Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

154ème dîner – les vins mardi, 28 février 2012

Champagne Dom Ruinart rosé 1990

Champagne Krug magnum 1982

Champagne Dom Pérignon 1964

Bâtard Montrachet Fontaine et Vion 1990

Pétrus Magnum 1983

le bouchon très émietté du Pétrus

Romanée saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1991

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956

les trois bouchons des vins du domaine de la Romanée Conti

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1979

Vin de Bourgogne de Jacques Bouchard, années 50

Château Climens 1964

Château d’Yquem 1929

le bouchon de l’Yquem

les bouchons ainsi que mes instruments

153ème dîner de wine-dinners au restaurant Michel Rostang mercredi, 14 décembre 2011

C’est la première fois en 153 dîners, puisque ce soir se tient le 153ème dîner de wine-dinners, que nous aurons la chance de profiter du talent de Michel Rostang. Maintes fois l’idée m’en était venue et puis enfin c’est le moment.

J’arrive à 16h30 au restaurant Michel Rostang pour ouvrir les vins en compagnie d’Alain, le sympathique et compétent sommelier, attentif à ma méthode. J’avais, avant de venir, de petits doutes pour le Pernand Vergelesses Domaine Joseph Drouhin 1955, mais c’est en fait lui qui a l’odeur la plus charmante, et sur le Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955 dont la bouteille est peu engageante. Mais le parfum de ce vin est superbe. Aucun problème réel de bouchon ne survient, même si nombreux sont ceux qui se brisent en morceaux. Le parfum de la Romanée Conti est impérialement Romanée Conti et comme s’il s’agissait d’une tradition, le haut de son bouchon, lorsqu’on enlève la capsule, est noir et sent fortement la terre de la cave ancienne de la Romanée Conti. Ce qui est étonnant, c’est que le haut du bouchon de ce 1983 fait au moins trente ans plus vieux, alors que le corps du bouchon est superbe. Le parfum de l’Yquem 1966 est tonitruant. C’est le plus glorieux de tous.

J’ai réservé une surprise à mes amis, et je ne vais pas la dévoiler maintenant, mais son odeur est d’un raffinement unique. Compte-tenu de son âge, va-t-il tenir ? Nous verrons.

Pendant que j’officie je vois en cuisine toute la brigade qui s’affaire et chacun sait que ce soir, ce sera un grand dîner. Quand Caroline Rostang, la fille de Michel, passe au restaurant, elle est au courant de tout ce qui se trame et ses yeux brillent. Elle aurait aimé se joindre à nous et je l’y aurais invitée, mais elle est retenue ailleurs.

Nous sommes installés dans un salon au fond de la salle qui convient parfaitement pour dix convives. Trois femmes et sept hommes dont un seul bizut à notre table. Un couple canadien fidèle et des convives chevronnés ont permis une atmosphère souriante, enjouée voire chahuteuse et taquine.

Michel Rostang a conçu le menu suivant : Les Œufs de Caille pochés en Coque d’Oursin / La langoustine royale rôtie, Beurre de Caviar / Le Sandwich à la Truffe noire / La trilogie des trois Gibiers à Plume, le premier en Parmentier / Le second rôti à l’ail confit / Le dernier en feuilleté chaud / Le Saint-nectaire / La Mangue compotée et craquante, Dacquoise Noisette, Blancs en Neige passionnés / Panettone.

C’est probablement l’un des plus beaux repas que nous ayons connus en 153 dîners.

L’apéritif se prend à table et le Champagne «Rare» de Piper Heidsieck 1979 à la très jolie bouteille est à l’âge voluptueux où l’on sent aussi bien la jeunesse gaillarde que la maturité sensuelle. Ce champagne est très carré, solide, combinant la fluidité d’un vin blanc avec le compoté et le confit discret des champagnes anciens.

Le Champagne Dom Pérignon 1966 est totalement indissociable de la magnifique langoustine car l’accord est certainement l’un des plus grands que nous ayons vécus. La couleur du champagne est rose, comme le dos de la large langoustine, créant, comme je les aime, un accord couleur sur couleur. Et la mâche « pullman » de la langoustine crée une vibration avec le vin qui est d’une sensualité infinie. Il y a du tactile dans cet accord, comme le fait remarquer ma voisine. Il y a cinq jours, j’ai bu le Dom Pérignon Œnothèque 1966 qui est complètement différent de celui-ci. Le 1966 de ce soir a été dégorgé au moment de sa commercialisation. L’Œnothèque est résolument plus tendu, claquant comme un fouet, alors que ce 1966 est plus langoureux, dans des esquisses d’agrumes confits. Il faut aimer les deux, bien sûr, mais mon cœur va pencher ce soir vers le vin que nous buvons, à cause de l’accord exceptionnel avec cette diabolique langoustine, et de l’excitation que provoque le caviar.

Le sandwich à la truffe de Michel Rostang, c’est une institution. Il n’y a pas de façon plus gourmande de s’enivrer de truffe. Et dans cette combinaison, c’est le plat qui est dominant par rapport au Chevalier Montrachet Domaine Bouchard Père & Fils 1988. Le vin se présente avec un peu d’oxydation, fermé, mais dès qu’il s’ébroue dans le verre, on trouve un vin élégant, au fruit devenu joyeux et au final de belle mâche. Le sandwich m’a donné envie de l’essayer plutôt avec un fort vin rouge et j’ai pensé à un Châteauneuf d’Henri Bonneau. Ce sera un prétexte pour revenir ici.

Les trois oiseaux sont le point culminant de ce repas, avec des chairs extraordinaires et des mâches viriles tant ils sont gibiers. Le premier se mange avec deux vins. Le Grands Echézeaux Domaine Henry Lamarche 1979 est clairet avec de petites notes grisées. Le nez est d’un bourguignon viril. Le vin très puritain, très droit, est sans concession, presque militaire et d’un rêche bourguignon militant. J’adore ces bourgognes qui dérangent. A côté de lui, le Pernand Vergelesses Joseph Drouhin 1955 joue plutôt les odalisques. On est dans le charme oriental et un des plus anciens de mes dîners soupçonne un baptême du pinot noir par des ajoutes méditerranéennes. Il ne faut pas l’exclure, mais 1955 est une année de vins riches et capiteux. Toujours est-il que le vin est charmeur, de belle consistance et convient à ravir à la chair du volatile. Combiner le plat aussi bien avec un vin ascète qu’avec un vin paillard, c’est un bonheur de plus.

Lorsque j’avais ouvert les 1961, ils avaient montré tous les deux des odeurs de poussière. L’évolution rapide des parfums m’avait rassuré. Et maintenant, les vins sentent spectaculairement bon. Le Pommard 1er Cru Rugiens Domaine Pierre Clerget 1961 me fait me pâmer d’aise. Quel grand vin racé, viril, ce qui est étonnant pour un pommard, gaillard et insistant comme le regard d’un psychanalyste. Il pénètre le cœur en force. A côté, le Gevrey Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine Clair Daü 1961 est très différent. Il se cherche un peu et à un moment je le préfère au pommard car il est plus accessible. Mais il est moins incisif et je finis par préférer le pommard, trouvant toutefois dans le Gevrey un charme envoûtant. La sérénité des deux vins est extrême, et cela tient à l’année, mais aussi à l’aération lente créée par l’ouverture plus de cinq heures auparavant.

C’est maintenant le temps fort du dîner, la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 sur un oiseau en feuilleté chaud, avec une farce que Michel Rostang m’avait fait goûter vers 18 heures. Une des convives avait regardé dans les archives que 1983 est une année difficile pour la Romanée Conti. Mais lorsque j’avais senti vers 18 heures le parfum de ce vin que j’ai déjà bu plusieurs fois, je n’avais pas le moindre souci : je savais qu’il serait grand. Pour apprécier ce parfum gigantesque et émouvant, il fallait que le plat ne soit pas servi, car dès que l’assiette est posée, c’est impossible d’en saisir toutes les nuances, les odeurs de gibier envahissant la pièce. Cette Romanée Conti, que l’on ne peut pas classer dans les puissantes, est d’une émotion totale. Je vibre comme jamais et je suis étonné que mes amis parlent et parlent, alors que je me recueille, pour essayer de capter toute la subtilité de ce grand vin. On pourrait se dire que mon émotion est liée au prestige de l’étiquette, mais ce n’est pas le cas, et la démonstration est surtout fournie par le vin qui suivra. Cette Romanée Conti, saline, délicate, racée, élégante avec des évocations de roses séchées, d’ardoise, fait vibrer en moi tous les souvenirs de ce vin que je révère.

Le Chambertin Grand Cru Vieilles Vignes Domaine Rossignol Trapet 1990 qui fait suite a bien du mal à trouver sa place. C’est un beau chambertin d’une très grande année, qui brillerait sans doute, mais l’écart de complexité et de raffinement avec le 1983 est trop fort. De plus le Saint-nectaire qui lui est associé n’est pas ce qui le mettrait réellement en valeur. Très jeune, gouleyant, il mériterait un meilleur sort que celui qu’il a trouvé à cette place et avec ce fromage.

Le Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955 est devenu une triste surprise. Car le vin dont le parfum à l’ouverture m’avait agréablement convaincu a perdu de sa superbe. Il est buvable bien sûr et on devine ce qu’il a envie de nous dire, mais une vilaine fatigue l’empêche de nous plaire. Il aura seulement apporté un témoignage fugace de sa belle Loire.

Le Château d’Yquem Sauternes 1966 est d’un or magnifique, très acajou clair. Ce millésime est beaucoup plus foncé que le 1967, et cela lui va bien. En bouche, c’est un vin gourmand, très abricot et mangue. L’alcool est sensible et lui donne une puissance rare. J’aime beaucoup ce millésime qu’on a mis un peu à l’ombre de 1967 et qui mérite une place de grand Yquem. C’est le plus beau parfum généreux et sa persistance aromatique n’est que de plaisir.

Il est temps maintenant d’apporter mon cadeau, car c’est bientôt Noël et c’est le dernier dîner de l’année 2011. Alain montre à tous une bouteille sans étiquette, au verre transparent et sans couleur, dont le liquide est d’une couleur châtaigne. Instantanément, le plus fidèle des fidèles dit Sigalas-Rabaud, et précise même l’année, tant il me connait bien, ce qui surprend les autres convives. Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896 est émouvant. Son nez est d’une subtilité rare. Il a mangé un peu de son sucre, donc le parfum est un peu strict, mais élégamment délicat. En bouche c’est un bonheur insaisissable, avec de légères évocations de thé et d’agrumes séchés. Finir le dernier dîner sur un vin de 115 ans, c’est tout droit dans la ligne de ces dîners.

Nous procédons au classement, chacun selon ses critères, l’une de mes voisines choisissant en fonction des accords avec les plats. Dix vins sur douze sont dans les classements alors que seulement les quatre premiers sont nommés, ce qui est pour moi très plaisant. Les deux sans vote sont le Vouvray, ce qui est logique et le chambertin, du fait de sa place dans le repas. Cinq vins ont des votes de premier, ce qui est aussi plaisant : le Pommard Rugiens quatre fois, le Dom Pérignon et le Clos Saint-Jacques deux fois, et la Romanée Conti et le Sigalas Rabaud chacun une fois. Deux vins sont dans les dix feuilles de vote, le pommard et la Romanée Conti. Je suis très étonné d’être le seul à avoir mis la Romanée Conti en numéro un.

Le vote du consensus serait : 1 – Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 – Champagne Dom Pérignon 1966, 4 – Clos Saint Jacques Gevrey Chambertin Clair Daü 1961, 5 – Château d’Yquem 1966.

Mon vote est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961, 3 – Château d’Yquem 1966, 4 – Champagne Dom Pérignon 1966.

La belle salle à la table ronde est propice aux échanges. On avait ouvert les paravents de la salle pour éviter que nous soyons gênés par le bruit des tables de la grande salle toutes réservées à un groupe. Mais j’ai bien l’impression que les paravents ont surtout protégé les autres clients, tant nos rires et nos plaisanteries fusaient. Le service a été exemplaire, ainsi que le service du vin. La cuisine a été brillantissime et quand Michel Rostang, qui était venu plusieurs fois nous donner des conseils pour déguster ses plats, est venu nous dire au revoir, nous l’avons applaudi chaudement, tant ce repas fut magistral.

Le plus bel accord est celui de la langoustine avec le Dom Pérignon, grâce à cette mâche unique. Et l’accord de la Romanée Conti avec le feuilleté fait partie des accords dont on se souviendra toute sa vie. Après un 150ème dîner de folie avec des vins rarissimes, ce153ème dîner entrera dans le top 10 des plus beaux dîners que j’ai l’honneur d’organiser.

notre table

la forêt de verres en fin de repas

153ème dîner de wine-dinners – les vins mercredi, 14 décembre 2011

Champagne «Rare» de Piper Heidsieck 1979

Champagne Dom Pérignon 1966

Chevalier Montrachet Domaine Bouchard Père & Fils 1988

Pernand Vergelesses Joseph Drouhin 1955

Grands Echézeaux Domaine Henry Lamarche 1979

Pommard 1er Cru Rugiens Domaine Pierre Clerget 1961

Gevrey Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine Clair Daü 1961

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983

Chambertin Grand Cru Vieilles Vignes Domaine Rossignol Trapet 1990

Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955

Château d’Yquem Sauternes 1966

Château Sigalas-Rabaud 1896

150è dîner – les vins jeudi, 17 novembre 2011

Plusieurs bouteilles sont sous cellophane. Je ne les ai pas touchées pour la photo.

Champagne Moët & Chandon magnum 1959

Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966

Hermitage blanc La Tour Blanche Jaboulet Vercherre 1947

Château Mouton d’Armailhacq Pauillac 1947

Château l’Angélus Saint Émilion 1947

Château Lafleur Pomerol 1947

Pétrus Pomerol 1947

Château Latour Pauillac 1947

Château Lafite-Rothschild 1947

Champagne Moët & Chandon 1928 dégorgement à la volée

Château Latour Pauillac 1947

Gevrey-Chambertin R.Vinzent négociant 1947

Châteauneuf-du-Pape Réserve des Chartes 1947

Champagne Moët & Chandon Millésime 1911

Vin de Paille Jean Bourdy 1947

Red Port Collection Massandra 1947

Vin de Chypre 1845 (elle est morte, hélas, cassée au château de Saran)

la voici, cadavre qui a embaumé la pièce

les vins offerts au journaliste et au photographe « en mission »

les vins rassemblés au château de Saran. Il manque les Moët 1928 et 1911 qui seront dégorgés à la volée

les bouchons

Le 150ème dîner de wine-diners au château de Saran jeudi, 17 novembre 2011

Tous les convives arrivent pratiquement en même temps, à 16 heures, au château de Saran à Chouilly, non loin d’Epernay. Le brouillard limite les perspectives du beau parc qui est sur un promontoire. Avant même de prendre possession de ma chambre, je vais voir en cuisine les dégâts. La bouteille de Chypre 1845 est brisée en deux morceaux, avec quelques éclats seulement. Il faut un choc très net pour avoir coupé ainsi la bouteille. Je demande les circonstances de l’accident mais cela ne ressuscitera pas mon vin. La bouteille est très chemisée de noir et les odeurs sont de cacao, de café, de poivre et de réglisse. Je fais présenter la bouteille et ses copeaux sur un plateau afin que ce soir mes amis puissent se recueillir sur cette dépouille.

On porte mes affaires dans une jolie chambre qui dispose normalement d’une vue infinie, mais aujourd’hui, la visibilité ne dépasse pas dix mètres. La chambre, comme tout le château, est submergée de roses rouge sang qui sont comme une signature du lieu à l’accueil fleuri.

Sept des convives partent faire la visite des caves de Moët & Chandon avec Hélène, notre hôtesse. Deux habitués qui connaissent les caves restent avec moi pour assister à l’ouverture des vins ainsi qu’un journaliste et deux photographes. L’un des deux veut photographier les bouteilles une par une avant le dîner. Autant de monde autour de moi et ces manipulations non prévues me mettent dans une situation de fort stress, car je ne voudrais pas que se reproduise un accident comme celui du vin de Chypre. L’ouverture de douze bouteilles durera 70 minutes. Beaucoup de bouchons sont noirs, beaucoup se brisent en plusieurs morceaux. Trois bouchons très collés aux parois ont résisté longtemps avant de remonter. Aucune miette de liège n’est tombée dans le vin. Les odeurs sont majoritairement prometteuses, dont particulièrement celle du Chateauneuf-du-Pape. Certains vins auront besoin de se remettre en forme grâce à l’aération. Deux incertitudes concernent le Gevrey-Chambertin et le Pétrus 1947. L’abondance de vins, puisque nous aurons dix-sept bouteilles dont deux magnums, permettra à chacun de trouver sans souci son bonheur.

Après les ouvertures, un court sommeil napoléonien et une bonne douche me remettent en forme. A vingt heures, notre groupe est au complet. Pour le groupe d’Epernay il y a Jean Berchon, membre du comité de direction du groupe Moët & Chandon, Richard Geoffroy, chef de caves de Dom Pérignon et Benoît Gouez, chef de cave de Moët & Chandon. Le quatrième représentant du groupe, Stanislas Rocoffort de Vinnière, dînera à part avec un journaliste et un photographe. J’ai apporté pour eux une Côte Rôtie La Landonne Guigal 1992 et une demi-bouteille d’Yquem 2002. Et par un coup de pouce du destin qui, comme pour Richard Virenque, est à l’insu de mon plein gré, ils ont dégusté un Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1990 que j’avais prévu en réserve en cas de défaillance d’un vin du repas. Je suis ravi qu’ils aient eu cette belle surprise.

Les neuf autres convives sont d’anciennetés variables. Pour deux d’entre eux, c’est leur premier dîner de wine-dinners, pour un, c’est le deuxième, pour un autre c’est le quatrième, pour deux autres, c’est peut-être le huitième, pour un c’est le neuvième, pour un fidèle on est au-delà du vingtième dîner et l’un des champions de mes dîners est au-delà du trentième dîner.

Dans la belle salle de réception où chacun peut humer le vin de Chypre, le Champagne Moët & Chandon magnum 1959 est d’une jolie couleur de blé d’été. Je constate une certaine amertume au premier contact et Benoît Gouez me dit que c’est normal. C’est l’année solaire qui donne une fraîcheur marquée par l’amertume, comme pour les années 1976 et 2003. Quand le vin s’installe dans le verre, c’est un Moët élégant, à la forte personnalité, bien assis grâce à quelques années de dégorgement. Ce champagne typé se boit avec plaisir. Il me semble que le très impressionnant Moët 2002 vieillira aussi brillamment que ce 1959.

Nous passons à table et l’alignement des verres et des chandeliers est impressionnant. Les roses rouges et l’acajou donnent une marque très sensuelle à cette belle salle à manger.

Le menu mis au point par Bernard Dance est : Huître n° 3 Daniel Sorlut / Corne d’abondance de coquillages en infusion de chorizo / Filet de sole poché dans son court bouillon / Filet de rouget en demi-deuil / Ris de veau braisé / Chausson à la truffe noire / Selle d’agneau rôtie à l’anglaise et truffe noire / Mousseline de céleri et pomme purée / Dos de chevreuil rôti et son jus / Lobe de foie-gras en cuisson basse température / Gros Macaron chocolat confit de prune / Madeleines à la réglisse / Amandine & tuile. Ce fut un festival.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 est absolument brillant. L’huître exacerbe l’une de ses facettes, lui donnant droiture et rigueur. Il en a bien d’autres que j’ai la chance d’avoir déjà explorées. C’est un champagne immense et noble, racé et intense.

L’Hermitage blanc La Tour Blanche Jaboulet Vercherre 1947 est une belle surprise. Par transparence dans la bouteille le vin m’était apparu très sombre, ce qui avait justifié que je prenne un vin de réserve. Mais en fait dans le verre, le vin est d’un ambre très clair, tendant vers un rose pâle. Le nez est pur. Il est simple mais direct, avec un joli fruit rose que suggère sa couleur. La vibration avec les coques, touchées de chorizo est superbe.

La sole accompagne deux vins. Le Château Mouton d’Armailhacq Pauillac 1947est précis, riche et très noble. Le Château l’Angélus Saint-Émilion 1947 est très Saint-Emilion, très pur, chaleureux et velouté. Ce serait difficile de dire lequel on préfère, car ils sont très différents, chacun représentant sa rive de la Gironde. L’Angélus accroche un peu plus sur la chair exquise de la sole à la mâche idéale, mais mon cœur penchera vers le Mouton d’Armailhacq.

Chaque fois que dans mes dîners un Pétrus est inclus, ma coquetterie est de l’associer à du rouget. Car pomerol et rouget, cela crée une vibration particulière. Le poisson truffé est associé à deux pomerols qui sont le thème majeur, le point de départ de ce repas. Je voulais mettre ensemble deux mythes absolus du vin de Bordeaux, Château Lafleur Pomerol 1947 et Pétrus Pomerol 1947. Les autres vins tous de 1947, en dehors des champagnes, se sont greffés autour. Le Pétrus a un goût qui tend vers le porto et le café. Il est comme un moteur bridé et mal alimenté. Le rouget le réveille bien, ainsi que la truffe, car ce sont des compléments naturels, mais le vin n’est pas au niveau que l’on pouvait attendre. A l’inverse, le Lafleur est exceptionnel et éblouissant. Richard Geoffroy l’estime sublime, et trouve en lui des caractéristiques qui correspondent à ses recherches pour Dom Pérignon. Ce vin crée une dimension de première grandeur, car l’on sent que l’on tient un vin parfait avec tension, équilibre, profondeur, race et velours.

Le ris de veau a une cuisson exceptionnelle. Ma voisine, qui me dit aimer cuisiner le ris de veau, en est amoureuse. Là aussi deux vins accompagnent le plat : Château Latour Pauillac 1947 et Château Lafite-Rothschild 1947. Le Latour est d’une couleur merveilleuse, d’une grande clarté, d’un rubis profond, et d’une folle jeunesse, alors que le Lafite est d’une couleur trouble, ce qui est curieux car la bouteille paraissait parfaite. Le Latour est brillant, noble, mais un peu en sourdine par rapport à d’autres Latour 1947 que j’ai déjà goûtés. Le Lafite est un peu brouillon, pas exactement parfait mais il est intense, typé et très séducteur du fait de son côté canaille. Je préfère le Lafite, mais les avis sont partagés. C’est au Lafite que le ris de veau profite le mieux.

Nous nous levons pour aller dans le hall d’entrée admirer le geste de Thierry qui va dégorger devant nous, dans une petite hotte, le Champagne Moët & Chandon 1928 dégorgement à la volée. Le premier qui est dégorgé ne plait ni à Thierry ni à Benoît Gouez, très exigeant, qui souhaite une bouteille parfaite. Je bois dans son verre et, même s’il y a une acidité un peu excessive, j’en ferais bien mon ordinaire. La deuxième est parfaite, ce qui justifie l’exigence du chef de caves. Nous revenons à table pour boire le 1928 avec le chausson à la truffe. Le plus assidu de mes dîners, grand amateur de champagnes anciens, dit que ce 1928 est le plus grand champagne qu’il ait bu. C’est vrai qu’il est exceptionnel. Ce champagne est gourmand mais aussi romantique tant il a de la délicatesse. Ses complexités sont infinies, ainsi que sa longueur.

Associer un deuxième Château Latour Pauillac 1947 avec un vin bourguignon, un Gevrey-Chambertin R.Vinzent négociant 1947 est une de mes coquetteries. Il n’y a aucune logique, mais plutôt une envie. De plus associer une des gloires du bordelais avec un vin « Villages » mis en bouteille par un négociant de Libourne, c’est vraiment un accord ancillaire, voire morganatique. Il est à signaler qu’une majorité de convives préfèrent le second Latour alors que je préfère le premier, jugeant même que la différence est très nette. De la diversité des goûts ! Celui-ci me semble plus fatigué, mais Latour c’est Latour, et nous buvons un grand vin. Le Gevrey-Chambertin m’avait fait peur à l’ouverture. Il s’est bien restructuré et son message est clair. Il est bien sûr assez simple, mais offre plus qu’un simple « Villages ». La selle d’agneau goûteuse et rassurante l’aide bien à briller.

Le Châteauneuf-du-Pape Réserve des Chartes 1947 est lui aussi un « fantassin » comme le vin bourguignon. Il se présente avec charme, rondeur et un alcool très sensible. C’est un vin simple, qui convient très bien au dos de chevreuil.

Nous retournons dans le hall pour le dégorgement du Champagne Moët & Chandon Millésime 1911, vin mythique qui fait en ce moment l’objet de ventes aux enchères spectaculaires en tous les lieux de la planète, pour des œuvres caritatives. Avec la même exigence, je l’ai appris plus tard, Benoît a fait ouvrir quatre 1911. On ne peut que saluer sa volonté de perfection. Un joyeux qui pro quo se crée avec Richard Geoffroy lorsque je dis : « le 1928 est plus romantique et le 1911 est plus assis ». Richard comprenant « acide » s’est violemment opposé à mon analyse. Nous nous somme mis d’accord lorsque ma phrase a été correctement comprise, dans le joyeux brouhaha de notre longue table. Le 1928 est coquin et joue sur une séduction raffinée alors que le 1911 est plus archétypal, synonyme du champagne parfait. Ses variations gustatives sont infinies.

Le Vin de Paille Jean Bourdy 1947 est très plaisant, rond, doux, sans agressivité, au message simple et clair. Par contraste, le Red Port Collection Massandra 1947 est beaucoup plus complexe. Il a des saveurs intenses de fruits bruns et un fort alcool (19°). Dans un dîner avec moins de vedettes, il serait le gagnant. Pour remplacer le Vin de Chypre 1845, Jean Berchon a fait ouvrir un Champagne Moët & Chandon Dry 1952. Ce champagne m’avait enthousiasmé récemment. Il est d’un rare plaisir, simple, lisible et follement charmeur dans sa douceur subtile.

Voter est difficile car nous sommes encore sous le coup de tant de vins merveilleux et étonnamment proches alors qu’ils sont très différents. Onze vins sur dix-sept ont eu des votes, ce qui est bien. Seulement cinq vins ont eu des votes de premier, car deux vins ont assommé la concurrence : le 1911 a été nommé six fois premier et le Lafleur 1947 quatre fois. Les trois autres nommés premier une fois sont l’Angélus 1947, le Moët 1928 et le Lafite 1947.

Le vote du consensus serait : 1 – Champagne Moët & Chandon Millésime 1911, 2 – Château Lafleur Pomerol 1947, 3 – Champagne Moët & Chandon 1928, 4 – Château Lafite-Rothschild 1947 et 5 ex-æquo Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 et Château l’Angélus Saint-Émilion 1947.

Mon vote est : 1 – Château Lafleur Pomerol 1947, 2 – Champagne Moët & Chandon Millésime 1911, 3 – Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966, 4 – Château Mouton d’Armailhacq Pauillac 1947, 5 – Château Lafite-Rothschild 1947.

Bernard Dance a fait une cuisine exceptionnelle, avec des cuissons absolument remarquables, créant des chairs subtiles, d’une exactitude extrême pour les vins : sole, rouget, ris de veau plus particulièrement. Il a su simplifier les recettes, au profit d’une lisibilité gustative qui a servi les vins.

Alors que dix-sept vins avaient été ouverts représentant l’équivalent de vingt-trois bouteilles compte-tenu des magnums et des dégorgements répétés, nous avons eu le courage de goûter un cognac Paradis délicieux, qui nous à permis de continuer à bavarder au-delà de deux heures du matin. Chacun avait conscience d’avoir participé à un moment unique, car confronter Pétrus et Lafleur 1947 est un événement rare, comme l’est de confronter Moët 1928 et 1911. Le lendemain matin, au moment de nous quitter après la nuit au château, nous étions tout souriants, prêts à accélérer la cadence des dîners, pour que le 200ème dîner de wine-dinners arrive très vite. Au château de Saran bien sûr !

notre belle table

le dégorgement de moët 1928, puis de Moët 1911

les plats

la table pendant les opérations de dégorgement

les vins en fin de repas

ma chambre et un petit déjeuner studieux, pour rédiger ce compte-rendu

piquenique sur la route du château de Saran jeudi, 17 novembre 2011

Habitant dans l’est parisien, j’ai proposé à Tomo, qui participera au 150ème dîner, de venir grignoter un casse-croûte à mon domicile, car c’est sur sa route. Son épouse ne viendra pas au château de Saran et mon épouse est à l’étranger. Nous déballons nos provisions, deux foies gras distincts, aumônière d’écrevisses et œuf mollet, jambon espagnol, deux camemberts, tartes aux pommes et deux éclairs. J’ouvre une bouteille de Champagne Salon 1985. Il est d’une couleur d’un ambre déjà marqué même s’il est clair. Il est vineux, d’une rare complexité et plus évolué que ce qu’il devrait être à seulement 26 ans. Ce champagne est d’une noblesse extrême, déroutant de complexité.

un Chypre 1845 cassé avant le 150ème dîner ! jeudi, 17 novembre 2011

Il y a des jours où tout semble partir du mauvais pied. Une balance qui vous annonce un poids que l’on aimerait ne pas voir, la douche trop chaude ou trop froide, et mille petits signes qui montrent que la journée s’annonce mal. Il faudrait que le sort change de cap, car aujourd’hui, c’est le jour du 150ème dîner de wine-dinners. Vers 10 heures, un appel téléphonique. La responsable du château de Saran m’annonce que les sommeliers qui, selon mes instructions, devaient redresser les bouteilles du dîner, que j’avais apportées il y a un mois, viennent de casser la bouteille de vin de Chypre 1845. Une telle bouteille est normalement suffisamment solide pour supporter les aléas de la manipulation et mes bouteilles étaient rangées avec minutie dans la caisse. Il faudra que j’inspecte ce qui s’est passé.

Je regrette la perte de cette bouteille, car à force d’en boire, il ne m’en reste presque plus. Et je suis triste pour mes amis. Moët & Chandon va ajouter au programme une belle bouteille, mais ma tristesse est extrême. Voilà une bouteille qui n’aura pas connu son couronnement.

Maintenant, je rase les murs, je courbe le dos, en espérant qu’aucune autre catastrophe ne se produira.

Abnégation, je vous dis mardi, 11 octobre 2011

Abnégation, abnégation, tout, dans ma vie, n’est qu’abnégation. Devant préparer le 150ème dîner, qui, selon une logique toute booléenne, doit apparaître après le 151ème, je me rends au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët, pour mettre au point avec le chef Bernard Dance le menu du dîner. Je m’annonce à la porte électrique et lorsque je mets pied à terre, Bernard Dance, Romain le sommelier et Hélène, la maîtresse des lieux, sont là pour m’accueillir. Une coupe de Champagne Moët & Chandon 2002 effacerait un décalage horaire si mon voyage en avait un. Comme ce n’est pas le cas, il montre surtout sa franchise et un épanouissement qu’il n’avait pas jusqu’alors. Ce champagne fait sens aujourd’hui, avec une richesse et une opulence que seul l’âge peut lui donner. Trois cuillers, de saumon, de foie gras et de concombre lui trouvent de belles vibrations.

Nous sommes trois dans la belle salle à manger, fleurie d’hortensias roses et bleus, Stanislas, Bernard Dance et moi. Le chef a conçu un menu qui ne doit pas préfigurer ce que nous ferons dans un mois, mais doit permettre de réfléchir. Le menu est : noix de Saint-Jacques à l’émulsion de pamplemousse / filet d’agneau en croûte de tapenade d’olive et petits légumes / plateau de fromages / éclair macaron ganache Tagada sauce menthe.

Le Champagne Moët & Chandon magnum 1985 a un nez spectaculairement beau. C’est une belle surprise. La bouche est belle, mais le nez de grande race domine. On sent du miel, des blés blonds dans ce vin. Bernard m’explique que l’émulsion de pamplemousse est dimensionnée pour un 2002. Il faudrait l’atténuer pour un 1985, mais je ne boude pas mon plaisir. Sur l’agneau, un Champagne Moët & Chandon rosé 1981 est très pertinent. Sa couleur est d’un rose intense, son nez est discret. En bouche le vin est très adapté au plat.

J’ai dans ma musette une arme de compétition. J’ai apporté une Côte Rôtie La Turque Guigal 1995. Ce vin légendaire est d’une richesse extrême, avec des évocations de fenouil et d’anis qui sont rafraîchissantes. Et l’on constate avec plaisir que le plat réagit aussi bien à la Côte Rôtie que j’ai trouvée plus discrète qu’elle ne pourrait qu’au champagne rosé délicat mais joyeux.

Sur des fromages très crémeux, la Turque et le rosé sont pertinents. La Turque dit au revoir lorsqu’arrive le dessert qui allume mille lanternes évocatrices de souvenirs d’enfance. La mâche du macaron est diabolique.

Pendant tout le repas, nous avons décliné les plats qui conviendraient aux vins du 150ème dîner. Le dialogue avec Bernard Dance est ouvert, fécond, car il comprend la prédominance des vins, et ne sent pas son art diminué par cette majeure. Nous avons bâti un repas de folie, qui va s’affiner dans les semaines à venir.

Nous passons au salon où le café se pousse avec un Cognac Paradis, antichambre d’une sieste bien méritée. Abnégation, je vous dis.

151ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 6 octobre 2011

Le diner de wine-dinners de ce soir devrait être le 150ème, mais ce numéro est déjà réservé pour un dîner qui se tiendra au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët & Chandon, qui avait accueilli naguère le 100ème dîner. Alors, nommons-le 151ème, avec cette vertu arithmétique d’une logique relativiste.

Un journaliste espagnol qui est spécialisé dans la gastronomie et le vin m’avait demandé de filmer ce repas qui se tient au restaurant Ledoyen. Nous sommes installés dans le grand salon « Cariatides II » du premier étage dont la terrasse est gardée par quatre cariatides imposantes qui regardent vers une fontaine dont le centre est occupé par une Vénus à la pose lascive et vers un kiosque à musique caché dans la perspective du jardin. Le pavillon Ledoyen est une bonbonnière nichée dans le cadre le plus beau de Paris, dans un petit bois reliant le Grand Palais à la place de la Concorde.

En attendant les journalistes, je range les douze bouteilles du dîner. Quand ils arrivent, j’officie, et malgré la diversités des situations des bouchons, aucun ne me pose de problème, même celui du vin de 1918 qui tombe en miettes. Je montre au journaliste un fait étonnant : à l’ouverture, le vin de 1918 senti au goulot n’est que de la terre, une terre forte et dense. Une minute plus tard, la terre est moins sensible et le vin, muet jusqu’alors, commence à parler. Deux minutes plus tard, l’odeur du vin chasse celle de la terre. Nous verrons comment se poursuivra cette évolution. Le Guiraud 1959 est intense, d’une richesse de fruit rare, et le Massandra 1936 est à se damner. Je mourrais pour de tels parfums marqués au citron vert et aux fruits capiteux. Tout semble se dessiner au mieux, même si le sûr n’est jamais sûr.

Pour encourager les journalistes, je demande à Géraud un bon champagne en demi-bouteille et il me suggère un Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas-François Billecart 1997. Quel bon champagne ! Je suis très agréablement surpris par la qualité, l’audace et l’allant de ce beau brut. Voilà un beau départ et une façon aimable d’attendre les convives.

Nous sommes onze, dont trois femmes, et les habitués des dîners sont huit, trois nouveaux venant tenter l’aventure de ces dîners. Après les traditionnelles recommandations, nous passons à table sans avoir trinqué debout, car le menu prévoit deux amuse-bouche dès le premier champagne.

Le menu créé par Christian Le Squer est ainsi rédigé : Foie gras passion – Sardines à cru, en amuse bouche / Pâté en croûte, fine gelée de cuisson / Bouquet du jardinier aux saveurs marines / Cèpes de châtaignier crus et cuits et marmelade d’aubergine / Sole de ligne étuvée aux senteurs des bois / Pièce d’agneau rôtie / Pigeon poudré de noix : jus de poire – cresson / Stilton / Ananas et mangues , givré de citron / Mignardises.

Le Champagne Dom Pérignon 1992 est une joyeuse surprise, avec sa couleur blonde comme des blés de printemps. Lorsque 1992 est inclus dans une dégustation verticale de Dom Pérignon, on constate qu’il est moins charpenté que les années brillantes. Mais là, seul en représentation, il est tout simplement charmant, joyeux, plein en bouche comme un grand Dom Pérignon. Je suis heureux qu’il se comporte aussi bien, l’âge lui ayant donné une maturité sereine.

Avec le Champagne Charles Heidsieck Royal 1969 nous entrons dans le monde des champagnes anciens. La bulle a presque disparu mais le pétillant est bien présent. La couleur est d’un abricot léger. Le goût de ce champagne est confondant, car il aligne les complexités. Et le pâté en croûte, le plat le plus goûteux du repas lui donne un coup de fouet de première grandeur. Ces champagnes anciens sont des régals.

A l’ouverture, le parfum du Corton Charlemagne Louis Affre vers 1959 était spectaculairement riche. Quelques heures plus tard, il n’a rien perdu de cette force. Il évoque les fruits jaunes, comme la belle couleur de sa robe. En bouche, c’est un beau vin riche, un peu simple mais extrêmement plaisant. J’imagine volontiers que le négociant qui a embouteillé ce vin n’imaginait jamais qu’il puisse devenir aussi voluptueux. La délicieuse gelée du plat de poisson cru est un régal avec le vin.

Nous allons maintenant goûter quatre bordeaux d’années que je chéris, par séries de deux sur les deux plats qui suivent. Le Château Calon Montagne Saint-Emilion 1961 surprend tout le monde par sa richesse, sa densité, et son accomplissement lié à son millésime légendaire. Il faut fait dire que les cèpes arrivent à exhausser le goût du vin comme un haut-parleur réglé sur le maximum. Les votes vont couronner cette divine surprise.

Le Château Pavie-Decesses Saint-Emilion 1945 est plus assis, plus construit, avec la densité d’un Saint-Emilion. C’est un vin rassurant qui n’a pas pris une seule ride et 1945 est une année accomplie. On aime les deux vins bus sur les cèpes et le Montagne Saint-Emilion ne souffre en aucun cas de la juxtaposition.

J’ai un amour particulier pour l’année 1955 aussi suis-je conquis par l’élégance du Château Pontet Saint-Emilion 1955. Il est romantique, délicat, féminin et je succombe à son charme.

Il fallait que le quatrième bordeaux change de rive et j’ai voulu mettre à ce dîner le Carruades de Château Lafite 1929 pour faire un petit clin d’œil. Dans la folie tarifaire qui a propulsé le Château Lafite-Rothschild au sommet des prix, le Carruades de Château Lafite a suivi dans son sillage à des prix que ne justifie pas sa valeur gustative. Alors, pour prouver que ce vin se boit aussi, j’ai voulu ouvrir le 1929 qui atteindrait des sommets en salle de vente. L’intitulé de l’étiquette est le suivant : « Grand Cru des Carruades / près Lafite-Rothschild / Pauillac (Médoc) / 1929 / G. Bonnefous propriétaire« . Il faut bien noter ce « près ». Le vin ne peut pas cacher son âge mais comme c’est un 1929, il a du répondant. Velouté, il est relativement peu structuré mais nous délivre un discours charmant. La sole aux senteurs de bois lui convient parfaitement. Encore une fois, la juxtaposition de deux vins d’âges différents ne nuit à aucun des deux.

Le Grand Chambertin Sosthène de Grésigny Jules Régnier 1918 fait partie des bouteilles que je chéris. Le bouchon noir s’était déchiré en mille morceaux. L’odeur première, de terre, aurait fait rejeter ce vin par un amateur peu averti. Maintenant, près de cinq heures après l’ouverture, l’odeur est claire, précise et sans défaut. Et en bouche ce vin récite tout le dictionnaire des arômes de Bourgogne, dont celui des pétales de rose qui sont si caractéristiques. Bien vivant même s’il ne triche pas sur son âge, il est doucereux, joyeux et follement bourguignon. Ce sont des récompenses, car j’ai fait confiance à ce vin. L’agneau très simple est délicieux et lui va bien.

Par caprice, j’ai voulu mettre maintenant deux vins de quatre-vingts ans plus jeunes, qui plus est, de deux régions distinctes, sur le pigeon goûteux. Et là encore cela fonctionne, comme on dit en langage managérial, sans qu’aucun vin n’en souffre. Il faut dire que les deux 1998 sont des aristocrates polis.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998 est dans un état de jeunesse enthousiasmant. On sait mon amour pour les vins du Domaine et en particulier pour la Romanée Saint-Vivant, romantique et délicate, ciselée, précise et charmante. J’adore le sel et la rose, même s’ils ne sont qu’en filigrane, tant le fruit est prégnant. C’est un très grand vin qui cohabite à la perfection avec son conscrit plus au sud, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1998, monument de fraîcheur, de rectitude et de jouissance. Le pigeon est fait pour ces deux vins charnus et joyeux, qui n’écrasent en rien les aînés qui les ont précédés.

Le Château Guiraud Sauternes 1959 m’avait surpris par la force de son parfum. Il l’a toujours. Dans les mangues mais plus encore sur les agrumes, il est dans une plénitude absolue. C’est un sauternes équilibré, solide et convaincant. Un grand Guiraud, même si mon cœur va plutôt vers ceux qui ont cinquante ans de plus. Le Stilton est exactement ce qu’il fallait pour mettre en valeur les agrumes du vin.

Le Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936 m’avait tétanisé par son parfum à l’ouverture. Il y avait du citron vert avec du poivre sur un fond de fruits confits. Et là, la magie opère, car la complexité est infinie. Il est doucereux comme une liqueur, fringant comme un porto, et par certains côtés, son poivré m’évoque mes chouchous, mes vins de Chypre de 1845. Alors, on comprendra que mon vote ait penché de ce côté-là.

Drame dans la vie d’un homme, j’ai perdu la feuille sur laquelle j’ai consigné les votes des onze convives. Grâce à leur aide du lendemain, j’ai pu reconstituer la majeure partie des votes, mais ce n’est pas pareil. Sur douze vins, dix figurent sur au moins l’une des feuilles de vote, ce qui évidemment plaisant.

Six vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers, ce qui aussi excite ma fierté car six vins préférés par au moins l’un des convives est une preuve de qualité. Mais cela montre aussi la diversité des goûts, ce qui me ravit.

L’ordre des votes montre que mes convives ne se sont pas laissé éblouir par les vins dits d’étiquette.

Le vote du consensus est : 1 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918, 2 – Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936, 3 – Château Calon Montagne Saint Emilion 1961, 4 – Château Guiraud Sauternes 1959, 5 – Château Pavie-Decesses Saint Emilion 1945.

Mon vote est : 1 – Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936, 2 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918, 3 – Château Pontet Saint Emilion 1955, 4 – Château Guiraud Sauternes 1959.

Les journalistes qui ont filmé le dîner n’ont en aucun cas bridé nos discussions enjouées, riantes, amicales. Christian Le Squer a fait une cuisine absolument idéale pour ce repas. Les plats qui ont mis en valeur les vins de la façon la plus spectaculaire sont le pâté en croûte et les cèpes. Tous les autres plats ont été d’une justesse remarquée. Le service fut parfait. Grâce aux rires et la bonne humeur de tous, mais aussi grâce aux vins, ce fut un grand repas. Cent-cinquantième ou non, il prend date dans l’histoire des dîners de wine-dinners.