Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner au restaurant d’Alain Ducasse dimanche, 20 janvier 2002

Un dîner chez Ducasse ou au Ducasse. L’entrée d’un grand hôtel, une salle moderne dans un cadre antique. Le luxe, mais un peu strict sous l’aspect avant-gardiste. Des attentions luxueusement raffinées. C’est comme si on devenait tout d’un coup le gagnant du concours « Reine d’un jour », car tout est fait pour qu’on se sente dans un paradis. Ce ne fut pas le même émerveillement pour la cuisine que lors d’une précédente expérience, car la technique brillante a pris le risque du dépouillement très subtil voire du dépaysement. Mais c’est de loin l’endroit où l’attention au client est la plus raffinée. Bien sûr, on atteint des horizons inconnus en termes de prix, même pour la carte de vins remarquablement intelligente. Mais on est sous le charme d’un compromis absolument exceptionnel. Le dessert est un des plus grands de ma vie. Le petit Branaire Ducru 1997 que j’ai pris sur un chevreuil était parfaitement dans son rôle. Mais je retiens surtout le service quasi irréel des infusions et la Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979, l’un des plus beaux nez d’alcool de tout ce que j’ai déjà senti. Les caramels sont le plus doux des péchés.

Dîner de partage entre amis vendredi, 18 janvier 2002

Expérience de partage de vins comme je les aime, entre professionnels et amateurs dans un restaurant modeste où chacun apporte des vins à découvrir. C’est un des esprits de wine-dinners. Un Dom Pérignon 1970 assez agréable nous a étonnés par ses limites : court, peu opulent en bouche. Un Riesling Randersackerer Pfülben Spätlese Würzburg 1983 : expérience extrêmement intéressante, car les Riesling allemands ont plus de rondeur et de profondeur que les alsaciens (sauf exception). Nez de pétrole comme d’habitude, et bel équilibre intense en bouche.
Beaune Clos des Mouches Joseph Drouhin 1971 : puanteur qui disparaît très vite. Beau blanc un peu fatigué, mais de belle race. Meursault Louis Chevalier 1953 (eh oui, encore un) : nez absolument fantastique, à respirer pendant des heures dans un verre Spiegelau fait exprès. Magnifique longueur. Très beau. Clos Saint Jacques Gevrey Chambertin Clair Daü 1955 : vin très plaisant d’un grand producteur. Bien présent, mais un peu fatigué. Vosne Romanée du château de Vosne Romanée 1919 : odeur caractéristique du vin qui ne reviendra pas : simplement mort.
Puis vint la star du soir : dans une bouteille soufflée à la main du 19ème siècle, ce que nous avons estimé être un Chambertin 1919. Fantastique vin de Bourgogne, caractéristique de cette période, avec ces côtés veloutés, chaleureux, et cette longueur si exceptionnelle. Une vraie merveille. Un Barca Velha Ferreirinha Portugal 1985. Annoncé par son auteur comme une merveille portugaise, nous avons trouvé un vin certes fort agréable, mais sans véritable transcendance. Un vin de paille Côtes de Jura de Hubert Clavelin 1994. Magnifique expression aromatique, dans des directions d’agrumes. Un merveilleux vin de paille d’Hermitage de Michel Chapoutier 1990. Je ne savais pas en apportant le jurassien qu’il y aurait aussi un vin de paille du Rhône. Ce qui est intéressant, c’est que les deux se complètent. Le Chapoutier est rare, solide, envoûtant et plus profond là où le Clavelin (famille du nom de la bouteille de Château Chalon) est plus léger et aérien.
Un Lafaurie Peyraguey 1961 époustouflant, car je voulais une revanche sur le dernier ouvert de cette année, bouchonné à l’ouverture. Une force tranquille et une plénitude qui relègue les vins de paille à distance. Un Climens 1959 léger discret et citronné que des convives ont critiqué, mais que j’ai apprécié, à l’ombre du Lafaurie si gigantesque.
Un magnifique dîner, fruit de l’imagination des apports de chaque convive. Un classement assez unanime sur : 1 – Chambertin 1919, 2 – Lafaurie 1961 et 3 ex aequo le Meursault 1953 et le vin de paille de Chapoutier 1990.

Dîner chez Ghislaine Arabian dimanche, 13 janvier 2002

Un dîner chez Ghislaine Arabian. L’étoile du Nord descendue à Paris chez Ledoyen, ce temple de la bonne cuisine du temps des nappes en dentelle et des couverts en vermeil, passé par un purgatoire trop long. G. A. redémarre dans un site petit mais agréablement décoré, avec un service impeccable et un sommelier de talent, avec une carte des vins fort ingénieuse. Une cuisine qui a de l’ambition et de l’originalité et promet, avec encore un peu de travail d’atteindre de très hauts niveaux. Essai d’un Pouilly Fuissé 1999 Grand Beauregard, hommage à Joseph Burrier. Ce vin titre 13°5. Une de ces découvertes de sommelier, au départ un peu troublante par l’agressivité du fruit. On sent un coté très « tendance ». Mais rapidement, on voit toute la beauté du travail, et le vin révèle des qualités et un plaisir rare. L’odeur merveilleuse de ce vin restait encore dans le verre vide quelques heures après, ce qui est signe de noblesse. Le sommelier nous a fait goûter un verre de Château Potelle un Zinfandel de la Napa Valley de 1998 qui titre aussi 13°5. Du bois, du bois, du bois. Ce goût international qui fait tache d’huile. Puis, un véritable monument : Lynch Bages 1989, qui est considéré à juste titre comme l’une des réussites absolues de ce château. L’équilibre et la plénitude m’ont immédiatement fait penser à 1928. Il y a des vins de 1928 qui ont atteint une rondeur chaleureuse qui se retrouve en ce vin, ce qui est un compliment pour lui.

D’autres Meursaults dimanche, 6 janvier 2002

Après les fêtes, pour vérifier le voyage en Meursault, deux Meursault de Coche Dury : le Meursault les Rougeots Coche Dury 1997 et le Meursault Coche Dury 1998. Le fait d’avoir bu des jeunes et des vieux en si peu de temps confirme l’intérêt de la démarche de wine-dinners : Coche Dury fait des vins splendides, et ses jeunes vins expriment l’authenticité du Meursault. Mais des vins plus anciens font apparaître des palettes de goûts complémentaires si riches et si profonds que l’on doit explorer cette autre facette du vin, qui n’est pas en compétition, mais en addition de saveurs à découvrir.

Dîner de réveillon lundi, 31 décembre 2001

Arrive enfin le réveillon du 31, où le parti pris fut aussi, entre amis, de faire des expériences plus risquées que d’habitude, tout en recherchant quelques plaisirs rares. Magnum de Dom Pérignon 1992. La sensualité de cette bouteille est un facteur de séduction certain auprès des femmes. Très agréable champagne, bien solide, mais sans folie. Ensuite trois Meursault : un Meursault 1953 de Louis Chevalier (encore une fois), vraiment très agréable, un Meursault 1942 de Patriarche : mort et un Meursault Goutte d’Or des petits fils d’Henri de L’Euthe 1945 : une pure merveille. De ces vins qui font frémir tant on atteint la perfection gustative. Il y avait tout dans ce Meursault. Sans doute l’un des plus grands Meursault que j’aie bus. Le Richebourg de Charles Noëllat de 1929 que j’avais ouvert quelques heures plus tôt m’avait fait peur. Il n’est jamais revenu à la vie. Bien que mort, il n’a jamais été imbuvable, ni immédiatement ni quelques jours plus tard, conservé en carafe pour voir comment il évoluerait. Faisant partie d’un achat décevant, je savais le risque pris. En revanche La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 fait partie de ces bouteilles qui marquent une vie. C’était un clin d’œil au réveillon d’un an auparavant où j’avais ouvert Richebourg DRC 1943. Grandissimes bouteilles. Le Richebourg était plus grand encore que La Tâche, qui est malgré tout à un niveau stratosphérique dans la hiérarchie des Bourgognes. Un magnifique Coteaux du Layon 1936 a ravi tous les palais. Ces vins sont si beaux quand ils ont de l’âge. Beaux arômes, belles palettes de saveurs subtilement douces. Magnifique vin qui préparait l’arrivée d’un Suduiraut 1928 grandiose mais supportait bien la comparaison dans la différence. Ce Sauternes d’une couleur si belle, tout de subtilité, légèrement moins bon que celui du dîner de juillet, mais splendidement grand quand même. Une vieille quetsche du début de siècle a clôturé ce voyage dans de nombreuses années de rêve : 53 / 45 / 43 / 42 / 36 / 29 / 28.

Dîner de Noël lundi, 24 décembre 2001

Pour Noël, en famille, des essais de vins de toutes provenances et valeurs, essais plus faciles en famille que dans un dîner officiel. Bollinger grande année 1990, juste pour se remémorer que 90 est vraiment grand. Montrachet Grand Cru Guichart Potheret 1988 en magnum. Belle structure et épanouissement d’un Montrachet, grand vin juteux et savoureux. Chassagne Montrachet les Embrazées premier cru Bernard Morey et fils 1991. Juste pour vérifier qu’un Montrachet est plus grand. Coustolle Canon Fronsac 1982. Là aussi pour vérifier qu’un de mes maîtres, qui vénère ce vin a bien raison, tant ce vin est bien fait, Black Noble de Bortoli, vin australien botrytisé de 17°5. En fait trop puissant pour le boire dans un repas. Lafaurie Peyraguey 1961 en demie bouteille affreusement bouchonnée. Grande tristesse tant j’avais déjà aimé ce vin. Quelques vins ont été finis le lendemain midi, auxquels j’ai ajouté Besserat de Bellefon rosé 1966, splendide champagne déjà madérisé, mais si agréable quand on aime cela (les grands champagnes madérisés sont un type de vin en soi). Château Chalon Désiré Petit 1992 (médaille d’or). Splendide. Rivesaltes ambré 1994 Cazes à comparer au Plénitude de Mas Amiel, grenache de 1998 : deux intéressantes expressions gustatives, débordantes de saveurs variées de soleil. A noter que le Lafaurie Peyraguey 61 rebu le lendemain avait quasiment perdu tout son goût de bouchon et m’a rappelé toute sa valeur. Entre les fêtes un Mouton-Rothschild 1993, si difficile à classer, car c’est un solide guerrier que n’aide ni l’année ni son jeune âge.

Dîner d’amis, façon wine-dinners dimanche, 23 décembre 2001

Et puis un dîner de type wine-dinners où l’on commence par Bollinger grande année 1992, qui s’exprime plus avec un peu de chaleur, grand sans atteindre le 90. Un Beaune du Château de Bouchard vers 1960. Ce vin blanc n’est pas millésimé. Je suis un amoureux de ce blanc dont j’ai bu le 28 et des bouteilles des années 50 avec tant d’émotion. Un Rivesaltes Cuvée Aimé Cazes 1976. Ce vin est tellement agréable ! Bien sûr, je suis un inconditionnel de ces vins si beaux, mais quand même, quelle race. Prévu sur un gâteau au chocolat, je n’ai pas trouvé qu’il s’éclatait. J’ai demandé un dessert aux agrumes. Et là, quelle merveille : une grenade dégoupillée de saveurs infinies.

Quelques bouteilles bues en diverses occasions dimanche, 23 décembre 2001

Voici quelques bouteilles bues en diverses occasions, qui jalonnent un parcours de recherche dans beaucoup de directions différentes. Mission Haut-Brion 1979. Année variable mais grand vin. Très grande complexité : de ces vins difficiles à comprendre, mais qui révèlent d’énormes potentialités. Une dégustation de nombreux vins du millésime 1999. Parmi quelque 15 ou 16 vins bus, La Conseillante 1999 est apparu immensément prometteur, et Phélan Ségur 1999 fut une très belle surprise. La Lagune 1995 ne s’exprime pas encore, Pichon Longueville 1990 est déjà un beau vin puissant de grande réussite mais prometteur encore, Cos d’Estournel 1986 est splendide, un de ces vins à boire sans s’arrêter, envahissant de personnalité. Rayne Vigneau 1996 : impossible de l’apprécier quand on a adoré le 1949 : ce n’est pas le même « produit ». Ces vins, les 99 et ceux qui précèdent furent proposés dans une grande dégustation avec dîner. Un Meursault Louis Chevalier 1953 amusant, car il devrait être madérisé mais ne l’est pas. Un Vosne-Romanée les Rouges de Dominique Laurent 1997 : très fruité, agréable mais pas de réelle vibration. Un Jurançon Château Jolys 1989. Quelle splendeur. Doux, mais délicat, avec de belles suavités dans les registres citronnés. Un beau vin pour les foies gras ou les desserts. Dans un somptueux déjeuner impromptu chez Guy Savoy, les pistes du sommelier : un Chateauneuf du Pape blanc château de Vaudieu 1999. Brillant et intense : c’est comme cela que j’aime les découvertes de sommelier. Un Nuits Saint Georges premier cru des Forets Saint Georges domaine de l’Arlot-Prémeaux 1988. Le nom est plus long que la caudalie. Agréable et honnête. Un Château Chalon de Philippe Butin 1992. Je suis un aficionado de ce vin qui m’enchante par son goût en permanence décalé de noix jeune et amère.

Des bouteilles deci-delà jeudi, 6 décembre 2001

En dehors des dîners de wine-dinners, je bois quelques vins au hasard de suggestions ou d’envies. Un fournisseur de mon « métier de base » a ouvert un Meursault 1994 de Olivier Leflaive, fort agréable et un Gloria 1983 vraiment aimable, car à parfaite maturité, sans trop en faire. Le sommelier de chez Laurent m’a fait découvrir un Coteaux du Languedoc Prieuré de Saint-Jean de Bébian 1991 qui est absolument remarquable : de l’encre, du tannin, de la force. Belle preuve que beaucoup de travail se fait là.
J’ai ouvert deux vins qui peuvent expliquer l’hésitation que certains amateurs ont pour les Bourgognes entre deux ages : un Nuits-Saint-Georges 1er Cru La Richemone de A. Pernin-Rossin 1982 était franchement désagréable. Et un Griotte Chambertin 1976 de chez Joseph Drouhin avait de belles qualités, mais n’exprimait pas vraiment grand chose. Toute cette période, disons de 1968 à 1982 est en pleine mutation (non pas chimique mais historique) : le vin vit la fin de sa période de maturité, sans avoir vraiment développé ses qualités de vieillesse. Alors, selon les bouteilles, on aura des chances de trouver un vin encore bon, ou pas encore « séniorisé ». Un tel risque existe beaucoup moins avec les vins des années 30 à 50, qui ont déjà reçu la grâce du temps, sans parler des Bourgognes des années 10 et 20 qui sont de pures merveilles, quand ils ont eu la chance ou la qualité de savoir traverser le temps. Et il y en a plus que ce que l’on croit. Ce qui justifie wine-dinners.
Un Chablis 1er cru les Vaucopins du domaine Long-Dépaquit 1988 est toujours un vrai plaisir gustatif, et un Noble One d’Australie, vin botrytisé de 1996 m’a nettement moins emballé que lors de précédentes occasions : trop de sucre et pas assez de subtilité. L’atmosphère ? La présentation ? Tant de choses influent sur le jugement que l’on porte sur un vin : une grande dose d’humilité s’impose.
Pour finir, deux moments d’association mets et vins qui m’ont enchanté : au Cinq, sur les conseils d’Eric Beaumard, sur une grouse, un Hermitage de chez Chave 1998 : l’association est évidente, mais c’est parfois agréable de le vérifier. Et le plus magnifique fut sur un pied de porc chez Laurent, un Château Chalon de chez Jean Macle 1981. Ce Château Chalon est plus doucereux et moins marqué par l’astringence de noix habituelle. L’association fut grandiose. Si ce vin n’avait été le dernier de leur carte dans cette année, je vous aurais recommandé d’y courir. A propos du Cinq, le fruit du hasard : à la table voisine, on « testait » des Dom Ruinart en magnums. Par la magie des proximités, j’ai pu goûter Dom Ruinart 1990 et 1995. De petites merveilles en bulles. Mon Dieu que c’est bon.
Il y a eu en cette fin d’année une recrudescence de ventes de vins aux enchères. Cela frise l’excitation. Cela montre aussi que des vins vieux existent en quantité importante. Ce serait bien que wine-dinners, même s’il n’est pas le seul, fasse des émules, pour que ces trésors soient bus quand ils sont bons, plutôt que de passer de cave en cave, prenant seulement de l’âge, quelques secousses, et un peu de valeur. Ce n’est évidemment pas par wine-dinners seulement que ces vins trouveront l’avenir qu’ils doivent avoir : être bus avec la meilleure cuisine. Au moins, nous y participons.

Dîner d’amis au restaurant Maxence jeudi, 15 novembre 2001

Ce bulletin est le dix-huitième. Il raconte un type spécifique de dîners, celui où des habitués des vins anciens se retrouvent avec plaisir, sous la houlette de Jean Luc Barré, mon maître ès vins anciens, et par ailleurs ami. Dans ces dîners, on peut se risquer à des bouteilles plus hasardeuses qui côtoient des merveilles. Une fois de plus, ce fut chez David van Laer, au Maxence, où la créativité se marie à la qualité, avec aussi une solide amitié pour nos goûts de folie. Le thème retenu par Jean Luc Barré était : les années jumelles, sauf pour une seule bouteille, la splendeur de la soirée. Les plats : après des gougères, une crème de topinambour, des Saint-Jacques au four et tagliatelles de fenouil, un rouget rôti au jus de viande réduit et cannelloni de légumes, un duo de biche rôti et compote de chou rouge, un chausson de viande sauce Porto, une sélection de fromages Quatrehomme, une gelée d’agrumes, tarte aux fruits secs et mendiant. J’ai personnellement fondu d’extase sur la gelée d’agrumes, après avoir succombé à la qualité du rouget. On commença par un Crémant de Cramant Pierre Gimonod 1929 : une curiosité. Pas de bulles, juste du vin. L’intérêt est de voir que le vin existe toujours, même si la part de champagne a disparu. Comme toujours, profondeur et longueur. Une belle curiosité. Le résiduel vineux de vins de champagnes très anciens est un très bon début pour de grands repas. Un Grand Anjou 1929 suivait la même approche. Très doux, très long en bouche, très rare. On n’est plus sur le vin originel, mais on a une belle saveur, assez sucrée et doucereuse, mais avec un très joli parcours en bouche, tout de discrétion intime. Le Pavillon Blanc de Château Margaux 1959 qui suivit fut critiqué par beaucoup, par un excès en tout : un nez imprégnant, et des saveurs d’agrume fortement épicées. Comme Jean Luc, je l’ai beaucoup aimé pour ce qu’il est, car les Bordeaux blancs ne s’approchent pas comme d’autres blancs : il faut savoir décrypter ces saveurs et ces parfums si complexes. Son successeur immédiat promettait évidemment d’être plus accessible, car les mono cépages se lisent beaucoup mieux. Le Meursault Charmes Lagrive 1959 est un vrai et pur Bourgogne. Une belle couleur dorée, un goût caractéristique de Meursault. C’est le vin qui rassure. A ce stade de la dégustation, les amateurs de vins modernes auraient peu compris les trois premiers, non pas parce qu’ils ne savent pas, mais parce que les goûts de ces vins sont très différents des goûts d’origine. Tous, au contraire, auraient adoré le Meursault. Les vins rouges allaient démarrer en fanfare. Château Cantemerle 1918. Belle robe, couleur intense, nez profond, et goût velouté, où tout se fond harmonieusement. Intéressant, mais dès que l’on aborde le Château Haut Bailly 1918, on entre dans une autre dimension. Un vin qui est la justification de toute la démarche que nous construisons sur les vins anciens. Qu’est-ce qui fait qu’un vin peut se présenter en étant aussi confondant de perfection ? Dans le bulletin 17 où nous avons recensé les vins bus sur près d’un an, le Haut Bailly 1900 est apparu comme l’un des dix premiers. Il semblerait que les Haut Bailly anciens ont une qualité rare. Comme à Vinexpo le Haut Bailly 2000 s’est montré riche de belles promesses, ce vin révèle de belles qualités tout au long de son histoire. Après deux vins de 1918, deux vins de 1933. Vieux Château Certan 1933 est un très joli vin. J’ai eu du mal à reconnaître Pomerol, contrairement au Nénin. Meilleur que beaucoup de 1933, il porte un peu les effets de l’âge, mais comme un élégant vieillard. Beaucoup de convives ont préféré le Vieux Château Certan au Château Nénin 1933. Ce ne fut pas mon cas. J’ai préféré son authenticité de Pomerol. Un vin qui changeait sans cesse, énigmatique. A mon sens nettement meilleur que de plus jeunes Nénin, même si le 1971, pour ne citer que lui, est un si beau vin. Alors que chaque année se présentait sous deux aspects très proches, le seigneur qui suivait se devait de montrer sa majesté sans partager son pouvoir. Le Palmer 1928 que nous avons bu est une des plus belles émotions que notre groupe d’amis a eues avec un Bordeaux. Contrairement à Haut Bailly, Palmer n’est pas toujours à la hauteur de ce que l’on attend. Il a été tellement porté au niveau des plus grands qu’on en attend souvent trop. Mais là, il mérite pleinement qu’on lui décerne cette proximité de niveau. Palmer 1928 est un vin parfait, avec tout ce que cela comporte : un nez puissant et équilibré, une belle attaque en bouche soyeuse, des arômes larges, et une longueur bien affirmée dans toutes les composantes du vin. Une belle émotion qu’un Robert Parker noterait 99 ou 100. C’est le vin que l’on ne cesse pas de sentir, et que l’on pourrait goûter comme perdu dans ses rêves. Les vins suivants allaient faire redescendre sur terre. Le Château La Rose Anseillan 1937 a sur son étiquette : «contigu de Lafite » pour bien montrer qu’il jouxte, au moins géographiquement, ce vin de légende. Un vin plaisant, mais qui n’a pas beaucoup de choses à dire. Le Carbonnieux rouge 1937 qui a suivi fut la seule vraie déception du dîner. Il était mort. Et nous nous retrouvions tout chose, tous orphelins, nous qui avions adoré Carbonnieux 28 qui est une des plus belles réussites de 1928. Bien sûr cela arrive, et s’accepte beaucoup mieux dans de tels dîners. Cela montre aussi que l’année 1937 n’est pas une des plus sures. Elle est plus risquée que d’autres. En entrant en Bourgogne et en l’abordant par 1928, on avait beaucoup plus de certitudes. Le Volnay Faiveley 1928 est un vin de belle jeunesse. En buvant ce vin chaleureux nous nous faisions la remarque que tout ce que nous ouvrons de deux années magiques, 1928 et 1929 est marqué par la jeunesse et la plénitude. Ceci se confirma aussi pour le successeur de ce beau Volnay un Gevrey-Chambertin « Clos Saint-Jacques » 1928. Charmant, rond goûteux, le beau Bourgogne sans problème, de pur plaisir. Le Château Saint Amand Sauternes 1921 se comporte comme tous les Sauternes des années 20 : les classifications tombent, et les châteaux égalisent leurs performances. Ce Sauternes d’une année magique (pensez au Yquem 1921) a des parfums que l’on peut sentir pendant des heures. C’est quasi religieux. Et on le boit avec plaisir, sa finesse donnant un sucre subtil. Un plaisir assuré. On attendait du Château de Ricaud Loupiac 1921 de surclasser le Saint Amand. Non pas qu’un Sauternes puisse se faire « battre » par un Loupiac, mais celui-ci est grand. Force est de reconnaître que le Saint Amand fut tellement brillant que le Loupiac, même grand, n’a pas porté tant d’émotion. Une chose est sure cependant : tout ce qui est liquoreux des années 20 est un moment de rêve. Nous avons fini sur une liqueur d’abricot des années trente. Il faut comprendre ces dîners entre habitués des grands vins. Le fait de trouver tant de mérite avec le Palmer 1928 géant, le Haut Bailly 1918 si accompli, et le Nénin 1933 suffit à donner à ce dîner le plus haut niveau de qualité. Ensuite, le reste est de l’exploration, où chacun retrouve, confirme ou améliore ses repères. Et le Meursault, le Gevrey et le Sauternes rappellent qu’il existe encore de belles bouteilles à ouvrir, même sans avoir besoin d’appeler les Pétrus, Romanée Conti ou Yquem. L’ordre de plaisir de beaucoup de convives a été Palmer 1928, Haut Bailly 1918, Saint Amand 1921, Ricaud Loupiac 1921 et Nénin 1933. Ce fut aussi le mien. Une fois de plus Jean Luc Barré a su faire une sélection de talent. Ce dîner montre qu’il faut savoir oser donner leur chance à des flacons qui auraient sans doute dû être bus bien avant, mais qui existent encore, et méritent aussi une belle occasion de montrer leur talent toujours présent.