Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner au restaurant de Matthias Dandine au Lavandou jeudi, 19 juin 2008

Descendu dans le sud, j’invite avec ma femme des amis d’Hyères et de Giens à dîner à l’Hôtel des Roches à Aiguebelle, au restaurant de Mathias Dandine. Pour ne pas devoir s’y rendre à trois voitures, j’ai le réflexe écologique du covoiturage, ce qui me pousse à proposer que l’on prenne l’apéritif chez moi. Il faut toujours utiliser les arguments les plus « citoyens » pour faire ce dont on a envie. J’ouvre un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 en magnum qui par cette belle journée d’un été qui commence se boit avec un infini plaisir. Je suggère à mes amis de comparer les formes que prend le champagne tantôt sur la poutargue, tantôt sur des toasts au foie gras, ou bien encore sur du jambon de Parme ou de la rosette de Lyon. Ce qui révèle le mieux l’excellence du champagne, c’est la rosette, qui l’épanouit et l’élargit. La poutargue lui donne une expression plus virile, le rendant plus strict, mais très intéressant. Le foie gras est politiquement correct, sans véritable ajout à la pureté du breuvage. Ce beau champagne est goulu, typé, fort et long. Nous nous rendons à l’hôtel des Roches. La mer est calme et Mathias Dandine a le sourire d’un homme heureux. Nous prenons un nouvel apéritif sur la terrasse. Je choisis un Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1999. C’est normalement un des grands champagnes que j’aime, mais ici, il se présente un peu guindé, timide, et le souvenir du Henriot ne l’avantage pas. C’est évidemment un grand champagne de belle personnalité, mais ici peu à son avantage malgré les délicats canapés gourmands préparés par le chef.

Nous passons à table et la grande question qui se pose est la suivante : vais-je choisir les vins en fonction de suggestions de plats du chef, ou fera-t-on l’inverse, le chef s’adaptant à mon choix de vins ? Après un assaut de politesses, il est décidé que je choisisse les vins dans la carte qui m’est tendue par le nouveau sommelier Arnaud, et Matthias créera sur ce choix.

Les vins que je repère dans la carte sont un Domaine d’Ott Clos Mireille 2003 en magnum  et un Château de Pibarnon Bandol 1990 en magnum.

Voici le menu créé pour nous par Matthias Dandine : amuse-bouche gourmand / fin velouté d’asperges vertes et croq’truffe / cocotte de langouste aux haricots rouges, Thermidor et salade d’herbes fraîches / le cabillaud cuit au lait, purée de pommes de terre à l’huile d’olive, truffes d’été du Haut-Var / cochon noir de Bigorre »cul noir », « façon contemporaine » / tarte fine d’abricots et sabayon granité au romarin et émulsion d’abricot. Il y a dans ce menu de petites merveilles.

Arnaud est nouveau et m’a étonné quand il a ouvert les vins seul dans son coin, sans être venu présenter les flacons. Ceci nous aurait évité une situation que je déteste, c’est que le Clos Mireille qui nous fut servi est un  2004, « détail » dont je ne me suis aperçu que lorsque j’ai demandé à photographier les bouteilles. Ce « détail » est à corriger au plus vite. Malgré ce changement non annoncé, le vin est bon. D’une couleur d’un jaune citronné presque vert, d’un nez qui annonce les grillons qui sortent de leurs chrysalides, ce Domaine d’Ott Clos Mireille 2004 en magnum  est chaud en bouche, plein d’aplomb, et malgré sa rusticité par rapport aux blancs que je bois en hiver, je lui trouve beaucoup de talent. Sur le velouté d’asperges, j’ai gardé quelques gouttes de champagne, et sur le « croque-truffe », le blanc est fou de joie comme le chien à qui l’on jette une balle pour jouer. Sur la langouste charnue, dense, le vin s’adapte à merveille. Les haricots rouges qui ont cuit dans la cocotte sont délicieux, et le vin les aime.

Le cabillaud est un plat d’une réelle perfection. On est dans un monde raffiné et Matthias me dira plus tard : « j’aurais pu dire sans vous entendre que c’est ce plat que vous préféreriez ». Ce plat convient au blanc de belle matière, avec un citronné délicat mais aussi des évocations de fruits jaunes charnus. Mais il était imaginable que le Bandol rouge accompagne ce plat.

Le Château de Pibarnon Bandol en magnum 1990 est un vin joyeux, riche, de forte densité qui offre un velouté confortable. Il appellerait une tapenade tant il chante le sud. Sur le cochon, il est à son aise, car le gras de la viande lui convient. Goûteux, mâchu, il réjouit mon âme.

Ce n’est pas un vin de dessert aussi nous restons à l’eau pour des pâtisseries et des gourmandises qui montrent un réel talent du pâtissier, ce qui est à signaler.

Comme je l’ai déjà écrit, Matthias Dandine a atteint un niveau d’une belle sérénité. Sa cuisine est joyeuse, avec une exécution raffinée. Du fait de sa jeunesse, il n’a pas de nécessité immédiate d’ajouter une étoile à celle qu’il a. Les honneurs et les lauriers tomberont tous seuls dans son tablier. Le service est toujours aussi souriant. L’ambiance à notre table était joyeuse. Une lune rousse s’est levée vers 22 heures derrière l’île du Levant, et s’est placée devant notre table, teintant d’argent scintillant l’onde frémissante de l’une des trois nuits les plus courtes de l’année. Nous avons passé une excellente soirée, guidés par le sourire d’un grand chef, talentueux, ouvert et amical.

dîner au restaurant de Mathias Dandine – les photos jeudi, 19 juin 2008

Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1999 bu à l’apéritif bu sur la terrasse haute

Nous sommes accueillis dans la salle à manger par un goëland dont les plumes ont pris la couleur de la toile des transats sur la plage de l’hôtel des Roches

les vins du repas, Domaine d’Ott, Clos Mireille blanc 2004 et Château de Pibarnon 1990 bandol rouge

amuse-bouche au toast délicat

la pleine lune se lève. Elle a le bon goût de venir se poser en auréole à la verticale de ma sainteté (ici entourée de deux prêtresses)

petit morceau de homard goûteux

les délices des cocottes lutées

truffe d’été !

 n’est-ce pas de la belle cuisine bourgeoise ?

desserts

dilemme majeur chez Alain Senderens jeudi, 12 juin 2008

Le titre de ce sujet pourrait être : « dilemme majeur chez Alain Senderens ». Je sors d’une réunion, d’humeur guillerette. Je suis seul. Où vais-je déjeuner ? Je pense au restaurant d’Alain Senderens. Je suis accueilli avec un large sourire par le personnel qui me connaît et dans cet espace où toutes les tables sont prises on me donne une table pour six. Le costume est large pour moi, mais j’assumerai. On m’offre une coupe de champagne Pommery 1999 et j’apprécie. Car ce champagne qui ne revendique aucune situation d’exception joue bien sa partition. Il est confortable, sans recherche de chichi. Je commande des asperges et une brandade de morue, et quand je lis la carte des vins, je commande un Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à  Jacques Perrin 1990. Philippe me dit que ça n’ira jamais avec la brandade, et je lui réponds que c’est comme l’existence de Dieu, ça ne se prouve pas. Lorsque le vin arrive, je sens, et c’est l’odeur divine qui me monte aux narines. Je porte le vin à mes lèvres et instantanément des clignotants s’allument. Le vin est amer. Et là, je me mets à penser, alors que toute mon éducation m’a appris que la dernière des choses à faire, c’est de penser.

Il est exclu que je renvoie la bouteille, car je suis venu pour siroter le temps présent. La situation confuse du monsieur qui a refusé une bouteille de grand prix, je n’ai pas envie de la vivre. Alors, je dis que c’est bon.

On m’apporte une langoustine panée à tremper dans une sauce que je trouve délicieuse. Je sens mon vin qui s’évanouit à grande vitesse, car le nez s’affadit et le goût se vinaigre à la rapidité d’un maquillage sous les sunlights.

Les asperges sont délicieuses, croquantes à souhait, et auraient fait vibrer le vin s’il était encore vivant. Je fais goûter le vin à Philippe, ce qui ne peut que l’embarrasser, car un Hommage à Jacques Perrin, même claudiquant, c’est quand même nettement mieux que beaucoup de vins.

La brandade de morue qui est un plat dont je suis un adepte est ici une variation sur la brandade. Elle est plantée de salade fort vinaigrée que je m’empresse d’écarter, car la brandade, ça doit être de la brandade, et l’ail n’a pas la sensualité à laquelle j’aspire. La sauvagerie interlope de ce plat est absente. Et pendant ce temps là, mon vin continue de s’évanouir. Philippe a raison, la brandade n’aime pas le vin. Je voulais laisser vagabonder mon humeur sautillante de plaisir en plaisir, et voilà que je suis dans un abîme de contrariété.

Mon humeur s’en ressent, et j’ai moins de plaisir que d’habitude sur le millefeuille qui est pourtant une institution. Il faudra vite que je revienne en ce lieu que j’adore et que je me repaisse d’un vin qui n’a pas souffert.

déjeuner chez Alain Senderens – les photos jeudi, 12 juin 2008

Je suis désolé, mais les photos sont toutes rouges. Est-ce dû à l’éclairage de la jolie salle classée du restaurant ou est-ce mon appareil ? Je ne sais pas, mais ce reportage me rend rouge de confusion.

Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1990, c’est une institution !

J’ai ajouté le joli texte de Jean-Pierre et François Perrin.

Hélas, la bouteille ne fut pas au rendez-vous.

voici le sédiment collé au verre, qui indique un accident de stockage.

des plats très goûteux

ce n’est pas la brandade telle que je l’imagine, même si l’interprétation est belle

le divin millefeuille est un must de cette belle maison.

(excusez le rouge que je n’ai pas su corriger de toutes ces photos)

La tante Marguerite de Dominique Loiseau mercredi, 11 juin 2008

De temps à autre, je rencontre mon frère et ma sœur. Mon frère m’invite chez La Tante Marguerite, l’une des succursales du groupe Bernard Loiseau, à un jet de pierre de l’Assemblée Nationale. J’arrive en avance et je félicite le personnel du fait que Dominique Loiseau a reçu l’insigne de la Légion d’Honneur des mains de notre président Nicolas Sarkozy. Le maître d’hôtel me signale qu’elle sera présente ce midi en cet établissement. Je flâne au soleil en attendant frère et sœur et j’entends : « François ». Dominique vient d’arriver. Nous bavardons quelques minutes. Elle va déjeuner avec des politiciens de sa région. Nous prenons place en famille. Je commande un jambon persillé et un ris de veau. Cette cuisine bourgeoise simple est bien exécutée. Il y a ici des politiciens connus de tous horizons, qui pensent plus aux idées qu’ils défendent qu’aux mets dans leurs assiettes. Il faut donc du solide et clair. C’est le cas. La carte des vins est aussi maigre que le programme du parti socialiste, mais le Pommard du château de Pommard 2004 que nous prenons est simple et de bon aloi comme le programme de la ligue communiste révolutionnaire. Dominique Loiseau est radieuse et incarne avec solidité l’avenir de son groupe. Ce fut un beau déjeuner.

déjeuner au restaurant de Guy Savoy mardi, 10 juin 2008

Avec un membre assidu de l’académie des vins anciens, je me rends chez Guy Savoy pour me ressourcer à son talent. Tout ici respire la joie de vivre et l’expression naturelle de la créativité culinaire. N’ayant pas pris de notes, je ne peux retranscrire les nuances de plats fabuleux et inventifs comme les petits pois qui évoquent ceux de mon enfance, une sole et un ris de veau aux saveurs précieuses. Le souvenir le plus présent est celui du vin, un Musigny Jacques Frédéric Mugnier 1989.

Ce vin est confondant de perfection et de précision. Ayant eu la chance de rencontrer il y a peu Frédéric Mugnier, j’ai retrouvé en buvant ce vin toute la démarche d’excellence suivie par ce brillant domaine.

(j’ai ajouté une deuxième photo, car on reconnaît Guy Savoy caché derrière la bouteille, en une posture très caractéristique).

quand on voit une forme comme celle-là, on sait qu’il y a une surprise en dessous

ce plat de petits pois est un monument. La saveur devrait être inscrite au patrimoine de l’humanité

 

quand on voit des trous trous, on se dit qu’il va se passer quelque chose. la preuve, on verse un liquide

il est clair que ça fume ! esprit El Bulli, as-tu contaminé Guy ?

comme les sondes spatiales qui s’approchent de l’astre à observer, nous commençons à voir plus clair sous les nuages galactiques

la sauce délicieuse qui accompagne le homard. On reconnaît des brioches à faire pleurer les crans de ceinture

débauche de plats magnifiques

l’esthétique des desserts est remarquable.

Grâce à ces photos, on sent l’inventivité libérée d’un chef au talent quasi infini.

restaurant l’Agapé : une belle découverte lundi, 9 juin 2008

De temps à autre, Nicolas de Rabaudy me suggère d’essayer une nouvelle table. Le restaurant Agapé est une nouveauté, créée par des transfuges de l’Arpège, formés par Alain Passard et détachés avec son assentiment, exactement comme ce fut le cas, avec le succès que l’on sait, pour l’Astrance.

J’élargis la table à d’autres journalistes car c’est l’occasion d’en revoir certains que j’apprécie. J’arrive en avance et découvre une salle aimablement décorée, avec des tons ocre et sable apaisants. L’équipe est jeune et souriante. Je fais un tour rapide du lieu et qui vois-je ? Christian Le Squer, le talentueux chef de Ledoyen déjeune avec deux « jeunes » hommes, l’un né en 1927 et l’autre en 1912 qu’il présente comme les inspirateurs de sa cuisine notamment à l’ETC qu’il vient d’ouvrir, ETC signifiant : Epicure Traditionnelle Cuisine. J’ai le temps de discuter longtemps avec les trois compères enjoués et malins comme des gamins sûrs de leur fait.

Mes invités arrivent et je commande, sur les suggestions de Laurent, le compétent maître d’hôtel directeur que j’avais côtoyé à l’Arpège un Champagne Jacques Lassaigne à Montgueux 2003. Le nez est très plaisant, engageant et racé, et l’attaque en bouche est très prometteuse. Il y a la brioche, le caramel et le beurre que j’aime. Mais le champagne fait pschitt, car il ne tient pas la longueur. Il y a une belle ouverture, et puis rien. Il se réveille un peu sur la nourriture, mais cette absence de longueur est un handicap.

Nous goûtons une émulsion au fenouil goûteuse mais presque un peu trop. Je commande un veau cru-fumé de Corrèze d’Hugo Desnoyer, citron vert vanille et herbes fines qui est absolument délicieux, tant la qualité de la viande est extrême, et un foie gras de canard de la ferme de Puntoum, radis et rhubarbe, dont la cuisson est d’une précision parfaite. Sur les conseils de Laurent, nous goûtons un Pouilly-Fuissé Le Moulin, Terroir de Vergisson de Jean Manciat 2006. Je suis dix fois plus favorable à cette suggestion d’un vin fruité, joyeux, équilibré et d’une justesse de ton remarquable. Sur le veau, c’est un véritable bonheur, car le veau cru rend le vin sucré, avec une douceur extrême. L’accord est intéressant avec le foie gras, mais beaucoup moins vibrant.

Comme il en a l’habitude, Nicolas a dans sa musette un vin. Il s’agit d’un Bourgogne Vézelay Le Clos du Duc de Marc Meneau. Il a reçu une médaille d’argent à Macon en 2006. Les médailles, c’est bien, mais même décoré, ce vin de Vézelay est un peu faible. Il n’aura que le mérite de l’anecdote. Le pigeonneau de Sologne, endive carmine, orange amère est très bien exécuté et dosé. Sur le Pouilly-Fuissé décidément délicieux, l’accord se trouve aussi. Un dessert mêlant cerises et fraises se mange avec gourmandise.

Que dire de ce lieu ? On sent que l’on démarre, donc tout n’est pas encore huilé. Mais la cuisine est d’une belle orientation et le moment venu, la première étoile devrait encourager les efforts. La carte des vins est un peu maigre, mais va s’étoffer. Tous les ingrédients sont là pour que l’Agapé devienne une belle table parisienne.

déjeuner au restaurant Agapé – les photos lundi, 9 juin 2008

Champagne Jacques Lassaigne brut nature blanc de blancs 2003

Pouilly Fuissé Terroir de Vergisson Jean Manciat 2006 et Le Clos du Duc Bourgogne de Vézelay (médaille d’argent 2006 à Macon)

de beaux plats à la présentation élégnate

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c’est appétissant

un très beau dessert.

Ces photos montrent que ce restaurant sera vite étoilé.

Beau Pomerol un lendemain d’Astrance samedi, 7 juin 2008

Le lendemain, mon fils annonce sa venue avec son fils. Je vais vite faire des courses, et sur un filet de bœuf aux pommes de terre de Noirmoutier, j’ouvre un vin que j’aime, Château Nénin Pomerol 1990. A la première gorgée, l’écart de structure par rapport aux vins de la veille paraît spectaculaire, même si le vin est bon. Mais la goûteuse viande rouge emmène le Nénin dans son sillage et le vin devient grand. Il est définitivement bordelais, avec cette envie de bien faire fort polie. Il est agréable, très pomerol, et nous satisfait car le niveau fut au plus bas avant que nous n’ayons fini la viande. La mémoire des vins du Rhône et du Latour était trop vivace. Mais ce vin doit faire partie du paysage de l’amateur de grands vins.

Dîner à l’Astrance avec des vins que je chéris vendredi, 6 juin 2008

Dîner à l’Astrance avec des vins que je chéris

Avant cette rencontre, j’étais passé au restaurant l’Astrance pour livrer les vins d’un dîner rassemblant famille et amis avec ma femme, ma fille cadette et son mari, mon fils et deux amis partenaires de mes plus grands repas. Pascal Barbot est en jogging, souriant comme à l’habitude. Je choisis le champagne du soir sur la carte et donne à Alexandre les consignes d’ouverture de mes vins.

Lorsque tout le monde arrive nous prenons place à la belle table où les assiettes de présentation sont de gros disques de verre multicolores comme des bonbons acidulés. Le Champagne Salon 1988 est absolument extraordinaire. Il progresse à chaque expérience que j’en fais ce qui indique qu’il est en train de franchir une étape majeure de sa vie. Fort comme un coup de poing, il s’impose en bouche sans possibilité de discussion. Quelles saveurs dominent ? Les citer serait réducteur, car si le miel, le caramel, la brioche sont présents, ce qui s’impose, c’est la longueur et la présence. Sur le champignon de Paris et sa petite goutte de crème citronnée, c’est un régal absolu.

Le plat suivant rassemble un bouquet de verdure de légumes croquants et du homard. Ceux qui ont encore du Salon peuvent le boire sur les petits légumes aux goûts très forts. Et le homard est accompagné par Château Latour 1989 pour un accord d’une émotion infinie. Pour que l’on puisse lire ce compte-rendu en saisissant l’absence totale de nuances et d’objectivité qui est la mienne, je suis vis-à-vis de Pascal Barbot dans la position du juge des championnats du monde de patinage artistique qui ne donne de bonnes notes qu’aux sportifs de son pays. Pascal Barbot est du mien. Qu’on se le dise. La chair d’une délicatesse infinie épouse le Latour velouté dans une union qui serait floutée sur Canal + aux heures où les enfants sont théoriquement endormis. Ce velouté doucereux du Latour permet de comprendre la pureté d’une trame de vin qui est un exemple assez unique. Le vin est grand, noble, structuré et dégage une impression de solidité à toute épreuve. C’est un grand vin.

Chez le caviste que j’avais visité ce midi, je n’avais pas été attentif à l’étiquette. Car le vin est un Vega Sicilia bien sûr, mais c’est le Valbuena et non l’Unico, ce qui explique son prix plus cohérent. Je ne regrette pas cette erreur, car le Vega Sicilia Valbuena 1980 est un vin splendide. Presque fumé, typé comme un vin espagnol fier, il nous charme par sa personnalité. Il y a des fruits noirs qui subsistent encore. Sur le rouget, l’accord se trouve naturellement. Les asperges ne réagissent pas sur le vin qu’il ne faut boire que sur le poisson. La surprise de ce bel hidalgo nous donne des sourires de plaisir.

Christophe Rohat a l’habitude de nous faire des niches. Il dépose devant moi deux ébauches de pizzas très fines sans autre forme de procès. Alors, comme le prêtre à l’église, je romps le pain et le partage, pour le plus grand bonheur du Vega Sicilia.

Sur un paleron aux petits pois, l’Hermitage Jean-Louis Chave 1989 nous fait gravir une nouvelle marche de plaisir. Ce vin est généreux, joyeux, riche, et s’accorde au gras intense de la viande de la plus belle façon. Cette joie simple est spectaculaire. Il y a à côté de la viande une petite crème à l’olive noire et à la réglisse qui est une vraie bombe. Je pense évidemment qu’un vin de Chypre 1845 dompterait cette saveur explosive, mais le Chave s’en tire très bien, la réglisse tirant de nouvelles nuances de sa solide trame.

Le canard croisé, spécialité du lieu à l’instar du champignon de Paris, est doté d’une sauce diabolique. Et de petites pommes de terre fondent dans la bouche comme d’impérieux bonbons. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1992 me met en transes. Ma fille cadette me regarde comme si j’étais possédé par un vil démon. Je glousse, je me tortille sur ma chaise. Je fonds de plaisir. Car ce vin, c’est le nirvana, c’est l’arrivée d’un marathon quand on coupe le fil du vainqueur, c’est le rire de Ninotchka ou le premier pied posé sur la lune, c’est divin. Comment caractériser cette émotion ? C’est en fait le goût que je souhaite. Et je le tiens en bouche. D’une année qui n’est pas la plus lyrique, ce vin a attrapé un équilibre qui lui permet de libérer tout son charme voluptueux. Je suis aux anges, et c’est la sauce qui vibre amoureusement avec le vin immense. On ne peut pas imaginer le plaisir que ce vin me donne quand il m’inspire cette phrase : « c’est ça », comme un eurêka.

Le gorgonzola avec une fleur de courgette fourrée de framboises fraîches est une pause dans mon rêve, car cet exercice de style n’apporte pas grand-chose à nos palais. On retrouve l’inventivité du chef sur les trois desserts qui accompagnent Château d’Yquem 1988. D’une couleur pâle pour son âge, cet Yquem est le meilleur des 1988 que j’aie bus depuis longtemps, car je craignais un certain passage à vide pour ce vin depuis une dizaine de mois. Or ici, c’est un bijou. C’est de l’horlogerie de compétition, car tout en lui est d’une précision absolue. Il est, pour un sauternes de vingt ans, la perfection de ce qu’un tel vin peut devenir. Bien sûr, des décennies de plus vont lui faire gravir l’échelle de Richter des plaisirs terrestres. Mais à ce stade il est grand. Ce n’est pas la compote d’abricots et mangues qui se marie le mieux, alors que la couleur le suggère, c’est le blanc-manger délicieux qui excite le mieux les saveurs que l’Yquem peut révéler. Une préparation de fruits secs convainc un peu moins.

Ce repas me plait à plus d’un titre. On dit assez souvent que les vins ressemblent aux vignerons qui les font. Si j’osais, je dirais que les vins de ce soir me ressemblent, car j’ai voulu que ce soient eux et parce que je les aime. Ayant quitté pour un soir le monde des vins anciens, ce sont ces vins que je veux. Salon 1988 au sommet de son art, quatre rouges qui ont formé une progression gustative éblouissante avec Latour qui a sans doute la trame la plus noble et la Mouline au charme infini, puis l’Yquem à la juvénile perfection. Ces vins, je les aime, même celui dont j’ai acheté ce midi le second vin croyant avoir acquis le premier. Emotion familiale quand j’ai raconté la rencontre d’un amour de mon père d’il y a 74 ans, amitié et sensibilité du plus talentueux des chefs que j’aime. Ce bouquet de motifs de joie est plus que garni. L’ami fidèle demande si nous votons. Ce sera un vote informel dans lequel je mettrai : 1 – La Mouline 1992, 2 – Salon 1988, 3 – Latour 1989, 4 – Yquem 1988. Pour les saveurs pures, c’est la chair du homard qui m’a conquis et l’accord de la sauce du canard avec la Mouline fut enthousiasmant. Que d’émotions dans un jour béni où amour, amitié, talent culinaire et vins parfaits ont illuminé mon ciel.