Mon fils qui habite à Miami est venu à Paris pour s’occuper de l’entreprise industrielle qu’il dirige en France. L’idée est venue de célébrer Noël avant l’heure, car ce sera la seule occasion d’avoir nos trois enfants ensemble. Nous déjeunerons un dimanche à la maison avec eux et trois de nos petits-enfants plus la nounou de deux d’entre eux.
J’ai longuement réfléchi aux vins de ce repas et en cours de route d’autres choix seront faits. De bon matin je commence les ouvertures. Le premier vin que j’ouvre est le champagne Salon 2006 que je n’avais pas réussi à ouvrir il y a une semaine car je n’avais pas mes outils. Le champagne résiste quand même mais libère un très joli pschitt.
Les vins que je vais ensuite déboucher ont des bouchons qui vont souvent se déchirer et m’obliger à des efforts lorsque les goulots sont pincés et coincent les bouchons. Ce sera le cas du Bonnes-Mares 1949. Le bouchon du Palmer 1960 est serré mais et ne vient pas entier contrairement à celui du Bâtard-Montrachet Leflaive 1992. Celui du Monbazillac années 50 vient aussi en morceaux. Le cas le plus curieux est celui du Dom Pérignon 1980. Le bas du bouchon est fortement rétréci, ce qui fait que le bouchon est sorti sans le moindre effort. Il est noir et imbibé ce qui n’est pas bon signe. C’est probablement un coup de chaleur dans la cave de celui qui possédait ce champagne avant moi. L’assiette qui contient les bouchons donne le spectacle d’un champ de bataille.
Pendant que j’œuvre, ma femme est aux fourneaux où elle a commencé à faire les préparatifs la veille. Le programme qu’elle a conçu est : gougères, rillette, boudins blancs et jambon Pata Negra / coquilles Saint-Jacques crues et caviar osciètre / pintades et purée Robuchon / wagyu / Mont d’Or, Brillat-Savarin / dessert au chocolat, feuille d’or et grains de caviar osciètre.
Le Champagne Salon 2006 est d’une couleur claire. Son parfum est délicat et inspirant. En bouche il est fluide, frais, de belle longueur, et donne l’impression d’une fluidité sans fin. Je suis content que mes enfants adorent ce champagne noble et plaisant.
Le Champagne Dom Pérignon 1980 est d’une couleur foncée, comme si le bouchon avait déteint sur le champagne. Il a de l’amertume. On peut boire ce champagne qui n’est pas parfait mais délivre encore de belles complexités.
Sur les coquilles et le caviar, le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1992 explose de bonheur et de générosité. Le millésime 1992 est brillant pour les blancs de Bourgogne et celui-ci est au sommet de sa gloire. Quel bonheur et quel accord avec la douceur sucrée de la coquille et le sel du caviar. C’est un vin noble et gourmand.
Le Château Palmer Margaux 1960 est un vin de belle structure, équilibré et grand. C’est un des plus grands vins de Bordeaux et son équilibre et sa longueur impressionnent. J’aime sa longueur truffée.
Lorsque l’on passe au Bonnes-Mares Domaine Comte Georges de Vogüé 1949, c’est un changement total. Le bordelais est droit dans ses bottes, le bourguignon est folâtre. Ce vin laisse une trace très longue de mille saveurs. On a l’impression de prendre un train vers le bonheur. Quelle douceur et quelle longueur. C’est un très vin original parce qu’on n’attend pas de telles saveurs douces et charmantes. La purée Robuchon met en valeur la douceur du Bonnes-Mares alors que la chair délicieuse de la pintade élargit le spectre du Palmer.
Avais-je bien calculé ce que mes enfants boiraient ? La réponse est non aussi vais-je vite ouvrir un Vega Sicilia Unico 1960. Quelle richesse d’un vin juteux. Plus que d’autres je me rends compte que ce vin magistral n’a pas la cohérence et l’élargissement qu’offre l’oxygénation lente. Le vin n’est pas aussi glorieux qu’il le pourrait, mais on sent bien à quel point il est grand, riche et séduisant.
Je ne me souvenais plus du dessert qui était prévu et j’avais ouvert un Monbazillac années 50 à la couleur rose orange délicate. Les liquoreux du bordelais ne sont pas les amis du chocolat, mais le dessert au chocolat agrémenté de caviar crée un accord original mais qui marche bien, possible grâce à la douceur délicate de ce joli vin.
C’est très difficile de voter car quatre vins sont absolument exceptionnels. Mon vote serait : 1 – Bonnes-Mares 1949, 2 – Bâtard Montrachet 1992, 3 – Vega Sicilia Unico 1960, 4 – Château Palmer 1960, mais on pourrait échanger les numéros 1 et 2.
Ce repas joyeux pendant lequel des cadeaux se sont échangés entre ceux qui ne se reverront pas à la vraie date de Noël a montré une fois de plus les joies d’une famille unie.