267ème repas au restaurant Maison Rostang jeudi, 20 octobre 2022

Le 267ème repas est un déjeuner au restaurant Maison Rostang organisé par un ami de longue date qui réunit chaque année des amis à l’un de mes repas. Ce sont tous des hommes qui réussissent dans les affaires, majoritairement dans la cinquantaine, bons vivants de province, connaisseurs et amateurs de grands vins.

Je suis venu au restaurant à 9h30 pour ouvrir les vins qui avaient été livrés il y a plusieurs jours et avaient été redressés debout en caisse la veille par Jérémie, le sommelier qui a accompagné ce déjeuner avec talent.

Lorsque l’atmosphère extérieure est assez humide et chaude comme depuis quelques jours, les bouchons sont venus facilement même si souvent ils ont été extirpés en morceaux. Les parfums les plus engageants sont ceux du Champagne Lanson 1949 et du Château Filhot 1935. Le parfum du Châteauneuf-du-Pape 1949 est de vinasse, avec une acidité vinaigrée, avec un bouchon totalement imbibé mais beau.

Le Chablis 1971 me semble bouchonné. Je le fais sentir à Jérémie qui le trouve convenable. Je ressens et effectivement, l’odeur est moins marquée que la première approche. Nous verrons.

J’ai eu une frayeur en ouvrant le Lafite 1971. La capsule paraît authentique, tout semble normal, mais en levant le bouchon, je vois qu’il n’a aucune inscription. L’idée d’un faux est évidente, et je sens le vin avec Jérémie. Tout indique que ce puisse être Lafite et que 1971 soit probable. En regardant à nouveau le bouchon, je vois des traces d’écriture qui pourraient faire penser à Lafite. Mais le doute existe. A vérifier. Le parfum du Fleurie 1938 me paraît engageant et je le verrais bien faire des prouesses.

Il y a du bon et de l’incertain. A suivre.

Nous serons dix. Le menu qui a été mis au point avec le chef Nicolas Beaumann se présente ainsi : canapés / amuse-bouche / les langoustines pochées dans un consommé puis rôties, coques au bouillon et fruit de la passion, sarrasin soufflé, bouillon de langoustines mousseux / le homard rôti, céleri cuit en croûte de sel et jus de la presse au vin de syrah / le pigeon cuit à l’étouffée, artichaut braisé aux saveurs de noix et olives, jus de pigeon / le lièvre à la royale / stilton / palet de mangue fraîche, crème légère à l’agastache et gavottes à la cervoise / le soufflé chaud au chocolat, noisettes torréfiées.

Le Champagne Dom Pérignon 1988 avait fait un beau pschitt à l’ouverture, libérant des petites bulles sympathiques. La couleur est d’un bel ambre. Le champagne est délicieux, cohérent, charmant et noble. Il est tellement accompli qu’on en ferait volontiers son ordinaire.

Lorsque le Champagne Lanson 1949 apparaît, je suis aux anges. Son bouchon s’était brisé à l’ouverture, retiré sans pschitt. Son parfum était d’une délicatesse infinie. Il l’est encore et en bouche c’est du bonheur pur. Il a une acidité magnifiquement dosée. C’est un champagne noble, sans âge car il ne paraît pas plus vieux que le Dom Pérignon de 39 ans plus jeune. Un pur régal.

Les langoustines dont d’une subtilité absolue, cuites à la perfection. Le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1979 est puissant, vif et tranchant, affuté et de beau plaisir. Il est noble.

Hélas, le Chablis Grand Cru Les Vaudésirs Domaine Albert Long-Dépaquit 1971 est fortement bouchonné. J’ai espéré que cela n’affecte pas son goût et j’ai cherché à le croire, mais force est de constater que ce vin n’est pas à la hauteur. C’est dommage.

Le homard est puissant et le Château Ausone Saint-Emilion 1959 le lui rend bien. Quel grand vin racé, vif. Tout le monde convient qu’une telle réussite serait impossible à trouver avec un Ausone jeune. On a là un Ausone épanoui et prêt à braver l’éternité. Il est majestueux. Il sera couronné par les votes et il le mérite.

Lorsque Jérémie me verse un verre de Château Lafite Rothschild Pauillac 1971 je le vois clairet et pas du tout Lafite, à l’œil. Mais un convive a un verre extrêmement sombre avec de la lie noire. Je lui propose d’échanger nos verres, ce qui est fait. L’ami est beaucoup plus heureux avec ce verre. J’entends que certains aiment ce vin, même s’il est loin de l’Ausone, et que certains reconnaissent Lafite. Je ne reconnais pas Lafite mais la bouteille a peut-être vécu des périodes difficiles avec une dépigmentation du vin dans le haut de la bouteille. La capsule, l’âge du bouchon, tout montre que la bouteille est authentique même sans écritures visibles de Lafite. Mais le vin ne facilite pas qu’on le trouve authentique. La capsule m’interdit de dire que c’est un faux. Le liquide m’y conduit. Laissons cette énigme dans cet état. Il suffit de se souvenir que l’Ausone 1959 est une merveille.

Sur le délicieux pigeon il y a un seul vin et je suis fort marri, car le Fleurie Etienne Maraux 1938 est loin d’avoir le corps que son parfum initial suggérait. Il n’est pas mauvais, mais il n’a rien. Pas assez pour avoir envie de l’aimer. C’est dommage car j’adore les vieux beaujolais.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 est une merveille de La Tâche car il a le sel que j’aime tant. Il est tellement typé que je suis aux anges. Ce sera mon chouchou dans les votes. Des amis trouvent que le lièvre à la royale est trop épicé. Un des convives est restaurateur. Il a été étoilé et a réalisé un de mes dîners il y a quelques années. Il est comme moi heureux de cette présentation du lièvre qui permet de beaux accords.

Le Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1949 est un solide gaillard, puissant, carré, d’un charme naturel serein. Et c’est bien que le bourguignon et le rhodanien aient été mis ensemble car ils sont tellement différents qu’ils se complètent. Un régal d’avoir ces deux vins si grands ensemble.

Le Château Filhot Sauternes 1935 est une merveille ensoleillée. Il a la puissance – qui n’est pas la qualité principale qu’on lui reconnait – et une étonnante fraîcheur. Ce sauternes est un de mes chouchous dans ce millésime particulièrement attrayant par sa subtilité.

Ne sachant pas ce que ce vin serait, j’avais goûté le Pinot-Gris Ai-Danil Collection Massandra 1938 vers 10 heures ce matin. Le nez m’évoquait du marc, alors que la bouche est toute doucereuse. C’est un dandy élégant qui dégage un charme particulier. Je l’aime d’autant plus qu’il offre un goût qui m’est inconnu. Un ami dit qu’il évoque le café, mais c’est beaucoup plus la figue qui apparaît. Suave et noble, il crée un très bel accord avec le délicieux soufflé.

Il y a eu des performances très diverses, mais les belles performances nous ont enthousiasmé. Nous votons pour nos cinq vins préférés. Quatre vins ont été nommés premiers. La Tâche 1956 a été nommée quatre fois premier, l’Ausone 1959 trois fois, Le Châteauneuf 1959 deux fois et le Lanson 1949 une fois. Les seuls vins sans vote sont le chablis et le Fleurie.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Ausone Saint-Emilion 1959, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956, 3 – Champagne Lanson 1949, 4 – Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1949, 5 – Château Filhot Sauternes 1935, 6 – Château Lafite Rothschild Pauillac 1971.

Mon classement est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956, 2 – Champagne Lanson 1949, 3 – Château Ausone Saint-Emilion 1959, 4 – Pinot-Gris Ai-Danil Collection Massandra 1938, 5 – Château Filhot Sauternes 1935.

Si je n’ai pas mis le Châteauneuf dans mon vote c’est parce que je le connais très bien et je n’ai pas eu la surprise d’autres vins. La cuisine a été d’une grande qualité, les plats créant de beaux accords. Le service est efficace et Jérémie a bien géré les cent verres qui formaient une forêt sur la table.

J’ai offert en fin de repas une Chartreuse verte de 54° mise en bouteille en 2021 qui a marqué par sa fraîcheur étonnante le beau point final d’un repas amical et réussi.

vraie ou fausse ?

Déjeuner impromptu au restaurant Pages mardi, 18 octobre 2022

Il va y avoir dans quelques jours un grand repas dans l’appartement de réception de Moët Hennessy. Je vais livrer les vins aussi est-ce le prétexte pour déjeuner ensemble au restaurant Pages, avec Nicolas, le maître de maison du bel appartement et Stanislas, le responsable des relations avec les grands clients privés de Moët Hennessy. Stanislas a invité François Mauss, le créateur du Grand Jury Européen et le créateur du « Davos du Vin », qui réunit de grands vignerons chaque année à la Villa d’Este. Je suis ravi d’avoir l’occasion de revoir ce grand homme du vin qui ne partageait pas, loin s’en faut, ma vision du vin, ce qui n’empêchait pas de s’apprécier mutuellement.

Je demande à Stanislas si je peux apporter du vin. Il m’y encourage aussi je vais choisir trois vins dans des zones de goûts que François Mauss peu l’habitude de fréquenter. Un ami américain avec lequel je vais organiser un gigantesque repas, de passage à Paris, va compléter notre table.

On commence par le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame rosé 2012. La robe est très timide mais pleine de charme comme provenant d’un tableau d’Elisabeth Vigée-Lebrun. Ce rosé a déjà une belle personnalité et est agréable à boire. J’attendrais encore un peu pour le boire car il va s’épanouir.

Le Meursault Genevrières Marey-Genelat (?) 1961 a un nom difficile à lire sur l’étiquette. Sa très belle couleur est fantastique. Ce qui est fascinant, c’est le finale, si long, avec une explosion de fruits rouges, oui, oui, rouges !. Ce vin est incroyable. Avec le poisson Saint-Pierre c’est un pur délice, riche, opulent, dominant.

Etant arrivé en avance, j’avais ouvert le Cérons (domaine illisible) 1959. Le parfum était si émouvant que j’ai demandé à Ken, le chef du restaurant Pages, avez-vous des palourdes ou des coques ? Il dit oui et nous avons une combinaison du salé de la coque avec la douceur sucrée du vin absolument immense. Un ami qui buvait à l’aveugle proposa Climens, ce qui montre à quel point ce Cérons est impérial.

Le Château Canon la Gaffelière 1971 que j’ai apporté aussi est très élégant, solide et d’une parfaite sérénité. Pureté et élégance. 1971 est un millésime très abouti. Un grand plaisir de boire ce saint-émilion aussi équilibré et vif.

Le Termanthia Bodega Numanthia 2015 est largement meilleur que celui que j’avais déjà bu. Un vin espagnol solide et structuré, agréable à boire maintenant mais qui s’épanouira agréablement.

Le vainqueur, de loin, est l’incroyable Meursault 1961, suivi du si charmant Cérons 1959. Ce fut un bon déjeuner avec de bons amis. Un grand moment. Et la cuisine de Pages est toujours parfaite.

Déjeuner au restaurant Ôrtensia samedi, 15 octobre 2022

Bipin Desai est un scientifique américain d’origine indienne, grand amateur avec lequel j’ai organisé de magnifiques dîners de vignerons amis. Il vit en Californie et vient chaque année en France et pratique les plus grands restaurants français. Il n’a pas pu venir pendant le confinement et nous nous retrouvons après cette longue absence. Je lui ai proposé de le faire au restaurant Ôrtensia à déjeuner.

Nous sommes accueillis par le sommelier Romain qui est absolument brillant, gai, dynamique et va avoir réponse à tout. Bipin demande que nous prenions un champagne au verre, option qui n’est pas écrite dans la belle carte des vins.

Romain nous propose un Champagne JMSELEQUE dégorgé en novembre 2021 avec 50% de chardonnay et 50% de réserve perpétuelle. Je n’avais jamais entendu parler de ce champagne. Même si je suis habitué aux champagnes plus vieux, j’ai apprécié son acidité très bien construite. Il est agréable à boire et élégant pour des accords de gastronomie. J’ai demandé sur Instagram si certains de mes abonnés connaissent cette maison et j’ai eu beaucoup de réponses indiquant que c’est le vigneron qui monte et va jouir d’une belle notoriété.

Le chef Terumitsu Saito propose un menu unique qui est d’une belle exécution, avec des saveurs de grande qualité. Voici l’intitulé : Amuse-bouche / Tataki de rouget & gelée de crevettes, nori et radis noir / Saint-Pierre de petite pêche, tempura de cèpes, artichauts & condiment citron / Cochon ibérique, racine de lotus, figues & bao noir / Pomme & carotte / Chocolat, sarrasin & iri-bancha / Mignardises sucrées.

Sachant que l’on aurait poisson et viande, j’ai commandé deux vins que j’aime et, chose rare qui sont tous les deux de 2005. Un restaurant qui en présente mérite des compliments.

Le Clos Sainte Hune Trimbach 2005 est d’une belle couleur de blé jeune. Je considère que le Riesling est probablement le cépage le plus pointu, avec une précision unique. Il n’a pas l’extravagance du pinot noir ni l’énergie du chardonnay, mais sa précision est extrême et parmi tous les rieslings, Sainte Hune est un seigneur. Ce 2005 a une parfaite maturité. Il a la fluidité de l’eau d’une cascade et un beau fruit citronné. Il est à 17 ans d’une maturité calme. On se régale.

Le Châteauneuf du Pape Cuvée Marie Beurrier Henri Bonneau 2005 est lourd, solide, mais je ne perçois pas le charme qui appartient à ce vin d’un producteur qui me passionnait. Il était comme un vigneron du 17ème siècle. La cave a oublié d’être propre, mais Henri connaissait précisément l’évolution de chaque fût. Un magicien. Je ne ressentais pas la magie et comme en un paradoxe le vin est devenu ce que je souhaitais sur un dessert au chocolat amer. Il s’est montré royal.

Et le lendemain (j’avais gardé la bouteille), il est devenu miraculeux sur une épaule d’agneau. Tout y était, puissance, énergie et charme. Un délice.

Bipin Desai va aller demain au restaurant Plénitude pour goûter la cuisine d’Arnaud Donckele. Avant de me voir il était allé à Guy Savoy et au Taillevent. Cet homme de 87 ans est infatigable. Je le lui souhaite pour longtemps.

Dîner avec mon fils à la maison vendredi, 14 octobre 2022

Après la session de travail au Plénitude, je rejoins ma femme et mon fils au restaurant du Pavillon de la Reine dont la cuisine est inspirée par le chef Matthieu Pacaud, fils du propriétaire historique de l’Ambroisie. Sylvain le directeur de salle est très sympathique. La cuisine est très avenante. Nous avons bu de la bière, car le soir même, nous allons festoyer avec mon fils à la maison.

Le soir donc, l’apéritif commence avec une bouteille reçue il y a quelques jours qui me pose beaucoup de questions. Avant les vacances, un fournisseur occasionnel m’avait proposé un Krug 1969 au niveau bas mais selon lui, de belle couleur. Le prix étant attrayant, j’ai payé et la bouteille a été livrée plus de deux mois plus tard. Dans une boîte en polystyrène on voit que la bouteille a fui. Elle est entourée au niveau du goulot d’un tissu de protection fermé par des rubans adhésifs, et le tissu est humide. Ceci prouve que mon fournisseur savait que la bouteille fuyait. Je sens le tissu et il pue la vinasse. Je m’en veux d’avoir acheté ce champagne si vilain. Il n’y a qu’avec mon fils que je peux boire un tel vin grabataire. Deux jours après, même en ayant enlevé le linge, l’odeur de vinasse subsiste et c’est seulement cinq jours après que l’odeur a disparu. Nous allons donc l’essayer.

A l’ouverture le Champagne Krug millésime 1969 a surtout une odeur d’âge avancé. Il semble fade. Au moment du service, environ deux heures après, l’odeur est plus normale. La couleur du champagne est presque orangée comme s’il s’agissait d’un champagne rosé. Le bouchon ne collait plus au goulot, ce qui explique la perte de volume. Nous le buvons et mon fils, fort poliment, ne le critique pas. On ressent que c’est un Krug, mais un Krug fatigué et en fin de vie. Quand je dis à mon fils que je vais ouvrir autre chose, il est soulagé.

J’avais acheté il y a quelques années un lot de Champagne Krug Private Cuvée années 60 ou 70. Mon fournisseur fidèle avait goûté une des bouteilles et m’avait conseillé le lot. J’avais assez rapidement après goûté l’une des bouteilles et j’avais été conquis. Celle que j’ouvre a un bouchon parfait, un joli pschitt et une bulle abondante. Dès la première gorgée, on sait qu’il était inutile de continuer avec le Krug 1969, car l’écart de qualité est impressionnant. Ce Grande Cuvée est magistral, vif, fin, ciselé et noble. C’est un Krug majestueux. Un grand bonheur. Avec du saucisson et des chips à la truffe, on se régale.

Pour un filet de bœuf j’ai ouvert il y a quatre heures un Hermitage M. de la Sizeranne Chapoutier 1949 au beau niveau dans la bouteille. La capsule est en plastique et le verre de la bouteille est enfermé dans un filet métallique. Le bouchon vient normalement et l’odeur à l’ouverture est engageante. Le vin est servi à l’aveugle pour mon fils et spontanément il pense Bourgogne et va même jusqu’à suggérer domaine de la Romanée Conti. Autant je comprends l’idée de la Bourgogne car le vin est d’une subtilité rare qui pousse vers cette région, autant j’approuve moins le choix de la Romanée Conti car il n’y a aucune suggestion de sel.

Pour l’âge, mon fils suggère 1981 ou 1983 et je le comprends car ce vin qui n’a pas d’âge pourrait très bien être situé dans cette période. Si je pense à l’Hermitage La Chapelle 1949, que je trouve presqu’aussi grand que le légendaire 1961, ce 1949 de Chapoutier n’est pas au même niveau, mais il est grand, d’une sensible générosité et d’une belle franchise. C’est un grand vin abouti. Nous avons passé une bien belle soirée et boire des vins avec mon fils est un plaisir particulier, car nous nous comprenons instinctivement.

Mise au point d’un repas à Plénitude vendredi, 14 octobre 2022

J’ai en programme un déjeuner extravagant avec des vins rarissimes pour un groupe qui s’est formé à la suite de précédents dîners. Ce déjeuner se fera au restaurant Plénitude avec le chef ‘sextuplement’ étoilé Arnaud Donckele. Nous avons une réunion de travail pour mettre au point le menu avec Arnaud, avec Bertrand Noeureuil le chef attaché au restaurant et Alexandre Larvoir, directeur du restaurant. Le sommelier Emmanuel Cadieu est retenu par d’autres obligations.

Chaque fois que nous faisons cet exercice d’élaboration d’un menu j’apporte un vin pour que les participants goûtent des vins qu’ils n’ont pas l’habitude de boire. Cette fois-ci, c’est un Constantia Red d’Afrique du Sud vers 1862 que j’ai apporté, qui avait été ouvert avant les vacances. Le fond de bouteille est épais, presque marron noir, et s’est enflé. Le parfum est saisissant et j’y vois de la rose, ce qui explique peut-être que je demande souvent pour ce vin des financiers à la rose qu’Arnaud, pour me taquiner, appelle les financiers Audouze, comme le fait la charmante Yuki, ancienne pâtissière du restaurant Pages, qui a gardé cette recette qu’elle appelle : financier François. Elle a une pâtisserie nouvellement nommée Rayonnance.

Le Constantia a une attaque très suave avec des accents de caramel. Ce qui est fascinant, c’est que le finale est étonnamment frais, presque mentholé. Une belle énigme.

Je suis très impressionné par la complicité qui existe entre les deux chefs. Ils se comprennent à demi-mot, et les plats s’imaginent dans la bonne humeur. Si le repas a lieu, il sera extraordinaire.

Déjeuner au restaurant Pages mardi, 11 octobre 2022

Un organisateur d’événements rares pour des touristes étrangers crée le contact avec le propriétaire d’un château historique français qui veut organiser des diners de haut niveau dans son magnifique château. Nous nous retrouvons au restaurant Pages pour bavarder de projets possibles. Je suis arrivé une demi-heure avant mes invités pour ouvrir les vins que j’ai apportés avec l’intention de proposer des goûts qui ne sont pas habituels. J’ai le temps de bavarder avec le chef Ken pour que les plats s’adaptent par leurs sauces à mes vins.

Le Champagne Rare de Piper Heidsieck 1979 est celui que j’avais ouvert il y a deux jours dont il restait suffisamment. La couleur s’est un peu assombrie mais le champagne offre un fruit abondant et généreux. Il a encore une très belle énergie et accompagne avec succès une daurade royale en carpaccio.

Le Chablis Grand Cru Blanchot Domaine Vocoret 1988 est d’une jolie maturité. La couleur est d’un or clair et le vin est large et presque gras. Il est magnifiquement épanoui et subtil. Sur le turbot à la sauce claire assorti de coques, c’est un régal.

Le Château Léoville Poyferré Saint-Julien 1959 a un fort parfum de truffe. Il est dense et puissant, concentré et large. Ce millésime réussi lui donne une belle longueur. Le veau à la chair délicate a été d’une sauce qui crée un bel accord.

Ce déjeuner exploratoire pourrait conduire à de beaux événements. A suivre.

Repas de conscrits au Polo de Paris lundi, 10 octobre 2022

Notre club de conscrits ne s’était pas réuni depuis presque quatre mois. Nous sommes huit, au complet, ce qui est rare. L’ami qui invite a choisi le Polo de Paris pour nous recevoir. Les espaces fleuris sont magnifiques et la salle de restaurant est vaste.

Notre ami a apporté deux champagnes dont il connait le propriétaire. Le reste est pris sur la carte du restaurant. Le Champagne Taittinger Brut sans année est simple mais joue son rôle. Nous grignotons des cacahuètes et des petits biscuits salés.

Les champagnes de la maison Champagne Gautherot, l’un simple et l’autre millésimé 2015, apportés par mon ami sont fort agréables.

Les huîtres qui sont proposées sont superbes, vivantes et salées. Un régal. Le Montagny Premier Cru Joseph Drouhin 2020 a une jeunesse qui ne me rebute pas. Il s’accouple avec les huîtres aimablement.

Le Saint-Joseph Le Grand Pompée Paul Jaboulet Ainé 2021 est peut-être le premier 2021 que je bois. On fait maintenant des vins prêts à boire qui passent facilement en bouche, mais il leur manque quand même de la matière. Elle apparaîtra plus tard. Le cabillaud est bon et accepte le vin.

Pour les fromages nous avons Château Citran Haut-Médoc 2016 et un Château Labégorce Margaux 2013. Nos discussions étaient tellement animées que je les ai bus sans en ressentir tous les atouts.

Ce sont surtout les échanges avec les débatteurs dynamiques de mon âge qui sont le point le plus gratifiant de ces repas d’amitié.

Repas d’anniversaire dimanche, 9 octobre 2022

C’est le déjeuner d’anniversaire de ma fille cadette. Nous sommes huit dont quatre buveurs. L’apéritif est composé de gougères et de deux tartes à l’oignon. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1998 a eu un beau pschitt à l’ouverture et sa couleur ne montre aucun signe d’âge. Ce champagne est d’une belle sérénité. Il est rassurant. Il n’a pas l’émotion et la vibration du 1996 que j’adore, mais il est très agréable.

Le Champagne Rare de Piper-Heidsieck 1979 a une bouteille d’une grande beauté et de belle élégance. Le pschitt était présent à l’ouverture mais discret. La couleur est nettement ambrée. La première gorgée est saisissante. L’acidité est vive et entraînante. Et les goûts se succèdent en strates. C’est un festival de complexités. Ça bouge en bouche ! Quel grand champagne aux saveurs inconnues. On se régale.

Le menu est simple : poulet rôti et écrasé de pommes de terre / fromages camembert Jort, saint-nectaire, époisses, brebis / mangues crues et dessert au chocolat et aux noisettes.

Le Corton Renardes Michel Gaunoux 1974 est un vin que je connais par cœur et qui me surprend toujours par sa pertinence. Il a des accents salés très proches de ceux du domaine de la Romanée Conti et il est rêche comme savent l’être les bons vins bourguignons des années discrètes. J’adore ce vin qui est une des plus belles réussites de ce millésime en Bourgogne. Avec le poulet l’accord est parfait, la belle sauce lui apportant de l’énergie.

Le Grignolino S. Astibarbera 1974 est un vin de table de la région d’Asti. Je l’ai choisi pour son année qui est celle de ma fille. Il titre 12,3° d’alcool et sa bouteille est de 72 centilitres. Originalité des chiffres. Sa couleur est assez foncée et en bouche on ressent un degré d’alcool plus élevé que celui annoncé. Ce qui me frappe, c’est que ce vin italien a tout d’un vin algérien, car le goût de café est très marqué. Ce vin simple me plait beaucoup. Il va s’accorder avec les fromages de belle façon. C’est une belle surprise.

Il reste dans le réfrigérateur des vins doux qui avaient été ouverts avant les vacances d’été. Pour le dessert au chocolat c’est tentant de les essayer. Le Madère Sec Joâo Marcello Gomez probablement des années 50 a gardé une belle énergie et se boit bien.

En revanche le Sherry du Cap 1862 s’est affadi et a perdu son caractère brillant. Il est temps d’oublier cette bouteille. Ce repas d’anniversaire, empli de rires et d’affection est un grand bonheur.

Dîner au restaurant Maison Rostang samedi, 8 octobre 2022

Un fournisseur occasionnel m’avait proposé avant les vacances un Krug avec cette indication : « niveau bas ». Les photos de mauvaise qualité ne permettaient pas de vraiment juger le vin, mais j’ai donné mon accord. La bouteille m’a été livrée et le vendeur m’avait annoncé avoir réservé une surprise. Lorsque je déballe le colis je vois que le champagne est beaucoup plus bas que ce que j’imaginais mais ce qui me rebute, c’est que le vilain chiffon qui entoure le haut du goulot et n’arrive pas à stopper la perte de volume dégage une odeur insupportable. Il est probable que le vin est en grande difficulté.

Le cadeau qui est joint aurait normalement tout pour plaire puisqu’il s’agit d’un Meursault les Tessons, Clos de Mon Plaisir Guy Roulot et Fils 1978. C’est un grand vin, mais le niveau a baissé de quinze centimètres environ et la couleur vue à travers le verre est très sombre. Je m’en veux d’avoir été aussi imprudent et je ne crois pas que le Meursault pourra compenser mon imprudence.

Il se trouve que j’invite à dîner un ami fidèle de mes dîners qui me demande chaque année d’organiser un repas pour ses amis. Nous aurons un repas prochainement à la Maison Rostang. Il me paraît opportun d’inviter mon ami au restaurant Maison Rostang ce qui me permettra de mettre au point le menu du futur repas avec le chef Nicolas Beaumann. Je sais que mon ami aime les vins anciens aussi, ayant envie d’en avoir le cœur net au sujet de ce Meursault qui a tant souffert, je le prends pour le boire avec lui. Nous verrons bien. La carte des vins du restaurant est telle que nous pourrons toujours remplacer ce vin.

Très en avance au restaurant, j’ai le temps de mettre au point le menu du futur déjeuner avec le chef, car nous nous comprenons extrêmement facilement et nous composons même le menu de ce soir.

Sortant le 1978 de ma besace, je montre le vin au sommelier Jérémie, et je lui demande s’il veut l’ouvrir, alors que j’ai mes outils avec moi. Jérémie me dit qu’il va prendre son bilame et part en cuisine avec le vin. Ne le voyant pas revenir après de longues minutes, je m’inquiète et je vais en cuisine. Là, je suis prêt à m’évanouir. Je vois la bouteille, une carafe avec le vin, un verre et les outils. En fait Jérémie a fait tomber quelques miettes dans la bouteille, a essayé de les récupérer, et n’y arrivant pas, a transvasé le vin dans une carafe et s’apprêtait à remettre le vin dans la bouteille qu’il avait lavée de ses impuretés. Mon dieu que la couleur du vin est terreuse. Il y a un risque majeur, mais allons jusqu’au bout.

Mon ami arrive et avec Jérémie, l’idée vient de prendre de la cave du restaurant un jeune Meursault de Roulot. Jérémie suggère un Meursault Clos du Haut Tesson A Mon Plaisir domaine Roulot 2014. Ce vin a un parfum magnifique, glorieux et puissant. En bouche, il est évidemment très jeune, vif et tranchant.

Le Meursault les Tessons, Clos de Mon Plaisir Guy Roulot et Fils 1978 a une couleur tuilée et terreuse qui rebuterait la quasi-totalité des amateurs, mais mon ami, habitué de mes dîners, sait qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Il goûte le vin avec moi et lui trouve une largeur et une consistance beaucoup plus plaisante que celle du 2014. Je dois lui tirer mon chapeau, car beaucoup d’amateurs auraient été influencés par la fatigue du vin. Il est fatigué, mais il a gardé une belle consistance et un gras fort sympathique.

Notre repas, conçu par Nicolas Beaumann est : langoustine, homard et pigeon. Les amuse-bouches permettent de comparer les deux vins, le jeune au parfum envoûtant et à l’acidité présente et le ‘vieux’, si l’on peut dire, plus large avec plus de gras et une belle présence, si l’on sait passer au-dessus de ses petits défauts.

La langoustine est présentée avec des coques qui lui donnent une bouffée d’iode et le 1978 est le plus à son aise avec le plat, gagnant en largeur. Le homard bleu breton est parfaitement cuit et les deux vins s’adaptent à lui formant deux accords assez différents, le jeune dans la vivacité et l’ancien dans le confort.

Pour le pigeon délicieux, Jérémie m’avait conseillé un Châteauneuf-du-Pape domaine Charvin 2009, me vantant une similitude avec les vins d’Henri Bonneau. Je n’avais à ce jour jamais bu de Châteauneuf de ce domaine. Il est bon, a un fruit fort et plaisant, mais c’est un vin qui va en profondeur plus qu’en largeur, ce qui limite mon plaisir. Il manque quelque chose pour mon palais, mais le pigeon est tellement bon que l’ensemble se conçoit.

Nous poursuivons avec de délicieux fromages. J’ai pris un époisses, un salers très affiné et un fromage de brebis. Avec ces fromages forts, le vin rouge devient beaucoup plus intéressant.

La cuisine est de haute qualité et la présentation des plats est esthétiquement réussie. Jérémie a bien accompagné notre repas et je ne peux pas lui en vouloir d’avoir compliqué l’ouverture du 1978. Dans une ambiance très conviviale avec le personnel du restaurant, nous avons, mon ami et moi, vécu un très beau repas. Et je ne féliciterai jamais assez mon ami qui a su comprendre un vin fatigué et en tirer une expérience positive. Il l’a même désigné premier des trois vins du repas.

dîner au restaurant Yannick Alléno au Pavillon Ledoyen jeudi, 6 octobre 2022

Nous invitons des amis à dîner au restaurant Yannick Alléno au Pavillon Ledoyen. À la confirmation de la réservation on m’a demandé l’empreinte de ma carte bleue et quelques jours avant le repas, un maître d’hôtel s’est proposé pour m’aider à préparer cette expérience gastronomique. Cela part d’un bon sentiment mais il m’a semblé plus pertinent que nous fassions les choix avec nos amis.

Le jour venu, quand je donne mon nom, une aimable hôtesse m’indique que nous sommes attendus en cuisine. Nous descendons des escaliers étroits et nous arrivons dans une salle immense où une brigade importante travaille. Tout ce monde s’affaire, ce qui n’empêche pas les sourires et la gentillesse de l’accueil. Yannick Alléno arrive et nous propose un apéritif impromptu en cuisine. Quelle aimable attention ! Il nous fait croquer des châtaignes originales, un petit plat au lait et un tempura de cèpe. Nous sommes tellement heureux de nous revoir. Un membre de l’équipe nous sert une coupe de Champagne Diebolt Vallois fort plaisant. Ce moment imprévu est un beau geste d’amitié.

Nous montons à l’étage du restaurant gastronomique et la décoration est originale. Les murs et le plafond de cette salle sont classés et immuables et des paravents légers séparent les tables sans que cela donne l’impression d’être isolés.

Chacun de nous quatre reçoit un menu personnalisé par son prénom, ce qui est, une fois de plus, une délicate attention. Nous choisissons le menu collection découverte dont seul le plat central est optionnel. Voici mon menu : primeur, cueillette improvisée, extraction en gelée délicate / royale d’oursin en texture, beignets de crevettes bouquet / tourteau dit dormeur, cuit à la cheminée sur une tranche de chou-fleur au curry, sauce liée aux parties crémeuses / pigeon mariné puis soufflé et poché au « lait de Sakura », cerises au jus de presse anis, caillé et roquette sauvage / figue de chez monsieur Baud au curry, confiture / anneaux croustillants de feuilletage glacés au café, gelée d’extraction de topinambour et raisins gorgés au Paradis.

Le choix des vins dans le livre de cave est un chemin périlleux, car dès que mes yeux se posent sur un vin qui me fait envie, la colonne des prix me fait faire la grimace. Je vais donc jouer « petit bras » pour deux vins et me « lâcher » pour le troisième.

Le Champagne Chartogne-Taillet Cuvée Sainte Anne Brut est un champagne que quinze ans auparavant j’aurais ignoré, car ces champagnes très nature, relativement simples n’étaient pas dans ma démarche. Mais celui-ci, pur, franc, direct et de belle acidité est un appel à la gastronomie. Il a besoin de se confronter à des saveurs franches et il se révèle d’une souplesse qu’il n’a pas sans un plat. Avec l’entrée l’accord se trouve et j’apprécie ce champagne.

J’ai choisi dans la carte des vins un Bourgogne Blanc Coche-Dury 2017 car j’ai le souvenir d’avoir eu une immense surprise en buvant le Bourgogne Rouge Coche Dury au restaurant La Cagouille, démontrant que sur un vin sans appellation ce magicien de Jean-François Coche-Dury est capable de faire des miracles. Là, au premier abord, je n’éprouve pas le sentiment de prodige car le vin est assez calme. Mais le miracle que j’attendais va se produire avec le plat d’oursin qui est une merveille. Le vin s’élargit, s’anime, et devient grand. C’est cela que je désirais.

L’Hermitage Jean- Louis Chave 2006 est un grand Hermitage. Il paraît tellement facile et accessible. En lui tout est judicieusement équilibré. Ce n’est peut-être pas la plus grande des années de cet Hermitage, mais à ce niveau de qualité, peu importe. Alors on est à l’aise et heureux. Avec le pigeon l’accord est parfait et même avec les petites cerises si expressives, le vin jubile.

Au cours du repas, deux des chefs que nous avions vus en cuisine sont venus expliquer leurs plats et ils savent en parler comme personne ne le ferait. On sent leur implication et leur enthousiasme. Les deux plats que j’ai considérés comme les plus brillants sont les deux premiers servis, la cueillette improvisée et la royale d’oursin.

Dans ce temple de la gastronomie, nous avons passé avec nos amis une excellente soirée.