Un vendredi après-midi, Dirk Niepoort m’appelle et me demande si nous pourrions nous rencontrer le lendemain. Un peu fatigué par la semaine écoulée, l’idée d’aller à Paris pour le voir ne me tente pas trop. Mais l’envie de le voir l’emporte et je lui propose de venir visiter ma cave car j’avais visité la sienne, bien évidemment différente de la mienne.
De bon matin le samedi, j’achète du pain, des crèpes et des madeleines car j’ai déjà en tête le vin que je veux ouvrir. J’ai pris par ailleurs un pot de pâté au foie gras et un morceau de comté. Arrivé à mon bureau je mets une nappe sur la table ovale qui fait face à l’immense collection de bouteilles vides qui anime la très grande salle du cimetière des vins les plus prestigieux que j’ai bus.
A un moment je pense que le pâté irait mieux avec un champagne et j’ouvre un Krug Grand Cuvée étiquette olive qui est la première édition de ce beau champagne.
Dirk arrive avec sa femme Anna. Nous visitons la cave et Dirk est très intéressé et regarde de nombreuses bouteilles de vins qu’il connaît ou non. Anna est aussi impressionnée et nous bavardons pendant cette promenade dans les allées de la cave. Nos visions du vin sont très similaires.
Nous remontons pour déjeuner et je raconte comment j’ai préparé ce déjeuner impromptu. Anna, sensible à la visite et à mon accueil pleure d’émotion et de bonheur car elle voit bien l’amitié qui existe entre Dirk et moi.
Le Champagne Krug Grande Cuvée étiquette olive années 80 est fait de vins des années 80 mais surtout des années 1970. Le bouchon de la bouteille s’était cisaillé à l’ouverture et donne à Dirk l’impression que le champagne est très vieux. Ancun pschitt n’avait existé à l’ouverture. La bulle est rare mais le pétillant est très fort. Ce champagne est brillant, puissant et conquérant. C’est un très grand Krug extrêmement expressif. L’accord avec le pâté de foie gras est idéal.
Dans la cuisine, j’ouvre devant mes amis une Malvoisie des Canaries 1828. Une fois la cire enlevée le petit bouchon qui devrait sortir facilement se déchire en lambeaux pour une raison simple : il y a une surépaisseur de verre en haut du goulot qui empêche le bouchon de monter.
La couleur du vin dans le verre est de deux teintes, jaune et marron qui ne se mélangent pas et changent comme celles d’un cristal selon l’orientation lorsque l’éclairage est mouvant. Le nez est magique, puissant et mêlant la douceur et une profonce intensité. En bouche, c’est un vin doux, mais en même temps ‘dry’, c’est-à-dire d’une fraîcheur sèche. Je suis amoureux de ces vins que j’ai bus tant de fois car j’avais eu la chance d’en acheter beaucoup. Et je voulais que Dirk, qui fait un porto sublime, voie cette version d’un vin doux et sec, à la longueur en bouche infinie.
Pendant la visite j’ai pris en cave une bouteille unique, déjà ouverte depuis longtemps d’une Fine de Mouton provenant de la cave personnelle de Philippe de Rothschild, que j’avais bue plusieurs fois. Boire cet alcool juste après la malvoisie montre à quel point le goût est raffiné, d’une justesse impressionnante. Un grand moment.
Anna a fort gentiment rangé le désordre du repas. Dirk m’a offert un vin rouge de sa production. Nous nous sommes promis de nous revoir. Ce moment d’amitié a effacé toutes traces de fatigue et m’a au contraire apporté une bouffée de bonheur.