le 305ème dîner au restaurant Astrancevendredi, 5 décembre 2025

Le 305ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Astrance avec le chef Pascal Barbot. Nous sommes douze et c’est certainement l’un des plus cosmopolites de mes dîners : il y a deux hongrois que j’avais rencontrés au récent dîner au restaurant Comme chez Soi à Bruxelles, deux espagnols dont un vigneron, un hollandais lui aussi vigneron en Champagne, un français vivant à Mexico venu avec ses deux enfants et trois habitués. La moitié de la table est composée de nouveaux participants à mes dîners.

J’arrive très en avance au restaurant car je recevrai vers 16h les deux convives espagnols qui souhaitent me faire goûter des vins de leur vignoble. Lorsque je dis bonjour à Pascal Barbot il est tout joyeux car il a pu récupérer un Brane-Cantenac ancien qui servira de sauce au rouget pour créer un bel accord avec le Pétrus 1976 et le Brane-Cantenac 1978.

En attendant mes amis espagnols, j’ouvre les bouteilles. Le sommelier Lucas Hubert m’apporte les bouteilles qu’il avait mises debout hier soir et la couleur du La Tâche 1966 paraît celle d’un vin clairet. Est-ce que le vin serait dépigmenté ? Je ne vois pas de dépôt. Cette couleur reste une énigme.

Comme toujours il y a des vins dont les bouchons viennent en morceaux déchirés, ce qui est généralement causé par des goulots qui ne sont pas cylindriques et dont le pincement empêche la remontée. Ce sera le cas pour le bouchon du Carbonnieux Blanc 1947 et surtout pour le vin de Chypre 1870.

Luis et Emmanuel sont venus avec trois bouteilles de vins, un Alto Alberche 2023 du Domaine Dexaïe de la Sierra de Gredos et deux grands vins La Camilleja Domaine Dexaïe 2021 et 2023. Ces vins de la Sierra de Gredos sont élevés à une altitude de 1200 mètres. Le vin est à base de grenache avec des vignes parfois centenaires. Si l’Alto Alberche 2023 est assez simple mais plaisant, les deux La Camilleja sont vraiment grands et riches, d’une belle noblesse. Ce vin jouit d’une belle renommée et je suis content d’avoir goûté ces deux millésimes.

Pour remercier mes amis j’avais apporté un Champagne Canard Duchêne 1973 dont il restait une bouteille non ouverte des trois que j’avais apportés à l’académie des vins anciens. Ce champagne est rond et charmant, goûteux et porteur de plaisir.

Le dîner composé par Pascal Barbot pour mes vins est ainsi rédigé : gougères au comté, tuiles gribiche aux radis, jambon Pata Negra / quelques coquillages, crus et cuisinés/ riz Koshihikari, jus marinière / saint-jacques, huitre tiède et beurre de Kombu / rouget vapeur et beurre rouge / râble de lièvre grillé, fondue d’oignon / compote de lièvre selon la recette du sénateur Couteau / Champignons à la braise et fondue au comté / stilton au naturel / mangues / financier à la rose.

Les convives arrivent et nous commençons par un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 60 ou 70. Il est d’une belle maturité et noble, mais c’est surtout la rondeur et la douceur qui le rendent très plaisant. Avec le jambon espagnol, l’accord est gourmand.

Dès la première gorgée du Champagne Salon 1982 on sait qu’on se trouve en présence d’un champagne immense. On côtoie la perfection du champagne. Quelle noblesse ! quelle grandeur ! Avec l’huître le champagne est excité. Il est vif. Avec un clam garni d’une sauce acide il est aussi excité. Nous nageons dans le bonheur.

Normalement le Salon 1982 aurait dû accompagner le riz divin qui est une réussite de Pascal Barbot, mais nous avons été gourmands et le riz accompagne le Château Carbonnieux Graves Blanc 1947 dont on pourrait penser que le nez est bouchonné mais ce n’est pas le cas. Ce parfum gêne un peu pour apprécier au mieux le très intéressant fluide et plaisant Graves de 1947.

Au contraire, le Bâtard-Montrachet Antonin Rodet 1989 est riche et généreux. Je crois n’avoir jamais goûté des coquilles Saint-Jacques aussi succulentes et délicates que celles préparées par Pascal Barbot ce soir. La texture est divine et m’émeut et le solide Bâtard a mis en valeur le plats montrant une richesse porteuse de bonheur.

Le rouget est lui aussi traité de façon magistrale avec une sauce au vin de Brane-Cantenac. Le Château Brane-Cantenac Pauillac 1978 est un vin accompli, très dense, mais il est un peu effacé par la complexité et la richesse raffinée du Pétrus Pomerol 1976. Quel grand vin au goût truffé mis en valeur par ce poisson qui est mon ‘caprice’ : chaque fois que je mets dans un dîner un Pétrus, j’aime qu’il soit accompagné par un rouget et une sauce au vin rouge. Nous en avons la preuve.

Dans le menu il était prévu que les deux bourgognes soient servis ensemble, mais je préfère que le Musigny Vieilles Vignes Domaine Georges de Vogüé 1985 soit seul pour accompagner le râble de lièvre. Ce vin racé et glorieux est d’une jeunesse rare. On est en présence d’un très grand bourgogne long, riche et subtil. Il laisse une trace en bouche très convaincante. Le caractère très gibier du lièvre le met en valeur.

La compote de lièvre est servie pour La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1966 qui a perdu complètement la couleur clairette du moment de l’ouverture. Le vin a une belle robe foncée et son parfum est celui d’un vin riche et puissant. Ce 1966 est d’une personnalité parfaite et nous sommes tous sous le charme  de ce vin. Quel bonheur !

A côté de lui sur le même plat il y a le Châteauneuf du Pape Réserve des Chartes Léopold Ranc 1947. S’il était seul, on se régalerait de son équilibre incroyable et de son charme. Mais contrairement à Joséphine Baker, nous ne pouvons pas avoir deux amours sur ce plat.

J’avais demandé à Pascal Barbot de ne pas prévoir de comté qui est trop souvent choisi pour se marier à un vin jaune du Jura. Son plat avec des champignons accompagne fort heureusement un Château Chalon Joseph Tissot 1947 relativement peu puissant mais agréable et très accessible.

Nous allons maintenant boire trois vins qui s’ils étaient notés à l’école, auraient des 20 sur 20 ou s’ils étaient notés par des experts en vins, auraient des 100 sur 100.

Le Château de Fargues Lur-Saluces 1989 est le sauternes idéal et parfait de cette période, d’un accomplissement total pour son âge. Alexandre de Lur Saluces était très fier de ce Fargues 1989 que j’ai bu plusieurs fois avec lui.

Le Château Guiraud Sauternes 1893 est doté d’un bouchon d’origine. L’année se lit clairement sur le bouchon, ce qui n’est pas fréquent et la capsule porte le nom Guiraud qui est très lisible. La bouteille n’a aucune étiquette et une forte épaisseur de poussière noire a été enlevée lorsque je devais ouvrir le vin, pour que Lucas n’ait pas les mains noires au moment du service de ce vin.

Pour situer ce 1893, il se trouve que j’ai eu la chance de boire 106 millésimes d’Yquem et que je considère Yquem 1893, bu plusieurs fois, comme l’Yquem archétypal. Il résume et synthétise tout ce qu’Yquem peut offrir. Je trouve en ce Guiraud 1893 une perfection particulière. Ce vin offre de la richesse et de la grâce, avec une finesse infinie. Il est doux mais vif. C’est la perfection du sauternes multiforme.

A l’ouverture, le Vin de Chypre 1870 était celui qui avait le parfum le plus complexe qui soit. Je l’ai fait sentir à Emmanuel, le vigneron espagnol pour qu’il sente un parfum absolument complexe, mêlant l’acidité et la douceur. Je suis naturellement amoureux de ces vins doux si puissants.

L’atmosphère à notre table a été d’une gaieté particulière. Les plaisanteries et les rires fusaient mais face au vin, nous étions sérieux.

Il y a tellement de grands vins que nous avons des votes très différents. Tous les vins du repas ont eu au moins un vote, ce qui est remarquable puisque nous avons bu treize vins.

Cinq vins ont été nommés premiers. Le Salon 1982 et La Tâche 1966 ont eu chacun quatre votes de premier. Le vin de Chypre 1870 a eu deux votes de premier. Le Bâtard-Montrachet 1989 et le Guiraud 1893 ont eu un vote de premier et ce qui est paradoxal, c’est que le Guiraud, malgré un seul vote de premier finit premier devant ceux qui ont eu quatre votes de premier, car il a eu six votes de second.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Château Guiraud Sauternes 1893, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1966, 3 – Champagne Salon 1982, 4 – Vin de Chypre 1870, 5 – Bâtard-Montrachet Antonin Rodet 1989, 6 – Musigny Vieilles Vignes Domaine Georges de Vogüé 1985.

Mon classement est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1966, 2 – Château Guiraud Sauternes 1893, 3 – Champagne Salon 1982, 4 – Vin de Chypre 1870, 5 – Bâtard-Montrachet Antonin Rodet 1989, 6 – Château de Fargues Lur-Saluces 1989.

Pascal Barbot est venu souvent nous commenter les plats. Il a atteint ce soir une qualité et une subtilité qui me font penser qu’il est du niveau d’un chef trois étoiles. Les cuissons des saint-jacques, du riz, du rouget sont au sommet de ce que j’ai pu goûter dans mes expériences culinaires. Il vit ces instants gastronomiques avec passion.

Tout ce soir, par le côté cosmopolite de la table, sa bonne humeur, la cuisine et des vins hors normes, fait que ce 305ème dîner est l’un des plus passionnants que j’ai créés.