voyage en Hermitage vendredi, 18 juin 2004

Le voyage en Hermitage dont le récit a commencé dans le bulletin précédent se poursuit en un petit bistrot tenu par un « dingue » de vin, qui nous fait découvrir ses bonnes pioches locales. Le Chateauneuf du Pape blanc Domaine de Pégau 2001 est un très bel exemple de Chateauneuf du Pape, avec une belle typicité. Il est bien gras, même glycériné.

Le Saint Péray Bernard Gripa Les Figuiers 2002 est très floral. Vraiment très bon. Un peu miellé, épicé, assez léger. Le Canon 2003 en 100% syrah est un vin non filtré fait par un japonais Hirotake Oka venant de chez Gripa. Le vin est très beau, naturel, simplifié, un peu perlé. Un Crozes Hermitage Domaine des Hauts Chassis de F. Faugier, cuvée « Esquisse » 2003 est totalement dans le fruit, cassis et cerises. Il est très concentré et voluptueux.

La Cuvée « la Sagesse » du domaine Gramenon de Michèle Aubery-Laurent 2003 titre 14°5. C’est un Côtes du Rhône non soufré en grenache. Il est sucré et je n’aime pas, même en intégrant son âge, car avec cette charge alcoolique et ce travail, on quitte complètement les Côtes du Rhône. La Côte Rôtie Jean Michel Stephan 2000, en Côte Blonde est très jeune, fruité, très alcoolique. Très bon, délicieux.

Ce caviste restaurateur passionné explore des vins qui méritent l’attention, mais trop d’originalité devient parfois carrément de l’excès. Les noms qui se veulent des qualificatifs : « sagesse », « esquisse », et  autres m’énervent un peu. La palme de l’excès restera longtemps à Didier Dagueneau qui au milieu des « silex », « bazar », « astéroïde » a intitulé un de ses vins : « quintessence de mes roustons » nom qui au moins dénote de l’humour.

Dégustation chez Paul Jaboulet Aîné mercredi, 16 juin 2004

Nous visitons justement le nouveau site d’accueil et dégustation de Paul Jaboulet Aîné installé dans une ancienne champignonnière qui loge les quelques millions de bouteilles de productions récentes de façon absolument idéale. La dégustation m’a inspiré quelques notes griffonnées rapidement que je livre telles quelles, le mot Jaboulet n’étant pas répété. Je ne détaille pas les analyses car il s’agissait de noter mon plaisir.

Nous démarrons par les blancs. Un Saint-Péray les Sauvagères blanc 2001 en 100% marsanne. Pas d’expression. Un Crozes Hermitage Mule Blanche 2001 en 50% marsanne et 50% roussanne, déjà fumé, beau nez, assez joli. Un Crozes Hermitage Domaine Raymond Roure 2000 en 100% marsanne, belle légèreté florale, jolie discrétion, expressif. Un Hermitage Le Chevalier de Sterimberg 2001 en 65% marsanne et 35% roussanne encore très jeune, très bien construit, à laisser vieillir. Un Condrieu les Cassines 2002 en 100% viognier, floral, agressif, astringent.

On démarre les rouges, tous en 100% syrah avec un Saint-Joseph le Grand Pompée 2001, rustique, fruité de cerise, épicé. Ça me plait beaucoup, car c’est « nature ». Un Crozes Hermitage Domaine de Thalabert 2000, vignes de 40 ans. Plus vineux, mais on reste un peu sur sa faim. Assez chatoyant et très court. Un Crozes Hermitage Domaine Raymond Roure 2001 sec, astringent, très amer, mais il y a plus de matière. Un Cornas Domaine de Saint-Pierre 2000 très bon, rustique, une attachante spontanéité, puissant. Un Hermitage Petite Chapelle 2001 moyen, pas désagréable, très fruité et astringent. Un Hermitage La Chapelle 2000, qui le joue un peu en dedans. Il y a quand même de belles racines. Plus faible maintenant que la Petite Chapelle 2001, mais il sera plus grand. Un Crozes Hermitage Domaine de Thalabert 1996 vieilles vignes (plus de 60 ans) en cuvée spéciale. C’est beau, c’est grand, c’est émouvant. Acide, mais jouissant d’une immense longueur. C’est très beau.

On finit par un blanc : Hermitage Le Chevalier de Sterimberg 1979 qui évoque au nez le miel, la cire d’abeille. En bouche il est assez sucré. Pas du tout Hermitage. La fin dérange un peu. C’est un beau témoignage mais qui a un peu souffert.

Le séjour en Hermitage s’est poursuivi par de belles dégustations où se mêlent l’ordinaire et l’attrayant. Son récit se lira sur le prochain bulletin.

Le monde du vin est un monde de découvertes. Les expériences narrées dans ce bulletin en montrent la diversité.

Tain L’Hermitage mardi, 15 juin 2004

Le soir même, j’atterris à Tain l’Hermitage à l’hôtel de Jean Marc Reynaud. A sa fort aimable table on ouvre un Hermitage des Caves de Tain l’Hermitage blanc Nobles Rives 1995. C’est très Hermitage, donc très direct. Il y a de la profondeur, du charme, et ce message envahissant qui a autant de finesse qu’un char d’assaut sur la place Tien An Men. Par contraste, l’Hermitage la Chapelle de Jaboulet rouge 1991 me réconcilie –  j’en avais besoin, car je le boudais un peu – par sa finesse. Magnifique rouge généreux, accompli, en pleine possession de ses moyens. Un merveilleux La Chapelle bien fait, servi juste quand il le fallait.

Déjeuner aux Foudres de Bacchus mardi, 15 juin 2004

Je me rends aux Foudres de Bacchus à Gentilly où l’excellent Jacques Fillot possède une cave très éclectique et un restaurant où l’on mange fort aimablement. La cave est un petit bijou de séduction, appuyée sur une approche traditionnelle rassurante. On boit en cave Hermitage Le Chevalier de Sterimberg blanc 1997 dont la belle couleur est un peu fumée. Le nez est riche. En bouche du gras, du beurré. Belle construction bien saine. A table Corton Charlemagne Pierre Marey 2001. C’est un magnifique Corton très caractéristique. Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’après le Coche-Dury récent si fantastique, il fait vraiment bonne figure. C’est un magnifique Corton Charlemagne chatoyant et expressif. Une belle réussite.

J’avais aussi choisi en cave pour le repas une Côte Rôtie la Mouline Guigal 1998. C’est un bambin. Mais quel vin ! Il a une attaque franche comme les Mouline, un message direct et bien senti, et en finale un bois parfumé comme des bois tropicaux. Dans quelques années ce vin sera le diable, achetant leurs âmes aux dévots subjugués.

Déjeuner au restaurant d’Hélène Darroze lundi, 14 juin 2004

Je m’étais rendu au restaurant d’Hélène Darroze le jour où elle avait obtenu sa deuxième étoile qui fit grand bruit. Un photographe mitraillait alors trois talentueuses cuisinières pour un article sur les femmes au fourneau. Il était temps de revisiter l’endroit et j’ai senti des progrès sensibles. Des petites améliorations à trouver encore viendront asseoir cette deuxième étoile que son talent justifiera. La cuisine a gardé les attaches familiales de sa région et cette fidélité est un bien. La liste des vins comporte des prix irrationnels. Les prix des plats du menu sont plus que musclés. Le passage à l’euro a désinhibé les cartes des restaurants qui affichent maintenant des montants qui eussent fait hurler si on avait lu les chiffres exprimés en francs.

Il aurait fallu filmer la moue dubitative du sommelier lorsque j’ai commandé Cos d’Estournel 1971. Elle confirme l’image ancrée dans l’inconscient collectif de l’âge limite d’un vin. Sur un carpaccio de petits pois au foie gras cru et pigeon, ce Cos montre effectivement quelques signes d’âge que n’avait pas le Haut-Brion 1971 bu en bordelais. Mais notre table d’habitués des vins de cette période trouvait facilement toute la beauté du témoignage : un nez élégant, un goût plutôt puissant, légèrement alcoolique, et une belle intensité. Malgré quelques amertumes passagères, très plaisant.

Sur un délicieux turbot aux palourdes discrètes, le Château La Conseillante 1993 se comporte très bien. A l’ouverture, on sent bien que c’est un 1993, avec une sécheresse évidente et une absence de brio. Mais la chair du turbot joue son rôle et j’ai pu profiter de quelques instants de belle émotion.

La décoration du lieu est particulièrement ingrate. On envie parfois l’atmosphère moins crispée de l’étage du dessous. Le personnel est légèrement coincé mais professionnel et se libère un peu quand tout semble se mettre en place. On sent une envie de bien faire qui mérite des encouragements. La cuisine a de l’imagination. Il faut aller chez Tan Dinh pour ses vins splendides et soutenir le courage de cette Hélène Darroze ambitieuse.

Déjeuner au restaurant thaïlandais Bayan dimanche, 13 juin 2004

Un ami, convive du dernier dîner de wine-dinners m’invite au restaurant thaïlandais Bayan, à la cuisine fort construite et bien inspirée où un parcours de dégustation impromptu doit se dérouler avec de sympathiques cavistes. Même si les codes de saveurs de cette cuisine sont assez inhabituels, on sent une démarche esthétisante de bel intérêt. Seuls les desserts m’ont totalement dérouté. Le palais manque alors totalement de repères ! Un Sancerre les Monts Damnés François Cotat 1997 ressemble à tout sauf à un Sancerre. Mais le travail est bien fait. La cuvée A360 P d’Ostertag 2000 que j’avais déjà bue chez Guy Savoy est un vin délicieux vraiment bien construit. Vin de grand plaisir. Le Meursault Poruzots Domaine Latour-Giraud premier cru 1997 était handicapé par la mémoire du Coche Dury. Bon Meursault mais sans panache. Le Sancerre Edmond Vatan rouge 2002 m’a laissé perplexe car j’ai cherché vainement la plus petite trace de plaisir. Le château Le Pin Beausoleil, bordeaux supérieur de 13,5° Pauchot Leriche 2001 était présenté par son jeune propriétaire. On sent le travail sérieux, mais je préfèrerais un jeu d’acteur un peu plus calme. Un peu moins Michel Serrault, même s’il est brillant, et un peu plus Michael Longsdale.

Sympathique groupe joliment dissipé de joyeux convives, intéressante confrontation avec une cuisine qui eut la sagesse de ne pas anesthésier la bouche avec ses imprégnantes épices, et vins divers dont je ne retiendrai que l’Ostertag.

Déjeuner au restaurant Tan-Dinh jeudi, 10 juin 2004

Déjeuner au restaurant Tan-Dinh. Je viens à l’improviste dans ce temple de l’amour du vin. Robert Vifian n’est pas là et le lieu est désert. Sans doute les manifestations qui paralysent le quartier. La carte des vins est extraordinaire. Tout ce qu’un esthète du vin rêve d’avoir est là. Et les clients ont du talent, car les nombreuses années rayées sont souvent les meilleures. Je choisis l’exception, un Corton-Charlemagne Coche-Dury 1999. C’est le vin qui me semble le mieux correspondre à ce que j’attends d’une subtile cuisine vietnamienne. Nous commenterons souvent les accords avec Freddy Vifian. La bouteille arrive chaude, et même avec un passage en seau la première gorgée est bien grasse. Le pétrole, la pierre à fusil, le métal excitent avec une belle agressivité fort opportunément les papilles. Un ravioli amer et délicat provoque le vin avec génie. On est moins en phase avec les beignets de langoustines forts bons mais trop évidents pour inquiéter le Corton-Charlemagne. C’est une troisième entrée à base d’une herbe que madame Vifian nommera « Shiso » ou « pérille » qui intriguera le Coche-Dury au point de lui faire chanter le plus beau chant du jour. C’est un peu comme un limonaire lorsqu’il a trouvé son exacte partition. Ce lourd meuble de foire est pataud mais peut devenir orchestre de Vienne quand il est inspiré. On en était là avec l’herbe folle. Accord inoubliable.

Il est intéressant de constater que le bar appelle un vin rouge quand le cabillaud comme on le traite ici appelle un vin blanc. Mais à ce moment, le Corton Charlemagne se sent mieux avec le bar, plus reposant, qu’avec le cabillaud qui aguiche, mais sans franc succès.

Je trouve anormal qu’un restaurant aussi subtil et à la carte des vins d’une telle intelligence ne fasse pas table comble en permanence. Gastronomes parisiens, sachez ce qu’il faut faire.

Que dire de ce Coche Dury ? C’est un vin immense qui fait appel à un code de valeurs d’un élitisme œnologique absolu. Pas un gramme de charme dans ce vin qui joue la pureté, l’orthodoxie, la formidable définition du Corton-Charlemagne. Il sera bien difficile de boire du vin après ce chef d’œuvre.

Déjeuner à Fargues mardi, 8 juin 2004

Déjeuner privé en bordelais au cœur de vignobles chargés d’histoire. A l’apéritif Fargues 1997. Le nez est d’agrumes et en bouche, après avoir accueilli les pamplemousses et les fruits bruns, c’est le coté confit qui frappe. Mais surtout, caractéristique si belle, où tout Yquem me revient en mémoire, c’est cette unique impression de croquer les grains de raisin qui survient quand on « mâche » cet élégant Sauternes. Fringant à l’apéritif il se referme quand il est juxtaposé à des coquilles Saint-Jacques crues au zeste de citron vert. Il a trop de force pour le mollusque.

Un indispensable bouillon vient clarifier les papilles pour accueillir Château Lafite-Rothschild 1945. La bouteille a le millésime gravé dans le verre. Le niveau est exemplaire. La couleur est rubis, celle d’une belle rose profondément odorante. Le vin est continûment trouble, ce qui n’altère pas le goût. Un canard accompagne idéalement ce vin de majesté. A chaque service en verre le vin devient plus intense, son goût se précise, se densifie, s’extériorise. Le vin devient de plus en plus grand. Voilà pourquoi il ne faut pas carafer, car en homogénéisant on perdrait la perfection de la fin de bouteille.

Elle restera ce jour là purement conceptuelle car nous ne finirons pas : Fargues 1952 arrive. Couleur discrètement dorée de peau de pêche. Le vin sent le pamplemousse rose, et je ne peux cacher ma joie quand je vois qu’on apporte un dessert dont le thème est ce même fruit. L’accord sera parfait. Fargues 1952 est un athlète bien ossu. Il est chaleureux, puissant. Il n’a pas en bouche une longueur extrême mais il satisfait largement d’un plaisir premier. C’est un beau et grand Sauternes comme il doit l’être, plein de plaisir souriant. En ces longues journées d’un presque été, les vignes ont des grappes qui sont encore de timides promesses. Et le bordelais respire la joie de vivre.

galerie 1961 mardi, 8 juin 2004

jolie bouteille d’un Puligny Montrachet Duchesne 1961.

– *

 

 Chambertin Edouard Jantot 1961

 Sancerre Clos St Martin 1961

Chateau d’Yquem 1961 bu le 9 mars 2006 au chateau d’Yquem en même temps qu’Yquem 1861 de ma cave (voir ce récit d’un dîner fabuleux).

Chateau Cheval Blanc 1961, bouteille exceptionnelle, un des grands vins de 1961.

 Chateau Palmer 1961, bu en même temps que le 1959 à une séance de l’académie des vins anciens.

Nouveau voyage à Bordeaux lundi, 7 juin 2004

Nouveau voyage à Bordeaux. Je persiste et signe : la gare Montparnasse est laide. On connaît des pays peu démocratiques où l’on cherche à contenir toute velléité de culture. En ce lieu, il s’agit d’extirper toute forme de beauté. Je me perds moins dans les rues de Bordeaux où la prolifération des tramways me pèse moins.

Le château Smith Haut Lafitte a des bâtiments d’une architecture originale où les charpentes apparentes en bois ont une importance inhabituelle. C’est étrange mais l’endroit a d’une façon générale un esthétisme de bon aloi. Les Sources de Caudalie ont un niveau d’hôtellerie de classe internationale. La merveilleuse chartreuse à la splendide façade d’un pur 17ème, demeure privée des propriétaires qui l’ont restaurée et aménagée avec un goût raffiné accueille un groupe d’espagnols. Parmi eux, le jeune propriétaire des fabuleux jardins botaniques d’Elche. Dans la cuisine rustique on goûte les blancs de Smith Haut Lafitte. Le 1998 est puissant, technique, imposant. Par comparaison, le 2002 est frais, discret, citronné, de belle intelligence.

Nous dînons au lavoir et par une merveilleuse soirée d’une des plus longues journées de l’année un couple de paons vient saluer le soleil se couchant sur les vignes. Le blanc de 2001 a beaucoup de charme. C’est l’archétype du Graves blanc bien fait, qui miroite de tous ses parfums. Je le déguste sur une viande confite de canard bien dégraissée.

Le Smith Haut Lafitte rouge 1961 de la cave de Florence et Daniel Cathiard se présente avec un nez d’une délicatesse et d’une finesse rares. Ce n’est pas le 1961 qui arrive en fanfare. C’est un 1961 tout en charme. En bouche le message est simple, discret, sans ajoute inutile. Et la synthèse est belle, signe d’un vin de grand plaisir. Un dos de cabillaud me ravit car il l’accompagne avec une subtilité certaine.

Les propriétaires de cet ensemble, dont l’esprit d’entreprise est justement récompensé, ont une saine ambition. Ils peuvent être fiers de ce lieu de charme où se combinent le culte du corps, le culte du bien vivre et le culte du vin. Un original vin blanc doux de Cahors apporté par un jeune sommelier plein de talent glisse en bouche sans histoire. Des discussions se poursuivent ensuite fort tard avec des amis retrouvés sur place, au rythme réglé par un vieux Rhum Clément de bon confort.