeune taïwanais. Nous aurons le menu « solstice d’hiver » avec plusieurs ajoutes : brocciu de Mireille Mameli, petits pois Centogiorni du Vésuve, ail des ours / turbot, asperges blanches et caviar osciètre, sauce chardonnay / homard bleu de Bretagne, la queue pochée au beurre de homard, les parties modestes en gyoza, sauce corail-kimchi / filet de bœuf jersiaise du domaine de Fosse-Sèche comme un Bulgogi / ris de veau aux morilles fourrées / agrumes, pomelos et bergamote, crème glacée citron.

Ce fut d’un raffinement certain et d’une exécution parfaite.

L’entrée ayant un fromage corse, j’ai envie que l’on essaie le vin rouge que j’ai apporté. Comme cela bouscule l’ordre normal des vins, il me paraît opportun que l’on serve les trois vins, et chacun choisira celui qu’il veut associer au plat qui est servi.

Le Champagne Krug Collection 1988 est impressionnant car c’est la « force tranquille » mais non mitterrandienne. La bulle est gentiment active, le champagne a beaucoup de douceur et de noblesse. Il est confortable et très long. Il s’accorde très bien avec une sorte de sashimi délicieux.

Le Montrachet Grand Cru Roland Thévenin 1947 que j’ai déjà bu de nombreuses fois me paraît particulièrement délicieux. Il est moins puissant que certains montrachets, mais je le trouve rond et plein. Avec le ris de veau et la morille, l’accord est idéal. C’est avec la sauce au caviar qu’il fait éclater sa gourmandise.

Le Château Longueville, Baron de Pichon Longueville 1959 avait à l’ouverture un nez pointu et élégant. Il donne l’image du grand bordeaux. Lorsqu’il est servi, le parfum est immense, d’une complexité raffinée. Quel grand vin. Nous avons l’impression d’être face à un vin magistral, un grand bordeaux très long et sophistiqué.

Les trois vins sont brillants, mais à mon goût, le Pichon Baron est à un étage supérieur.

La femme de Guillaume est venue au restaurant et s’est assise au comptoir. A mon invitation elle s’est assise à notre table et les discussions ont été riches et souriantes.

Voilà un restaurant qui me donne envie d’y essayer un de mes dîners. Avec Jonathan bien sûr.

Déjeuner avec Richard Geoffroy dimanche, 4 mai 2025

Richard Geoffroy a été pendant une longue période le renommé maître de chais de la maison Dom Pérignon. C’est vers l’an 2000 que nous sommes devenus amis après avoir bavardé à la fin d’une présentation de Dom Pérignon aux caves Legrand. Nos visions du vin se mariaient tellement bien. Nous nous sommes revus lorsque nos agendas le permettaient. Nous nous rejoignons au restaurant Pages.

Quoi de plus excitant que de choisir des vins pour quelqu’un que l’on apprécie. J’ai pris trois vins, un champagne, un blanc et un rouge.

J’arrive avant 11 heures pour un déjeuner à 12h30, ce qui me permettra après ouverture et composition du menu avec le chef Ken, de profiter de Paris en plein soleil et de boire une bière japonaise, en grignotant des edamames.

Le menu sera : carpaccio de barbue / asperges blanches / lotte à la sauce umami / agneau / wagyu / dessert à la fraise / financiers.

Lorsque Richard Geoffroy arrive, il annonce ce qu’il a apporté. Il vient de créer un vin effervescent de Corse. Ce vin est fait avec des cépages locaux et Richard regrette que les instances officielles aient interdit d’appeler son effervescent : vin de Corse, malgré l’origine des vins. Il est obligé de se contenter de « vin de table ». Il a aussi apporté un saké Iwa, le saké qu’il a créé juste après avoir passé le flambeau de Dom Pérignon à Vincent Chaperon.

Nous commençons donc le repas avec le Vin de table effervescent de Corse d’environ 2 ans. Le pétillant est très bien dosé, d’une puissance contrôlée et ce que l’on remarque, c’est la belle richesse en bouche. Ce vin est agréable, confortable et gastronomique. Il n’est pas handicapé par sa jeunesse.

Le Champagne Lanson 1975 avait eu un petit pschitt sympathique à son ouverture. La bulle est présente. La couleur est d’un or joyeux. En bouche, quel équilibre ! Ce champagne est noble, large et équilibré. Ce n’est que du bonheur. Ce Lanson a une bouteille en forme de quille, forme qui a été utilisée dans les années 60 et 70, période bénie pour la maison Lanson.

Le saké Iwa a des notes marines sensibles et un équilibre confortable et doux en milieu de bouche. Ce qui est amusant, c’est que l’on peut passer de l’un de ces trois vins à l’autre sans que le palais ne montre le moindre rejet. Le vin Corse est agréable mais en devenir, le saké est aussi agréable et confortable et le Lanson est glorieux et éblouissant. Je suis content d’avoir ouvert ce Lanson que Richard ne connaissait pas et a apprécié.

Le carpaccio de barbue avait des tranches que j’ai trouvées épaisses. J’ai demandé des tranches fines beaucoup plus agréables sur les trois vins. Les asperges blanches ont fait vibrer divinement le saké.

Pour la lotte j’ai fait goûter à l’aveugle le vin blanc à Richard, étant sans illusion car ce vin est introuvable. Le Muscadet Sèvre & Maine tiré sur lie, André Vinet-Vallet 1962 est déroutant car jamais on n’attendrait une telle richesse et une telle longueur d’un muscadet. Il est puissant, rond, aimable et n’a pas d’âge. L’accord avec la sauce umami est appréciable. Il est évident que je voulais pour Richard un vin qu’il n’a jamais côtoyé.

Je ne résiste pas au plaisir de recopier le texte écrit sur une languette de papier collée à la capsule et en forme de tonneau : « ce muscadet a été bouché suivant la méthode de nos grands-pères, tiré sur sa lie, de la barrique où il est né, il n’a subi aucun soutirage préalable. Fruité, pétillant, plein de vie et de gaieté, il charme les fins palais. Comme un enfant, il peut subir l’influence des saisons, c’est sa nature même ». C’est un texte d’André Vinet-Vallet. Je ne pense pas qu’il aurait imaginé que son vin serait bu 63 ans plus tard. Tout est vrai dans son texte, sauf le pétillant qui n’existe pas.

Lorsqu’en 2013 nous avions partagé un Dom Pérignon 1929 de ma cave, j’avais apporté une Romanée Conti 1956 et Richard m’avait dit que c’était la première Romanée Conti de sa vie. Aussi mon troisième vin de ce déjeuner est La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992. Le bouchon était sorti entier et avec facilité montrant un calibrage idéal du bouchon. Ce vin est totalement idéal. Il est riche, joyeux, puissant, noble mais extrêmement accueillant. C’est du plaisir pur. Il aura deux attitudes très différentes. Sur l’agneau, c’est d’Artagnan, prêt à croiser le fer avec nos papilles. Sur le wagyu, c’est Frank Sinatra ou Bing Crosby, montrant qu’au-delà de la puissance il y a un charme fou.

Le Champagne Lanson s’est marié élégamment avec le dessert aux fraises très léger. Nos papilles ont retrouvé le calme avec des financiers.

Richard Geoffroy est insatiable car il a mille nouvelles idées qui vont secouer le monde du vin. Quel bonheur de partager des vins avec ce créateur.

Vers la fin du repas, deux jeunes qui déjeunaient dans la salle avaient vu les vins que nous buvions. L’un des deux dit : peut-être jamais dans ma vie je n’aurai la chance de boire un vin de la Romanée Conti. Je lui ai dit que nous allions arranger ça et j’ai versé un verre de La Tâche pour les deux. Le jeune se montrait insatiable. Je lui ai suggéré de se recueillir pour profiter au mieux de ce vin divin.