déjeuner au restaurant Le Sergent Recruteur vendredi, 21 avril 2023

Un ami du monde du vin qui a changé de trajectoire professionnelle suggère que nous déjeunions ensemble. Ce sera avec joie. L’ancienne directrice d’un restaurant que je pratique fréquemment a changé de carrière et s’oriente vers la pâtisserie. Elle voulait me voir lors de la séance d’ouverture des vins d’un de mes prochains repas. Les dates ne convenaient pas, mais hier je reçois un message : ‘je peux venir vous voir demain’. Si elle vient pour voir l’ouverture des vins je trouve opportun de l’inviter au déjeuner, car mon ami acceptera sa présence.

Le déjeuner se tiendra au restaurant Le Sergent Recruteur. Je dis à Lumi que je commencerai les ouvertures à 11h30. Je suis arrivé à 11h10 aussi vais-je me promener le long de la Seine dans l’île Saint-Louis en attendant qu’elle arrive.

Il se trouve que j’ai prévu un vin blanc de 1957 de bas niveau, qui nécessite absolument un long temps d’aération. A 11h45, je bous, car elle n’est pas là. A 11h50 je fulmine et j’envisage de ne plus la convier à déjeuner. A 12h je suis au bord de l’apoplexie et elle se présente, confuse, car elle voit ma mine. Ma colère est à son niveau ultime mais je n’ai pas le courage de la priver du déjuner. Mon humeur s’améliorera lentement comme celle d’un vin qui reçoit une oxygénation lente.

Le Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère Henri Boillot 1957 au bas niveau et à la belle couleur a un bouchon qui se déchire mais vient sans incident et offre un parfum où la fatigue n’exclut pas l’espoir. Le Richebourg Jaboulet-Vercherre 1978 a un parfum de toute beauté. Il promet énormément.

Le soleil est revenu dans ma tête lorsque mon ami, ponctuel, passe la porte. Nous discutons avec Gaëtan de la composition du menu car j’aimerais qu’on commence par le vin rouge pour laisser au vin blanc plus de temps pour qu’il se recompose. Nous aurons donc un foie gras poché que j’ai demandé de recevoir sans rien d’autre, un plat d’asperges vertes et un ris de veau à l’artichaut.

La goûteuse rillette avec des toasts est le premier grignotage. Avec le Richebourg Jaboulet-Vercherre 1978 si riche et franc, si facile à vivre, c’est un bonheur.

Gaëtan nous apporte l’amuse-bouche qui est une sorte de crème de petits pois. Ça me fait sourire car j’avais bien dit qu’on commencerait par le rouge et il est inenvisageable que le vin puisse s’accommoder de ce plat.

Le foie gras poché sans aucun accompagnement pourrait sembler curieux mais j’ai tant organisé de repas avec Alain Pégouret qu’il ne s’agit pas d’un choix extraordinaire. Le foie est superbe et le Richebourg montre sa largeur et sa noblesse. C’est un grand vin même si la puissance n’est pas extrême. Oserais-je dire que je le préfère comme cela ?

Les asperges sont excellentes, mais les accompagnements de pamplemousse et de fruits acides vont être difficiles pour le vin blanc. Il faut aborder le Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère Henri Boillot 1957 sans attendre de lui qu’il ressemble à un Puligny-Montrachet. C’est un vin blanc qui aurait des accents de vin jaune, avec une belle acidité. Il est très agréable et il fait du hors-piste. Il n’est pas dans son appellation mais peu importe. Il a un fruit généreux et large, une belle acidité et on peut vraiment l’aimer et lui trouver du plaisir. Ceci ne peut exister que si on ne juge pas le vin avec des critères d’expert et si on l’accepte tel qu’il est. Je l’ai fait goûter en fin de repas à Gaëtan et à Aurélien le souriant sommelier, qui en sont convenus.

Le ris de veau est excellent mais copieux et pesant. Il forme un bel accord avec le Richebourg toujours aussi élégant et fringant. L’artichaut joue bien son rôle apaisant.

Lumi et Alex se sont trouvé des intérêts communs. Nous avons bavardé en amis. Ce fut un beau déjeuner et un vin difficile d’aspect nous a offert un beau message. C’est la magie du vin.

Dîner à l’Auberge Nicolas Flamel avec de talentueux jeunes connaisseurs mardi, 18 avril 2023

Deux étudiants d’une grande école sont des fidèles de l’Académie des Vins Anciens. L’un d’entre eux travaillant pour obtenir un poste prestigieux dans l’Administration Française m’avait dit que s’il l’obtenait, il m’inviterait à dîner pour célébrer sa nomination.

Nous nous retrouvons à quatre à l’Auberge Nicolas Flamel, la plus vieille auberge de Paris, aux pierres et boiseries ancestrales et à la décoration d’une rare beauté.

Lorsque j’arrive pour ouvrir les vins, la brigade est active pour tout préparer, d’autant plus que le restaurant va recevoir ce soir le chef d’un restaurant trois étoiles historique de Paris. Tout doit donc être parfait. Le sommelier Claude qui a vécu longtemps à San Francisco me reçoit comme un prince et nous bavardons pendant que j’ouvre un vin et un champagne.

Il se trouve que les trois normaliens participent à tous les concours de dégustation proposés aux écoles européennes les plus prestigieuses. La dégustation à l’aveugle n’est pas un souci pour eux tant leur connaissance des cépages et des appellations est grande. J’ai choisi un vin qui sera caché par une housse pour qu’ils le découvrent sans savoir et j’espère bien qu’ils ne trouveront pas.

J’ai ouvert un champagne qui fera le début de repas mais il est opportun de commencer par un champagne au verre proposé par le restaurant : le Champagne Lallier Réflexion R.019. La couleur est extrêmement pâle comme celle d’une eau claire. La bulle est active et le champagne est un peu serré. On sent sa belle subtilité et son élégance, mais un peu timides.

Les amuse-bouches sont : ormeaux et crème de citron et yuzu, millefeuille de topinambour avec crème de raifort et poudre de laurier, bouchée de filet de bœuf en pastrami et caviar osciètre. Ils donnent un aperçu convaincant du talent du chef Grégory Garimbay que l’on voit dans sa cuisine, actif, attentif et souriant.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1982 a une couleur d’un or clair qui contraste avec la pâleur du jeune Lallier. C’est un champagne large, souriant, ample, d’une complexité vive et, ce qui me fait particulièrement plaisir, c’est qu’il « féconde » le Lallier en lui donnant une belle largeur. Constater que des vins se fécondent est un de mes plaisirs.

Le menu est ainsi rédigé : langoustine, herbes et fleurs, caviar Kristal / asperge blanche, cacahuète, moutarde / homard bleu, morilles, moelle, algue poivrée / poularde Culoiselle, romaine grillée, lard de Colonnata / kiwi, salicorne, piment fumé / artichaut, vanille, tonka / chocolat, algue nori, criste marine.

Les mignardises sont : crème fraiche de chèvre et fruits des bois, financier à la noisette et sucette meringuée au citron.

A côté du Mumm, Claude nous sert le Chablis 1er cru Vaillons Vincent Dauvissat 1996 que je bois sans connaître l’année. La couleur est très rose. C’est un magnifique chablis puissant et déroutant, car il varie ses messages selon les plats et les accompagnements. Sur la langoustine, à laquelle le caviar donne un sacré coup de fouet, c’est un régal absolu. Son millésime est beaucoup plus jeune que ce que j’attendais, car sa faculté adaptative est celle d’un vin d’une grande maturité.

L’asperge blanche va permettre l’entrée en scène d’un vin qui n’a aucune étiquette ni signe dont le cépage César m’est inconnu, un Côtes d’Auxerre César domaine Sorin 1969. J’ai proposé comme millésime 1986 car sa fraîcheur, et son intensité sont ceux d’un vin très jeune. Ce vin franc et direct est une belle surprise. Il emmène sur des pistes élégantes et subtiles que j’aurais placées dans d’autres régions.

Mon vin arrive masqué et mes jeunes amis cherchent sur quelle rive bordelaise il se situerait. J’ai donc réussi à les égarer, car il s’agit d’un Mas de Daumas Gassac vin de pays de l’Hérault 1980. Je suis moi-même surpris que le vin au parfum noble soit aussi éblouissant. Car l’hypothèse qu’il soit un Grand Cru Classé de Bordeaux n’est pas une hérésie. Aimé Guibert, fondateur de ce domaine, dont je fus l’ami, aurait été heureux des propositions de mes convives qui pratiquent avec succès les dégustations à l’aveugle.

Le vin est noble, solide, expressif, conquérant mais serein et il est évident que l’âge lui apporte une cohérence qui souligne sa grandeur.

La poularde est divine, fondante en bouche et met en valeur le Barolo Giacomo Borgogno 1943. A son contact, j’ai un petit frisson car on entre dans un monde de vins anciens qui est luxe, calme et volupté. On imagine des nymphes au front ceint de fleurs roses et qui pincent un luth en chantant. Car tout est délicat dans ce Barolo expressif. C’est un grand bonheur de le goûter.

La cuisine du chef est très talentueuse. Notre table est une corne d’abondance où chaque serveur vient ajouter de nouvelles saveurs au plat déposé devant nous. Ça n’arrête pas et je pense que cette forme de cuisine où la surenchère d’accompagnements est sans fin connaîtra un frein lorsque le pouvoir tyrannique du Guide Michelin s’affaiblira. Ce qui n’empêche pas que nous ayons apprécié la cuisine imaginative et talentueuse du chef.

Le sommelier Claude a le cœur sur la main. Il est d’une grande sensibilité. Le service des plats est parfait et les serveurs sont souriants. C’est une expérience gastronomique marquée par l’abondance et très réussie.

Au moment des votes, le vin à classer premier est soit le Mas de Daumas Gassac 1980, soit le Chablis 1996. Viennent ensuite le Barolo, puis le si curieux Côtes d’Auxerre et le champagne Mumm.

Quand je me suis rendu compte que deux des trois convives sont des mêmes âges que mes petits-enfants, j’ai pu mesurer comme le temps passe. Mais s’il passe avec de tels convives si charmants, ce n’est que du bonheur.

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Nous avons tellement bavardé que je n’ai pas photographié les vins de mes amis

 

le chef trois étoiles de l’Ambroisie en cuisine avec l’équipe du restaurant Nicolas Flamel

avec mes amis qui, entretemps, on gagné le concours européen de dégustation ouvert aux grands écoles de tous les pays européens.

Déjeuner au restaurant Pages avec un ami vendredi, 14 avril 2023

J’invite à déjeuner un ami gastronome raffiné que je n’avais pas vu depuis des années. Le restaurant choisi est le restaurant Pages. Un peu avant 11 heures je suis présent au restaurant où l’aspirateur fait un bruit de gros avion.

L’ouverture des vins commence par un Chablis 1er Cru A. Bichot négociant 1947. C’est un des vins acquis de la cave de l’Institut de France. La bouteille n’est pas très belle, la capsule est d’origine et le niveau est légèrement bas. Le haut du bouchon est très sale. Le bouchon se brise et j’utilise une seconde mèche pour sortir le reste du bouchon en entier. Le bouchon est très imbibé au point qu’en plantant la mèche avant de tirer, j’avais vu de petites bulles soulevant du liquide au point haut de la mèche. L’odeur du vin n’est pas repoussante ni désagréable mais semble plate, faible et paresseuse.

Le Châteauneuf-du-Pape Paul Jaboulet Aîné 1953 a perdu sa collerette d’année et je n’ai l’indication du millésime que parce que j’avais acheté trois bouteilles de ce vin. Le niveau dans la bouteille est très haut, parfait. Le bouchon vient bien même s’il se brise en deux et le parfum est divinement séduisant.

Pendant que j’officie, je mets au point le menu avec le chef Ken. Il a prévu des asperges blanches avec des morceaux de homard et une sauce pour homard. Je lui demande de servir les asperges en deux fois, le premier service étant des asperges, cuites à la poêle, seules, puis le plat tel qu’il l’a prévu.

Il annonce ensuite un turbot et des côtes d’agneau. Cela me convient. L’excellent pâtissier a prévu aujourd’hui un dessert léger au chocolat. Très bien. Pierre-Alexandre directeur de salle et sommelier me fait goûter un Rivesaltes Cazes 2014 qui serait un accompagnement judicieux, aux saveurs caléidoscopiques mais fortes. Nous verrons.

Selon la tradition, dès que la séance d’ouverture est finie, je vais boire une bière japonaise à la brasserie 116 qui appartient aux propriétaires de Pages et l’on m’offre de grignoter des édamamés qui forment avec la bière un accord parfait.

Mon ami arrive. Il n’a pas changé depuis notre dernière rencontre et me réciproque le compliment. Yacine nous décrit les amuse-bouches et je suis toujours impressionné quand les serveurs arrivent à décrire sans faute toutes ces complexes préparations.

Horreur, le Chablis 1er Cru A. Bichot négociant 1947 est servi et sa couleur est grise, d’un gris sale, peu avenant. Mais je ressens dans ses difficiles parfums un possible retour à la vie. Après de lourdes averses, mon grand-père avait l’habitude de dire, s’il voyait un petit peu de ciel bleu : il y a assez de bleu pour faire une culotte de gendarme. Le premier contact difficile avec le vin me donne le même espoir et je dis à Jean-Philippe : « je pense que le vin va s’élargir ».

Pour les asperges blanches, nues, le Châteauneuf-du-Pape Paul Jaboulet Aîné 1953 est impérial. L’amertume des asperges excite le vin qui devient rayonnant. Ce vin direct, franc, a tout pour lui et se comprend instantanément.

Avec la sauce pour le homard du plat suivant, le vin blanc s’élargit. La sauce efface ses faiblesses et ses imprécisions. Nous savons que nous buvons un vin fatigué, mais il se met à exprimer de belles complexités.
Le délicieux turbot s’accorde avec les deux, le vin du Rhône recevant la douceur du poisson pour exposer des grâces subtiles.

Pour les côtes d’agneau, le vin rouge est à son aise mais il est intéressant qu’à chaque moment du repas nous allons d’un vin à l’autre pour voir comment les choses se passent et nous avons d’agréables surprises car le vin blanc se met à briller là où on ne l’attend pas. Ce n’est pas un grand vin bien sûr, mais ses fulgurances inattendues sont agréables à vivre.

Nous ne sommes pas en situation d’aborder un vin doux naturel aussi le délicieux dessert au chocolat se déguste à l’eau.

Le vin doit être une surprise. Comme au repas avec ma fille, un vin que beaucoup rejetteraient offre des instants de bonheur. Ça n’en fait pas un grand vin mais une belle découverte.

Manger chez Pages est toujours un grand plaisir. La cuisine est directe, faite de beaux produits aux cuissons idéales. Le service est attentif. J’ai revu avec plaisir un ami gastronome. De nouvelles aventures s’annoncent. C’est le plaisir de la vie.

édamamés et bière

Déjeuner dominical vendredi, 14 avril 2023

Ma fille cadette vient déjeuner à la maison avec trois de mes petits-enfants, qui ne sont pas ses enfants (ce n’est pas une énigme à trouver). J’ai acheté un cœur de filet de saumon de Kaviari qui sera pris en apéritif, aussi un vin blanc semble le plus pertinent.

Au frais, il y a un Hermitage Chante Alouette Chapoutier 1945. Lorsque je soulève la bouteille, je m’aperçois que le niveau est très bas, qu’un catalogue de vente de vins qualifierait de « vidange ». La couleur est ambrée mais acceptable. Par précaution je saisis aussi une autre bouteille sans étiquette, d’un vin blanc de Faiveley Négociant, de très belle couleur et de meilleur niveau, qui semble beaucoup plus ancien.

La bouteille du 1945 est cernée d’une résille métallique qui a permis aux étiquettes décollées de rester en place. Le bouchon se brise mais vient sans perdre de miettes dans la bouteille. Je sens le vin et à mon grand étonnement, le parfum est très pur. Aucun défaut n’apparaît.

Je fais sentir à ma femme qui juge le vin un peu sucré et comme moi ne sent aucun défaut. Comme nous serons deux ou trois seulement à boire, je n’ouvre pas le Faiveley.

Nos invités arrivent trois heures après l’ouverture du vin blanc. L’Hermitage Chante Alouette Chapoutier 1945 a un parfum doux et discret très agréable. Le saumon cohabite avec le vin en parfaite harmonie, le gras du saumon mettant en valeur l’acidité conservée du vin. On peut dire que ce vin est agréable, combinant des tendances de vin sec avec des instants de douceur. Il peut passer de tendances de sauternes sec à des évocations de vins du Jura.

Lorsque nous passons à table, le vin est bu avec le poulet et les pommes de terre et l’accord se trouve mais moins percutant qu’avec le saumon.

Je vais chercher un vin rouge en cave et c’est au hasard que je choisis un Château Haut-Marbuzet 1989. Lorsque je dirigeais un groupe de sociétés dont le siège social était à La Courneuve, j’allais déjeuner parfois dans un cercle d’entrepreneurs du Bourget et je choisissais toujours du Haut-Marbuzet, bordeaux atypique, très riche, franc et plaisant. C’était il y a quarante ans et en buvant ce 1989 de nombreux souvenirs me reviennent. Ce vin est riche, franc, cohérent, de belle puissance puisqu’on sent la lourde truffe et un fort grain. Voilà un vin rassurant qui plairait à tout amateur.

Il accompagne bien les pommes de terre et provoque de beaux accords avec les fromages et même un Brillat-Savarin qui n’est pourtant pas l’ami naturel des bordeaux.

Le dessert d’une tarte aux pommes et de mini éclairs aux divers chocolats s’est pris sans vin.

C’est encore une fois un beau repas de famille. La grande leçon est qu’il faut toujours laisser sa chance au vin, car le Chante Alouette 1945 aurait probablement été éliminé ou délaissé par des amateurs qui n’auraient cru en lui. Il faut faire confiance aux vins, capables de belles surprises.

Dîner au restaurant Le Sergent Recruteur avec de jeunes amateurs jeudi, 6 avril 2023

Il m’arrive de recevoir des invitations d’amateurs de vins de partager des bouteilles avec eux. Bien évidemment les vins proposés jouent un rôle dans ma décision mais aussi la façon dont ces invitations sont présentées.

Deux jeunes passionnés belges sont des amoureux du vin et développent un intérêt pour les vins anciens. J’accepte leur invitation et je propose que nous nous retrouvions au restaurant Le Sergent Recruteur où officie Alain Pégouret.

Nous arrivons presque au même moment à 11 heures, et je peux commencer l’ouverture des vins. Nous aurons un Champagne Dom Pérignon 1959 dont le verre de la bouteille est d’un vert très intense. Je tourne le bouchon pour l’extirper mais en fait il se cisaille et je suis obligé de tirer le bas avec un tirebouchon. Il n’y a absolument aucun pschitt. Pas la moindre pression dans la bouteille.

J’ouvre ensuite l’Hermitage Blanc Thouet Salavert 1949 que j’ai apporté, à la belle couleur claire vue à travers le verre de la bouteille. Même s’il se brise le bouchon vient entier. Le nez est particulièrement chaleureux.

Le Barolo Giacomo Borgogno 1958 a un bouchon de très belle qualité, assez court et le parfum est avenant. Le Château Rayne-Vigneau 1964 dont la couleur claire suggère un vin peu botrytisé a un bouchon magnifique et un parfum d’une totale perfection qui indique que le sauternes est assez sec.

A ce stade, nous pouvons être assez confiants.

Aurélien le sommelier nous sert le Champagne Dom Pérignon 1959 à la couleur légèrement ambrée. Il n’y a aucune bulle et aucun pétillant. En goûtant le champagne, j’ai une impression de vieille armoire qui me fait supposer que le Dom Pérignon a dû avoir un coup de chaud dans une cave antérieure. Il a une structure assez étroite mais on sent en filigrane ce qui fait un grand Dom Pérignon. Je pense que dès que nous mangerons, le vin se réveillera.

Et le sursaut est saisissant. Dès que nous mangeons de la rillette de sardine avec un toast, le champagne change de planète. Il montre un fruit large et généreux et gagne en longueur. C’est une résurrection.

On nous apporte une mise en bouche à la purée de petit pois qui pourrait heurter nos papilles mais en fait se justifie.

L’Hermitage Blanc Thouet Salavert 1949 va accompagner les asperges vertes. La couleur d’un or clair est d’une rare jeunesse et le parfum du vin est exceptionnel. On se contenterait volontiers de le sentir. L’accord est d’une belle justesse si l’on enlève un ou deux petits accessoires comme le pamplemousse. Ce vin est long, superbe, équilibré et conquérant. Un pur bonheur.

J’adore voir si le vin et le champagne se fécondent. Le champagne bu juste après l’Hermitage devient plus jeune. En sens inverse, c’est moins significatif.

Le Champagne Dom Pérignon 1959 accompagne un foie gras poché d’une grande qualité et l’accord est magique. Le champagne prend de la hauteur, garde un fruit large. On ressent la grandeur de Dom Pérignon.

Nous inaugurons un nouveau plat qui est une viande de charolais de Hugo Dunoyer avec des pommes de terre soufflées de forme proche de celle de grosses frites. La plat est délicieux, la chair de la viande est « nature », directe, franche, intense. Et le Barolo Giacomo Borgogno 1958 va s’en régaler. La couleur du vin est claire et le vin est presque opaque, trouble, mais cela ne modifie pas le goût. Le vin est noble, d’une belle amertume, et très plaisant. C’est un puissant Barolo d’une belle maturité joyeuse. Là encore l’accord est brillant. La sauce au vinaigre balsamique donne de l’énergie au vin.

Comme il reste des trois vins nous commandons des fromages et nous nous amusons à créer des accords improbables comme le chèvre avec le Dom Pérignon, qui surprend car il est pertinent.

Le comté va permettre l’entrée en piste du Château Rayne-Vigneau 1964 au parfum tout simplement parfait de sauternes sec et aimable. En bouche il est jeune et brillant. Mes amis sourient car ils avaient imaginé qu’en buvant ce 1964 je dirais qu’il est très jeune. Ils avaient bien anticipé.

Le prédessert est à base de menthe et d’algue. Il est original et rafraîchissant. Le dessert imaginé par Alain Pégouret pour le sauternes est diaboliquement bon et je me demande si je n’en ferais pas le meilleur accord, mais le Dom Pérignon avec le foie gras poché est peut-être le meilleur.

Un des amis voudrait ne pas voter car il s’en sent incapable, mais à force d’insister nous aurons les trois votes. Un des convives mettra Dom Pérignon en premier. Le vote global qui est aussi le mien est : 1 – Hermitage Blanc Thouet Salavert 1949, 2 – Barolo Giacomo Borgogno 1958, 3 – Champagne Dom Pérignon 1959, 4 – Château Rayne-Vigneau 1964.

Le Rayne-Vigneau a été mis quatrième car en fait nous l’avons considéré comme hors- catégorie, tant il est parfait.

Aurélien nous a fait goûter un Château de Peyrel Excellence d’appellation Rosette 2015 d’une toute petite appellation près de Bergerac. Très frais et fluet il n’a pas souffert de la comparaison avec le Rayne-Vigneau.

La cuisine d’Alain Pégouret est assez complexe mais astucieuse et fondée sur de beaux produits. Le service de Gaëtan a été parfait et souriant.

Jérôme et Bruno sont deux amateurs compétents et sympathiques, qui vont certainement avoir de belles occasions de boire de grands vins anciens. Je suis heureux de ce déjeuner de partage.

Déjeuner de famille mardi, 4 avril 2023

Ma fille cadette vient déjeuner avec ses enfants. Le choix des vins est un exercice que j’aime, car je cherche ce qui peut faire plaisir. J’ai mis au frais un Champagne Egly-Ouriet dont la personnalité plaira à ma fille. Et en cave, je vois un Château LaGaffelière Naudes 1953 qui devrait convenir car je l’ai bu de nombreuses fois et toujours aimé.

Lorsque je prends en main, je constate que le niveau est entre mi-épaule et basse épaule. Nous verrons.

J’ouvre le vin quatre heures à l’avance et le bouchon se brise en deux mais rien ne tombe dans la bouteille. Le parfum est riche et fort et ne montre aucun signe de déviation.

Juste après j’ouvre le champagne qui a un beau bouchon et fait un beau pschitt. Tout va bien.

L’apéritif sera simple : chips à la truffe, gouda au cumin et mimolette. Le Champagne Egly-Ouriet 100% Grands Crus sans année a vieilli 48 mois sur lattes et a été dégorgé en juillet 2002. Il est d’un or légèrement ambré et la bulle est abondante. Il est impressionnant par sa personnalité et son originalité. C’est un seigneur. Le mot qui me vient spontanément est : champagne en habit de soirée. Car il en impose. Il est vif, viril, tranchant, et la largeur de sa palette aromatique mérite le respect. C’est un grand champagne aux mille évocations.

Ma fille qui adore les champagnes Selosse est aux anges car on est face à des complexités de même amplitude.

Le plat principal est un poulet avec un gratin dauphinois. Le Château LaGaffelière Naudes 1953 a une couleur foncée très intense. Le nez est aussi intense, percutant et n’a pas le moindre défaut. Le niveau relativement faible n’a eu aucune influence, ce qui est une leçon à retenir sans qu’on puisse en faire un dogme.

Le vin est riche, au grain de grande densité. Et sa longueur est belle. Je demande à ma fille de deviner son année. Elle propose 1983 alors que le vin a trente ans de plus. A soixante-dix ans, il est d’une jeunesse insoupçonnable. Ce vin est un beau témoignage à opposer à tous ceux qui doutent de la vitalité des vins. Que d’erreurs ont été commises par ceux qui n’ont pas confiance dans leurs vins.

Sur un Brillat-Savarin le Saint-Emilion fait belle figure, mais aussi sur un camembert. Qui l’eût cru ?

La tarte aux pommes convient au champagne.

Quand les vins se montrent au-dessus de mes attentes, je suis un homme heureux.

Préparation d’un dîner avec Arnaud Donckele samedi, 1 avril 2023

Dans environ un mois un déjeuner se tiendra au restaurant Plénitude Arnaud Donckele de l’hôtel Cheval Blanc Paris. Selon la tradition ce repas se tiendra sur la « table François Audouze », table que j’ai fait construire, avec l’accord d’Arnaud Donckele, pour accueillir une douzaine de personnes et me permettant de parler à tout le monde, de la forme d’une ellipse.

Selon la même tradition je viens préparer le menu avec Arnaud Donckele, avec Bertrand Noeureuil le chef de cuisine de Plénitude, Alexandre Larvoir, le directeur de Plénitude et Emmanuel Cadieu le sommelier chef, en charge de la sommellerie de tous les restaurants de l’immeuble de la Samaritaine.

Avant même que la réunion ne commence, une sirène envahit l’espace sonore et on demande à tout le personnel de l’immeuble de descendre dans la rue pour un exercice de simulation d’une alerte incendie. Je descends donc avec toute l’équipe de cuisine, alors que, fort curieusement, les clients de l’hôtel ne sont pas obligés de le faire. Je fais des photos de l’équipe de cuisine sous la gigantesque et éphémère statue de l’artiste japonaise Yayoi Kusama. Je rencontre des membres de la direction des restaurants dont plusieurs me connaissent parce que l’on s’est rencontrés dans d’autres lieux comme le Meurice ou le Crillon.

De retour, et encore une fois selon la tradition, j’ai apporté un vin pour que mes interlocuteurs puissent approcher des goûts qu’ils ne côtoient quasiment jamais. J’ai apporté une bouteille de Champagne Krug Private Cuvée années 60. Lorsque je l’ouvre, le fil du muselet se casse à la torsion et le bouchon remonte tout seul tant il s’est recroquevillé dans le goulot. Un tel comportement m’indique que le champagne est plutôt des années 50. Il n’y a aucun pschitt et je suis obligé de nettoyer le goulot pour éviter que des poussières ne tombent dans le vin.

La couleur est d’un ambre plutôt clair. Il n’y a aucune bulle mais d’emblée on constate que le pétillant est bien présent. Ouvert au dernier moment le champagne présente des amertumes qui vont rapidement s’estomper. Arnaud Donckele, qui nous a rejoints alors qu’une partie du menu avait été mise au point, dit que beaucoup de gens ne verraient que de la fatigue dans le message de ce champagne qui offre des complexités qu’aucun champagne jeune ne pourrait offrir.

Petit à petit le champagne s’élargit et montre à quel point ce Private Cuvée peut être complexe, riche, entraînant et convainquant. C’est la noblesse pure du champagne.

La complicité entre Arnaud Donckele et Bertrand Noeureuil me fascine toujours. Ils « voient » le plat de la même façon. Arnaud souhaite que des essais soient faits pour certains plats et me demande de venir les vérifier en pensant aux vins qu’ils accompagneront.

C’est Arnaud lui-même qui me conduit et m’accompagne au restaurant Langosteria, le restaurant italien du Cheval Blanc Paris. Lorsqu’on arrive avec Arnaud Donckele, l’accueil est évidemment très chaleureux.

On me propose des calamars grillés fort agréables et je choisis une sole de petit bateau qui sera accompagnée d’une sauce tomate très italienne.

Cette collation me permet de finir le champagne Krug qui devient de plus en plus agréable, large et gourmand.

Les préparations de repas avec Arnaud Donckele sont un exercice que j’adore.


la salle du restaurant

L’exercice d’alerte avec l’équipe de cuisine

Langosteria

Déjeuner à l’Automobile Club de France samedi, 1 avril 2023

Jean est un ami à qui je dois le privilège d’avoir fait trois dîners au château de Saran, la demeure de réception de Moët & Chandon, portant les numéros 100, 150 et 250. Il est très impliqué dans le milieu de l’automobile et notamment à l’Automobile Club de France où il me reçoit à déjeuner.

Nous allons au bar où l’on nous demande ce que nous voulons boire. Le champagne s’impose et fort curieusement on nous apporte des coupes remplies, sans nous avoir proposé de choisir un champagne au verre ou en bouteille. Cela m’a rappelé que du temps où j’étais membre de ce club prestigieux, le sympathique et compétent barman avait gardé une réserve secrète de vieux Mumm, car j’étais un des seuls membres qui trouvaient un intérêt aux champagnes anciens.

On nous sert un Champagne Laurent Perrier Brut sans année solide et goûteux, un peu trop dosé à mon goût mais très agréable.

Nous passons à table dans le restaurant des membres où de beaux souvenirs reviennent à ma mémoire. Par une petite erreur du serveur j’ai deux entrées au lieu d’une. Je ne m’en plaindrai pas. L’œuf fermier mimosa à la crème aux herbes est très bien fait et les croquettes de pied de cochon sauce tartare sont gourmands.

Le vin du repas est un Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 2011 qui est dans un bel état de grâce. Très équilibré, généreux il a atteint une sérénité qui le rend séduisant. Il est carré, abouti. Un vin de pur plaisir.

Le tajine d’agneau à la coriandre, semoule aux épices permet au vin de briller, mais il aurait été aussi à son aise sur n’importe quel plat.

Nous avons bavardé de vin, bien sûr, mais aussi d’automobile, et ce fut un heureux et amical déjeuner.

Déjeuner aux Crayères de Reims dimanche, 26 mars 2023

Le climat social en France est tellement désespérant, avec les rendez-vous que l’on est obligé de reporter, les voyages que l’on annule, que j’ai envie de faire plaisir à mon épouse en l’invitant à l’hôtel Les Crayères à Reims pour déjeuner. Elle adore cet endroit.

Lorsque nous arrivons, nous sommes accueillis comme si j’étais le Roi Charles III avec son épouse. La France n’a pas pu les recevoir. Nous les remplaçons.

Nous avons une très jolie table dans la belle salle du restaurant, joliment décorée. Martin Jean, l’excellent sommelier nous dit que le champagne de bienvenue qui est offert est un Champagne Pascal Agrapart Minéral Extra Brut 2016.

La carte des vins est faite de deux livres, l’un pour les champagnes et l’autre pour les vins. En les voyant, ma femme me dit qu’elle aurait le temps d’aller prendre le thé. J’essaie d’aller au plus vite mais la carte des champagnes est particulièrement fournie et alléchante. Je choisis un champagne déjà ancien grâce aux indications de Martin, mais on vient de nous apporter la carte des menus et je repère un menu au caviar. Je vais changer : qui dit caviar dit Dom Pérignon aussi mon choix sera Champagne Dom Pérignon P2 1998.

Des amuse-bouches de grand talent et gourmands accompagnent le Champagne Pascal Agrapart Minéral Extra Brut 2016 au nez très incisif et tranchant. La bouche confirme le message du parfum. Ce champagne est puissant, viril et de grande personnalité. Il me semble qu’il pourrait accompagner tout un repas avec bonheur, car son énergie n’exclut pas le charme et la convivialité. C’est un grand champagne.

Le menu caviar et champagne proposé par le chef Philippe Mille est ainsi rédigé : caviar d’Aquitaine et champagne pinot noir, royale de poireaux, miroir de caviar / caviar osciètre et noix de Saint-Jacques, jus de barbe au champagne pinot meunier perlé de fenouil / caviar sélection et carré de veau de Nicolas Petit, asperge verte et champagne de garde / chariot de fromages affinés / banane ‘Frécinette’ et vanille du Mexique, croustillant de banane, crème fouettée vanillée.

Tout dans ce menu est réussi. L’accord du caviar avec le poireau est une vraie gourmandise. Le caviar avec le carré de veau est d’une cohérence absolue et d’une belle pertinence. Et la plus belle réussite est celle de l’asperge verte avec le caviar, un mariage superbe.

Le Champagne Dom Pérignon P2 1998 offre un parfum en complète opposition à celui de l’Agrapart. Ici, tout est charme et séduction. On est sur un nuage de bonheur, qui n’enlève rien au plaisir de l’Extra Brut 2016.

Le champagne est large, opulent, d’une structure parfaite. L’âge a manifestement donné une sérénité impressionnante. Quand le 1998 était paru, il suivait le brillantissime 1996 et il n’a peut-être pas eu l’attention qu’il méritait. Aujourd’hui il est de pleine maturité, un grand Dom Pérignon. Tant d’équilibre est un plaisir.

J’ai été surpris de la pertinence de l’accord entre un chaource et le Dom Pérignon. Ils sont si complémentaires.

Les accompagnements du dessert et les mignardises sont nombreux et de grand talent. Mais comme ils sont bons, on les mange et c’est un peu excessif.

Ce déjeuner est de haut niveau, le service est attentif et souriant. Nous avons passé un excellent moment en un bel endroit. Au retour, j’ai regardé la jauge d’essence. La pause de bonheur était finie. On revenait sur terre…

274ème dîner au restaurant Pages vendredi, 24 mars 2023

Jean-Baptiste a assisté à la dernière séance de l’Académie des Vins Anciens. Il me contacte en me disant qu’il sera sur Paris avec ses deux frères et son père et serait heureux que je dîne avec eux. Il y aura dans la liste de ses apports un Rayas blanc 1959 qui suffit à lui seul pour me convaincre d’accepter de les rejoindre.

Je propose pour ce diner que nous allions au restaurant Pages. Le matin même, Jean-Baptiste m’informe que son père ne pourra pas venir du fait de la grève de la SNCF. J’appelle un ami qui se libère pour le dîner pour que notre table soit de cinq.

J’arrive peu après 16 heures au restaurant Pages pour ouvrir mes vins. Je serai rejoint par Jean-Baptiste vers 17h30. J’ai le temps de composer le menu avec le chef Ken. Ken écrit le menu sur une ardoise murale et nous aurons plusieurs fois l’occasion d’effacer des lignes et de recommencer.

Le Château Trotanoy 1er Cru de Pomerol 1926 a un bouchon parfait qui vient entier. Le parfum à l’ouverture est jeune et vibrant. Le vin est prometteur.

Le Château Rayas Blanc 1959 a une couleur ambrée. Le bouchon vient bien et le parfum est généreux, vif et lui aussi prometteur.

Jean-Baptiste n’avait pas inclus dans son mail le Château Gilette Doux 1950 qui change tout ce que nous avions conçu pour le dessert. Le pâtissier va changer de plat avec une faculté d’adaptation qui mérite les compliments.

Les autres ouvertures sont sans histoire. Ouvertures faites, nous allons au bistrot 116 pour boire une bière et sucer les cosses d’édamamés selon la tradition qui ponctue les séances d’ouverture des vins.

Le menu mis au point avec le chef, dans lequel j’ai voulu faire quelques extravagances, est :

Velouté de brocolis et crème d’anchois / tartelette de céleri & pomme granny Smith / roulé truite & betterave / Sashimi de bar et huile d’olive / Saint Pierre et coques, bouillon Pages / Queue de homard, bisque au vin jaune et comté / Bouillon de volaille en trou normand / Poularde, œuf 65°, écume d’épeautre & gnocchis de cresson / Asperges croquantes en trois façons (crues/tempura/vapeur), condiment gribiche / Saint Nectaire / Suprêmes d’agrumes, voile au thé Earl Gray.

Les amuse-bouches se prennent avec le Champagne Dom Pérignon 2008 commandé sur place par mon ami qui nous a rejoints. Ce champagne est large, solide, serein et de bel équilibre. Mais j’ai l’impression qu’il faudrait le laisser tranquille quelques années pour qu’il atteigne un autre niveau de maturité. Ce champagne est promis à un très grand avenir.

Le bar cru à l’huile d’olive est associé au Château Chalon Bourdy 1942 que j’avais apporté au château de Louvois. Il est toujours aussi fringant, puissant, au parfum fort. L’accord est splendide.

Le parfum du Château Trotanoy 1926 est probablement le plus extraordinaire parfum qu’un vin de Bordeaux puisse offrir. Il est au niveau du parfum de Margaux 1900 ou Pétrus 1950. Il est au sommet et tellement envoûtant que l’on n’a pratiquement pas envie de boire le vin tant on est enivré par ces fragrances douces et raffinées. En bouche, la surprise est la même que pour le nez. Le vin n’a pas d’âge, riche, avec ce grain de truffe et de charbon si caractéristique des grands Pomerols. Nous sommes tous comme tétanisés par tant de perfection. L’année 1926 est une grande année et je me souviens que Pétrus 1926 est un monument. On est à ce niveau.

L’accord avec le saint-pierre est pertinent. J’ai servi à l’équipe de cuisine un verre de ce vin et quand le chef Ken est venu nous saluer en fin de repas, il nous a dit qu’il a essayé de vérifier l’accord du poisson avec le vin et il a été convaincu alors qu’il n’était pas nécessairement sûr que mon choix fût le bon.

Pour le homard, le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape Blanc 1959 nous est servi. Sa couleur est un peu ambrée mais acceptable. Son parfum est riche, conquérant, large, et montre sa puissance. En bouche c’est un régal. C’est un fonceur qui veut envahir le palais pour imposer sa vision du vin. Il est là, « je suis Rayas et aimez-moi ». L’accord avec la bisque de homard est d’anthologie. Ce vin puissant et riche est vraiment plaisant. On se régale et sa réputation n’est pas usurpée. Il est au sommet de ce qu’on pourrait attendre.

Le plat de poularde, avec ses trois parties est un régal pur. L’œuf est une grande réussite. Le Corton Rapet Père et Fils 1969 présente tous les signes de la délicatesse bourguignonne. C’est un vent de fraîcheur très agréable. Et l’accord avec la chair douce de la poularde est de grand bonheur. Mais curieusement, ce vin ne va pas tenir la longueur, ce qui est rare, et son parfum va lentement s’éteindre. C’est dommage, car la première sensation était d’un grand plaisir.

Pour les asperges en trois façons, quoi de mieux que de revenir au si généreux Château Chalon Bourdy 1942 ? Le traitement des asperges est original et l’accord est naturel. Un grand moment.

J’avais choisi de séparer les deux bordeaux pour qu’il n’y ait pas de confrontation directe et je crois avoir bien fait, car le Château Canon Saint-Emilion 1966 est superbe. L’idée qui me vient à l’esprit est que ce vin est le gendre idéal. Il a tout pour lui, la rondeur, l’élégance, le charme et l’absence de défaut. Rond et ensoleillé il est parfait, mais presque trop. Ce ne sont pas toujours les éphèbes parfaits qui sont les plus grands séducteurs. En tout cas, avec ce vin, on prend du plaisir.

Le Château Gilette Doux 1950 est une merveille. Et contrairement à ce que je viens d’exprimer pour le Saint-Emilion, sa perfection est de totale séduction. J’aime beaucoup les sauternes qui ne sont pas trop botrytisés et ce Gilette est idéal. Le dessert créé à la dernière minute par le pâtissier correspond tellement au vin ! C’est un accord d’une subtilité totale. Le plus bel accord du repas même si d’autres ont été exceptionnels. Le Gilette dans cet état, c’est-à-dire moins puissant que la crème de tête, est un régal absolu.

Tant de perfection nous donne le tournis. Je suis si fier d’avoir composé le menu avec le chef Ken pour un repas de grande cohérence et de belles inventions que je compterai ce repas parmi les repas de wine-dinners. Il portera le numéro 274.

Nous sommes cinq à voter pour les cinq vins que nous préférons parmi les sept. Le Trotanoy 1926 reçoit quatre votes de premier, et le Gilette 1950 un vote de premier. Quatre vins ont des votes de tous. Le Corton ne reçoit qu’un vote, mais de second et le Dom Pérignon 2008 n’a pas de vote ce qui est compréhensible car un vin jeune a toujours du mal à trouver sa place dans un repas de vins anciens.

Une fois n’est pas coutume, le vote global est le même que mon vote : 1 – Château Trotanoy 1926, 2 – Château Gilette Doux 1950, 3 – Château Rayas Blanc 1959, 4 – Château Chalon Jean Bourdy 1942, 5 – Château Canon Saint-Emilion 1966, 6 – Corton Rapet Père et Fils 1969.

Pour mémoire, pour tous mes repas seulement 22 d’entre eux ont eu des votes où les trois premiers du vote global ont été les mêmes que mes trois premiers. Voici donc le 23ème.

Nous nous connaissions à peine et nous avons passé un repas mémorable dans une ambiance de grande complicité.