Dîner au restaurant les Pins Penchés samedi, 3 juillet 2004

Je repars dans mon Sud ensoleillé et par une journée aux lourdes clartés, un vin rouge du Mas de Daumas Gassac 1999 flatte fort agréablement mes papilles. Il y a du bois, un bois typé, une belle mâche. Le fruit est un peu anesthésié par le bois, mais plus le vin s’ouvre et plus la dimension du plaisir s’affirme en bouche. Au soleil, dans le calme de la nature, ce vin est tout à fait adapté. C’est de « la belle » ouvrage, comme on disait autrefois.  Et sur une tourte au saumon, un bonheur.

Le restaurant les Pins Penchés, au Pradet près de Toulon, a migré de Carqueiranne pour s’installer dans une superbe propriété qui domine la mer, joliment installée dans les pins, les palmiers et les platanes. Un lieu de plaisir. La cuisine a moins d’imagination que le site, mais elle est acceptable. Au milieu d’une carte de vins aux prix le plus souvent aberrants, je trouve deux perles, deux bourgognes de grand plaisir. Le Corton Charlemagne Capitain – Gagnerot 2001 a une belle couleur et le nez profond des Cortons. En bouche, qu’il emplit de façon fort opulente, on a de belles variations sur d’innombrables suggestions. C’est un vin vraiment bien fait. Et je suis particulièrement surpris qu’il se tienne aussi bien quand mon palais a encore le souvenir vivace des merveilles de la maison Bouchard. Le Corton Renardes Grand Cru Capitain – Gagnerot 1998 est aussi un bien agréable bourgogne avec de la longueur, du soyeux et une belle présence au palais. On lui trouve un léger manque de finition, lié à une petite faiblesse de structure, mais le bilan de ce vin est extrêmement positif. Ces deux vins du même domaine ne font pas du tout pâle figure. Ce fut une agréable découverte par un magique soirée d’été comme on les savoure avec un infini bonheur.

Déjeuner au restaurant de Marc Meneau samedi, 26 juin 2004

Je  fais étape peu après à Saint Père sous Vézelay au restaurant de Marc Meneau, L’Espérance. Je m’y rendais de façon régulière depuis une trentaine d’années. Je retrouve mon ami américain et un ami allemand grand amateur de vins. Ma présence n’était pas prévue car j’avais un autre itinéraire, mais sachant où ils étaient, j’annonce ma venue. Les commandes sont passées avant que j’arrive et mes amis frappent très fort. Aussi bien au plan de la nourriture qu’au choix des vins. J’ai le plaisir d’être accueilli par des « bonjour M. Audouze », car je retrouve une jeune sommelière et un maître d’hôtel que j’ai pratiqués en d’autres lieux. Plaisir aussi de retrouver la grande cuisine de Marc Meneau, élégamment présentée par Françoise son épouse, heureuse de la faire découvrir ou redécouvrir à des partisans. Le retour au niveau de trois étoiles se fait dans une bonne humeur particulièrement sympathique. Le turbot cuit sous croûte est très expressif, la poularde est magique, et les petites entrées sont élégantes. Tout cela est vraiment de la belle cuisine pour un grand repas, que méritent les vins choisis. Le Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 1999 a une couleur d’un or citronné intense. En bouche, je passe par plusieurs sensations. Car à la première gorgée, c’est l’alcool et la puissance qui dominent. Puis l’élégance apparaît. Le vin a de l’opulence, il envahit, il a de la mâche. Et en même temps il est subtil, il esquisse, il suggère. C’est définitivement un grand Montrachet.

Le Gevrey-Chambertin les Cazetières Domaine Leroy 1955 a un nez de Pomerol, une couleur de Pomerol et un goût de Pomerol. Ceci déclaré, il a tout ce que j’aime de l’année 1955 en Bourgogne, dont cet émouvant Latricières Chambertin de Pierre Bourrée (bulletins 38 et 107). Il a un coté un peu cuit, mais délicieusement énigmatique. Ce vin raconte une histoire et me séduit follement car il délivre des messages que l’on n’attend pas. Le Corton Renardes Domaine Leroy 1964 est infiniment plus bourgogne, avec l’accomplissement assis de l’année 1964. On a toutes les caractéristiques de la Bourgogne avec cette belle amertume et cette déstructuration animale.

Dîner de wine-dinners au restaurant Le Grand Véfour jeudi, 24 juin 2004

Dîner de wine-dinners du 24 juin 2004 au restaurant Le Grand Véfour
Bulletin 116

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Krug 1988
Château des Tuileries Graves Supérieures 1941
Chablis Réserve de la Reine Pédauque 1934
Château Chalon Richerateaux 1949
Château Mouton Rothschild 1987
Clos Fourtet 1938
Beaune Calvet 1955
Vin fin de la Côte de Nuits Champy 1949
Château Rieussec 1965
Château Suduiraut 1948

Le menu conçu par Guy Martin
Sardines farcies au fromage de brebis et graines de céleri, câpres non pareilles
Foie gras de canard et foies blonds de volaille de Bresse, truffes et artichauts
Rissoles, truffes et feuille d’or
Homard rôti et morilles au vin jaune
Dos de cabillaud poêlé aux épices, jeunes légumes au bouillon, aïoli et courgettes
Pigeon Prince Rainier III
Bleu des Pyrénées de Macaille
Pêche blanche dans une fine gelée à l’hibiscus, crème glacée à l’huile d’Argan

Dîner de wine-dinners au restaurant Le Grand Véfour jeudi, 24 juin 2004

« Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,

Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez »…

Ce poème d’André Chénier est pour moi l’un des plus beaux de la langue française, oeuvre d’un génie à qui la repentance, mode actuelle, devrait s’appliquer, puisqu’il fut guillotiné en 1794 à trente deux ans. La Révolution nous a privé d’une production poétique sans doute unique. Tout comme un stupide duel d’Evariste Gallois à vingt ans empêcha l’éclosion d’un génie mathématique.

C’est ce poème de Myrto la jeune Tarentine que m’inspire l’élégante cuisine de Guy Martin au Grand Véfour.  Chaque sonorité s’enchaîne dans le poème d’une façon merveilleusement romantique. Chaque saveur des plats de Guy Martin procède d’un romantisme gustatif, lui aussi particulièrement émouvant. Je vais donc dithyramber un instant !

Du Grand Véfour, cette goélette portée par le vent de l’histoire, j’étais un passager épisodique car elle ne figurait pas sur mes géodésies parisiennes. Guy Martin a créé ce soir une cuisine époustouflante. Elle est diabolique. Il n’y a aucune aspérité, aucun clin d’œil, aucune facilité qui flatte les juges. C’est discret, c’est beau, c’est remarquable et c’est précis. Le homard est du homard, le cabillaud du cabillaud, le pigeon du pigeon. On a l’essence des goûts purs, et cette étincelle de génie que seuls les chefs les plus étoilés possèdent. Je ne soupçonnais pas qu’un repas dédié au vin puisse montrer tant de talent. Tout fut beau, juste, délicat, sans le moindre faux pas. De la gastronomie éternelle qui ressuscite les recettes des plus grands maîtres de l’orthodoxie culinaire, car tout fut prodigieusement précis.

J’ouvre à 17h les bouteilles avec Patrick Tamisier cet enjoué et farceur sommelier qui sait en toutes circonstances adopter l’attitude que commande son riche savoir. J’ai de grandes frayeurs. Le Chablis est quasiment mort, le Nuits 1949 chancelle et le Beaune est au SAMU. Le Tuileries, comme je l’avais annoncé auparavant aux convives, souffrait. A coté d’eux le Château Chalon affichait une insolente perfection et le Suduiraut était papal. Patrick vibrait au témoignage d’ouverture de ces reliques, frappé par le fait que chacun des vins, même fatigué, délivrait l’exacte définition de son terroir avec une authenticité étonnante.

Voici le petit bijou, menu de Guy Martin : Sardines farcies au fromage de brebis et graines de céleri, câpres non pareilles, Foie gras de canard et foies blonds de volaille de Bresse, truffes et artichauts, Rissoles, truffes et feuille d’or, Homard rôti et morilles au vin jaune, Dos de cabillaud poêlé aux épices, jeunes légumes au bouillon, aïoli et courgettes, Pigeon Prince Rainier III, Bleu des Pyrénées de Macaille, Pêche blanche dans une fine gelée à l’hibiscus, crème glacée à l’huile d’Argan. Ce fut assez époustouflant.

Le Krug 1988 a la présence rassurante du champagne parfait. Orthodoxe au moment où nous trinquions en un toast de bienvenue, il rajeunit de dix ans avec des sardines marquantes.

Le Château des Tuileries 1941, un « Graves supérieures » est un blessé. J’avais ajouté cette bouteille basse qui méritait d’être bue car la couleur me plaisait. Le nez est amer, l’ouverture agace mais la longueur est là : le vin finit en beauté. Sur le délicieux et fondant foie gras dont l’artichaut plaisait au Graves, un mariage exact.

Le Chablis Réserve de la Reine Pédauque 1934 est beau. Le blessé de 17h a guéri. Il est opulent, rond, onctueux sur la truffe. Et l’on est bien, rassurés qu’un Chablis manifestement hors limites puisse réveiller de telles saveurs.

Le Château Chalon Richerateaux 1949 est impérial de pure perfection. Je pense qu’il y a quatre catégories de personnes sur terre. Celles qui ignorent les vins du Jura. Celles qui ne supportent pas les vins du Jura. Celles qui ont goûté du Château Chalon et ce goût de noix verte amère. Et enfin ceux qui ont bu ce Château Chalon 1949 où l’amertume est absente, et dont la richesse s’étale de façon insolente. Ils forment un contingent infime. Il faut impérativement grossir le nombre d’amoureux de ces très grands et énigmatiques trésors. La morille excite logiquement le vin, mais c’est la chair du homard qui s’inscrit comme son exact partenaire.

Avec le cabillaud, on entre dans une forme de gastronomie que j’aime. La chair flatte le Mouton-Rothschild 1987 assez austère et sec qui va se transformer complètement au fil du plat. Le désert aride va se transformer en jardin luxuriant. Le moine cloîtré va devenir crooner. Et c’est la sauce qui catapulte le Mouton au firmament. Le Clos Fourtet 1938, reconditionné au château en 2001 est brillant. Rond, chaleureux, charmant et velouté il a tout d’un vin éternel, largement au dessus de ce qu’on pourrait attendre de son année dont les vestiges sont rares. Ce vin brille sur la chair du cabillaud et sur la petite crème d’ail.

Le Beaune Calvet 1955 m’avait fait peur à l’ouverture. Mais dès la première goutte versée en verre, on sent qu’il est réveillé et le pigeon vole avec lui. Ce pigeon d’une grande subtilité, plus viande que gibier, a trouvé un frère avec le beaune. Curieusement, le Nuits, Vin Fin de la Côte de Nuits Champy 1949 qui m’avait presque plu à l’ouverture a attrapé un goût de bouchon désagréable, à peine perceptible en bouche, mais qui agace. Puis tout disparaît. Et le jus de cuisson d’un œuf d’accompagnement, brutalement viandeux, remet en selle ce 1949 qui se met à parader follement, dopé comme un cycliste.

Le Rieussec 1965 ouvert au dernier moment est trop simple quand il se présente maintenant. C’est de l’alcool, avec seulement du fruit. Et il se transforme à vue d’œil sur un bleu un peu trop fort à mon goût pour devenir un compagnon attachant.

Les alcyons peuvent sécher leurs larmes, car voici Suduiraut 1948 qui vaut à lui seul tous les plaisirs du monde. C’en est presque trop de pure perfection. Oubliant le poète pour le sabir actuel, je dirais qu’il est « grave trop ». Sur le lait de coco, association diabolique, c’est Aïda. Sur la pèche totalement adaptée, c’est la troisième Symphonie. J’avais comparé plus tôt le Clos Fourtet au peintre Corneille et le Mouton à Ingres. Là, c’est la musique que suggère ce Suduiraut, petit miracle, soleil radieux sans le moindre défaut. C’est la 3ème, l’Héroïque.

Lorsqu’il s’est agi de voter, tous les vins ont eu droit au moins une fois à un vote, même les blessés dont le nombre, je dois le dire, fut un  peu inhabituel. Les vins se sont ressaisis sur la cuisine, mais certains souffraient encore. Ce fut donc un bien si au moins un vote les a encouragés, la cuisine faisant le reste.

Mon vote fut en un le Suduiraut 1948, en deux le Château Chalon 1949, en trois le Clos Fourtet 1938 et en quatre le Beaune 1955. Ce sont d’ailleurs ces quatre vins qui furent les plus cités, et pour une fois, ce qui est extrêmement rare, l’un des convives, qui avait déjà participé à l’un des dîners, a donné strictement le même vote que moi.

Un jeune couple de canadiens avait une érudition et un charme qui ont conquis l’ensemble de la table. Un couple d’entrepreneurs passionnants qui plus est vignerons et des habitués compétents, tous ont formé une table joyeuse, profitant d’un moment unique de gastronomie. La pèche qui accompagnait le Suduiraut était invraisemblablement exacte. Mon cœur a succombé à la sauce du cabillaud sur le Mouton 1987, vin qui n’était pas le plus émouvant mais qui a vibré de façon étonnante sur cette composante du plat. Le Clos Fourtet a paradé sur les épices du poisson. Le Château Chalon a montré une solidité gustative rare sur le homard.

Guy Martin a atteint ce soir une des formes les plus subtilement discrètes et accomplies de la vraie gastronomie.

Déjeuner au restaurant Taillevent mercredi, 23 juin 2004

Déjeuner au restaurant Taillevent avec l’un des palais les plus exceptionnels de la planète, un américain d’origine indienne, sans doute le second plus grand dégustateur au monde derrière Michael Broadbent. Le champagne rosé Taillevent est un peu trop sucré à mon goût. J’avais récemment goûté un rosé 1988 Taillevent que j’avais trouvé d’une classe immense. Apparemment l’âge est nécessaire à ce champagne. Le Corton Charlemagne Coche-Dury 1994 a un nez unique que mon ami trouve botrytisé, réflexion que j’entendrai quelques jours plus tard d’Aubert de Villaine sur le confidentiel Bâtard du domaine de la Romanée Conti. Pour moi le Coche Dury se caractérise plus par cette odeur de pétrole, de pierre mouillée par un torrent. En bouche il gratifie d’un goût de beurre, d’un gras, d’une onctuosité remarquables. Je lui trouve une belle harmonie sur une longueur un peu faible pour ce poids lourd. J’ai nettement préféré le 1999 bu il y a moins d’une semaine au Tan-Dinh même si tout expert trouverait le 1999 non encore formé. Le plat de langoustines aux asperges est assez attendu, alors que le risotto aux girolles est un monument d’exactitude. C’est aussi raffiné qu’une montre tourbillon.

Le Corton Renardes Michel Gaunoux 1972 est un fantastique bourgogne. Voilà un vin que Robert Parker refuserait de noter. Brutal, agressif, déstructuré, il a tout pour rebuter le palais rapide et inattentif. Ce qui n’est pas le cas du célèbre critique œnologique, mais il ne prendrait pas le temps d’essayer « d’entrer » dans la logique du message. Sous ses abords dérangeants, ce vin a une fantastique expression bourguignonne faite d’animalité, de stress, de viol des papilles. Et quand ce vin déroutant s’oppose à l’un des plus magistraux lapins que j’aie mangé, on se situe à un niveau extrême de gastronomie. Ce lapin est un monument, car toutes les saveurs explorées trouvent une place exacte. Que de fois, même dans les maisons les plus talentueuses, on trouve une saveur qui entraîne la question : « pourquoi ? ». Là, toute piste explorée a sa signification. C’est le lapin sublime. Un morceau d’anthologie. Alors, quand en face de lui c’est un Corton déstructuré qui joue dans l’énigme, on côtoie l’excitation gastronomique nirvanesque. Tout dérange et en même temps tout s’encastre. C’est la plus pure interpellation gustative qui soit. Et je suis assez content que ce soit Taillevent qui s’aventure sur ces pistes là.

Le lendemain se tenait un dîner de wine-dinners au Grand Véfour où Guy Martin a délivré une cuisine de ce niveau. J’en raconterai l’histoire dans le prochain bulletin, car cette histoire mérite des développements.

dîner au restaurant « les Cèdres » vendredi, 18 juin 2004

Le dîner se passe en Drôme à Granges-lès-Beaumont au restaurant « les Cèdres » doté d’une étoile. Le lieu est délicieusement décoré, avec un sens de la recherche esthétique bien affirmé. Il y a de grands efforts culinaires, et la dorade, le sandre ou l’escalope de foie gras sont exécutés avec une précision qui justifie le choix des guides. Le service en revanche, malgré une évidente volonté a montré quelques lacunes. Peut-être est-ce dû à l’organisation de notre table en salon privé ? Nous allions bien évidemment ne pas nous arrêter à cela et ne retenir que les beaux efforts d’un restaurant à conseiller.

Le champagne Bollinger spéciale cuvée est franchement amer et désagréable. Je suis étonné que sur les dix convives un seul le remarque comme moi alors que nous avions à notre table un des agents de cette marque qui n’y a rien vu ! Le Saint-Péray domaine du Tunnel 2003, même s’il s’annonce cuvée de prestige n’excite pas mon intérêt, mais il y a sans doute un effet de lassitude après avoir bu tant de vins de cette belle région. J’ai presque la même réaction sur le Crozes Hermitage rouge les Trois Chênes de Emmanuel Darnaud 2001 objectivement bien plaisant.

Le muscat des Beaumes de Venise domaine des Bernardins de Castaud Maurin 2003 est un vin dont j’avais appris le charme de l’appellation grâce à Jean Claude Vrinat, le talentueux propriétaire de Taillevent à l’érudition œnologique légendaire. Puis j’étais passé par une assez longue phase de lassitude devant ce goût assez répétitif. Celui-ci a réveillé fort aimablement mon palais et m’a réconcilié avec ce goût naturel, agréablement frais, offrant une déstructuration du fruit et du sucre. Ce muscat fort aimable a marqué l’opportun point final à une visite où, au milieu de quelques perles de plastique, des perles fines pourraient constituer un collier de fort bon goût, prétexte à de beaux repas.

Tain L’Hermitage mardi, 15 juin 2004

Le soir même, j’atterris à Tain l’Hermitage à l’hôtel de Jean Marc Reynaud. A sa fort aimable table on ouvre un Hermitage des Caves de Tain l’Hermitage blanc Nobles Rives 1995. C’est très Hermitage, donc très direct. Il y a de la profondeur, du charme, et ce message envahissant qui a autant de finesse qu’un char d’assaut sur la place Tien An Men. Par contraste, l’Hermitage la Chapelle de Jaboulet rouge 1991 me réconcilie –  j’en avais besoin, car je le boudais un peu – par sa finesse. Magnifique rouge généreux, accompli, en pleine possession de ses moyens. Un merveilleux La Chapelle bien fait, servi juste quand il le fallait.

Déjeuner aux Foudres de Bacchus mardi, 15 juin 2004

Je me rends aux Foudres de Bacchus à Gentilly où l’excellent Jacques Fillot possède une cave très éclectique et un restaurant où l’on mange fort aimablement. La cave est un petit bijou de séduction, appuyée sur une approche traditionnelle rassurante. On boit en cave Hermitage Le Chevalier de Sterimberg blanc 1997 dont la belle couleur est un peu fumée. Le nez est riche. En bouche du gras, du beurré. Belle construction bien saine. A table Corton Charlemagne Pierre Marey 2001. C’est un magnifique Corton très caractéristique. Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’après le Coche-Dury récent si fantastique, il fait vraiment bonne figure. C’est un magnifique Corton Charlemagne chatoyant et expressif. Une belle réussite.

J’avais aussi choisi en cave pour le repas une Côte Rôtie la Mouline Guigal 1998. C’est un bambin. Mais quel vin ! Il a une attaque franche comme les Mouline, un message direct et bien senti, et en finale un bois parfumé comme des bois tropicaux. Dans quelques années ce vin sera le diable, achetant leurs âmes aux dévots subjugués.

Déjeuner au restaurant d’Hélène Darroze lundi, 14 juin 2004

Je m’étais rendu au restaurant d’Hélène Darroze le jour où elle avait obtenu sa deuxième étoile qui fit grand bruit. Un photographe mitraillait alors trois talentueuses cuisinières pour un article sur les femmes au fourneau. Il était temps de revisiter l’endroit et j’ai senti des progrès sensibles. Des petites améliorations à trouver encore viendront asseoir cette deuxième étoile que son talent justifiera. La cuisine a gardé les attaches familiales de sa région et cette fidélité est un bien. La liste des vins comporte des prix irrationnels. Les prix des plats du menu sont plus que musclés. Le passage à l’euro a désinhibé les cartes des restaurants qui affichent maintenant des montants qui eussent fait hurler si on avait lu les chiffres exprimés en francs.

Il aurait fallu filmer la moue dubitative du sommelier lorsque j’ai commandé Cos d’Estournel 1971. Elle confirme l’image ancrée dans l’inconscient collectif de l’âge limite d’un vin. Sur un carpaccio de petits pois au foie gras cru et pigeon, ce Cos montre effectivement quelques signes d’âge que n’avait pas le Haut-Brion 1971 bu en bordelais. Mais notre table d’habitués des vins de cette période trouvait facilement toute la beauté du témoignage : un nez élégant, un goût plutôt puissant, légèrement alcoolique, et une belle intensité. Malgré quelques amertumes passagères, très plaisant.

Sur un délicieux turbot aux palourdes discrètes, le Château La Conseillante 1993 se comporte très bien. A l’ouverture, on sent bien que c’est un 1993, avec une sécheresse évidente et une absence de brio. Mais la chair du turbot joue son rôle et j’ai pu profiter de quelques instants de belle émotion.

La décoration du lieu est particulièrement ingrate. On envie parfois l’atmosphère moins crispée de l’étage du dessous. Le personnel est légèrement coincé mais professionnel et se libère un peu quand tout semble se mettre en place. On sent une envie de bien faire qui mérite des encouragements. La cuisine a de l’imagination. Il faut aller chez Tan Dinh pour ses vins splendides et soutenir le courage de cette Hélène Darroze ambitieuse.