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Pour ses 40 ans, Jean Philippe Durand nous traite avec des vins royaux vendredi, 28 mars 2008

Pour ses 40 ans, Jean Philippe Durand nous traite avec des vins royaux

L’ami qui pourrait aisément troquer sa blouse de médecin pour celle de grand chef veut fêter ses quarante ans. Il invite un petit groupe d’amis qu’il considère comme des amateurs de vins et de gastronomie et nous nous retrouvons  à six pour dîner au restaurant de l’hôtel Bristol. Jean-Philippe était déjà venu mettre au point le menu avec Eric Fréchon et Jérôme Moreau. C’était au même moment que nous déjeunions chez Laurent où nous avons bu le Royal Kébir 1923. Jean-Philippe serait probablement venu s’il n’avait cette importante mise au point.

Avez-vous déjà remarqué que les retardataires à un rendez-vous sont les seuls qui ont connu d’épouvantables conditions de circulation ? Pour punir les contrevenants, j’avais suggéré que nous ouvrions le champagne « de secours », le champagne Jacques Selosse 1998. Mais la vengeance étant un vin qui se boit froid, Jérôme a voulu attendre que la température soit idéale et nos amis indisciplinés ont eu l’insolente chance d’arriver au moment où on leur glissait en main une coupe de ce délicieux breuvage. Ce petit retard ne porta pas à conséquence. Le champagne évoque du caramel, de la brioche et du beurre et l’un des amis lui trouve « le goût anglais » des champagnes déjà matures. Dans la coupe le goût évolue et quelques minutes plus tard c’est le pamplemousse qui fait son apparition. Ce champagne précis plait à nos papilles.

Nous passons à table et nos noms sont inscrits sur de petits cartons. Face à l’ami fêté, je tourne le dos à la salle et je peux  voir la tapisserie encadrée de forts beaux lambris qui enserrent aussi au plafond des scènes mièvres de jeunes femmes entre Jugendstil  et art naïf. L’arrivée du « Y » d’Yquem 1968 est un grand plaisir pour Jean-Philippe qui se demandait ce que ce vin donnerait. La couleur est d’un ambre clair, le nez est la copie conforme de celui d’un Yquem qui a « mangé » son sucre, comme l’on dit, et avec l’un des amis nous conviendrons que cet « Y » a des accents d’Yquem 1932. En bouche, le cousinage avec Yquem est assez caractéristique. Sur la sucette de thon mariné, écume de wasabi, très originale, l’Y se cherche. Sur le millefeuille de foie gras et anguille fumée, ne cherchons pas, l’Y devient Yquem, explosant d’une joie communicative. Nous sommes heureux. Le dé de gelée d’eau de mer et bigorneaux est croquant et marin, mais n’interpelle pas l’Y qui ne sait comment se placer. Et l’huître en coque de concombre absolument divine fait revenir l’Y dans sa plus pure définition. L’Y redevient un vin sec avec une longueur respectable. Nous serons divisés en deux camps, ceux qui au sein de ces quatre entrées trouvent que le meilleur accord est entre l’Y et le foie gras et ceux qui comme moi pensent que l’huître, en remettant l’Y dans sa vraie définition, a produit un accord de tout premier plan.

On nous sert maintenant le Champagne Krug Clos du Mesnil 1988. Le nez de ce champagne est un parfum d’une intensité inimaginable. Nous sommes envahis. La bulle est d’une grande finesse. Et l’impression qui me vient est celle de la visite d’une cathédrale pendant un office. On est gagné par la ferveur. En tenant la coupe entre les mains, c’est comme si je porte le Saint-Sacrement. Ce champagne d’une pureté inégalable est la définition la plus immanente du champagne parfait. Nous sommes comme un groupe d’amis qui aurait acheté un billet de loterie et qui constate que le numéro est gagnant. Le Krug est si parfait que l’on ne veut pas y croire, comme ce numéro qu’on relit dix fois pour se persuader que c’est vrai. Les macaronis farcis d’artichaut et de foie gras, truffe noir et gratinés au vieux parmesan sont un des piliers de la cuisine d’Eric Fréchon. Mais avec le Krug le courant ne passe pas. Nous sommes quelques tricheurs à avoir repris de l’Y sur les macaronis pour constater que l’accord est spectaculaire, l’Y trompetant au dessus du Krug sans toutefois attenter à sa dignité. Le Clos du Mesnil a une longueur en bouche faite de groseilles blanches et de fleurs blanches renversante.

Le Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1998 joue un jeu parfait et très attendu. Peu de surprise avec ce grand vin. C’est l’accord avec le homard bleu rôti à la broche, polenta moelleuse d’asperge verte aux truffes noires qui va nous laisser sans voix. Disons-le tout de suite, si le niveau de trois étoiles Michelin devait avoir un étalon, ce serait le homard bleu d’Eric Fréchon exécuté magistralement. Et l’accord qui se forme est intéressant à plus d’un titre. Il existe des accords d’interpénétration, où le plat et le vin se modifient l’un l’autre dans leur mariage. Cet accord est ici de juxtaposition, c’est-à-dire que ni le plat ni le vin ne changent leur personnalité, mais ils se marient naturellement avec une justesse de ton idéale. L’accord d’interpénétration serait un tango et l’accord de juxtaposition serait un menuet. J’imagine volontiers le dialogue qui se noue entre le plat et le vin. Le vin dit au plat : « tu veux être mis en valeur ? Je suis d’accord de te faire briller ». Et le plat répond : « tu veux que je te donne une belle longueur ? Je te la donne ». Cet accord dont j’analyse bouchée par bouchée la pertinence me captive absolument. Le vin naturellement grand joue comme on pouvait s’y attendre un jeu ample, puissant, de belle complexité. J’étais plus concentré sur le plat d’un goût qui m’a conquis.

L’ami ayant quarante ans, c’est un Château Margaux 1968 qui survient maintenant. D’une couleur rose clairet, ce vin se présente avec un coffre supérieur à ce qu’on attend de 1968. Je vois mes amis faire force compliments sur ce vin et je dois dire que je suis nettement plus en retrait. Car si l’attaque en bouche est opulente, le final très court et un peu amer laisse mon palais sur sa faim. Le ris de veau de lait braisé, écrasée de pommes de terre ratte, jus à l’essence de truffe noire est une redite puisque j’ai eu le même plat au déjeuner de ce jour. La qualité du ris et de la pomme de terre est exemplaire. J’aurais toutefois supprimé la truffe pour que le ris de veau mette plus en valeur le vin gracile qui mérite, malgré ma réserve, notre intérêt.

Deux énormes vessies se présentent renfermant la poularde de Bresse cuite aux écrevisses, royale d’abats et girolles. On nous sert le Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 1978. Lorsque Jérôme apporte sur table les bouchons des vins de ce dîner, c’est assez incroyable de constater que le bouchon très pur, non encore modifié par l’âge a une poussière de couleur noire à son sommet qui sent la terre de la cave de la Romanée Conti. Constance, constance ! La prise de possession de mon cerveau par ce vin tient de l’envoûtement. Ce vin est la définition lexicale de la personnalité du domaine de la Romanée Conti. Il y a toute la noblesse et l’énigme de la Bourgogne, le salin de la Romanée Conti, et cette étrange complexité qui n’appartient qu’au domaine. Notre excitation est à son comble. Car nous sommes tous les six des aficionados des vins du domaine. Le vin est prodigieusement déroutant et envoûtant, et c’est la royale d’abats qui lui parle le mieux.

Un des amis pense que le roquefort se mariera mieux que le stilton au Château d’Yquem 1988. Je ne parie même pas que ce sera le stilton, car un KO au premier round est une victoire trop facile pour justifier un pari. Mon ami convient que l’écart est sans conteste en faveur du stilton. L’Yquem 1988 me pose beaucoup de questions. Alors que c’est pour moi le leader du trio 1988, 1989, 1990, je le trouve d’une banalité intrigante. J’exprime sans trop insister mes réserves sur ce vin et le coup de grâce va être asséné par le Château d’Yquem 1968 qui arrive insolent de beauté dans sa robe d’un acajou royal. Car le 1968 a une personnalité sans comparaison avec le 1988. C’est un Yquem expressif, interpellant, où le thé, le poivre cohabitent avec la mangue, le santal et le coing. Le 1968, c’est le chanteur engagé alors que le 1988, c’est le notable endormi qui joue sur sa réputation. Le dessert, pamplemousse, mangue caramélisée, sorbet fruit de la passion a tous les ingrédients pour coller à l’Yquem ; mais un excès de sucre est refusé par ce sauternes subtil.

Nous n’avons pas voté puisqu’il ne s’agissait pas d’un de mes dîners mais du dîner organisé par Jean-Philippe avec qui je partage beaucoup de sensibilités dans les choix de composition d’un dîner. Mais j’ai exprimé mon choix. Le premier est le Krug Clos du Mesnil 1988. Le deuxième est le Château d’Yquem 1968 car cette personnalité rare d’Yquem mérite d’être mise en valeur. Mes amis se partagent entre ceux qui ont le même deuxième que moi et ceux qui intervertissent avec mon troisième, le Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 1978, parfaite définition du talent de ce domaine à l’envoûtement certain. Le quatrième est pour mon goût le Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1998, mais on aurait pu, comme Jean-Philippe, mettre l’Y 1968 en quatrième devant le Leflaive.

Nous étions six, tous connaisseurs ou passionnés de vins anciens, aussi la communion de pensée, les réactions simultanées ont ajouté à notre plaisir. Dans ce cadre enchanteur, avec un engagement motivé de toute l’équipe du Bristol, nous avons passé un grand moment de gastronomie et d’amitié. Les vins ont été de haut niveau, parfois inconnus comme les trois 1968, et nous avons, cerise sur le gâteau, profité d’un accord émouvant, celui du homard et du Chevalier-Montrachet. Jean-Philippe a été d’une extrême générosité. Il faudrait décréter que les anniversaires se fêtent tous les mois et non tous les ans !

dîner au Bristol – les photos 28 MARS 2008 vendredi, 28 mars 2008

La salle et notre table, avant le dîner.

Champagne Jacques Selosse 1998 dégorgé au début 2007.

Les quatre entrées arrivent en pirogue, et c’est l’huître qui manie la pagaie.

L’Y d’Yquem 1968

Les macaronis

Le champagne Krug Clos du Mesnil 1988

Le magique homard bleu

Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1998

Le ris de veau avant et après l’ajout de truffes. Il me semble que le Château Margaux eût plus brillé sans la truffe.

Château Margaux 1968

Effet de vessie

Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1978. C’est un Morey-Monge.

Château d’Yquem 1988

Château d’Yquem 1968 (sur la photo de gauche, la couleur de l’Yquem 1968 est à comparer à celle de l’Y 1968 dans les verres).

Le dessert

Evidemment, Jean Philippe a quelque chose de plus …

Le tableau de famille final

Les bouchons ont toujours quelque chose à dire

La table avec sa forêt de verres

déjeuner avec La Tâche 1956 vendredi, 28 mars 2008

L’ami qui a apporté le Vega Sicilia au déjeuner chez Laurent doit fêter l’anniversaire d’un des ses amis né en 1956. Il a prévu de lui ouvrir La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 et me demande si je veux me joindre à eux. Une telle idée ne se refuse pas. J’arrive au restaurant La Truffe Noire à Neuilly-sur-Seine et mon ami attend avec la bouteille de La Tâche ouverte ce matin à 8 heures. Le niveau est assez bas et le bouchon, comme d’habitude, est noir sur les trois quarts de sa longueur, et sent encore, plus de quatre heures après l’ouverture, la terre noire légèrement humide. Je sens le vin par le goulot. La terre, le sel, l’humus et une certaine acidité sont perceptibles.

Mon ami a aussi prévu un vin blanc de Hongrie, un Tokaji Furmint Mandolas Oremus 2004 qui présente la caractéristique d’être produit et distribué par Vega Sicilia Unico. Ce vin titre 13°. Nous voyagerons aussi avec un vin espagnol Priorat L’Ermita 1995 vieilles vignes.

Le fêté arrive et selon la tradition des restaurants de truffes, on nous fait sentir un bocal de truffes. Et, surprise, surprise, ça sent la truffe.

Les asperges vertes sont croquantes à souhait, mais trois seulement, ça fait un peu chichounet. Le vin blanc a de l’expression, d’une modernité colorée. Il ne brille pas par une intelligence évidente et s’apparente trop à des vins internationaux aux traits grossiers, mais le jugement s’adoucit sur la nourriture dont il avait besoin.

Le ris de veau est délicieux, traité avec intelligence et la truffe lui apporte plus qu’elle ne le fait aux asperges. Mon ami me verse le premier verre de La Tâche, d’une couleur inquiétante. La couleur tuile est orangée, le vin n’est pas très homogène. Je sens qu’un léger soupçon de bouchon, infime, se déclare. La cause est-elle entendue ? Tout l’indique. Et c’est à ce moment que l’on prend conscience de l’inanité de tout préjugé sur le vin. Mon ami complète mon verre d’un peu du milieu de la bouteille, ce qui donne plus de consistance à la couleur, et le goût en bouche ne reflète plus la vieillesse que les yeux et le nez détectaient. Il y a dans le goût des racines bourguignonnes, du sel comme souvent dans les vins du domaine. Puis comme l’effeuilleuse qui enchaîne les suggestions dans une savante progression, on voit apparaître de l’écorce d’orange, du pruneau et de la rose joliment exposée. Mais c’est surtout le charme qui envoûte, délicieusement féminin, raffiné, et notre plaisir n’est pas de l’autosuggestion, il est réel. Bien sûr, en filigrane, la fatigue du vin n’est pas absente. Mais le charme et le plaisir dominent. Jamais la première approche n’aurait indiqué un tel niveau de qualité. Il y a l’originalité de La Tâche, poussée ici vers une séduction rare. Cette année 1956 très porteuse de risques sait parfois faire émerger des pépites. La Tâche 1956 en est une.

Le Priorat qui arrive à la suite fait un peu équarisseur dans un magasin de lingerie fine. Mes amis l’éreintent un peu et je leur fais remarquer que si ce vin était associé à un vin français de la même trempe, il serait loin de jouer les seconds rôles. Bien sûr, ce vin est influencé par toutes les tendances des vins modernes. Il ne donne pas dans la dentelle et la finesse des tannins n’est certainement pas le commentaire qui le concerne. Il arrache les gencives. Mais dans un autre contexte, je le trouverais volontiers plaisant. L’ami fêté nous a offert le repas. Les excès de générosité ont ceci d’intéressant qu’ils sont contagieux et qu’on devient rapidement accro. Ces plaisirs auront des suites.

déjeuner d’amis au restaurant Laurent avec deux vins algériens rares jeudi, 20 mars 2008

Un des plus fidèles de mes dîners est devenu un inconditionnel des vins anciens. Il m’invite à déjeuner avec deux autres amis, grands amateurs de vins anciens eux aussi. La table est retenue au restaurant Laurent. J’ai apporté deux jours avant une bouteille pour compléter le programme de ce repas, dont l’épicentre est un Royal Kébir 1923, vin que l’ami avait acheté avec l’intention de le boire avec moi, ce que j’apprécie beaucoup. Didier Depond m’avait donné la veille le restant du champagne dont je n’ai pas le droit de parler. Nous trinquons sur les dernières gouttes de cet ovni de champagne que bien évidemment je ne commenterai pas.

Mes amis ont pris le foie gras délicieux d’Alain Pégouret et j’ai pris des escargots pour accompagner deux vins de 1923 : le Royal Kébir, vin d’Algérie 1923 et le Vougeot les Cras Liger-Belair 1923 apportés par notre hôte. J’ai un grand amour pour ce vin d’Algérie dont j’ai acheté beaucoup d’exemplaires, et je retrouve une chaleur humaine, une générosité à peine atténuées par l’âge. Le final de ce vin est très élégant, dans des tons de framboise. Le vin de Bourgogne est animal, viande, très bourguignon. Il accuse une légère fatigue mais le message est riche d’intérêt.

On nous sert maintenant le vin que j’ai fait ouvrir avant dix heures ce matin par Patrick Lair. L’année est difficile à lire mais des yeux plus jeunes que les miens lisent 1935. Il s’agit d’un Frédéric Lung vin d’Algérie 1935. Ce vin est absolument magnifique. On pourrait le définir en pensant à un grand vin du Rhône où se glisseraient quelques gouttes de Porto. Légèrement torréfié, il a des notes de café. C’est son équilibre qui est spectaculaire. Il est dans la plénitude de ses moyens, ne montrant aucun des signes d’âge que révèlent les 1923, surtout le bourguignon. Si j’ai choisi ce Frédéric Lung, c’est que cette maison est devenue propriétaire de Royal Kébir. La continuité historique est là.

Un des amis a apporté Vega Sicilia Unico 1979. Ce qui le caractérise avec une grande évidence, c’est la confiture de mûre. Et c’est sans doute une des premières fois que je constate avec autant d’évidence la menthe, l’After Eight dans un vin. Bien qu’ouvert tard, ce vin est frais, élégant et beau.

En revenant sur chacun des vins, je constate que le plus chaleureux et joyeux est le 1935. Mais la race du 1923 est certainement plus affirmée par une grande complexité de trame. La rondeur du 1935 est éblouissante. Il combine la puissance et l’invasion en bouche. Il est grandiose.

Comme il est l’heure du fromage alors qu’autour de nous les tables se vident, sauf une où des personnages importants du monde du vin devisent, notre hôte fait ouvrir un Château Margaux 1937. J’en ai bu plusieurs de la réserve du restaurant Laurent. Une bouteille est éliminée par Patrick Lair et celle qui nous est servie est certainement le meilleur Margaux 1937 que j’aie bu ici. Ouvert sur l’instant il est gracile, délicat, avec des accents de groseille blanche et un très proustien retour d’écurie.

Je fais pour moi-même un classement : Frédéric Lung vin d’Algérie 1935, Royal Kébir Algérie 1923, Vega Sicilia Unico 1979, Vougeot les Cras Liger-Belair 1923.

Pour les soufflés, la générosité insiste car c’est un Château Sigalas-Rabaud 1967 d’un or délicat qui laisse sa lourde trace dans nos gosiers conquis. C’est alors que surgit Bernard Antony, le grand fromager ami, qui nous ordonne de goûter un morbier et un brebis corse de son affinage. Je lui fais examiner l’accord qui se crée entre le brebis corse et le sauternes. Bernard est très surpris que cela marche si bien.

Quand nous quittons la table, la pause du personnel du restaurant est largement compromise. Entre complices amoureux des vins anciens, nous avons servi une bien jolie messe en l’honneur des vins anciens.

déjeuner de conscrits au Cercle Interallié mercredi, 12 mars 2008

Notre déjeuner de conscrits se tient au Cercle Interallié, dans un ravissant salon d’où l’on contemple les jardins apprêtés des propriétés et ambassades avoisinantes. Le champagne non millésimé Ruinart se boit facilement ce qui est l’avantage premier d’un champagne. Le Meursault Premier Cru Blagny Louis Latour 1999 m’étonne. Comment un premier cru peut-il être aussi limité, fade, sans longueur et sans discours ? Est-ce la bouteille ou le vin, je ne sais, mais il est sûr qu’ayant encore dans les papilles le souvenir du Meursault Perrières Coche Dury de la même année, plus d’un meursault serait éreinté de la sorte.

On nous servit Château Batailley 1998 au nez flatteur et moderne et plus équilibré en bouche avec un bois bien dosé. Notre hôte nous expliqua que son choix était lié au fait que ce vin appartenait à la famille de sa femme. Je me lançai dans un commentaire purement œnologique en lui disant : « tu es bien marié ».

déjeuner au restaurant La Cagouille mardi, 11 mars 2008

Je bavais d’envie de retourner à la Cagouille, restaurant de poisson. C’est un déjeuner dit de travail avec des journalistes amis. Arrivé longtemps avant mes hôtes, je me régale de petites coques sur un Meursault Perrières Coche Dury 1999. Je me sens heureux du seul parfum qui envahit la pièce. Cette intelligence qui s’affiche dès les premiers effluves est remarquable. La température du vin carafé est parfaite et le vin est d’une richesse éblouissante. Ce vin exsude la joie de vivre. On ne peut pas échapper à son charme. Les évocations sont tellement nombreuses que je n’entame pas ce qui serait un inventaire à la Prévert. Il me suffit de constater la plénitude multicolore de son passage en bouche d’une longueur infinie. Le chaud cru de coquilles Saint-Jacques n’a pas une grande émotion, mais l’assiette où cohabitent un rouget et un saint-pierre confirme l’excellence des cuissons de poissons goûteux. Lorsque l’on parle avec des spécialistes des vins, de la gastronomie et de l’art de vivre, on ne s’ennuie pas.

 

Meursault-Perrières Coche-Dury 1999 de bien belle couleur.

 

Déjeuner au restaurant Dessirier lundi, 10 mars 2008

Déjeuner au restaurant Dessirier dans le petit salon où l’on est entouré de bouteilles aguichantes de la collection de Michel Rostang. Le champagne Brut Nature Alain et Michel Drappier, pinot noir zéro dosage arrive trop froid. L’attaque en bouche est mortelle de verdeur. Même en le transvasant dans un autre verre pour le calmer un peu, c’est un champagne excessif qui mériterait sans doute d’être revisité dans une occasion plus propice. Le Puligny-Montrachet vieilles vignes Domaine Vincent Girardin 2006 me frappe par la précision de sa définition. C’est un bon et grand vin qui gagnera évidemment avec l’âge mais se boit bien, avec un éventail aromatique plaisant.

Le Génération XIX, Sancerre rouge Alphonse Mellot 2001 donne lieu à des discussions passionnées avec l’un des amis de notre table. Car le caractère végétal et strict du vin diminue mon plaisir. Mon ami essaie de me persuader de ses qualités à long terme, ce qu’il n’a pas besoin de faire car je connais le talent scrupuleux d’Alphonse Mellot dans sa démarche d’excellence. Mais contrairement aux experts, je parle du vin que je bois, quand je le bois, et non pas du vin que je boirai dans dix ans. Je ressens le potentiel, mais l’ascèse de la version actuelle ne conduit pas à la joie qu’il pourra donner. Nous avons mangé une grosse sole pour trois très bien cuite. Je préfère les soles de taille plus petite et cela vaut pour beaucoup d’autres poissons. Le restaurant est agréable et ce petit salon est à retenir.

 

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Apparemment, je ne suis pas mécontent de ce que je bois.

déjeuner au Petit Verdot vendredi, 29 février 2008

Une fois de plus, un repas simple et agréable, servi par un être exquis : Hidé.

Filet de saumon fumé et pommes de terre tièdes, puis côtelette de veau avec une purée.

Le menu a un prix qui est environ quatre fois moins que le prix d’un seul plat dans un restaurant trois étoiles.

Pour les vins, j’assume mon absence totale d’imagination.

Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1990 qui a pris des petits accents de maturité. La robe est d’un or soutenu, le nez intense et floral. En bouche, une personnalité atypique, rare, et une longueur d’un charme envoûtant.

Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques domaine Armand Rousseau 1999. Il n’a pas le coffre d’un chambertin du même domaine, mais quel charme ! C’est le bourgogne de plaisir par excellence. On se sent confortable avec un tel vin.

 

Clos Sainte Hune Riesling Trimbach 1990

 Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques domaine Armand Rousseau 1999

dîner familial à l’Astrance vendredi, 22 février 2008

Lorsque nous nous voyons, mon ami collectionneur (appelons-le S. puisqu’il tient à son anonymat) et moi,  une fois en France et une fois en Californie, nous faisons un dîner de vins rares, où nous apportons des pièces de nos collections. Je voulais qu’il découvre la cuisine de Pascal Barbot à l’Astrance. J’avais donc réservé une table à cet effet. Mais l’agenda électronique est un animal difficile à apprivoiser, aussi ma réservation n’avait pas la même date que celle enregistrée par l’Astrance. Celle de l’Astrance est notée le vendredi, lendemain de nos agapes bourguignonnes, et la seule date possible pour S. est le samedi, jour de fermeture.

Je me tourne vers le Bristol et avec une souplesse digne d’éloge Eric Fréchon compose un menu qui sera réalisé selon ses instructions en son absence. Nous avons notre table pour le dîner final d’une semaine active. Mais la réservation à l’Astrance court toujours. Je sais que Christophe Rohat n’aurait aucune peine à nous remplacer, mais je ne suis pas raisonnable. J’avais proposé les places à des amis qui ne furent pas assez rapides à répondre, aussi la solution qui s’impose est d’aller à l’Astrance avec ma femme, ma plus jeune fille et son mari. Je sais que cette folie me fera enchaîner six dîners à la suite. La raison n’est pas ma qualité principale.

Nous commençons par un Champagne « Substance » de Jacques Selosse dégorgé le 30/08/07 qui est une solera de tous les millésimes depuis 1986. Alexandre nous pose la question d’une possible décantation. Nous préférons garder la force de la bulle. Ce champagne extrêmement typé a un goût très fumé, une bulle particulièrement active et fine, et une couleur ambrée. Il évoque avec insistance la truffe blanche ce qui va parfaitement avec la brioche à la crème à la truffe blanche, entrée que Christophe Rohat fait doubler pour que nous en profitions. Le velouté de chou-fleur, safran et zeste d’orange est un plat qui me fait immédiatement dire « Gagnaire », car cette recherche emprunte une complexité inhabituelle qui n’est pas dans le registre de Pascal Barbot. Ce sera d’ailleurs l’exception dans ce repas. Le champagne change de personnalité sur ce plat, captant le message du zeste d’orange.

Le feuilleté de champignon de Paris et foie gras est un plat culte (pour parler djeune) de Pascal. C’est la petite crème de citron qui est la touche gracieuse et indispensable de ce plat délicat. Le champagne est évidemment à son aise, insistant sur ses aspects de fumé et de brioche. Les langoustines sont d’une cuisson idéale, et la mousseline de cédrat propulse le Selosse à des hauteurs rares de vibration. Ce plat est du grand Pascal Barbot. Citron sur un plat, cédrat sur l’autre, ces clins d’œil me plaisent.

Le plat suivant est composite : une sole, des oignons, des couteaux, un citron confit (toujours la signature) et un velouté d’oursin.  Tout est divinement bon et traité pour notre ravissement mais je trouve que le sucré de l’oursin apparaît trop pour être homogène avec le reste du plat. Le Selosse s’est adapté à chaque plat. Ce champagne hors piste est un champagne de gastronomie.

L’Hermitage Chave rouge 1991 a un nez immense, d’une pureté extraordinaire. En bouche, c’est d’une complexité invraisemblable. Mon gendre dit que son goût est celui d’un pigeon à la goutte de sang. L’astringence est belle, les tannins sont très jeunes. C’est une très grande année pour l’Hermitage de Chave.

Christophe me fait une petite farce en servant le velouté de céleri et truffes noires, car la seule assiette dont le velouté n’a aucune trace noire est pour moi. Tel le joueur de poker je ne montre aucune réaction et le plat prévu arrive enfin. Christophe use de cette plaisanterie pour faire sans malice une étude de mœurs. Ce qui m’enthousiasme c’est que l’amertume du plat est strictement la même que l’amertume du vin. C’est l’accord parfait par excellence et nous le sentons en frissonnant  de bonheur. Pascal excelle pour réaliser un plat simple à la perfection. L’agneau est servi en deux cuissons avec une petite crème (toujours la petite crème) d’olive noire et de réglisse. Cette crème complexe et étonnante est acceptée par le vin qui réagit très bien. La cuisson de la viande est parfaite. Pascal Barbot réalise ici une sublimation de la cuisine bourgeoise. Il est le prince des cuissons.

Le vin qui titre 13° a une belle astringence, un poivre bien dosé et une jeunesse qui fait presque penser que le vin n’est pas encore terminé. Il a un grand avenir. Sur le blason de l’étiquette est écrit : « à bon Taing bon vin », gentil jeu de mot.

Nous goûtons un Château d’Yquem en ½ bouteille 1997 qui réagit remarquablement à une fine meringue qui enserre de l’ananas et de la noix de coco en traces discrètes. Ma femme dit que c’est l’un des plus grands Yquem qu’elle ait jamais bus, car ce vin encore jeune a une personnalité très affirmée et très équilibrée. Un dessert « voile passion » et des dés de mangue forment avec la madeleine au miel un ensemble magique et dépaysant qui salue l’Yquem comme une foule de groupies. L’Yquem est très jeune, subtil, doré, avec des dominantes de mangue et de coing. Tous les accords sont beaux, le plus sûr étant la mangue et le plus original la meringue. Le lait de poule au jasmin qui arrive maintenant sert de propulseur à l’Yquem. L’assiette de fruits frais dont le kumquat apporte son panier de sensations nouvelles. Tout est délicieux.

C’est sans doute avec la cuisine de Pascal Barbot que je sens le plus grand nombre de vibrations. Je communie à sa vision des choses. Le lendemain en me réveillant, je lis l’article de François Simon dans le Figaro qui relate une réunion où dix-huit journalistes de gastronomie de différents médias ont voté aux trois questions suivantes : quels chefs méritent leurs trois étoiles, quels chefs ne les méritent pas et quels chefs les mériteraient. Les réponses sont instructives mais ce sont les réponses de personnes qui sont toutes de la même corporation. Je relie cela à ma passion pour la cuisine de Pascal Barbot. Je suis conscient que c’est mon goût et qu’il n’est pas universel. Est-ce que dix-huit personnes d’une même profession représentent un goût universel ? Je n’en suis pas sûr. Les débats sur le passage de la deuxième à la troisième étoile animent beaucoup de discussions avant la parution du guide. Les marches entre deux niveaux d’étoiles sont trop importantes. Mais Pascal Barbot est couronné dans mon univers.

Le menu qui m’a été adressé a posteriori par Christophe Rohat :

Brioche tiède, crème fouettée à la truffe blanche / Velouté de chou-fleur, yaourt à la moutarde, lait safrané / Galette de champignons de Paris et foie gras mariné au verjus, pâte de citron / Langoustines dorées, mousseline de cédrat et légumes croquants / Sole cuite meunière, fondue d’oignons doux, couteau et coulis d’oursin / Velouté de céleri, coulis de truffe noire, parmesan fondu / Selle d’agneau grillée, jus de cuisson, aubergine laquée au miso et curry noir / Sorbet piment et citronnelle / Vague à la cassonade, crème passion-gingembre / Vacherin glacé aux agrumes et orgeat, pistaches caramélisées, sorbet pina-colada / Mangues justes caramélisées, madeleines / Mignardises / Lait de poule au jasmin