Bipin Desai cornaque un groupe d’amateurs américains qui viennent festoyer pendant une bonne semaine dans les plus beaux endroits. Ayant eu l’opportunité de faire connaître à Bipin un personnage du vin, Jean Hugel, Bipin me demanda si je voulais me joindre à son groupe pour un déjeuner au restaurant le Carré des Feuillants. L’esprit encore embrumé d’une courte nuit après ces verticales de Rauzan-Ségla et Canon, j’arrive au Carré des Feuillants, accueilli par une équipe souriante et attentive. L’apéritif se tient au sous-sol et je vois des rescapés de la veille en grande forme. Le champagne Billecart-Salmon cuvée Nicolas-François Billecart 1998 est très peu dosé, très sec, et se boit bien. Nous remontons au rez-de-chaussée pour le déjeuner dans une jolie salle aménagée pour nous. Il fallait bien nous isoler, car Jean Hugel que j’adore, ce pétulant octogénaire a le verbe haut et nourri. Ma voisine de table qui est productrice d’un groupe théâtral a l’habitude de voir jouer de grands talents. Elle est sous le charme du discours de Jean Hugel qui énonce des vérités d’une simplicité biblique, consternantes de bon sens.
L’intitulé du menu est un vrai roman : bouillon du pêcheur de perles / rouget barbet, tomate ancienne, cerises en gaspacho, huile noire d’olives, arlette aux anchois / homard bleu vapeur, royale coraillée, pince en rouleau croustillant, salade d’herbes parfumées, nougatine d’ail doux / le cèpe mariné, le chapeau poêlé, le pied en petit pâté chaud / notre poularde rôtie en cocotte, jus clair, céleri confit, petit chou au lard, (volaille d’excellence engraissée librement en Béarn) / Fougeru briard travaillé à la truffe / envie de vacherin, grosses framboises, meringue légère au Yuzu, crème fermière et Mascavo. C’est tout un programme, et chaque précision a son importance. J’ai trouvé la cuisine d’Alain Dutournier particulièrement brillante. Je dois même dire que c’est le plus accompli des repas que j’ai faits dans cet établissement où je suis assidu, démontrant une sérénité remarquable. La question qui agite les repas en ville c’est de savoir pourquoi Alain n’a pas sa troisième étoile. Il m’est arrivé d’être d’accord avec ce purgatoire mais aussi de ne pas le trouver justifié. Sur ce repas le doute n’est plus permis. La troisième étoile est atteinte brillamment avec une cuisine sincère, engagée comme son auteur, et souriante comme lui. Comme il n’existe aucune faute de service, on est de plain-pied dans l’excellence absolue.
Nous commençons par le Riesling Hugel Vendanges Tardives 1998 d’une belle couleur d’un or délicat. Le nez est discret. En bouche, et c’est une des caractéristiques des vins de Hugel, on est frappé par la pureté. Le vin est à la fois puissant et léger, ce qui est paradoxal mais réussi. Le final est assez court et poivré.
Le Riesling Hugel Vendanges Tardives 1983 est d’un jaune plus doré, très limpide, au nez discret. Le goût est résolument sec. Il est très élégant et gastronomique. Ce qui est évident là aussi, c’est la pureté. Le 1998 est plus sucré avec un sucre résiduel important. Le 1983 est élégant et bâti pour la gastronomie. Jean Hugel signale à tous une des caractéristiques de ses vins qui est de voir le sucre se fondre naturellement avec l’âge.
Alors qu’il était prévu que l’on commence par un 2002, Jean Hugel demande que sur le homard on l’oublie car ce serait un crime au profit du seul 1976. Il s’agit du Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1976. Il est d’un or profond, d’un nez discret, et ce qui frappe, c’est qu’il est devenu sec. C’est un vin délicat et extrêmement précis qui convient remarquablement au homard délicieux. J’ai la chance d’en avoir bu plusieurs exemplaires avec chaque fois le même plaisir.
Nous passons ensuite aux vins de la maison Perrot-Minot dont, je dois le confesser, je n’ai jamais bu aucun vin. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2000 a un nez discret et élégant. Le joli fruit est très distingué. Le final est très profond. Il est strict, mais plaisant. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2001 a un nez plus doucereux, velouté. Le goût est plus poivré, plus moderne. C’est moins bourguignon que le 2000 qui lui-même ne l’est pas tellement. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2003 a un nez très fin, poivré. En bouche, c’est très boisé, les tannins sont forts, il y a des évocations de poivre en grain et de clou de girofle.
Je suis bien en peine de désigner celui qui me plait le plus et je vois qu’aux deux tables de notre groupe, les avis sont partagés. J’avais tendance à préférer le 2000, puis je suis venu au 2001, et je suis revenu au 2000. Alain Dutournier qui nous a salués a aimé aussi le 2000. Les trois vins sont très poivrés. Je pense qu’il leur faudrait quelques années de plus pour vraiment les apprécier, car ils vont s’arrondir. Tels qu’ils se présentent aujourd’hui, ils manquent un peu de rondeur pour me séduire. Quelques années y pourvoiront.
Le plat de cèpes est une institution. Plat phare de ce lieu il a atteint en pleine saison de cèpes de belle qualité une maturité incontestable.
Le Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 2002 que l’on sert maintenant combine ce que j’aime, un sucre lourd, un côté très doux, tout en étant aérien. Le nez évoque le litchi mais je sais que Jean Hugel déteste qu’on décortique les composantes d’un vin. Ce vin est servi avec un Château Caillou Barsac 1989. Puisque l’occasion se présente de goûter ensemble ces deux vins que j’apprécie, mon cœur balance en direction du Caillou, plus fruité et plus profond à mon goût. Mais le Gewurztraminer, léger malgré sa puissance est un vin de grande qualité. C’est vraiment une question de préférence personnelle.
Jean Hugel est toujours un merveilleux conteur, ambassadeur des vins d’Alsace avec ses vins d’une rare pureté, j’ai découvert des vins d’un domaine qui ne m’était pas familier mais il faudra attendre quelques années de plus, et j’ai été enthousiasmé par le niveau atteint par Alain Dutournier dans une sérénité prometteuse de gloire.







Faire entrer mille cinq cents personnes qui bavardent dans un chai et les faire s’asseoir prend bien une heure et demie. A ma table il y a plusieurs journalistes, mais ce sera peine perdue de chercher à communiquer avec eux car le traiteur étant le même qu’à Haut-Bailly, ce sont les mêmes tables qui ne permettent de parler qu’à ses seuls voisins immédiats. Il y a là sans doute une piste de progrès. Je discuterai plus particulièrement avec un ami collectionneur qui a des séries impressionnantes de quelques vins de prestige et avec lequel nous avons bu quelques grands flacons dans de beaux endroits et je ferai connaissance avec un sympathique et dynamique jeune courtier en vin de la place de Bordeaux.
Jean-Michel Cazes fait un discours tonique et efficace (c’est-à-dire pas trop long) d’introduction tandis que le président de l’appellation Pessac-Léognan, moins entraîné à cette gymnastique, fait un discours particulièrement convenu qui se perd dans le brouhaha. Le Prince du Luxembourg conclut ces introductions par un speech précis et fait lire les remerciements du Prince Albert de Monaco au sujet du don que cette soirée fera pour les œuvres caritatives du Prince. Il est à noter que lorsque l’on annonça la présence d’Alain Juppé les applaudissements furent insistants, certains allant même jusqu’à vouloir lancer une standing ovation, ce qui fit dire à mon voisin de table : « la France aime les perdants, ce n’est pas gagné ! ».

Le dessert est en trois parties dont une est un ennemi déclaré des sauternes (boule de glace enserrée dans une coquille en chocolat) mais est-ce important quand ce qui compte, c’est l’immense générosité de toute une profession.




La pluie a regroupé tous les invités dans les salons du château. Nous serons quelques fanatiques à aller admirer le soleil tardif qui sous la pluie rase les vignes d’Yquem. Dans le compte-rendu que j’avais fait du même cocktail lors de Vinexpo 2001, j’avais signalé ce moment magique où le soleil de solstice, pour son coucher le plus lointain vers le nord,






























